Chapitre 2

Une petite fille qui n'avait pas dix ans rampait dans la poussière, tentant désespérément d'échapper aux griffes d'une Ombre. 

    Le monstre n'était pas plus gros qu'un cheval, mais était bien plus effrayante que n'importe quelle bête ayant jamais foulé la Terre de ses pattes. Ce n'était qu'un fantôme, une apparition qui ne semblait pas avoir de véritable existence, et pourtant son odeur de soufre prit Martin à la gorge. Pareil à un corps décharné, l’Ombre s'avançait en poussant de terribles mugissements. Sa grande gueule s'ouvrit, et une langue démesurée s'en extirpa, attisant les pleurs de la petitez qui se savait condamnée. Son cri lui glaça les os.

    « Mais c’est impossible ! » songea Martin. Les Ombres craignaient la lumière du jour. Ils ne sortaient qu'à la nuit tombée pour dévorer les âmes errantes. Comment cette abomination pouvait-elle survivre, alors que le soleil n'était pas encore couché ? 

    Quand l’enfant hurla à nouveau, Martin cessa de réfléchir. Ses pouvoirs reprirent le contrôle sur lui et un souffle glacé l'envahi. Ses mains se recouvrirent de glace tandis qu'il sombrait dans une douce torpeur. Il se vit lever les mains vers l'horrible créature, et agiter les doigts sans en avoir vraiment conscience. Juste par pur instinct.   

    L’Ombre gémit, avant de reculer. Troublée, blessée, la bête tourna sa gueule vers son assaillant, et poussa un rugissement effroyable. 

    Rien n'était plus dangereux qu'un animal à l'agonie. Le monstre se ratatina sur lui-même, avant de bondir sur le rafleur. Il était cependant trop affaibli pour représenter une réelle menace. Martin n'eut aucun mal à le repousser d'un habile coup de pied. L’Ombre boita, glapit, avant de s'effondrer sur le sol et de se briser en mille morceaux, gelée de l'intérieur. Ses yeux vides contemplèrent un instant son assassin, avant que sa carcasse ne s’évanouisse dans un souffle. Tout son corps, ou plutôt ce qu'il en restait, se disloqua en une multitude de volutes de fumées. Comme s'il n'avait jamais vraiment été là.

 

    Martin expira lentement tandis qu’il recouvrait le contrôle de son corps. Épuisé, il se laissa tomber à genoux. La sensation de froid disparut de nouveau. Ne resta plus que le vide, et la terrifiante réalité. Une Ombre s'était aventurée en plein jour, à quelques kilomètres à peine de Bois-Aux-Roses. Sans ses pouvoirs qu’il ne maîtrisait pas, cette bête l'aurait probablement dévoré, et la petite avec. 

« Merde ! La gosse ! » 

    Se rappelant de la présence de l'enfant, Martin releva la tête et la chercha du regard. La môme s'était recroquevillée à-même le sol, son petit corps secoué de lourds sanglots. Difficilement, Martin se redressa et se débarrassa de son paquetage. 

- Hé, souffla-t-il d'une voix rauque. Ça va, Petite ?

La petite fille releva la tête. Martin fut alors frappé par ses grands yeux verts embués de larmes que l'on avait peine à distinguer à travers ses longues boucles rousses. 

- Ça va ? insista-t-il. Tu n'es pas blessée ?

Elle fit « non » de la tête. Martin songea qu’elle avait eut de la chance. S’il n’était pas passée par là, et s’il n’avait pas été Sorcier… 

- Faut pas rester là, assura-t-il. Le soleil va bientôt se coucher. Viens, je te ramène.

    Il lui tendit la main, mais la petite ne bougeait pas. La pauvre enfant se contentait de l'observer de ses grands yeux clairs, pâle comme une morte. Agacé par son mutisme, Martin fronça les sourcils avant de donner soudain de la voix. Il n'avait pas le temps d'être gentil et compatissant. 

- Mais lève-toi ! Il faut qu'on parte tout de suite !

La gosse glapit avant de rentrer la tête dans son cou. 

- Tu vas me geler, gémit-t-elle d'une toute petite voix étranglée.

- Mais t'es idiote ou quoi ? Pourquoi je ferais ça ? Je viens de te sauver la vie ! Viens, il faut qu'on s'en aille ! Maintenant !

    Et d'un geste autoritaire, Martin lui attrapa le bras. L’enfant hurla, avant d'essayer de se débattre vainement à coup de pieds et de poings. Agacé, il resserra un peu sa prise, menaçant. 

- Arrête un peu ! Et regarde : tu vois bien que je t'ai pas gelée ! Tu veux vraiment te faire tuer cette nuit ?

- Y disent que c'est à cause des gens comme toi qu'les Ombres elles mangent les gens !

- Qu’est-ce que ça veut dire les gens comme moi ? siffla Martin. 

- Les Sorciers !

    Martin pouffa malgré lui. Cette ridicule légende urbaine ! Un peu radouci, il posa son paquetage et s'accroupit devant la fillette sans toutefois la lâcher, de peur qu'elle ne se sauve. Il n'avait pas risqué sa vie pour que cette sale gamine s'enfuisse à travers la plaine et ne s'y fasse engloutir par un monstre nocturne. 

- Tu crois ce que raconte la Milice ? 

- C’est c’qu’ils disent, minauda l’enfant. Ils disent qu’les Ombres viennent pour manger les Sorciers ! 

- Et tu les crois ? Tu crois vraiment que les Sorciers sont responsables de la venue des Ombres ? C’est des conneries tout ça ! Et ceux qui les écoutent ne sont que des imbéciles ! C’est ce que tu es ? ajouta-t-il avec un soupçon de perfidie.

    La petite secoua précipitamment la tête. Non, bien sûr qu'elle n'était pas une « imbécile », à tout le moins elle ne voulait pas l'être ! Satisfait, Martin la relâcha, avant de se relever et de récupérer son sac. Il grimaça en le jetant de nouveau sur ses épaules. 

- Tu fais comme tu veux, Petite, mais moi je n'ai pas l'intention de crever là. Alors, tu vas suivre le Sorcier qui t'a sauvé la vie, ou tu préfères attendre que les Ombres reviennent et qu'elles te bouffent toute crue ?

    Cette fois, ce fut bien la petite fille qui se saisit de sa main avant de la serrer avec force. Martin ricana. Il n'avait jamais été très patient avec les enfants – ni avec qui que ce soit, d'ailleurs ! – mais il avait le don de toujours parvenir à ses fins. C'était une qualité nécessaire lorsque l'on vivait dans le Bas Quartier. Il fallait être rusé ! 

- Je m'appelle Martin Wilson, crut-il bon de préciser, bien conscient d'avoir tout de même été très dur avec elle. Et toi ?

- Emma, souffla-t-elle.

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akasdraawr
Posté le 27/05/2022
Et ben Martin, c'est pas l'amabilité qui va te bouffer toi. Je comprends d'un côté le fait qu'il faille s'en aller rapidement sans qu'Emma ne hurle, que la situation est très très compliquée, mais c'est clairement pas une raison bordel :<

La description de l'Ombre, aussi, est très prenante. On conçoit sans forcément concevoir non plus : il a des comportements aussi humains qu'animaux et c'est très curieux. J'ai hâte de savoir d'où ils viennent, si c'était des anciens humains et si oui, pourquoi ils sont devenus ombres.

Emma m'intrigue, on ne sait pas grand-chose sur elle pour le moment, mais on se demande ce qu'elle faisait en-dehors de Bois-aux-Roses aussi tard, etc.

Merci pour ce chapitre <3
MrOriendo
Posté le 13/08/2021
Hello Céline !

Ravi de découvrir la suite de ton récit, et la première confrontation avec l'une de ces fameuses Ombres que toute la population de Bois-aux-Roses redoute tant. Le sauvetage de la fillette est dans l'ensemble bien relaté ; on se représente bien la créature qui l'attaque, et tu as l'intelligence de la décrire juste assez pour que l'imagination de chacun puisse faire le reste.

Un passage m'a cependant un peu dérangé, en plein cœur du combat entre Martin et la créature :

" Il se vit lever les mains vers l'horrible créature, et agiter les doigts sans en avoir vraiment conscience. Juste par pur instinct.
L’Ombre gémit, avant de reculer. Troublée, blessée, la bête tourna sa gueule vers son assaillant, et poussa un rugissement effroyable. "

Ici, on comprend que Martin utilise sa magie pour blesser l'Ombre, mais on reste un peu sur notre faim. On aimerait bien avoir une description des effets de son sortilège : est-ce qu'il la gèle de la tête aux pieds, est-ce qu'il lui envoie un projectile, crée-t-il un carcan de glace pour la ralentir... ?
Je pense que c'est presque indispensable pour rendre la scène plus vivante et plus "réaliste".
Si tu veux garder un peu de mystère sur ses pouvoirs, tu peux te contenter d'une description d'ambiance, de style "il y eut un flash de lumière, un souffle glacé parcourut la plaine, et la créature hurla". Mais on a vraiment besoin de savoir ce qui se passe. Sinon, on a un peu l'impression que le sortilège de Martin ne fait rien, et que l'Ombre se retrouve blessée "par l'opération du Saint-Esprit".

Autre avantage, décrire l'effet de la magie de Martin justifierait le "coup de pied" qu'il donne à la créature ensuite. Car avouons-le, à moins qu'il ne se retrouve complètement gelé et que ça le matérialise dans notre monde, c'est plutôt difficile de donner un coup de pied à un fantôme !

En dehors de cette légère incohérence et de ce manque, je n'ai pas de remarques particulières à apporter ;)
A bientot pour la suite !
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