Chapitre 2

Fait chier ! pesta Azem en fermant la porte.

Il attendait beaucoup de cette expérience. Et beaucoup de Nasrim, il ne fallait pas se mentir. Il espérait vraiment qu’elle trouverait des éléments qui avaient jusque-là échappé à Stephen, mais rien. Rien de rien. Après avoir tenté de repousser le rêve par la méditation, puis de l’accepter par le même procédé ; après avoir fouillé ce maudit rêve, ils retournaient à la case départ, lui comme Stephen. Sauf que Stephen ignorait pourquoi Azem se faisait un sang d’encre. Il ne connaissait pas l’ampleur du problème : il n’était pas le seul face à un rêve récurrent, et une femme s’en retrouvait plongée dans un long sommeil dont les médecins ne parvenaient pas à la sortir.

Pour Alice Dodgson, tout avait commencé par un rêve qui se répétait. Elle en avait parlé à son médecin traitant, lequel avait communiqué l’information à Azem dans le cadre de son enquête. La neige y jouait aussi un rôle important. Un soir, Alice s’était endormie pour ne jamais se réveiller.

Azem craignait que le même sort attendît Stephen. Il ne supportait pas l’idée de le savoir, alors qu’il ne pouvait rien y changer, du moins, pour l’instant.

Demain, il fouillerait le domicile d’Alice de fond en comble. Jusqu’à présent, il s’était concentré sur les rapports des secours et sur la victime. Il n’avait tiré que quelques informations sans importance, hormis un lien possible entre cette affaire et une drogue récemment mise sur le marché : la poussière de rêves. Sa consommation prenait des proportions délirantes chez les libertaires, dont Alice faisait partie. Elle manifestait pour rejeter les valeurs traditionnelles, pour lutter contre la guerre et prôner un retour à une vie plus simple et plus proche de la nature.

Azem jeta un regard désabusé par la fenêtre. Au loin, derrière les immeubles de son quartier, il devinait le parcours des tramways au-dessus des rues et, dans le spatioport, le stationnement des aéronefs de transport.

Si Stephen et Alice rêvaient effectivement de l’Arluuvie, Azem devait orienter ses recherches dans cette direction. Où était née Alice ? Avait-elle déménagé ? Avait-elle vécu en Arluuvie ? Lui restait-il de la famille sur place quand la région avait disparu ? S’agissait-il d’un traumatisme, comme Nasrim en avait soulevé la possibilité ? Les questions se bousculaient dans la tête d’Azem. D’habitude, ses enquêtes ne prenaient pas un tel cours. Sans aller jusqu’à dire qu’il les résolvait aisément, il parvenait à se détacher des victimes. Pas cette fois. Pas avec l’implication de Stephen. Par ailleurs, Alice Dodgson pouvait n’être que la première d’une longue liste. Peu importait qu’il s’agît de narcotrafiquants ou d’autre chose, Azem devait se bouger pour faire avancer l’enquête. Il tenait les cartes en mains et avait l’habitude, pourquoi l’affaire n’avançait-elle pas ?

Il prit une profonde inspiration et ferma les yeux, avant de les rouvrir. Tout l’insupportait depuis qu’il enquêtait sur Alice Dodgson, même cet appartement dans lequel il se sentait bien jusqu’alors. Aujourd’hui, il n’en pouvait plus de ces quatre murs mal isolés, des stores en bois qui vieillissaient mal, des tapis râpés et des appliques qui grésillaient. Le bruit des chaudières, là, dehors, le fatiguait. Le ronronnement des aéronefs, la cloche qui annonçait l’arrivée du tramway, les jours de marché, les symboles peints dans les rues, la neige… Il n’en pouvait plus. Aucun endroit au monde ne semblait pouvoir l’apaiser.

Le cuir usé du sofa craqua quand il s’y installa en tailleur. Les paumes sur les genoux, il inspira, bloqua son souffle, puis le relâcha. Il recommença, le regard vide sur l’horloge devant lui. Lorsqu’il n’entendit presque plus le son de sa respiration, il rabattit les paupières. Il se concentra sur l’air qui remontait dans sa gorge et glissait entre ses lèvres. Il se coupa ainsi lentement des éléments extérieurs. Plus de grésillements dans les appliques, plus de cuir qui craquait dans son dos. Plus de chuintement près des chaudières.

Azem sentit le poids de son corps s’enfoncer un peu plus dans le sofa. Ses épaules se relâchèrent.

À cet instant, il comprit avoir franchi le seuil qui le séparait du monde présent. Son esprit errait désormais dans une vaste étendue de laquelle rien n’émergeait. Une obscurité parfaite et reposante. Ici ne régnaient plus le temps ni la matérialité. Azem n’était plus que pensées, lentes et réfléchies. Les tic-tac de l’horloge ne résonnaient plus dans sa tête. Ils ne découpaient plus aucun cycle. Plus de passé ni de futur qui se profilait. Plus de futur à peine annoncé qu’il se déroulait déjà par les claquements secs de l’aiguille des secondes. Plus l’impression de fuir la réalité ; ici, elle n’avait plus cours.

Azem vagabondait parmi ses préoccupations et les voyait s’évaporer dans le silence et l’obscurité. L’obscurité qui s’épaissit soudain. Azem tressaillit. Les sens en alerte, il tenta de se raccrocher au présent, au cuir craquelé du sofa, aux grésillements des appliques, mais on le retenait ici. Il perçut des vibrations. Rien ne venait jamais troubler son silence intérieur, d’habitude.

Il se convainquit d’être en train de rêver. Accablé de fatigue, il s’était endormi au cours de sa méditation.

Un vent humide se leva. Azem perçut l’écoulement d’une rivière, qu’il se mit à chercher. Il ne comprit pas pourquoi, parmi les émotions qui le submergeaient, il s’obstina à la trouver. Il se sentait relié à elle, à l’eau fraîche qui dévalait entre les rochers avec une force qui emporterait un homme. Il se sentait entraîné par le torrent, qui bouillonnait comme le sang dans ses veines. Les flots grossirent encore, colère qui remontait à la surface, impuissance qui le maintenait dans l’inaction, la peur qui le pressait d’agir. Il incarnait cette rivière, la frustration d’un barrage qui avait enfin cédé, qui balayait le danger sur son passage. Azem discerna chaque contraction de son corps, la raideur de ses muscles et de sa nuque, le poids dans ses épaules. Il éprouva le caractère si ancré de sa méfiance, de son angoisse et de son inquiétude. Elles puisaient dans une énergie qu’il ne parvenait pas à renouveler. Nourrissaient ses émotions négatives et son sentiment d’injustice. C’était injuste de perdre Stephen peu à peu. Injuste d’avoir si peur pour lui et de refuser obstinément d’y changer quelque chose.

Il tenait les cartes en main… mais ne les redistribuait pas.

 

Quand il réintégra l’instant présent, Azem frissonnait. L’horloge devant lui indiquait qu’il avait passé plus d’une heure à errer dans son obscurité personnelle.

— Plus si personnelle…, jugea-t-il, méfiant.

Il n’avait pas inventé la présence qu’il y avait perçue, et il ne s’agissait pas d’un songe. Il venait de vivre une expérience nouvelle, à mi-chemin entre la rêverie et…

— Onirisme, articula-t-il.

Le terme sonna comme un interdit dans sa bouche. La lumière se mit à clignoter sur la mezzanine. Le même vent humide que de l’autre côté balaya la pièce à vivre, puis plus rien. Sur le qui-vive, Azem balaya du regard son environnement. Rien n’avait bougé. L’horloge égrenait toujours les secondes. Le cuir du sofa craquait toujours dès qu’Azem bougeait. Le rassurement du quotidien n’était qu’une affreuse paralysie à laquelle il contribuait largement. Il le savait déjà avant sa séance de méditation, mais dans cette paralysie devenue ordinaire, quelque chose avait finalement changé, sans qu’il pût déterminer quoi.

 

Le lendemain, après avoir embrassé Stephen dans les cheveux comme chaque matin, Azem se rendit directement chez Alice. Elle occupait une petite maison au pied des collines qui cernaient une petite partie d’Ervicje. On y subissait moins les dégradations du paysage contre lesquelles luttaient les libertaires. Ici, la nature y paraissait plus naturelle et épanouie, malgré la neige qui couvrait le pays depuis des mois. Les arbres des vergers donnaient des fruits magnifiques à la belle saison, et leur réputation n’était plus à faire. Même Azem en avait entendu parler. Les rails des tramways et les tramways eux-mêmes n’alourdissaient pas le ciel laiteux. Les aéronefs stationnaient plus loin, à mi-chemin vers le centre-ville. À part les gens comme Alice – et, aujourd’hui, Azem, pas grand-monde ne venait ici. La vie se déroulait où les rues n’étaient pas des sentiers battus et où les voisins n’étaient pas des ruminants qui donnaient du mauvais lait.

Azem franchit le portail branlant d’une clôture et remonta péniblement une allée chargée de neige. La porte grinça quand il l’ouvrit.

La lumière naturelle éclairait faiblement les lieux. Les fenêtres n’étaient guère plus que des lucarnes, comparées à celles des habitations plus modernes. Cette maison avait vécu ; son architecture ne respectait pas les standards actuels, qui faisaient place à la lumière du jour, plutôt qu’aux chandelles et aux lampes à gaz.

— Plus proche de la nature, mais elle devait allumer à trois heures de l’après-midi, constata Azem en s’avançant dans la pièce à vivre.

Un vieux poêle à charbon occupait une bonne partie de l’espace du fond, à côté d’un fauteuil au tissu élimé. Une lampe à gaz trônait sur un buffet bas, à côté d’une pile de livres. Alice travaillait à la grande bibliothèque d’Ervicje, réputée à travers le pays pour ses innombrables ouvrages sur l’Arluuvie. C’était grâce à eux que les gens se souvenaient parfois, comme s’ils s’y étaient déjà rendus. Azem lui-même n’avait que peu de souvenirs de la région. Des articles, çà et là dans la presse nationale, qui vantaient les mérites de tel ou tel artisanat. Les arluuviens travaillaient de leurs mains. Ils soufflaient le verre, fabriquaient des lits et des berceaux, concevaient des bijoux et cultivaient les aromates que la mère d’Azem se procurait pour épicer sa cuisine. C’était là à peu près tout ce dont il se rappelait. Parce que sa mère le liait, d’une certaine façon, à l’Arluuvie.

Une odeur de renfermé, mêlée à une autre, plus âcre, fouetta les narines d’Azem lorsqu’il s’avança encore à l’intérieur. Sur la table, il identifia l’origine de la puanteur : des restes de nourriture avariée et un pichet d’eau croupie traînaient là depuis un certain temps, à en juger par la couche trouble à la surface de l’eau et l’état de décomposition dans les assiettes ébréchées.

Un départ précipité, analysa Azem.

Mais pourquoi ? Une collègue avait découvert Alice endormie sur son lit, un matin où elle devait travailler. La collègue en question s’était inquiétée de ne pas la voir arriver, malgré son infaillible ponctualité.

— On a évacué Alice, mais personne n’est venu pour débarrasser les restes de nourriture et vider le pichet, en conclut Azem. Personne n’est venu pour nettoyer ni aérer. Était-elle seule à ce point ?

Elle vivait presque en marge de la capitale. Après elle et le pont de l’Arluuvie, il n’y avait plus que la grande route qui menait hors des remparts, dans la bordure, puis jusqu’à la ville voisine. Une ferme ou deux se dressait sur le chemin, pas plus. Hormis les politiques, les hommes d’affaires et les commerçants, personne n’empruntait cette voie. Les habitants prenaient le train, le plus souvent, puisqu’ils voyageaient loin sans halte requise. Ils rendaient visite à leur famille en Arluuvie, en Vesnivie, à l’ouest, ou en Yudzevie, à l’est. Bien desservies par le chemin de fer, ces trois régions accueillaient beaucoup de touristes, l’Arluuvie, surtout, également appréciée pour ses résidences secondaires à bas coût.

Pensif, Azem poursuivit son inspection. Dans la pièce du fond, il trouva un matelas posé à même le sol, que jonchait un tas de couvertures miteuses. Un tabouret faisait office de table de chevet, et une énième lampe à gaz y trônait, ses motifs floraux défraîchis par la poussière. Une étagère occupait l’angle du mur à côté de la minuscule fenêtre. Azem y remarqua d’autres livres, des éditions anciennes pour la plupart. Du bout des doigts, il souleva les couvertures et l’édredon en plumes. Sous celui-ci, il découvrit un pistolet assez petit pour rentrer dans l’une de ces pochettes avec lesquelles sortent les dames de la bonne société.

— Contre quoi vous protégiez-vous ?

Il repensa à cette histoire de poussière de rêves. Alice vivait misérablement, et son emploi à la bibliothèque devait tout juste payer le loyer en plus de quoi manger. Avec quoi se payait-elle tous ces livres, éparpillés un peu partout dans la maison ? Ils étaient onéreux, et, si elle avait pu hériter les vieilles éditions, qu’advenait-il des autres ? Azem émit l’hypothèse qu’elle revendait de la poussière de rêves pour subsister à ses besoins. Elle en avait peut-être gardé pour elle ou en revendait moins officiellement, ce qui n’avait pas plus aux trafiquants.

— Ou elle en a volé pour arrondir ses fins de mois, continua de réfléchir Azem. Ou elle a dit en avoir perdu un peu, ou elle devait de l’argent à des créanciers.

Il finit par quitter la maison, bredouille. Il avait des comptes à rendre à sa hiérarchie ; le voir qui faisait chou blanc depuis plusieurs jours ne plairait pas. Peut-être qu’en discutant avec Nasrim, en mettant les choses à plat comme ils le faisaient autrefois, il remarquerait un détail qui lui avait échappé jusque-là. Peut-être que cette conversation lui ferait simplement du bien. Avec le cas de Stephen qui pesait sur ses épaules, il dormait mal et perdait l’appétit. C’était pire depuis qu’il avait rapproché sa situation avec l’affaire sur laquelle il enquêtait. Azem ne voulait pas que son compagnon fût la prochaine Alice Dodgson sur sa liste.

Sa décision prise, il regagna la pièce à vivre. Il remarqua alors une boule à neige brisée dans le coin, derrière la porte d’entrée entrouverte. Le nom qui figurait sur l’étiquette du socle étant illisible, Azem se contenta des maigres informations qu’il avait pu récolter sur Alice : esseulée et misérable, mais accumulant des livres qu’elle ne pouvait probablement pas se payer.

 

Sur le chemin du retour, il passa à l’université, au département de l’archéorêve. Il entra dans le bâtiment par la porte sud, masse sombre dressée parmi des arbres rachitiques, à côté de la bibliothèque universitaire. Il gagna le troisième étage, mal éclairé par des appliques vieillissantes. Dans le couloir, de part et d’autre d’une moquette râpée, des portes fermées portaient les noms des professeurs qui enseignaient là. Beaux ouvrages malgré le manque évident d’entretien, elles conféraient un certain cachet au département, avec leurs solides gonds métalliques, leurs poignées de portes industrielles et les vitres en verre texturé, à l’image de celles des fenêtres.

Azem s’arrêta devant celle du bureau de sa sœur. Il frappa et attendit qu’elle l’autorisât à entrer.

— Je ne m’attendais pas à te revoir si vite, lança Nasrim en se levant.

Elle contourna son bureau pour aller à la rencontre d’Azem. Derrière elle, les lumières vacillantes de la ville se perdaient au-delà de la baie vitrée.

— Pas après l’échec de la nuit dernière, tu veux dire ?

— Non, nous avons avancé, assura-t-elle. Enfin, tu m’écoutes quand je te parle ?

« Je pensais ce que j’ai dit à propos de notre progression », se souvint Azem.

— Je ne venais pas spécialement pour Stephen, admit-il, embarrassé.

— Pour quoi, alors ?

Nasrim croisa les bras sur la poitrine, l’air sévère. Il détestait quand elle faisait ça, quand il la dérangeait, mais qu’elle ne le lui disait pas ouvertement. Elle ne l’avait même pas invité à s’asseoir. Les deux fauteuils club, bien qu’usés, semblaient pourtant confortables.

— J’ai une affaire sur les bras, expliqua Azem. Une histoire de rêve récurrent, comme pour Stephen, mais qui ne concerne pas Stephen.

Nasrim fronça les sourcils et se détendit, intriguée, maintenant.

— La victime s’appelle Alice Dodgson, poursuivit Azem sans qu’elle eût besoin de le lui demander.

— La victime ?

— Une collègue l’a trouvée plongée dans un long sommeil. Les médecins ne parviennent pas à la réveiller.

Plus à l’aise, Azem détailla son affaire à une Nasrim captivée.

— Et tu veux que je fouille le rêve d’Alice ?

— On n’est même pas certain qu’elle rêve de là où elle est.

— Mais tu aimerais que j’essaie ?

Azem eut l’impression d’avoir affaire à une petite fille. Nasrim n’attendait vraisemblablement que de fouiller ce rêve et, par extension, de poursuivre ses recherches sur celui de Stephen, mais Azem y voyait un inconvénient de taille.

— Le long sommeil d’Alice est peut-être lié à des narcotrafiquants. Je ne peux pas te laisser courir un tel risque. Peut-être même que le sommeil dont elle souffre est une conséquence de sa consommation. Ce serait tellement plus simple s’il existait un procédé qui permettrait d’analyser les substances dans un corps humain, soupira-t-il à part lui.

Nasrim se réinstalla derrière son bureau, parmi les carnets reliés de cuir, la machine à écrire et tout ce qui constituait son quotidien. D’un geste de la main, elle invita enfin Azem à s’asseoir.

— Je m’étonne que le grand hôpital ne recense pas plus de cas, déclara-t-elle tandis qu’il s’enfonçait dans un fauteuil. Et qui dit nouvelle drogue dit déclaration auprès des services de police. Or, tu es de la police. Et tu enquêtes précisément sur un long sommeil sans doute lié à une nouvelle drogue. Tu ne penses pas plutôt que le problème serait ce rêve que faisait toujours Alice ?

Azem n’osait pas l’admettre jusqu’à présent, mais l’idée lui avait traversé l’esprit une bonne douzaine de fois depuis qu’on lui avait remis ce dossier. Il pensait sûrement que, tant qu’il n’acceptait pas cette éventualité, il en annulerait l’existence.

— J’y ai pensé pour le nombre de victimes, avoua-t-il au bout d’un moment. C’est souvent ce qui arrive quand personne ne connaît trop les effets secondaires d’un nouveau produit.

Il hésita, avant de poursuivre.

— J’y ai aussi pensé pour le rêve, mais ça signifierait que Stephen est impliqué.

— Peut-être impliqué, le corrigea Nasrim. Rien ne prouve que le rêve seul soit à l’origine du sommeil long d’Alice. Il peut exister d’autres éléments, et leur intervention l’aura plongée dans ce sommeil dont elle ne sort pas. Peut-être même qu’une éventuelle consommation de poussière de rêves mêlée à la récurrence du songe l’a menée là.

— Je t’interdis quand même de te rendre au chevet d’Alice pour explorer son rêve. Je ne plaisante pas, insista Azem en tapant le bureau du doigt.

Il usa volontairement du ton bourru qui faisait sa réputation au travail. Pour interroger les suspects récalcitrants, c’était lui qu’on appelait.

— Nasrim...

— Je n’essaierai pas de fouiller le rêve d’Alice Dodgson, promis.

Azem regretta d’avoir mentionné jusqu’au nom de famille de la victime, puis se dit que Nasrim était une grande fille : si son frère lui demandait si farouchement de ne pas intervenir, elle en comprenait les risques.

 

Nasrim, de son côté, mourait bien évidemment d’envie de fouiller le rêve d’Alice Dodgson, ne fut-ce pour établir un parallèle entre le sien et celui de Stephen. Rêvaient-ils de la même rue déserte, de l’écriteau « Fermé » et de la neige immaculée ?

Elle effectuait justement quelques recherches sur cet endroit à l’arrivée d’Azem. Sur son bureau, plusieurs livres traitaient de l’archéorêve, des signes et des symboles, d’analyses portées par d’éminents chercheurs. Pour l’instant, Nasrim n’avait trouvé aucun antécédent au rêve de Stephen, mais, maintenant, elle savait qu’il n’était pas le seul concerné.

Azem avait évoqué une éventuelle nouvelle drogue mise sur le marché : la poussière de rêves. Elle ne connaissait toutefois personne d’assez calé sur le sujet pour la renseigner. Elle mit donc cette piste de côté au profit d’une autre.

Dans le rêve de Stephen, elle avait eu le temps d’analyser les éléments qui le composaient principalement. La porte de ce qui s’apparentait à une échoppe était de belle facture, contrairement à celles d’aujourd’hui, abîmées pendant la guerre. La façade, agrémentée de moulures propres, semblait, elle aussi, en bon état. Pareil pour les volets fermés, au second étage, et les hautes fenêtres étroites, au premier. Les vitres n’avaient subi aucun dommage. La guerre n’avait, semblait-il, eu aucune emprise sur cet endroit. Nasrim en déduisit que Stephen revivait un souvenir, plus qu’il ne rêvait à proprement dit.

— Je dois en savoir plus, décréta-t-elle après le départ de son frère.

En savoir plus sur le cadre qui constituait le rêve. Sur l’état de l’établissement et, même, des maisons qui le jouxtaient, car elles aussi paraissaient n’avoir subi aucun dommage dû aux bombardements.

— Et si c’est bien de l’Arluuvie dont on parle – mais de ça, j’en suis presque certaine, je n’ai qu’un moyen de m’en assurer.

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Oriane
Posté le 27/10/2021
Nous voilà donc lancé dans une enquête qui semble promettre d'être prenante. Je suis toujours autant intrigué par ton univers dont tu distilles les informations petit à petit.
J'aime comme la réalité et le rêve s'imbrique de plus en plus et je me demande comment tout cela va se mêler dans l'enquête d'Azem. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'il ne va pas y avoir que son enquête. Nasrim me parait bien parti pour faire de même de son côté.
Aude Réco
Posté le 21/11/2021
Effectivement, il n'y a pas que l'enquête. Plusieurs éléments extérieurs s'ajoutent au fil du récit. Des personnages aussi.
Amusile
Posté le 05/09/2021
Je découvre avec joie que tu nous lances sur une enquête et que le mystère s'épaissit. Les rêves et la force de l'esprit semblent avoir une réelle emprise de ton monde, et ça floute les frontières avec la réalité, comme cette neige qui tombe, tombe et tombe encore en recouvrant la vérité.
Aude Réco
Posté le 06/09/2021
Ah, tu as compris la double idée avec la neige ! ^^
Calypsodo
Posté le 05/09/2021
Je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi futuriste presque, avec une enquête, après le premier chapitre, je pensais à tout autre chose, et j'ai été super surprise du coup ! La description d'Azem qui tente de se détendre sur le canapé, a t-elle une réelle importance ? Est ce une méthode "nouvelle" de cet univers ?
Aude Réco
Posté le 06/09/2021
Surprise dans le bon sens, j'espère. ^^
Pour la description dont tu me parles, il s'agit d'une continuité à la fois où je parle des méditations de Stephen pour se détendre à cause des rêves. C'est Azem qui lui a appris à méditer, on ne peut donc pas parler de méthode nouvelle. Seulement, je voulais l'explorer un peu plus.
CM Deiana
Posté le 21/08/2021
Oh ! On arrive sur la partie enquête et thriller. Je ne m'attendais pas à cela et je suis agréablement surpris. Les limites entre le rêve et la réalité semblent bien minces en tout cas, et a priori les méthodes de méditation sont mal vues / interdites ?
Je saute donc au prochain chapitre pour en savoir plus.
Merci pour cette lecture :)
Aude Réco
Posté le 21/08/2021
En fait, tout ce que nous, on appelle "médecine traditionnelle" ou "médecine douce" sont mal perçues dans un monde où la science essaie de s'imposer. Pareil pour l'astrologie, le tirage des cartes, la lecture dans les entrailles...
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