Chapitre 2

Par LauLCas
Notes de l’auteur : Musique conseillée : Flawless de The Neigbourhood

Le lendemain, Rei se réveilla avec la peur au ventre et les sanglots au fond de la gorge, il avait dû rêver de sa mère comme d’habitude. Encore un peu sonné par son réveil brutal, il arrêta son regard sur la photo de sa mère qu’il avait posé sur la table de chevet. Il avait longtemps résisté à l’idée d’en mettre une car c’était un peu comme un constant rappel de son décès. Mais sa psychologue lui avait conseillé de le faire : “Au moins essaye, Rei, tu pourras la retirer si ça ne te convient pas”. 

Et Rei l’avait un jour mis, car un matin les traits de sa mère étaient devenu un peu flou. L’oubliait-elle déjà ? Il avait alors fouillé dans un des carton plein d’affaires de sa vie d’”avant” qu’il n’avait jamais pris la peine d’ouvrir et en avait sorti une photo de lui et sa mère, prise un an avant sa mort.  La photo n’avait rien de spéciale, ils étaient devant la jetée de Brighton, sa mère souriait, son lui de 14 ans beaucoup moins. Il n’avait jamais été très souriant.

Il soupira en regardant son portable lui indiquer 5 heures du matin mais il décida de se lever quand même. Pourquoi courir après Morphé si celui ci le fuyait ? Il enleva l’alarme de 7h30 sur son téléphone et s’étira paresseusement. La fenêtre haute au dessus de son lit filtrait à peine la faible lueur du matin, il passa rapidement un jogging and tshirt avant de sortir de sa chambre en essayant d’être le plus discret possible, il n’avait pas envie de réveiller Soso et Taylor dans la chambre voisine. Rei habitait dans une de ses maisons purement londonienne aux petites briques rouges, maisons assez étroites mais profondes à la deventour légèrement arrondis faite de grandes fenêtres qui leur donnait un style très particulier. Taylor, Soso et lui vivaient dans l’appartement en sous sol de l’immense maison de 3 étages. 

A ce qu’il avait compris, Nathan et sa grand-mère avaient aménagé là, quand ils s’étaient officiellement mis ensemble plus de vingt cinq ans avant. Ils avaient plus tard aménager l’entre-sol en appartement pour le louer, le sous sol était assez lumineux et donnait sur le jardin. Ce fut là que Taylor, Soso et lui avait aménagé l’année passée. Dans la maison, en haut, vivait encore Nathan et Marissa, ainsi que les jumeaux et Ambre.

Le salon et la cuisine américaine de l’appartement où Rei vivait avec Taylor et Soso donnait sur le grand jardin bien entretenu (principalement par Marissa, parfois par Soso) que toute la maison partagé. Rei ouvrit les rideaux de la baie vitrée pour laisser pénétrer la faible lueur du jour et éviter d’allumer la lumière. Il jeta un regard vers le couloir qu’il venait de quitter, vers la porte de la chambre de Soso et Taylor mais tout était silencieux. Calme. Il enclencha la machine à café en grimaçant, elle faisait un peu de bruit, il espérait que ça n’allait réveillé personne. De plus, Taylor n’aimait pas qu’il consomme du café si jeune (et à cette quantité) donc si son père le voyait à 5h30 se faire un café, il ferait un commentaire. Mais il n’y avait vraiment que cette boisson pour gardait Rei éveiller la journée. 

Tasse en main, Rei ouvrit la baie vitrée, s’assit sur l’un des fauteuils de jardin et s’alluma une cigarette. Il faisait encore un peu frais mais Rei devinait que la journée allait être chaude pour septembre. Il se laissa aller contre le dossier du fauteuil, les yeux rivés vers le petit canal qui passait à côté de leur maison. Il pouvait entendre les bruits des canards et oies plus loin. Rei ne put s’empêcher un sourire à ce son, ça avait un côté très apaisant.

Son esprit dériva sans qu’il s’en rende compte sur la rentrée scolaire qui avait lieu le jour même. Rei appréhendait les rentrées scolaires comme n’importe qui mais celle là lui mettait un peu plus la pression que les autres. C’était la dernière année du lycée, il n’avait aucune idée de ce qu’il voulait faire après, il ne savait même si il allait réussir, il était sur le fil du rasoir depuis trois ans, ces notes étaient passables mais à la moindre erreure Rei savait qu’il redoublerait. 

Ce qui le stressait aussi, c’était les changements dans sa classe à cause du redoublement des jumeaux, de Remzi et Victor. Il s’était habitué à l'anonymat (relatif) et à la tranquillité de sa classe dans laquelle il avait adopté le rôle du “nouveau” avec plaisir l’année dernière et ne s’en était jamais vraiment débarrassé. Ce n’était pas que Rei n’aimait pas les personnes de sa classe, mais plutôt qu’il n’avait rien d’intéressant à leur dire et qu’il peinait à se concentrer sur leurs conversations… Et cette année, avec les jumeaux dans sa classe, Rei savait qu’il pouvait oublier le calme. 

-Tu es déjà debout.

Rei sursauta et laissa échapper sa cigarette. Il jura en se brûlant alors que Taylor s’asseyait sur le siège voisin en se moquant de lui. Il ne l’avait pas entendu arriver.

-Tu m’as fait peur Taylor… siffla Rei en rallumant la cigarette et en le fusillant du regard.

-Il est 5h30, tu as encore fait un cauchemar ?

Rei acquiesça, il ne cachait rien à Taylor. Sauf peut être son attirance pour Victor. Son père soupira et prit une cigarette de son paquet, il fumait occasionnellement avec lui. Et avait la fâcheuse habitude de lui piquer ses cigarettes.

-Désolé de t’avoir réveillé…

Taylor haussa les épaules mais Rei n’échappa pas aux regards inquiets de son père.

-Je suis stressé à cause de la rentrée, rajouta-t-il, un peu pour rassurer Taylor, il n’aimait pas son expression anxieuse qui lui barrait le front. 

Taylor lui adressa un petit sourire compatissant et alluma sa cigarette :

-A cause des jumeaux dans ta classe ? dit-il avec humour.

Rei ne put s’empêcher un petit rire moqueur.

-Ouais, ça c’est sûr, ca va être un défi…

Taylor rigola et jeta un regard vers les premiers étages de la bâtisse, là où la chambre de ses petits frères se trouvaient :

-Quand je les vois, je me revois à leur âge, dit Taylor pensivement.

-Oui mais ils sont deux… c'est pire… souffla Rei.

-Je faisais autant de connerie que eux deux réunis…

Taylor blaguait souvent sur son adolescence agitée, limite borderline, mais étrangement, Rei y détectait une sorte d’amertume et de regret. Ils n’en avaient jamais vraiment parlé ouvertement mais Rei se demandait souvent ce qu’il avait pu se passer en détail. Parfois Théo, Ruby et ses grand-parents laissaient échapper des détails caucases mais personne ne parlait des moments vraiment noirs, ceux où Taylor avait dû montrer le pire côté de son adolescence. Même Soso qui le connaissait de cette période n’en parlait pas trop non plus. Elle disait souvent “mon histoire d’amour avec Taylor a commencé par une peine de coeur”. Taylor avait rencontré Soso quelques mois après que Estérie, sa mère, lui ait brisé le coeur en partant sans laisser de traces et sans explications. Maintenant, Taylor savait qu’elle était partie parce qu’elle était enceinte. Souvent, Rei voulait discuter de sa mère avec Taylor, mais n’avait jamais osé, et Taylor évitait le sujet avec habilité.

-Ca va bien se passer Rei, affirma Taylor en regardant le canal probablement avec le même air profond que lui même avait quelques minutes plus tôt.

Rei se raccrocha à ça et termina son café devenu froid et un peu amer.

 OOO

Ce fut la boule au ventre que Rei arriva au lycée en compagnie des jumeaux. Soso qui travaillait dans le Nord de Londres pour un festival professionnel de tatouage, les conduisit en voiture et les lâcha pile poile devant Remzi, Victor et Moïra qui étaient déjà devant les grilles du lycée. 

Rei n’avait plus d'échapatoir possible à part suivre les jumeaux qui s’étaient déjà élancés vers le trio, heureux de les retrouver après la coupure estivale. Ils allaient tous au lycée Greig City, qui donnait directement sur l’avenue principale, dans le quartier de Hornsey. Un peu éloigné de la station de métro Turnpike lane, le lycée avait bonne réputation, et était probablement l’un des meilleurs de la circonscription de Haringey, malgré sa proximité avec les zones populaires de Wood Green et Turnpike Lane. L’unique bâtiment du lycée se dressait derrière sa grande grille et la première fois, Rei avait été saisi par sa modernité par rapport au vieux lycée un peu craignos dans lequel il allait quand il vivait à Brighton. 

Rei fut assez surpris de voir que Remzi et Moïra, d'ordinaire souriants et actifs, affichaient un visage plutôt anxieux. Il fit vite le rapprochement avec la mine sombre de Victor qui ne parlait pas à leur côté. 

Max et Alex qui avait l’air de ne pas avoir remarqué la morosité du trio commencèrent leurs bavardages habituels à propos de la fête à laquelle ils étaient samedi soir. Rei écoutait à moitié et était resté un peu en retrait, observant à la dérobé le blond. 

Le jeune homme était l’ombre de lui-même, Rei ne l’avait pas revu depuis la fin mai, autant dire une éternité. Il était pâle, avait maigri et affichait de profondes cernes autour de ses yeux. Rei savait exactement ce que Victor traversait à cet instant précis. Reprendre une vie normale après la mort d’un  parent ? Impossible. Tout devait lui sembler sans saveur, sans intérêt… surtout la conversation futile des jumeaux et la mine anxieuse de ses meilleurs amis devaient l’irriter au plus au point. Sans réfléchir, Rei coupa Max et Alex :

-Victor, tu m’accompagne à l’administration s’il te plait ?

Ses yeux bleus jusqu’alors dans le vide lui adressèrent un regard curieux. Sa question était étrange, après tout jamais Rei ne lui avait parlé directement et tout le monde savait que se rendre à l’administration n'était pas nécessaire pour le moment, ils avaient reçu leur nouvel emploi du temps par email… Moïra fronça les sourcils et ouvrit la bouche prête à intervenir mais Victor fut plus rapide et répondit :

-Ok.

Sans que personne ne réagisse, Victor s’avança vers lui et le poussa doucement par l’épaule. Rei le laissa le guider hors du groupe sous les regards curieux, désolés et plein de pitié de leurs autres camarades. Ils passèrent les grilles du lycée, s’avancèrent dans la petite cours avant de pénétrer dans le bâtiment. Ce genre de regards, Rei y avait aussi droit. Tout le monde était bien sûr au courant du décès du père de Victor, le lycée était pas très grand et Victor (surtout Remzi) était assez populaire. La main de Victor se serra autour de son bras et Rei frissonna longuement en réalisant qu’elle ne l’avait pas quitté depuis.

-Comment tu fais pour supporter ça ? Siffla Victor en regardant autour de lui, le visage fermé.

-Supporter quoi ? 

-Ces regards à la con là…

-Je les supporte pas. Je vais à une séance de gestion de la colère une fois par semaine, se surprit Rei à répondre d’un ton sarcastique.

A sa surprise, Victor eut un petit rire franc, le trouvant certainement drôle, et Rei entrevit un instant le jeune homme d’avant, le Victor heureux et lumineux. Mais cela dura à peine deux secondes. 

Ils arrivèrent rapidement dans la couloir où se trouvait les bureaux de l'administration et Victor s’arrêta, le regardant interrogatif. Rei fronça les sourcils, ne comprenant pas et Victor lui désigna la porte de la vie scolaire :

-Tu devais pas y aller ?

Ah oui, le mensonge… Rei se sentit très con, il avait réagit à l'instinct en voyant Victor aussi triste et avait voulu l’éloigner de l’animation de la rentrée un instant pour qu’il souffle avant les premiers cours. C’était du moins ce que Rei aurait aimé que quelqu’un fasse le premier jour d’école après la mort de sa mère. Embarrassé, Rei misa sur une moitié de vérité :

-J’ai pas besoin, j’avais juste besoin de prendre un café, dit-il en haussant les épaules dans un signe désinvolte.

-Un café ? S’interrogea Victor en penchant la tête sur le côté.

Un geste que Rei trouva affreuse mignon.

-Les pions ont un distributeur dans leur salle de repos, je prends mon café là.

-Et ils te laissent te servir sans rien dire ? S’étonnant le blond.

Les machines à café avaient été retirées après un long combat des représentants des parents d’élève l’année dernière pour empêcher la consommation de caféine pour les plus jeune. Rei n’avait jamais autant haï quelqu’un de sa vie. Est-ce qu’il avait déjà dit à quel point la caféine était important pour sa santé mentale et sa réussite scolaire ?

-Ouais, tu comprends, ma mère est morte, ils ont pitié de moi, ils me laissent un peu faire ce que je veux… marmonna amèrement Rei, surpris par la facilité avec laquelle il avait dit ça.

Entièrement vrai. Les pions lui foutaient un paix royal. En même temps c’était pas comme si il était turbulent. Rei ne savait pas vraiment ce que figurait sur son dossier scolaire,il se doutait qu’au moins une partie de ce qui c’était passé y était inscrit. Mais les adultes (profs, pions et personnels) le traitaient avec une gentillesse extrême et laissaient passé beaucoup de chose : comme sa consommation de café et de cigarette en salle de repos des pions qu’il se permettait souvent. 

Plus que pour le café et la cigarette, Rei se sentait réellement bien dans la salle de repos des pions. Personne là bas ne lui parlaient à part si il les sollicitaient, au contraire des autres élèves. 

Se tenir silencieux au milieu d’une bande d’ado bavard pouvait vite faire tâche, c’était pour ça que Rei préférait s’éloigner de l’agitation habituelle et se réfugier en salle des pions ou à la bibliothèque.

Victor le regarda longuement, un peu triste mais pas désolé pour lui, car sa tristesse faisait écho à la sienne. Une sorte de connexion avait semblé se créer entre eux deux à cet instant, car Rei comprenait Victor et Victor comprenait Rei. 

-Allons y, murmura Victor en lui adressant un petit sourire.

La salle des pions se trouvaient au fond du couloir et plus on s’y approchait plus l’odeur de cigarette y était forte. Rei n’hésita pas et ouvrit la porte sans frapper. Deux pions, Dan et Antonia y étaient et interronpirent leur conversation en les voyant s’approcher. 

-Hé, bonnes vacances ? Lança Rei en s’avançant vers la machine à café.

-Yeah, pas mal… lança Dan avec un sourire aux lèvres. Et toi ? Enfin vous ?

Antonia donna un petit coup discret à Dan pour le faire taire, évidemment que les vacances de Victor avaient été mauvaises, aussi mauvaises qu’elles pouvaient l’être quand on a enterré son père en juin. 

-Yeah, nickel… souffla Rei en séléctionnant directement un latté avec un extra shot de café et enleva le sucre. Il détestait le café sucré, sous toutes ses formes.

-Mes condoléances pour ton père Victor, lança Antonia d’un ton désolé.

La machine se mit à fonctionner bruyamment à la commande et Rei se tourna vers Victor qui regardait ses pieds :

-Merci… répondit le blond faiblement et les pions retournèrent à leur conversation en leur jetant un petit coup d’oeil.

-Tu veux quoi ? Demanda Rei.

-La même chose que toi s’il te plait.

Ca tua Rei d’entendre Victor lui parlait d’une voix si faible. Visiblement le blond retenait son émotion, les yeux figés sur ses chaussures. Rei lui tendit son latté et se retourna vers la machine pour en faire un deuxième.

-Viens, suis moi… marmonna-t-il quelques secondes plus tard en se dirigeant vers la porte de secours entrouverte.

Elle donnait sur le côté du bâtiment principal, juste avant la clôture, ce petit espace godronné servait aux pions de lieu de pause en plein air. Ce petit coin avait l’avantage d'être loin des regards et Rei aimait beaucoup y fumer sa cigarette quand le temps le permettait au lieu de rester à l’intérieur. 

-Faudra que tu me file le numéro du mec qui te donne les séances de gestion de la colère… marmonna Victor sur un air faussement léger.

Rei ne le montra pas mais cela lui fendit le coeur. Il n’aimait décidément pas Victor comment il le voyait, si triste, si désemparé, si… seul. C’était tellement loin du Victor qu’il connaissait.

Pour la forme, Rei eut un petit rire et but une gorgé de son café. Il avait envie de dire quelque chose, n’importe quoi qui ferait du bien à Victor, qui lui retirerait son air triste, rien que quelques secondes mais à la place Rei lui tendit la cigarette qu’il venait d’allumer et s’en sortit une autre. Victor accepta la cigarette entamée et s’appuya à côté de lui contre le mur, sans un mot, dans un soupire profond, leurs épaules se touchant presque. Ils fumèrent en silence.

 Rei n’avait peut être pas les bons mots pour réconforter Victor mais à la place, il lui offrit un endroit sans jugement, un endroit où il avait le droit de faire tomber le masque juste un instant, de fumer une cigarette et de boire un café en silence. 

OOO

Quand ils rentrèrent dans la salle où avait lieu leur premier cours de l’année (Histoire), Remzi, les jumeaux et Moïra les accueillir avec soulagement. Peut être qu’ils s’attendaient pas à les voir ? Pensant qu’ils avaient sécher le premier jour de cours ? N'y prêtant guère attention, Rei s'assit derrière les jumeaux suivit par Victor. 

Il intercepta un échange de regard entre Moïra et Victor mais les deux se connaissaient depuis trop longtemps pour que Rei puisse comprendre l’échange non verbale. Il ignora les autres et se concentra sur le prof, assis à son bureau.

Le cours d'Histoire était le seul qu'ils avaient tous en commun, Moïra, Remzi, Victor, les jumeaux et lui et aussi le seul que Rei appréciait vraiment. Le professeur Smith, un très jeune homme qui portait de grosses lunettes, probablement pour se vieillir un peu, était déjà son professeur l'année dernière. 

Alors que Rei sortait son bloc note de son sac, il remarqua le regard attentif que lui donnait Smith. Rei surprenait souvent ce genre de regards de la part des professeurs ou des pions quand ils pensaient tous que Rei ne les regardait pas, un regard curieux, un regard un peu apeuré. Mais chez Smith, il y avait quelque chose en plus, qui avait toujours mis Rei étrangement inconfortable et à la fois si... compris. Rei ancra son regard dans celui du jeune professeur, qui immédiatement sortit de sa contemplation apathique pour se concentrer sur la salle. 

-Bonne rentrée à tous, pour ce qui ne me connaisse pas, je suis Monsieur Smith, j'enseigne l'Histoire.

Même si c'était inutile, tout le monde le connaissait de l’année dernière, le jeune professeur écrivit rapidement son nom sur le tableau avant de se saisir d'un paquet de feuille sur son bureau et de le tendre au premier rang :

-Passez ça s'il vous plaît, dit-il en redressant ses lunettes sur son nez.

Rei se détesta de trouver le geste adorable. Sans le vouloir, il trouvait le jeune professeur à son goût. Rei se saisit du programme et survola vaguement la feuille. Le programme était présenté sous forme de calendrier, "Septembre-Decembre - Seconde guerre mondiale en Europe et dans le Monde", "Janvier-Mars - Décolonisation et Guerre Froide", etc. Les dates des tests sur table étaient déjà programmées, les dates de présentations et travail de groupe aussi. Un petit chuchoti paniqué s'éleva dans la salle à la lecture de programme chargé. 

Si on suivait le programme de Smith, un test sur table était prévu toutes les deux semaines. Une présentation en début de chaque cours et un travail de groupe à rendre en fin d’année. Ca faisait un peu beaucoup...

Smith appela le calme en levant une main. Il était peut être jeune mais il savait se faire respecter et était un bon professeur, globalement aimé par tous même les élèves plus difficiles. Il avait la réputation de ne jamais laisser personne derrière et Rei se souvenait que les jumeaux, malgré leur redoublement, étaient parvenus à garder la moyenne dans son cours l’année dernière.

-Ca vous parait beaucoup mais je vous assure que vous allez y arriver. Vous êtes assez nombreux cette année mais j'aimerai encourager le travail de groupe et les présentations à deux. Je me chargerai de choisir vos groupes et vos partenaires, j'espère cette année vous faire travailler au moins une fois les un avec les autres.

Rei grogna intérieurement, l'année dernière aussi Smith avait prévu un programme de ce goût là mais beaucoup moins intense. Les présentions à deux avaient été sa plus mauvaise expérience.

-A chaque cours, toutes les semaines, deux élèves présenteront un sujet que je choisirais, en lien avec le cours. Donc trois présentations par semaines. A partir de la semaine prochaine.

Rei intercepta du coin de l'oeil le regard anxieux de Moïra et Remzi vers Victor, qui choisit de les ignorer en se concentrant sur le professeur.

-Les Britery, vous commencez la semaine prochaine, mardi.

Il eut un instant de flottement et les jumeaux se tournèrent vers lui, le troisième Britery de la pièce. Un petit gloussement s'éleva dans la classe et Moïra roula des yeux, exaspérée, en lui adressant un regard entendu. Rei ne pu s'empêcher un sourire en coin. Si il y avait quelqu'un qui détestait plus les gloussements stupides que lui, c'était bien Moïra.

-Lesquels ? Demanda d'un ton un peu insolent Remzi en regardant les jumeaux et en le désignant d'un geste.

Pour des raisons de facilité, Rei et Taylor avaient choisi de faire porter le nom Britery à Rei et de l'utiliser à l'école. Rei Britery-Karnof. Les jumeaux, Britary-Choe, partageaient leurs noms de leur mère "Britery" et celui de leur père "Choe". Dans les deux cas, les professeurs laissaient tombés le deuxième noms de famille pour uniquement les appeller "Britery".

Smith leur adressa un regard un peu surpris et regarda sa liste d'élèves, en redressant une fois de plus ses lunettes sur son nez.

-Ah oui, vous êtes dans la même classe cette année... bon... Alex et Rei ? Le rôle de la crise de 30 dans la Seconde Guerre Mondiale ? La présentation doit être courte, 10 min maximum, et soulever les grandes problématiques et dates. Je vous laisse choisir un angle d'étude.

Alex lui lança un regard de chien battu, peu ravis d'ouvrir la grande série de présentations. 

Au moins, ça allait être facile de travailler avec Alex, il vivait l'étage au dessus, pensa Rei en notant rapidement le sujet sur son bloc note alors que Smith continuait à distribuer les sujets aux autres groupes.

-Et maintenant les groupes pour le projet de fin d’année, on va travailler sur ça le reste du cours. Réunissez vous par groupe quand j'ai appelé vos noms.

Et Smith commença. Les jumeaux se retrouvèrent avec Remzi et accueillirent la nouvelle avec un peu trop de joie, qui fit immédiatement regretter son choix au professeur à la vue de la tête qu’il tirait. Rapidement son nom vint suivit par celui de Moira et celui de Victor. Rei sentit ses joues rougir après l'annonce et se figea, un peu anxieux. Victor rapprocha son bureau du sien et Moïra s'assit lourdement face à eux après avoir traîné sa chaise bruyamment.

-Yo... marmonna-t-elle non sans adresser un sourire tendre à son meilleur ami.

Rei ne répondit pas et essaya de rester calme alors qu'un ouragan grondait dans son coeur. Victor qui était resté longtemps un rêve lointain, prenait de plus en plus forme dans son réel et sa vie de tous les jours. Le bruit de sa respiration, le discret parfum de son corps, le halo de sa présence... Bientôt Rei ne pourrait plus ignorer... ne pourrait plus se contrôler. Et Rei voulait absolument garder le contrôle.

-Je vous explique rapidement le principe de ses groupes de travail, commença à expliquer le professeur Smith. Vous allez travailler sur un dossier, de A à Z. Sujet, problématique, support, rédaction et présentation. Pour le sujet, c'est ce que vous voulez, il faut juste que ça rentre dans le programme.

Smith illustra son propos en leur montra la feuille qu'il avait distribuée.

-Je veux que pendant le reste du cours vous y réfléchissez. Prenez votre livre de cours pour vous aider et je passerai vous voir groupe par groupe...

Il eut un petit silence, puis petit à petit les voix s'élevèrent autour d'eux. Moïra se pencha en avant et ouvrit son livre. Rei ouvrit vaguement le sien, au hasard, à la page de la libération des camps de concentration et détourna le regard en voyant des photos des prisonniers maigres aux regards vides. Ces images lui avaient toujours donné des cauchemars...

Victor n'ouvrit pas son livre, en faite, Victor n'avait ni sorti de livre, ni de cahier ou encore moins de stylos. Rei venait maintenant de le remarquer.  Il remarqua aussi le regard vague du blond en direction de l'horloge. Victor était perdu dans ses rêves et attendait que le temps passe... 

Mais Rei savait qu'ils devaient plutôt être comme des cauchemars éveillés. Il n'eut cependant pas le courage de l'interrompre et croisa le regard de Moïra. Elle le regardait lui et Victor comme si elle disait silencieusement "Fais quelque chose, toi tu sais !". Rei haussa les sourcils dans sa direction sans rien dire et Moïra déclara d’une voix douce :

-Victor, tu as une idée pour le sujet ?

Moïra parlait rarement d'une voix douce et posée. A vrai dire elle était plutôt le contraire de douce et posée : Féministe engagée, lesbienne affirmée à la langue acerbe, Rei se demandait parfois comment l’amitié entre elle, Remzi pseudo macho serial flirteur et Victor premier de la classe relativement discret, avait commencé.

Elle qui semblait n'avoir peur de rien et de personne, semblait pas savoir quoi faire d'un Victor endeuillé. Victor se pencha enfin vers le livre que Rei avait ouvert devant lui. Sans demander son avis, le blond amena le livre entre eux et commença à le feuilleter.

-La guerre froide ? Suggéra le blond d’une voix sans émotion.

Moïra se pinça les lèvres, comme pour contrôler son habituel impatience :

-C'est vaste, lâcha-t-elle.

-La guerre froide et la Russie, renchérit Victor en levant le regard vers eux.

-La Russie aussi c'est vaste, se surprit Rei à plaisanter.

Victor lui adressa un sourire en coin à, réchauffant le coeur de Rei, étonnant Moïra qui lui adressa un regard interrogatif.

-La différence entre l'idéologie de Lénine et de Staline ? Proposa Rei, un peu au hasard en regardant un portrait de Lénine sur les pages de son livre.

Il eut un silence et Moïra le fixa de ce regard curieux qu'elle avait souvent quand Rei et elle travaillaient ensemble. Ils bossaient étrangement bien tous les deux, leurs cerveaux étaient comme calibrés à fonctionner en même temps et Rei adorait le côté vindicatif de Moïra qui donnait de la profondeur et de la voix à ses propres réflexions.

-Oh, genre le communisme à la Lénine et le communisme à la Staline... j'aime ça ! S'exclama Moïra, enthousiaste.

-Pourquoi pas plutôt l'application de l'idéologie de Marx à l'URSS de Staline ? Suggéra Victor d’un ton neutre.

-Wow, c'est un autre niveau ça... commenta Moïra pensive.

Rei adorait l'idée même si il ne s'était jamais vraiment plongé sur le sujet.

-On peut y mêler aussi Lénine, Trotsky et finir en ouverture sur la Chine Communiste, Cuba et la Corée du Nord, acheva Victor en les regardant tour à tour.

-Dis moi que tu es un as Vivi, parce que ça a pas l'air simple...

Victor adressa un sourire à sa meilleure amie, un sourire complice et à la tête surprise de Moïra, il devina que cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas échangé un moment comme ça.

-Mo, j'ai déjà les cours du prof de l'année dernière, dit-il d'un air entendu.

Moïra eut un petit rire ravis et déclara en les regardant tour à tour :

-Je vote pour, Rei ? Tu en penses quoi ? Lui demanda-t-elle.

Il sursauta un peu en sentant leur deux regards sur lui, Rei se souvint alors qu'il faisait aussi parti du groupe :

-Ma mère était russe.

Rei fut surpris par sa réponse pour deux raisons, d'une, il ne parlait jamais de sa mère de lui-même (et encore moins au passé), de deux, il ne faisait jamais de hors sujet. 

Rei était peu bavard et préférait suivre la conversation plutôt que la mener. De plus, ce point n'avait aucun intérêt pour l'exposé. Mais Moïra et Victor lui offrirent un regard curieux :

-Ah oui ? Russe ? Demanda Moïra, certainement heureuse de glaner des informations sur lui, choses qu'il n'avait jamais permis l'année dernière.

Rei se maudit intérieurement mais se força à répondre :

-Oui enfin, finlandaise, je sais pas trop... elle parlait russe. Du coup, je le parle aussi. Mais je ne lis pas.

Victor pencha sa tête sur le côté, mimique qu’il avait quand il était curieux :

-Et ton père il est... ?

Victor laissa la phrase ouverte, pour le laisser finir. Les jumeaux et Rei avaient décidé, sans vraiment se concerter, de ne pas vraiment parler de leur lien familial au lycée.

Si les gens demandaient, ils se déclaraient cousins ou demi frères, selon l'humeur. C'était beaucoup plus simple à comprendre que "le père de Rei est notre grand frère, du coup nous sommes ses oncles et il est notre neveux". Sérieux, ça donnait mal à la tête. Surtout que les jumeaux étaient à moitié coréens et leur héritage asiatique était assez prononcé. Rei, lui, ne leur ressemblait pas du tout. Malgré une physionomie quasi semblable à celle de Taylor, des yeux verts et des cheveux noirs comme son père et les jumeaux, Rei portait les traits fins et européen de l'est de sa mère. Ses cheveux rasés accentuaient ses pommettes hautes, son côté froid et ses grands yeux verts.

-Anglais.

-Mais du coup, comment avec les jumeaux... ? Ils sont d'origine coréenne non ?

Victor semblait curieux à son sujet et à cette idée, Rei se sentait rougir. 

-Vivi, je crois pas que... commença Moïra en lui jetant un regard anxieux.

Elle savait que Rei n'aimait pas les questions personnelles. Mais c'était Victor qui demandait alors la langue de Rei le trahit et répondit :

-Ok c’est un peu compliqué… Mon père est le demi frère des jumeaux. Du côté de leur mère. Le père des jumeaux est d'origine coréenne je crois. Et ma mère était russe.

Il sembla important à Rei de rajouter une nouvelle fois ce détail. Comme si malgré la disparition tragique de Estérie Kranoff, elle faisait quand même partie de cette famille étrange et recomposée... Avec lui.

Sa gorge se serra à cette pensée et Rei eut soudain envie d'une cigarette et d'un café. Mais surtout il avait envie d'échapper aux regards intrigués de Moïra et aux regards indescriptibles de Victor.

-Et moi qui me pensait original avec un père écossais et une mère anglaise.... marmonna Victor, blagueur, en lui donnant un coup léger du genoux sous la table.

Rei lui adressa un faible sourire.

-Alors, on part sur Marx et la Russie ? Déclara Moïra en levant la main pour appeler Smith.

 Rei acquiesça, le coeur léger.

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Sorryf
Posté le 03/06/2020
Cette rentrée a pas l'air de trop mal se passer ! J'aime beaucoup cette famille attachante, ça y est, tout est en place ! (ta rep de commentaire m'a aidée, mais je pense que même sans tout est clair).
Victor m'a fait trop de peine ! j'aurais aimé le connaitre avant, voir comme son caractère a changé. Rei est un ami en or en tout cas !!
LauLCas
Posté le 04/06/2020
Merci pour ton commentaire !! Ca me fait plaisir que tu aime la famille =). Oui, pauvre Victor, il en bave un peu !
A très vite !
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