Chapitre 2

Notes de l’auteur : Bonjour à tou.te.s !
J'espère que ce nouveau chapitre, qui permet d'entrer un peu plus dans le vif dans l'aventure (mais pas encore totalement, il faudra attendre la suite pour cela !) vous plaira.
Bonne lecture !

Dans cette nouvelle vie qu'il s'était choisi, Matheus savait qu'il était plutôt commun de retrouver des hommes, alliés comme ennemis, couverts de sang, de bleus, et de blessures, pour un oui ou pour un non, même lorsqu'il s'y attendait le moins.

Pourtant, savoir qu'il avait suffi d'à peine une heure à Ian pour se mettre dans un état pareil, lui inspira à la fois une certaine inquiétude vis-à-vis de son état, mais également des questionnements concernant ce qui avait pu se passer au Old Avery. Après des semaines en mer, il aurait fallu quelque chose de trop gros pour que le quartier-maître du Blue Moon renonce à sa beuverie méritée. D'autant plus si Hai avait été avec lui :

« Calicot Jack était là. »

La voix tendue de Colette obligea Matheus à tourner la tête vers elle, réalisant que la jeune femme brune était juste à côté de lui. Il avait été tellement préoccupé par l'état d'Ian en se rapprochant qu'il n'avait même pas fait attention à sa présence. Le benjamin de l'équipage manqua de faire tomber la caisse de provision, et se rattrapa in extremis, subitement embarrassé :

« Qui... ?

- Calicot Jack, murmura la cartographe. Il était là, à brailler comme à son habitude, saoul comme un cochon. »

Jack Rackham, le second de Charles Vanes. Ce n'était pas le plus cruel des pirates, mais c'était probablement le plus bruyant. Matheus ne l'avait jamais vu. Cependant, il se demandait ce qui avait pu déclencher une bagarre avec Ian. Un rapide coup d'œil à Colette lui indiqua, à sa façon de croiser les bras, qu'elle avait l'air de se sentir concernée. Son visage était froid, et impassible, et le jeune homme ne voulait pas l'observer trop longtemps, de peur de se faire prendre. Impossible, dès lors, de savoir ce qu'elle pouvait penser.

L'attention se reporta sur Malik, qui était en train d'examiner la blessure d'Ian :

« Un coup de bouteille ?

- Tu connais la chanson, plaisanta le quartier-maître, avant d'étouffer un gémissement de douleur.

- Ne bouge pas. Ça n'a pas l'air très profond en tout cas...

- Je m'en remettrais !

- Qu'est-ce qui se passe ? »

La soudaine voix rauque de Scar Jack fit sursauter bon nombre de membres de l'équipage. Tout le monde resta de coi, alors que le capitaine allait dans la direction de Malik et Ian. Sur ses talons, Matheus reconnut Hadiya, l'ombre de Scar Jack.

Elle avait été la première femme qu'il ait vue, après Elena, une fois à bord. Matheus n'avait pas eu pour habitude de voir souvent une femme armée, et encore moins une femme noire. Son allure sévère et son crâne rasé avait eu tôt fait de le convaincre qu'elle n'était pas à prendre à la légère. Pourtant, une fois les premiers échanges tendus passés, Matheus avait vu en elle une combattante d'exception, une camarade attentive, et une force de caractère irréprochable. Sa vision exceptionnelle faisait d'elle une vigie hors pair. Elle se retrouvait souvent sur le grand mât pour signaler les potentielles cibles, ou d'éventuels attaquants. Lors des abordages, elle restait en retrait, mais veillait sur la sécurité de Scar Jack à l'aide de son mousquet, n'hésitant pas à descendre quiconque oserait toucher leur capitaine. Et lorsque les temps étaient plus calmes, elle restait parfois avec lui et Ian pour décider de leurs routes et de leurs objectifs.

Hadiya avait toujours refusé qu'on lui donne des ordres, et déclarait souvent n'agir que dans le bien de l'équipage et de leurs intérêts. Ce qui lui avait valu de nombreuses disputes avec Ian, que Scar Jack avait dû départager. Mais si le capitaine avait une relation presque fraternelle avec le quartier-maître et le docteur, il y avait quelque chose entre lui et Hadiya. Quelque chose de spécial. Ce n'était pas la même complicité qu'entretenaient Ian et Hai, mais quelque chose de plus profond, émotionnellement parlant. Quelque chose que seuls eux deux pouvaient comprendre, du fait de leur vécu :

« C'est rien, maugréa Ian.

- Une histoire idiote, expliqua Hai. Calicot Jack a voulu faire le malin, et ce gibier de potence s'en est pris à nous.

- Et pourquoi vous ? » suspecta Scar Jack.

Hai préféra rester silencieuse, tandis qu'Ian prétextait une douleur liée aux soins de Malik pour ne pas répondre. Le capitaine croisa les bras, prêt à montrer qu'il allait attendre jusqu'à ce qu'une réponse ne se fasse entendre, peu importe le temps que cela prendrait :

« C'est ma faute, soupira Colette.

- ... Il t'a fait quelque chose ? demanda Hadiya.

- Quoi ? Non, pas du tout ! protesta la cartographe. Il n'arrêtait pas de raconter partout qu'il avait croisé RedEye Thomas, et qu'il l'avait même vaincu. »

Le nom du sanguinaire corsaire, désormais pirate, provoqua de nombreux murmures parmi la foule de l'équipage. Le rythme cardiaque de Matheus s'était violemment accéléré, incapable de ne pas bouillir à la simple évocation de l'homme qui lui avait arraché sa famille. Depuis deux ans... Deux ans... Il n'avait toujours pas réussi à trouver sa trace.

Le jeune homme avait rejoint l'équipage du Blue Moon par vengeance, et ses intentions avaient été on ne peut plus claires dès le départ. Scar Jack l'avait pourtant mis en garde : leur objectif n'était pas de le traquer. Bien évidemment, beaucoup de matelots à bord souhaitaient l'éventrer à l'aide de leurs propres sabres, et si jamais ils tombaient un jour sur lui, alors le capitaine aux yeux rouges devrait prier pour son salut.

Mais ce n'était pas leur objectif. Et Matheus avait dû s'y faire. Il ne renonçait pas, car rester avec ses compagnons de mer était le meilleur moyen pour lui de remonter sa piste. Alors il laissait traîner ses oreilles, de temps en temps, afin de capter le plus d'informations possible. Jusqu'au moment fatidique où il pourrait enfin enfoncer son poignard dans son cœur encore battant.

Et pourtant, même si cela faisait déjà deux ans, entendre son nom le faisait toujours autant bouillonner :

« Alors... poursuivit Colette, il était tellement bruyant. J'ai fini par lui dire de se taire.

- Tu as plutôt braillé, ricana Ian avant de se renfrogner suite au regard noir de Hai.

- Bref, ça n'a pas plu à ce truand qu'une donzelle lui réponde.

- Et je suppose qu'il y a eu bagarre ? » suggéra Scar Jack.

Les trois larrons se regardèrent mutuellement, ne sachant pas vraiment comment expliquer le déroulement des choses. Matheus eut pour la première fois l'impression de voir Colette afficher un regard presque suppliant envers Ian. Elle en avait déjà bien assez dit, peut-être que c'était à son tour de s'en charger. Et puis, il était quartier-maître. Il risquait moins que les autres :

« Bah... Il est possible qu'au moment où il a voulu cogner, Silk l'a mordu. »

Subitement, tous les regards se posèrent sur le petit singe, jusque-ici ignoré de tous. Le capucin, assis sur l'une des caisses, et en train d'essayer tant bien que mal de décortiquer une noix, se figea en sentant tous les yeux des pirates sur lui.

L'espace d'un instant, il y eut un silence, puis Scar Jack se mit à rire. Un rire qui, pourtant, ne détendit pas l'atmosphère, bien au contraire. Impossible de savoir s'il s'agissait d'un rire franc, ou d'un rire sarcastique :

« Il a suffi d'à peine une heure, et tu te retrouves dans cet état, vieux cul rouge ?

- Ils ont l'habitude, au Old Avery.

- Malik, coupa Scar Jack. Est-ce qu'il va bien ?

- Ce n'est rien de grave, il sera sur pied très vite.

- Peut-il reprendre la mer demain ?

- Hein ?! »

Un brouhaha incompréhensible démarra au quart de tour. Certains analysaient les mots de Scar Jack, d'autres protestaient d'avance, se demandant si Ian devait partir, et surtout, s'il serait le seul à le faire.

Face à cela, le capitaine leva la main, et referma brutalement le poing, pour indiquer à tous de rester silencieux. Matheus jeta un œil à Ian, qui grimaçait déjà, pendant que Malik, accompagné de Hai, l'aidait à se redresser, s'assurant qu'il ne perdrait pas l'équilibre :

« J'ai une annonce importante à vous faire. Allez sur le pont. »

La plupart des marins s'exécutèrent, préférant éviter de protester devant leur capitaine. Ils avaient remarqué depuis un moment que les autres boucaniers présents sur la plage s'étaient aussi rassemblés avec eux, afin de comprendre ce qu'il se passait. Et les affaires du Blue Moon restaient sur le Blue Moon.

Matheus prit son courage à deux mains, voulant s'adresser à Colette, mais cette dernière s'était déjà rendue auprès de Hai, Ian et Malik. Il n'était pas prévu pour le jeune homme de faire de même, les bras encore chargés avec la caisse de victuailles. Et il ne l'avait pas remarqué de prime abord, mais Zin avait été derrière lui pendant tout ce temps :

« On va en profiter pour poser ça dans la cuisine. Tu dois avoir les bras fatigués. »

Si Matheus avait eu une once de répartie, il se serait empressé de remettre la caisse dans les bras du coq. Cependant, si risquer de l'énerver était déjà une menace en soi, le benjamin de l'équipage voulait également savoir au plus vite ce que Scar Jack voulait leur annoncer.

Une fois à bord du navire, Matheus suivit les indications de Zin, et descendit rapidement dans les cales pour aller déposer la caisse de victuaille dans le compartiment réservé aux cuisines. Il était toujours abasourdi de voir à quel point il était d'une propreté impeccable. Ce n'était pas là quelque chose d'habituel, venant de la part d'un pirate. Le coq était un maniaque de la propreté, en accord avec sa personnalité :

« Pose-le juste, je rangerai après. »

Autrement dit « ne mets pas de bazar en voulant aider. » Matheus ne se le fit pas dire deux fois, et s'empressa de déposer la caisse sur la petite table en bois, avant de sortir des cuisines. Sur le pont supérieur, tout l'équipage avait été rassemblé, Scar Jack s'étant placé sur le gaillard arrière, surélevé pour que chacun puisse le voir.

Cette fois, Hadiya n'était pas avec lui. Au contraire, le jeune homme la repéra un peu à l'écart de la foule, appuyée sur la rambarde. Elle semblait songeuse, et ne lançait pas un seul regard au capitaine. Son attitude était étrange, mais Matheus supposa qu'elle devait déjà savoir ce qu'il allait leur annoncer.

Et qu'elle devait analyser l'information. Que la nouvelle soit bonne ou mauvaise, elle risquait de provoquer des humeurs :

« Matheus ! »

Le jeune homme se retourna en entendant son prénom, et reconnut les jumeaux, Diego et Elena, en train de venir vers lui. Si Elena était en train de sautiller, Diego, lui, restait un peu plus calme, mais jetait des regards tout autour de lui. L'excitation de l'annonce les avait déjà gagnés :

« Qu'est-ce qui se passe ? interrogea la jumelle.

- On fait le partage du butin ? suggéra le jumeau.

- Non, coupa Hadiya. Jack a une annonce à nous faire. Et Ian a été blessé dans une bagarre au Old Avery.

- QUOI ?! »

La voix forte et surprise d'Elena attira les regards autour d'eux, qu'elle s'empressa de calmer en secouant la main. Puis, elle se rapprocha un peu plus de Matheus et Hadiya, en chuchotant :

« C'est pas trop grave ? Il n'est pas blessé ?

- Non, tenta d'expliquer Matheus. Il a juste pris un coup sur la tête, mais Malik a dit que c'était superficiel.

- Ouf, soupira la jeune fille. Enfin, non pas que ça me préoccupe ! Mais c'est quand même lui qui nous distribue notre part, et... »

Un rapide coup de coude dans les côtes de la part de son jumeau l'interrompit. Elle répliqua immédiatement avec un coup de pied dans son tibia. Diego étouffa un juron, et fit un signe de tête pour désigner Scar Jack, qui avait commencé à prendre la parole :

« Chers amis. Mes braves. Notre périple a été long, et difficile. Nous avons mérité notre repos, et nous allons procéder à la répartition... »

Çà et là, des voix et des cris enthousiastes se firent entendre, chacun étant pressé d'enfin recevoir une solde qu'ils pourraient dépenser en boissons, repas et charmantes compagnies. Matheus resta cependant suspicieux. Scar Jack ne leur avait pas encore tout dit, et il le savait :

« C'est pourquoi je me sens coupable de vous annoncer que nous reprendrons la mer dès demain. »

L'annonce eut comme l'effet d'une explosion. L'espace de quelques secondes, il y avait eu un silence, comme si tous les marins étaient en train d'analyser et comprendre ce que leur capitaine venait de dire. Silence qui fut suivi d'une effusion de voix, de cris et de protestations :

« QUOI ?!

- C'est pas juste capitaine !

- On vient d'arriver !

- C'est pas juste ! »

Matheus jeta un rapide coup d'œil à Hadiya, qui demeurait silencieuse, alors que les jumeaux eux-mêmes n'appréciaient pas vraiment l'idée de repartir tout de suite de Nassau.

Tout comme il l'avait suspecté, Hadiya était déjà au courant de l'annonce de leur capitaine. Son absence de réaction n'était pas si étonnante malgré l'annonce, de ce fait. Le jeune homme se souvenant l'avoir entendu plusieurs fois se plaindre qu'elle avait besoin d'une « bonne semaine de bains » pour se débarrasser de toute la crasse accumulée pendant leur périple. Lui-même ne savait pas comment prendre cette nouvelle. Il était épuisé, voulait dormir dans un bon lit et manger un repas avec des produits bien frais. Malgré son amour de l'océan, il savait qu'il avait besoin de prendre un peu de repos, ne serait-ce que quelques jours.

De plus, le benjamin de l'équipage aurait voulu profiter de leurs jours de pause pour mener son enquête. La République des Pirates était l'endroit idéal pour avoir les dernières nouvelles concernant la présence de RedEye Thomas. Si quelqu'un l'avait vu, savait dans quel océan il naviguait, alors c'était bien ici qu'il trouverait des réponses.

La main d'Hadiya se posa sur son épaule, le sortant de ses inquiétudes. Il tourna la tête vers elle, la tireuse d'élite lui adressant un sourire se voulant rassurant :

« Matheus. »

Entendre son prénom lui permit de se détendre quelques instants. Hadiya n'était pas rassurante, comme Hai, ou espiègle, comme Elena. Elle dégageait plutôt quelque chose de sécurisant :

« FERMEZ-LA BANDE DE MARINS D'EAU DOUCE ! »

La voix forte interpella tout l'équipage, qui fut réduit au silence. Ian se dressait à côté de Scar Jack, un bandage à la tête que Malik essayait tant bien que mal de faire tenir, alors que son patient s'agitait. Son visage était rouge, non pas de colère, mais parce qu'il avait dû faire un effort colossal pour être sûr d'être entendu, au milieu du brouhaha de protestations :

« SI LE CAPITAINE DIT QU'ON PART, IL Y A UNE BONNE RAISON. VOUS ALLEZ L'ECOUTER OU VOUS ALLEZ GEINDRE COMME DES FILLETTES ?!

- C'est toi la fillette ! s'exclama Hai. Laisse Malik te soigner, avant de faire ton intéressant ! »

Il y eut un rire dans l'assistance. Ian ne releva pas, montrant son amie du doigt, comme pour lui lancer du regard qu'elle ne perdait rien pour attendre. Même Silk était en train de sautiller d'excitation, visiblement bien plus amusé que son propriétaire.

Scar Jack, lui-même, esquissa un sourire. Cependant, il se reprit, et toisa son équipage. Son regard n'était pas sévère, mais plutôt préoccupé, comme s'il cherchait ses mots. Il n'était pas en train de donner des ordres. Il était en train d'essayer de convaincre ses hommes de le suivre :

« Je sais que vous vouliez profiter d'un repos bien mérité. Mais s'il reste une âme d'aventure en vous, alors vous écouterez ce que j'ai à dire. »

Le silence qui s'ensuivit lui assura l'attention des marins, et le capitaine reprit ses explications :

« Cela fait quelques temps que je voulais nous lancer à la poursuite d'un fabuleux trésor. Jusqu'ici, les indices étaient minces. L'existence même de ce butin était incertaine. Pas question de courir après des chimères. Mais maintenant, j'en suis certain. Ce trésor existe. Et nous allons le trouver ! »

Pour le moment, personne n'osait prendre la parole. L'appât du gain était évidemment un bon argument pour motiver les plus réfractaires. Accumuler les richesses était une chose, ne pas pouvoir les dépenser en étant constamment en mer en était une autre.

Ce magot était-il si important ?

« Ce trésor... Est plus important que tout ce que vous pouvez imaginer. De l'or, des bijoux, des objets anciens. Assez pour faire de nous des Rois. Assez pour que vous quittiez cette vie pour en démarrer une nouvelle, où vous le souhaitez. Assez pour faire pâlir d'envie les plus nobles des Européens. Mais nous ne sommes pas seuls sur la piste ! »

L'auditoire, captivé par ces promesses, ces images de pièces d'or coulant à flots, et de terrains rachetés pour y couler des jours heureux, recommença à s'agiter. L'offre était alléchante, et l'urgence devenait compréhensible. Pour autant, si une bonne partie des marins était déjà très excitée, l'autre ne semblait pas encore convaincue. Ce que le capitaine comprit aisément :

« Je sais que pour vous, il est difficile de penser déjà repartir, alors que nous venons de passer des mois en mer. Je ne vous oblige pas à nous suivre. Je veux vivre cette aventure avec vous tous. A cet effet... »

Il se tourna vers Ian, qui haussa les épaules. Si Scar Jack avait quelque chose à ajouter, il n'en savait rien, même s'il était son bras-droit. Mais un rapide regard le rassura : quoiqu'il décide, il le suivrait jusqu'au bout du monde :

« Nous repartirons demain, en début d'après-midi. Pour être sûr que vous serez en forme, je vous invite à aller vous reposer dans les auberges, et à ne pas rester dans les branles du Blue Moon. Allez vous décrasser, bourlinguez, faîtes la fête. Je veux que vous profitiez de cette seule soirée à terre. Et pour cela... Je renonce à ma part. Elle vous sera redistribuée à tous. »

Les exclamations de surprise qui suivirent furent encore plus bruyantes que les protestations ayant eu lieu quelques minutes plus tôt. Et Matheus avait beau apprécier l'équipage, il savait aussi que la plupart d'entre eux n'étaient pas très malins. La contrepartie immédiate d'une soirée bien arrosée, et la promesse d'un trésor inestimable, eurent vite fait d'acheter l'enthousiasme des hommes à bord. Même Ian semblait intrigué.

A ses côtés, Diego et Elena se claquèrent les mains, excités à l'idée de profiter de leur nuit également. Seule Hadiya restait perplexe. Mais Matheus ne lui accorda que peu d'attention. Senhora Izabel l'avait mis en garde contre le pêché de cupidité. Que pouvait-il y faire ? Matheus mentirait, s'il racontait que seule la vengeance le motivait. L'idée de mettre la main sur toutes ces richesses le séduisait, lui aussi. Il avait grandi avec peu, pourquoi les choses ne changeraient-elles pas ? Et que se passerait-il, une fois que RedEye Thomas serait hors d'état de nuire ?

De toute façon, ce n'était pas comme s'il allait réussir à convaincre l'équipage de rester plus longtemps. Et ses meilleures chances de vengeance demeuraient avec le Blue Moon. Ce serait d'une pierre deux coups :

« J'apprécie votre enthousiasme ! s'exclama Scar Jack. Maintenant, Ian va procéder à la répartition. Vous avez quartier-libre, en respectant notre tour de garde pour surveiller le navire, bien entendu. Colette, Diego, Elena. Passez me voir dans ma cabine après ça. »

Sans attendre, certains marins s'empressèrent de sortir leurs bourses vides, et d'autres usèrent même de leurs chapeaux, pour aller récupérer leurs parts auprès de Ian. Ce dernier, encore blessé, et fatigué de l'attitude de ses subalternes, les rappela à l'ordre plusieurs fois en les qualifiant de « culs-rouges » et autre « rats de cale ».

Mais de leur côté, Diego et Elena ne semblaient pas très satisfaits de devoir être appelés auprès du capitaine, au lieu de profiter de leur temps libre comme les autres. D'autant plus qu'ils avaient dû rester sur le pont depuis leur arrivée :

« C'est pas juste, bouda Elena.

- Vous êtes les Maîtres canonniers tous les deux, expliqua Hadiya. Si nous repartons demain, il va nous falloir toutes les armes nécessaires.

- Mais on ne sait même pas où on va ! protesta Diego. Ce sera dur d'avoir une idée précise.

- Et c'est pour ça qu'il a aussi appelé Colette. Ça ne va pas durer longtemps. »

Les mots d'Hadiya n'eurent pas vraiment pour effet de les réconforter. A défaut, ils cessèrent de se plaindre. Matheus les suivit dans la queue, ayant sorti sa bourse également. Il savait qu'il n'avait pas la priorité quant à la répartition, n'ayant aucun rang spécifique à bord de l'équipage. Mais rester aux côtés de Hadiya et des jumeaux lui permettait au moins de ne pas se faire bousculer.

Une fois devant Ian, ce dernier eut un grand sourire :

« Ah ! Matheus ! Prêt pour ce soir ?

- Ce soir ? ne comprit pas le jeune homme.

- Allez mon garçon ! Jack nous offre les moyens de passer une soirée inoubliable !

- Dans ton état ? intervint Hadiya. Ça va pas bien ?!

- C'est rien du tout, même Malik l'a dit. Pas question que tout le monde s'amuse sans moi !

- Et c'est pour ça que tu as attendu qu'il s'en aille pour sortir ta bouteille de rhum ? »

La remarque de Diego fit grincer le quartier-maître, qui l'ignora superbement, lui mettant juste sa part dans les mains. Elena, elle-même, resta silencieuse. Seule Hadiya restait à toiser Ian, les bras croisés. Les jumeaux ne demandèrent pas leur reste, et détalèrent vers la cabine du capitaine, non sans un dernier salut à Matheus.

Ce dernier attendit, avec une certaine impatience, que le second lui donne sa part. La présence d'Hadiya n'avait, au final, pas arrangé les choses :

« Tu fais l'imbécile, mais nous avons besoin que tu sois d'attaque.

- Depuis tout ce temps, Hadiya, tu me connais, quand même.

- Et justement. Tu veux retourner au Old Avery ? Imagine que Calicot Jack y soit encore. Tu vas encore te battre ?

- Premièrement, avec ce que Silk lui a infligé, avec un peu de chance, il est déjà mort de la rage, ce chien. »

Il en profita pour caresser la petite tête du capucin, assis sur la table avec un bout de mangue qui avait été prédécoupé pour lui :

« Ensuite, même si je sais que tu craques pour moi, je vais bien. D'ailleurs, je suis sûr que Scar Jack sait comment ça va se passer, et c'est pour ça qu'on part l'après-midi, et non à l'aube. »

La tireuse d'élite était loin d'être convaincue. Hai s'empressa d'intervenir :

« Ne t'en fais pas, je le surveille.

- Toi ?! répondit-elle en riant. Ça va empirer les choses.

- Au moins, je t'ai fait rire.

- Bien joué. »

Hai fit un clin d'œil à Hadiya, qui décida de laisser tomber. Elle tapota le dos de Matheus, et resta pensive quelques instants. Le jeune homme se demanda si elle voulait lui dire quelque chose. Si tel avait été le cas, alors la tireuse avait préféré s'abstenir, lui adressant un dernier sourire, avant de s'éclipser.

Matheus fut aussitôt bousculé par les autres marins, pressés de mettre la main sur leur solde, afin d'aller profiter à leur tour. Ian et Hai leur jetèrent un regard noir, qui les calma aussitôt. Tant qu'eux-mêmes n'avaient pas fini de discuter avec le benjamin de l'équipage, alors ils attendraient, que ça leur plaise ou non :

« Scar Jack exagère, souffla Hai. A deux jours près, on aurait pu en profiter un peu plus. Ce trésor ne va pas s'envoler.

- Non, peut-être pas. Mais j'ai confiance en ses décisions. S'il estime que nous n'avons pas de temps à perdre, alors c'est que ça doit être le cas. Ce n'est pas juste une chasse. C'est une course. »

Une fois la bourse de Matheus remplie, Ian lui indiqua qu'il devrait aller maintenant à l'auberge pour prendre une chambre, avant que les meilleures ne soient prises. C'était la première fois que le jeune homme avait autant d'argent sur lui, ce qui l'inquiéta quelque peu. Mais un rapide sourire de la part de Hai le rassura. Il savait se défendre, grâce à elle. Et continuerait de progresser dans ce sens :

« Et surtout, ajouta l'épéiste, va vite te laver !

- On est bien assez à puer, plaisanta Ian. Et j'aurai quelque chose pour toi. »

Intrigué, Matheus voulut en savoir plus. Mais l'agacement des autres pirates le convainquit qu'il pouvait bien attendre quelques heures. Et puis, ses supérieurs avaient raison. Autant mettre la main sur une bonne chambre avant les autres.

Le jeune homme se prépara rapidement, et descendit du navire, en route vers l'auberge, toutes ses pensées confuses, en train de tournoyer dans sa tête.

Il y avait ce trésor, qui semblait obséder Scar Jack. Ces choses mystérieuses, qui avaient l'air de préoccuper Hadiya. La trace de RedEye Thomas, qui risquait de s'effacer. Et avec tout ça, Matheus avait même failli oublier ce compas vu chez l'apothicaire, qui l'obsédait depuis qu'il l'avait vu.

Senhora Izabel lui avait appris qu'il devait prendre les choses comme elles venaient, une par une. S'il se laissait trop emporter, alors il se noierait dans toutes ses interrogations.

La seule chose qui devait le préoccuper, pour l'instant, c'était la soirée à venir. Et qui s'annonçait prometteuse.

 

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