Quand la Mort retrouva ses abris sur les monts de l’Hödur, un vieux volcan grognon dans lequel les impipixies creusaient comme des petites fourmis jours et nuits, elle trouva ravie sur son palier quelques exemplaires du Petit Echo d’Hollow. Elle était décidément très en retard sur ses lectures ! Ces derniers jours, l’Hödur était d’humeur piquante et les loups de Sa Gouvernance n’étaient pas assez nourris. Elle avait eu beaucoup de travail, beaucoup d’âmes à attraper avant que Sa Gouvernance ne les intercepte et ce n’était pas une tâche aisée. La Mort soupira, décidément les temps étaient durs pour tout le monde. Elle salua d’un hochement de tête sa vieille fouine qui l’accueillit à grands renforts de léchouilles, sa façon à elle de lui prouver son affection. La Mort adorait sa fouine, c’était sa seule compagne, la seule à ne pas craindre sa présence mortifère, personne sauf ce petit animal ne voulait être ami avec elle, hélas ! La Mort soupira encore, elle détestait sa solitude. Dans un claquement de doigts elle revêtit une robe de chambre à carreaux écossais, sa préférée, ajusta ses lunettes en demi-lune pour changer son reflet et retrouver sa beauté de jeune femme éternelle. Elle s’observa cinq minutes dans le miroir de l’entrée, il lui semblait qu’elle ne s’était pas vue si belle depuis une éternité ! Puis elle s’amusa à coiffer sa longue chevelure brune en un chignon soigné. Des petits grognements attirèrent son attention, sa fouine tournait devant le foyer éteint depuis sa dernière expédition, la Mort alluma un petit feu dans son poêle à charbon qui diffusa bientôt dans le petit cabanon une lumière tamisée et agréable. La Mort était coquette et cela se voyait à son intérieur douillet. Elle mit une bouilloire à chauffer, savourant l’idée de pouvoir étendre ses longues jambes fatiguées. Puis, elle ramassa les journaux qui s’étalait dans l’entrée, garda celui qui lui tomba en dernier dans la main, rangea soigneusement les autres dans une jolie bibliothèque et mis à brûler quelques factures à régler. Satisfaite, elle prit le temps de se faire un grand bol de thé au lait bien sucré et s’installa, sa fouine blottie contre elle, prête à se délecter du quotidien.
La Mort appréciait particulièrement les nouvelles de Monsieur Wobbly, il ne se rendait pas compte de l’humour que recelait son écriture, le sérieux avec lequel il traitait chaque information, aussi fausse soit-elle, la faisait éclater de rire. Il eut fait exprès d’être drôle cela n’aurait pas pris, la Mort détestait les personnes qui se prenait pour des clowns, il n’est pas facile de maîtriser l’art de faire rire ! Monsieur Wobbly, lui, le faisait spontanément, sans faire exprès avec une grande finesse et habilité. La Mort ne comprenait pas pourquoi les impipixies se lamentait de la qualité de ses articles, ils avaient un esprit bien trop étroit pour comprendre la farce du journaliste. Lorsqu’elle lut les gros titres de la première page, elle ne put résister, d’office elle se sentit happer, un grand sourire sur ses lèvres : une zizanie d’objets, Hollow prise de folie ! C’était absolument génial ! Du grand art ! Cependant, la Mort prise par sa lecture ne garda pas son sourire très longtemps. Pour une fois, elle en était sûr Monsieur Wobbly n’inventait rien. Il était sérieux et c’était très inquiétant. Heureusement qu’aucun impipixie ne voulut le croire, leur esprit étroit protégeait ainsi sans le savoir la cause de tout ce désordre. La Mort devait absolument retrouver qui était capable d’un tel sortilège d’invisibilité, elle avait sauvé par le passé des petits impipixies orphelins qui n’en étaient pas et elle sentit qu’à nouveau, il lui faudrait agir vite avant que Sa Gouvernance n’apprenne l’existence de l’auteur de cette magie. Sa Gouvernance le tuerait. Sa Gouvernance détestait tout ce qui pouvait se rebeller ou pouvait évoquer des temps passés aux impipixies, des temps pourtant heureux mais qu’il avait réussi à faire passer à coup de propagande pour des temps terribles et tragiques, Monsieur Wobbly et d’autres journalistes à l’esprit pas si critique furent de précieux alliés pour ainsi propager montagne d’absurdités. Seule la Mort savait et ce savoir lui soufflait qu’il lui faudrait être discrète pour arriver à ses fins.
Prise par ses réflexions, elle ne sentit pas les tremblements qui firent tomber quelques cadres dans son cabanon. Le volcan Hödur s’était réveillé à nouveau et les coups de pics, les coups de pioches, les chatouillis incessants des berlines-chenilles le harcelait d’une douleur insupportable. Là, tout en bas dans ses entrailles Elissandre de travail ce jour-là, victime des gaz qui déboulaient le long des couloirs se figea en statue tout comme d’autres mineurs. Le volcan satisfait d’avoir mis fin à ses douleurs s’ébroua une dernière fois…Elissandre sous le coup des secousses partit en cendre. Le cri qui suivit resta inaudible aux impipixies d’Hollow ayant survécu à l’éveil du volcan. Pourtant ce cri fut suffisant pour faire sortir la Mort de ses réflexions. Elle bondit hors de son canapé et à grandes enjambées s’évapora hors de son cabanon laissant sa fouine en charge du foyer. Ce cri n’était pas celui d’un impipixie. Elle l’avait reconnu et il ne fallait pas que Sa Gouvernance réalise son existence !
Dans les couloirs de l’Hödur encore fumant, La Mort apparue, revêtue d’une tenue de mine, elle ajusta ses lunettes en demi-lune pour mieux y voir. Ses beaux yeux noirs de jais prirent alors une lumière rouge lui permettant d’éclairer son chemin. La Mort s’apprêtait à lancer son Rat Daram, un outil dirigeable en forme de rat très pratique pour repérer les morts dans le labyrinthe qu’était devenu le pauvre volcan, quant à quelques profondeurs de là une berline-chenille tentait de secouer une petite impipixie inclinée devant les cendres de sa mère.
De sa grosse tête velue, la berline-chenille lançait de petits couinements plaintifs, il ne fallait pas que l’Hödur s’éveilla à nouveau ni qu’un garde de Sa Gouvernance ne passa par-là, si la berline-chenille se faisait attraper avec la petite, elle se ferait écraser comme un vulgaire insecte ! Elle n’était pas un vulgaire insecte, c’était une chenille wagonnet dotée d’une grande sensibilité, robuste et fiable qui plus est pour arpenter les mines de l’Hödur ! Il ne fallait pas qu’elles se fassent attraper, toutes deux finiraient leurs vies dans d’affreuses conditions ainsi vont les choses à Hollow lorsque l’on ne respecte pas l’ordre établit. Mais face au refus de l’enfant, la berline-chenille dût se résoudre à écouter son instinct. Elle poussa une dernière fois la petite impipixie de la tête, « va-t’en ! » lui renvoya l’enfant pour toute réponse. Pauvre Adélaïde, pauvre petite impipixie. La berline chenille n’avait pas eu de mère mais elle percevait la douleur que pouvait provoquer la perte d’un être cher. Adélaïde la regarda s’éloigner de son rythme cahin caha, elle ne la rappela…ce qui rendit la berline-chenille d’autant plus triste, elle aimait beaucoup cette petite impipixie, toutes deux avaient liées une amitié des plus solide y compris dans les bêtises, les couloirs de l’Hödur prenaient des contours beaucoup plus amusant lorsqu’Adélaïde s’échappait de la Scolapura pour retrouver sa mère.
La berline-chenille partie, Adélaïde s’agenouilla devant les cendres de sa mère, les yeux brouillés de larmes. Elle mit du temps à apercevoir l’éclat de lumière qui tentait de se rappeler à elle. Adélaïde prit le petit objet brillant dans ses mains, l’observa sous tous ses contours, c’était le pendentif que portait sa mère. On aurait dit un serpent, oui comme dans les contes interdits de la Volupsa qu’elle adorait écouter le soir, un serpent qui se mord la queue ! Ce pendentif en argent soigneusement travaillé et gravé portait en lui intrigue et mystère. Adélaïde le glissa à son cou, c’était le seul souvenir qui lui restait de sa mère. Elle émit un petit cri lorsque le pendentif lui mordit la peau, il devait s’habituer à sa nouvelle propriétaire. La tête lui tourna soudain, était-ce la morsure ? Était-ce la douleur qui s’agitait en son cœur ? Adélaïde ne saurait trop dire, le monde se voila à ses yeux, elle ne voudrait plus en faire partie même plus pour faire des blagues à ce gros Monsieur Wobbly, si seulement la mort pouvait l’entendre et l’emmener auprès de sa famille. Loin très loin d’Hollow, loin très loin des impipixies, de Sa Gouvernance et de l’Hödur. Rien ne peut être plus effroyable que cet endroit, les vallées du monde des morts doivent sembler bien paisibles à côté.
Une ombre s’approcha, un bruit métallique la suivait, cliquetis d’un briquet aspirant des bluettes fantomatiques. « Enfin, te voilà ! » songea Adélaïde. Elle ne chercha pas à fuir, ni même se glisser dans les roches protectrices du volcan. Elle sentit la force de l’inconnue l’envahir, la noyer sous une enveloppe glaçante, étourdissante, assommante. Adélaïde tomba à terre, seul son petit doigt s’agitait. Un petit doigt gardant les séquelles du souffle de l’Hödur, le seul qui n’avait pu rester cacher avec l’enfant dans l’étreinte du volcan. Un petit doigt de pierre.