Chapitre 2

Par Jibdvx

Malgré la douce lumière des bougies, le capitonnage moelleux des fauteuils et l’appétissant repas servi sur la table, la tension était toujours aussi électrique. Les assiettes de canard au sang, dégoulinantes de sauce, reposait maintenant froides et délaissées au grand dam de Paul. Le cuisinier en pleurait presque, posté dans un coin de la pièce avec An.

Les débats allaient bon train et chacun donnait de son avis. Marie s’était effondrée dans un canapé près d’une fenêtre ouverte , presque allongée. L’archevêque Simon et son ombre étaient assis, droits comme des i, dans deux chaises déplacées de la table jusqu’au salon. Anastasia faisait son possible pour calmer l’ardeur de son militaire de père à enchaîner les théories. Leonid n’en démordait pas, pour lui, il s’agissait forcément d’un assassinat.

 

— Et cette secte de barbares fanatiques ? demanda-t-il. Nombres de ses membres écument encore le pays ! MacRùn à fournit des armes aux Manchus pour les combattre non ?

 

À cette mention, An et Paul murmurèrent quelques paroles dans leur dialecte chinois. Monseigneur Simon intervint, écartant cette supposition d’un revers de sa main noueuse.

 

— Les Taiping ? Un ramassis de zélotes assoiffés de sang. Leur leader était un fou dont le suicide l’a envoyé tout droit rejoindre le Malin. Les Ch’ing perdent peut-être le contrôle de la Chine, mais vous avez assisté aux exécutions… Abel MacRùn est maintenant auprès du Seigneur, il n’y a rien à ajouter.

 

Comment les oublier ? Pensa Clément, à genoux pour attiser le feu mourant dans la cheminé. La révolte était terminée depuis un an que des estrades fleurissaient encore çà et là dans le pays. Depuis les remparts de la Concession, il avait déjà vu l’une de ces cérémonies d’exécution. Les bougres étaient tranchés en deux, décapités, pendus, leurs têtes exposés aux portes des villes pour servir d’exemple. Leonid avait raison, les Taiping n’étaient pas anéantis, mais ici ? À Shanghai ? Déjà que la police faisait régner la terreur chez les honnêtes natifs dans la Concession, alors toute une troupe de conspirateur…

L’idée fit cependant son chemin dans la tête de Clément. Pendant que le Major-général et l’évêque s’affrontaient sur lequel d’entre eux avait raison. Meurtre, mort naturelle ? De son côté le maître de maison ressassait les histoires de son père au sujet de MacRùn. Tous deux associés de longue date, ils se connaissaient déjà avant sa naissance, ils avaient vogué jusqu’à la Chine ensemble, quand le commerce se concentrait encore à Canton, dans le Sud. L’écossais ne s’était pas encore converti en vendeur d’armes. À l’époque, lui et son père avaient fait fortune dans la contrebande d’opium. Le poste avantageux d’Abel au sein de L’East India Company leur facilitait la tâche. Puis ils avaient monté leur business respectifs, son père négociant en porcelaines et soieries quand MacRùn gardait un pied dans le trafic en refourguant des fusils et des pièces d’artillerie aux nouvelles troupe chinoises…

 

— À vous écouter Monseigneur, dit Clément toujours tourné vers la cheminé, Monsieur MacRùn était un véritable Saint.

 

Il se retourna et fixa l’évêque droit dans les yeux. L’homme d’Église en fut très gêné et détourna le regard. Baptiste vint au secours de son mentor. Ses yeux somnolant allaient de l’évêque à Clément, conscient du malaise installer entre les deux. Il bégaya :

 

— Mon… Monsieur MacRùn venait souvent dans la Concession. Et… Et comme lui et votre père ont largement contribué à la construction de l’Église Saint-Joseph, M… Monseigneur Simon le rencontrait souvent.

 

— Merci Baptiste ! le coupa l’évêque. Voyez-vous Monsieur Millaud, feu votre père, Monsieur MacRùn et moi-même avons vécu ensemble nombre de moment difficiles en ce pays troublé. Les deux guerres de l’opium, le sac du palais d’été puis les rebelles aux portes de Shanghai…

 

Clément se reteint de jeter le fond de sa pensée au visage de l’évêque. Pas devant sa mère, elle se voilait la face depuis trop longtemps pour accepter cela. Ni devant le Major Degtiarev et Anastasia. Ce qu’il avait découvert sur les affaires qu’entretenait son père avec MacRùn et l’évêque ne devaient pas sortir du cercle tracé par son paternel. Il se mordit rageusement l’intérieur des joues. Maudit soit-il d’avoir voulu conclure deux affaires en une soirée. Clarifier les choses auprès de l’Écossais et du prélat, puis faire part ouvertement à Leonid des sentiments qu’il avait pour sa fille. MacRùn était une crapule, faussement maniérée en habits de soie. Sa mort l’attristait plus pour avoir eu lieu sous son toit devant ses invités qu’autre chose. Une chose demeurait cependant.

 

— Je vous entend là-dessus Monseigneur, fit Clément, l’air grave. Reste en suspens la question du décès. Les prières sont une chose, mais vous qui avez officier en tant que médecin à votre arrivé ici, seriez-vous capable de nous fournir un diagnostic ?

 

L’évêque devint livide, cela signifiait retourner dans le fumoir et affronter de nouveau le regard vide de MacRùn, en train de pourrir devant la cheminé. Il commençait sans doute à entrevoir le stratagème de Clément pour le déstabiliser, car il se leva d’un coup, réajusta son anneau pastoral pour se donner une contenance, planta son regard vert profond dans celui de Clément, imperturbable, et déclara.

 

 — Mes compétences d’apothicaire remontent en effet à mes jeunes années de missionnaire, mais je saurais certainement identifier le mal qui s’est abattu sur notre regretté convive.

 

Sans attendre la réponse de qui que ce soit, il partit à grandes enjambées hors du salon. Baptiste dû presque courir pour le rattraper. Clément sourit. Il avait réussi à faire bouger l’évêque.

 

— Mère ? J’accompagne Monseigneur Simon, dit-il. Pourriez-vous tenir compagnie à nos invités ?

 

Il emboîta le pas des deux hommes d’église, déjà hors de vue dans les couloirs. En passant devant Annie et Paul, il leur intima de servir un verre de vin à l’assemblé en attendant leur retour. Quelque peu apaisé par ce regain d’action, il sursauta en arrivant au fumoir, lorsqu’il entendit l’exclamation de surprise que l’évêque, Baptiste et Pierre, toujours devant la porte, poussèrent en cœur en entrant. Il entra presque en trombe dans la pièce et retint un cris de surprise.

Le cadavre avait disparu.

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