Chapitre 2

2

 

 

Âgée de quinze ans, Erié, se trouvait de fait la plus jeune à passer les épreuves cette année-là. Ses résultats scolaires hors normes l’avaient propulsée dans la classe supérieure l’avant-dernière année du lycée. Land ne discriminait pas les genres. Les filles et les garçons étaient traités de la même manière et les coquetteries féminines se faisaient plutôt rares. Dès le début de leur scolarité,  tous les enfants portaient la même tenue : pantalon et vareuse.

 

Cette première matinée démarrait très bien pour elle. Inspirée par les épreuves de littérature, la jeune fille avait noirci des pages et des pages d’une seule traite, confiante sur le contenu de son devoir. Elle ambitionnait de terminer première de la promotion et sa motivation pour devenir la prochaine cheffe du gouvernement demeurait sans faille. L’égalité scolaire permettait à quiconque d’accéder à de hautes fonctions au sein de chaque district. Le prélat et l’assemblée jugeaient uniquement sur les capacités de chacun à tenir le poste le mieux adapté. Cela apportait de la stabilité à la société landienne. Même si parfois on accordait des postes par complaisance, ce n’était jamais des fonctions à hautes responsabilités.

Erié attendait avec impatience les épreuves de l’après-midi et même toutes les autres d’ailleurs. Elle avait travaillé dur ces dernières années et ne comptait pas exclusivement sur ses capacités intellectuelles pour réussir. Excepté peut-être les épreuves sportives, elle maîtrisait toutes les autres. Erié habitait dans un des quartiers les plus récents de Bizertland, le quartier quarante-huit. La seule chose qui changeait d’un quartier à l’autre se mesurait dans  la modernité des constructions. Tous étaient conçus sur le même modèle : des immeubles alignés en briques rouges de dix entrées et de cinq étages. En général, le standard était une habitation de trois pièces : deux chambres, une salle à manger, une cuisine et une salle de bains. Côté rue, on trouvait les entrées numérotées de un à dix et côté cour, chaque immeuble possédait son espace vert et un jardin potager communautaire.

Enfant, Erié aidait sa mère à entretenir le potager quand son tour venait, une fois tous les quinze jours. Bien sûr les récoltes des jardins communs ne suffisaient pas à nourrir toute la population mais cela contribuait d’une part au ravitaillement de chaque immeuble et également au travail collectif,  en créant un lien social.

Il existait une véritable agriculture en dehors de la ville dans les terrains les plus fertiles ainsi que l’élevage de bétails. Quelques fermes constituaient les autres rares habitations situées sur les terres de cultures et destinées aux travailleurs qui approvisionnaient le district en produits frais.

Erié finit son repas et se dirigea d’un pas décidé vers la salle d’examen pour la deuxième partie des épreuves de la journée.

Le matin, Séfan n’avait pas prêté attention à la personne assise au pupitre d’à côté. Mais cette fois-ci, à la reprise, en arrivant après elle, il la découvrit assise au siège soixante-quatre. Ils échangèrent un sourire. Elle lui souhaita bonne chance et il la remercia d’un signe de tête.

Ils ne se connaissaient pas. Bizertland comptait plusieurs écoles secondaires et en général ses habitants fréquentaient principalement leur quartier. Les rares occasions de voir toute la population réunie restaient les quatre foires annuelles et les matchs de Circle Ball : le championnat annuel des quartiers et la coupe des districts une fois tous les deux ans.

Séfan fut troublé par le regard déterminé et le physique plutôt agréable d’Erié. Ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules et une mèche rebelle lui barrait les yeux. D’un geste rapide, elle la fit passer derrière son oreille. Il essaya le temps de la distribution des sujets de deviner qui elle était : son histoire, ses parents, son quartier. Il dut renoncer car rien de concret ne lui vint à l’esprit et il devait se concentrer sur l’épreuve de l’après-midi : la morale landienne. Un jeu d’enfant pour lui. Avec une mère professeure et un père membre de la haute autorité morale, il avait plutôt intérêt à réussir cette épreuve.

Le temps de rédaction était fixé à deux heures. À quinze heures trente, Séfan avait relu pour la deuxième fois son devoir et très satisfait, visait un dix-huit ou un dix-neuf sur vingt, sa modestie lui interdisant de prétendre à la note maximale. Un bref regard vers le pupitre soixante-quatre lui apprit que sa camarade de droite avait également terminé. Ils se levèrent en même temps et allèrent déposer leur copie sur le bureau du grand précepteur.

Finir l’épreuve aussi en avance relevait de l’exploit et tous les yeux se posèrent sur les deux candidats quand ils sortirent de la salle. Petit Pas semblait suer à grosses gouttes et Séfan lui adressa un sourire d’encouragement au passage qui semblait dire « allez vas-y ! ».

Dès qu’ils furent sortis, Erié engagea la conversation sur le sujet de l’après-midi.

— Quel est ton avis sur le principe d’égalité ?

— C’est l’un des trois préceptes de base de la morale landienne. Il enseigne que tout être humain doit être traité de la même façon. Aucun individu ou groupe d’individus ne doit donc avoir de privilèges garantis par la loi, répondit Séfan.

— Oui, ça c’est dans les livres, mais toi qu’en penses-tu en tant que ? Au fait, comment t’appelles-tu ?

— Séfan.

— Moi c’est Erié. J’habite dans le quarante-huit.

— Moi dans le cinq.

— Alors ?

— Alors quoi ?

— L’égalité selon Séfan ?

— Tous les individus sont égaux ?

— Tu penses vraiment ça ?

— Eh bien, euh… J’imagine qu’il doit y avoir quelques nuances. Mais il me semble que ce principe est plutôt bien appliqué sur Bizertland.

— C’est sûr, quand on habite dans le cinquième ça doit être plus facile.

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Oh ! Pour rien. Tu m’accompagnes au convoyeur ?

— J’aimerais beaucoup mais j’attends mon ami, on doit aller faire quelques paniers au stade.

— Bon Séfan à demain pour la suite des épreuves.

— À demain.

Petit Pas sortit le dernier de la salle d’examen avec une mine affreuse et une énorme envie de se défouler. Sa première phrase fut :

— Ne me parle plus de morale landienne ! Allez, on file direct au stade pour une séance ! Pas d’objection ?

Il n’en émit aucune et les deux amis rejoignirent à pied le terrain de Circle Ball situé dans le quartier quinze sans prononcer la moindre parole.

À seize heures trente, le stade était vide car pour le reste des étudiants et des écoliers les cours se terminaient à dix-sept heures. Seuls les candidats à l’épreuve du prélat se trouvaient dispensés de cours pendant la semaine d’examen. Cela laissait aux deux amis environ trente minutes de tranquillité avant que le terrain ne soit envahi par une foule de jeunes gens braillant et gesticulant autour des paniers dans un vacarme absolu.

— Il faut absolument travailler des combinaisons de jeu, proposa Séfan.

— Pfff ! J’ai plutôt envie de me défouler en tentant des paniers à neuf points. Allez c’est pas drôle tes combinaisons !

— Je sais mais on doit pouvoir surprendre nos adversaires et ne pas rester dans le jeu classique. Je te rappelle qu’on joue la finale junior début juillet.

— Oui tu as raison, mais on a déjà un coach dans l’équipe et c’est à lui de définir la stratégie. C’est pour ça qu’on a deux entraînements par semaine. Tu te souviens coach Séfan ?

Après une demi-heure de lancer, une foule bruyante envahit le terrain. C’en était fini de leur entraînement solitaire.

 

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