Thomas et moi sommes très vite devenus les meilleurs amis du monde. Au début, nous étions constamment sollicités, lui, le rescapé, et moi, le plus proche témoin de la scène. Il inventa une description de son sauveur qui ne me ressemblait pas du tout, prétendit qu’il l’avait vu s’enfuir en courant, j’ai évidemment tout confirmé. Assez vite, plus personne n’a trouvé bizarre qu’aucun autre témoin n’ait vu ce sauveur partir. Au bout d’un temps, même des témoins plus éloignés se sont mis à reprendre la description farfelue. Puis finalement, une semaine après la rentrée, un nouvel événement a éclipsé le sauvetage de Thomas, une explosion à l'hôpital de la ville.
Dès que nous étions seuls, nous parlions de ma vocation naissante de super héros. Nous nous interrogions sur ce qu’allait être mon prochain exploit ou les limites de mon pouvoir, étais-je capable de sauver l’hôpital ? J’étais capable de faire des sauts dans le passé, jusqu’où pouvais-je remonter ? 1 mois ? 1 ans ? 100 ans ? Plus ? Pouvais-je aussi aller dans le futur ? Comme je voyageais en m’appuyant sur mes souvenirs, nous en conclûmes que je ne pouvais remonter dans le passé qu'au date et dans des lieux pour lesquels j’avais des souvenirs suffisamment clairs, et donc pas au-delà de quelques années et aussi loin seulement lorsque avait eu lieu des évènements marquant dans ma vie, et le futur semblait exclu.
Deux semaines après la rentrée, nous étions au CDI en train de surfer sur internet. Nous cherchions des renseignements sur l’explosion. Cela avait fait couler beaucoup d’encre, tout le pays était en émoi, mais nous n’arrivions pas à en savoir assez pour intervenir. Nous finîmes par trouver sur le site d’un journal local un article détaillé sur le sujet mentionnant le lieu où les enquêteurs supposaient que s’était trouvé la bombe et l’heure de l’explosion selon les témoignages. L’article indiquait aussi qu’un appel anonyme avait signalé la bombe, mais trop tard, l’évacuation n’avait pas pu être complète, et l’équipe de démineur n’était pas arrivée à temps, il y avait eu dix morts et des dizaines de blessés.
Nous décidâmes que je pouvais enfin agir, ma première idée fut de faire un appel anonyme, mais Thomas me fit remarquer que c’était peut-être moi l’auteur de l’appel signalé par l’article, autrement dit, que nous étions peut être déjà dans une version modifié de la réalité, et je ne m’en souvenais pas pour l’instant parce que je n'étais pas encore parti et revenu. Je réalisais alors qu’il ne serait pas judicieux d’emmener mon téléphone portable avec moi, si mon opérateur se rendait compte qu’il y avait sur le réseau deux téléphones identiques, ce serait louche. Il penserait seulement à une fraude, mais cela risquait quand même de m’attirer des problèmes. J’étais évidement incapable de désamorcer une bombe, mais Thomas suggéra de la déplacer pour éviter les victimes.
Comme il restait une demi-heure avant le prochain cours, je me suis dit que j’aurais le temps de me remettre du choc du retour, et décidais de tenter le saut temporel sur le champ. je posais mon téléphone sur le bureau devant moi, puis me remémorais cette soirée, le moment où je m’apprêtais à m’endormir, allongé dans mon lit, le vertige commença, je me suis laissé entraîner…
Et je me suis retrouvé face à moi même pour la première fois, j’ai crié, enfin soyons clair, le moi du passé a crié, il était le plus surpris des deux, j’ai entendu des bruits de pas dans l’escalier, et me suis précipité dans le placard juste à temps, quelqu’un est entré dans la chambre, c’était la voix de ma mère, mon autre moi a répondu, l’échange a continué un peu, je ne comprenais pas ce qui se disait, elle est reparti, je suis sorti du placard.
- Désolé d’avoir crié, j’étais surpris, pourtant j’aurais dû me douter que ça pouvait arriver, je dirais même que ça allait forcément finir par arriver.
- En effet, bon je resterai bien discuter avec toi, moi-même, mais j’ai à faire, il y a une bombe à l’hôpital, je dois y aller.
- Et tu comptes y aller comme ça, je croyais que Thomas avait parlé de mettre un costume pour ne pas être identifié.
- Merde, ça m’était sortie de la tête, j’avais pourtant prévu une tenue noire discrète avec une cagoule, mais dans ma précipitation... Tant pis maintenant que je suis là, j’y vais.
Je me suis glissé dehors par la fenêtre, je suis parvenu à l’hôpital sans difficulté, là j’ai perdu un peu de temps car je souhaitais rester discret, mais j’ai fini par trouver le chemin de la buanderie.
- Les mains en l’air, retournez vous lentement, me dit une voix.
Je m’exécutais, et observais mon interlocuteur, il s’agissait d’un homme grand aux épaules larges, il pointait son arme sur moi, fermement.
- Mais vous êtes un gamin ! Excusez-moi, j’étais surpris, quand j’ai repéré vos manières se voulant furtives, j’ai trouvé ça louche, alors je vous ai suivi, mais vous semblez jeune, quel âge avez-vous ? Que faites vous à traîner dans le coin à une heure pareil ?
Bien que son ton fût enjôleur, il me scrutait immobile.
- J’ai quinze ans, et je ne sais pas comment dire ça, mais… Vous faîtes partie de la sécurité de l’hôpital ? Je crois qu’il y a une bombe quelque part dans l’hôpital.
Il baissa son arme.
- Je la cherche aussi, mais que comptez vous faire ? La désamorcer vous même ?
- Vous êtes au courant déjà ! Il y a eu un appel anonyme je suppose, l’évacuation a commencé ? Je n’ai rien remarqué. Pour répondre à votre question j’espérais pouvoir la déplacer pour éviter qu’il y ait des victimes.
- Sans vouloir paraître pessimiste, vous me semblez naïf, il est possible que la bombe ait des capteurs pour la déclencher si on tente de la déplacer, quand à l’évacuation, on a encore un peu de temps, d’après les informations que j’ai eu, elle doit exploser à une heure du matin, or il faut environ une heure pour évacuer, moi je suis en mesure de la désamorcer si je la trouve et cela permettrait d’éviter une panique.
- Vous vous trompez, la bombe n’explosera pas à une heure, l’article disait…
Je lui ai lancé un regard paniqué.
- Ne vous inquiétez pas, depuis que vous m’avez dit votre âge je sais qui vous êtes, ou plutôt ce dont vous êtes capable. Vous êtes né le 30 juillet, n’est-ce pas ?
- Oui, quel est le rapport avec ce dont je suis capable ? Dis-je avant de bailler, excusez-moi, je me sens fatigué.
- Vous êtes le voyageur, tenez voici ma carte de visite, me dit il avant de me la tendre, vous êtes trop fatigué, on a pas beaucoup de temps, dites moi où est la bombe, et à quel heure elle explosera, puis repartez, je m’en occuperais et quand vous serez dans votre présent, appelez moi quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, je pourrais vous aider, j’aurais plein de chose à vous apprendre.
- D’accord, répliquai-je en prenant la carte, la bombe doit être au sud de la buanderie, et explosera à minuit.
Je me suis détendu et j'ai eu l'impression de recevoir une énorme massue sur la tête, je perdis connaissance.
- Éric ! Réveille toi ! Éric ! Réveille toi ! Me chuchotait la voix de Thomas.
- Ça va, ça va...
- Ce retour a l’air pire que le premier, si tu t’évanouis à chaque fois, il va falloir faire gaffe, heureusement, là tu étais assis et tu t’es réveillé presque tout de suite, personne n’a eu le temps de remarquer ce qui se passait.
- Je suis bien plus fatigué, en effet, laisse moi une minute, dis-je en ouvrant les yeux.
Ce soir là, j’avais dit à ma mère que je sombrais dans le sommeil quand j’avais fait un cauchemar très réaliste, elle avait voulu savoir de quoi il s’agissait, je lui avais répondu que j’avais vu mon camarade se faisant écraser par la voiture, que dans mon cauchemar personne n’était là pour le sauver contrairement à ce qui s’était passé, puis elle avait quitté ma chambre à ma demande, et mon moi futur était sortie du placard. Le lendemain, j’avais parlé du face à face avec Thomas, en constatant qu’il n’y avait pas d’information sur internet concernant une bombe à l’hôpital, contrairement à ce qu’avait évoqué mon autre moi, on en a conclu que la mission peu clair pour laquelle mon double était venu avait réussi. Nous nous sommes tout de même demandés pourquoi il n’y avait pas d’article sur l’attentat raté.
- Le choc d’une semaine de souvenir est beaucoup plus violent que pour une seule journée, j’ai une de ces migraines, et puis, je ne sais pas si c’est le fait d’être remonté si loin ou celui d’être resté plus d’une heure dans le passé, mais je suis épuisé. Par contre, j’ai fait une rencontre très intéressante, je l’ai d’abord pris pour un vigile de l’hôpital, mais cela devait être une espèce d’espion, c’est lui qui a désamorcé la bombe…
- Tu as assisté au désamorçage de la bombe, waouh !
- Non, je lui ai juste dit où la chercher, et je suis revenu, j’étais déjà tellement crevé, mais il a bien dû la désamorcer puisqu’il n’y a pas eu d’explosion, mais c’est pas ça le plus intéressant, il m’a appelé le voyageur, il avait l’air d’en savoir long sur ce qui m’arrive, ça semble lié au fait que je suis né le 30 juillet, il y a peut être eu une prophétie annonçant ma venue…
- Moi aussi je suis né le 30 juillet…
- Ah oui ! Il y a peu de chance que ce ne soit qu’une coïncidence, pourtant tu n’es pas attiré par tes souvenirs ? Tes souvenirs ne te provoque pas de vertiges ?
- Non
- D’ailleurs, il a dit le voyageur, et pas un voyageur, je doit être unique, cela dit ce type saura peut être pourquoi tu es important, je vais l’appeler.
J’ai mis mes mains dans mes poches sans sentir la carte de visite, il n’y avait que mon téléphone. J’ai regardé autour de moi, elle était par terre. Je me suis interrogé avant de comprendre, la carte étant dans ma main, elle était tombée lorsque le retour m’avait assommé. Je la ramassais et lu « Confrérie de la lumière » avec un numéro de portable, j’appelais.
- Allô, on s’est vu à l’hôpital…
- Le voyageur, j’attendais votre appel plus tôt, un saut de six jours sans entraînement vous devez être épuisé…
- Je suis sûr que vous avez plein de choses intéressantes à m’apprendre, mais je suis effectivement très fatigué et j’ai une migraine carabinée, si cela pouvait attendre demain…
- Bien sûr, à quel heure êtes vous disponible ?
- J’ai un trou dans mon emploi du temps de 15 à 16.
- D’accord, où serez vous ?
- Au lycée Victor Hugo, vous allez passer me prendre en voiture ?
- Passer vous prendre ? Non, ce serait le meilleur moyen de vous faire remarquer, je vais trouver un lieu de rendez-vous discret à proximité, pour que vous puissiez faire le trajet à pied, je vous envoi un message avec les détails dès que possible, à demain.
Et il a raccroché.