Chapitre 2

Je n’avais pas dormi de la nuit tant je suis angoissée à l’idée de foirer mon entretien. C’est la chance de ma vie ! Ils doivent m’accepter, il le faut. Je ne pensais pas qu’il me donnerait un entretien pour le lendemain, ce qui est généralement un redflag d’après Judith, mais moi, je pense qu’ils ont juste besoin de quelqu’un immédiatement. Et je suis disponible sur-le-champ pour eux, alors tout est parfait, n’est-ce pas ?

Je me suis levée à huit heures du matin, bien que leur maison ne se trouve qu’à trente minutes en métro de chez moi, je voulais être sûre de ne pas être en retard. De toute façon, c’est comme si je ne m’étais jamais réveillée, puisque j’avais fait une nuit blanche.

Je ne mange pas à cause du stress, même si je sais que je vais le regretter à la fin de la matinée. J’achèterais, au pire, un sandwich sur la route. Il doit bien y avoir des boulangeries à côté de chez eux, non ?

Je me maquille légèrement, je ne veux pas faire pot de peinture, mais je ne veux pas non plus avoir l’air d’un cadavre suite à mon insomnie. Un simple trait d’eyeliner, du mascara, et de l’anticerne. Peut-être un peu de blush aussi pour me donner bonne mine. J’ai direct l’air de faire mes dix-huit ans quand je me maquille, mais ça, c’est surtout parce que je suis trop maigre. Depuis que mes parents m’ont virée de chez eux, je ne mange quasiment plus pour économiser de l’argent. Alors ma perte de poids m’a fait creuser les joues, et me donne un teint de merde.

J’ai tellement hâte d’aller à cet entretien, mais il faut d’abord que je m’entraîne une dernière fois devant mon miroir, avant de foncer au métro :

« Pourquoi moi et pas un autre ? Eh bien… Je suis plus que motivée ! Je suis souriante, mais discrète quand il le faut, et surtout… J’adore les animaux ! N’importe lesquels, je suis fan ! »

Non… Ça ne va pas. C’est too much. Je fais désespérée, celle qui accepterait n’importe quoi même prostituée ! Or, j’ai mes limites, tout de même. Quoique s’ils viennent à me refuser, je n’aurais plus d’autre choix.

Bon, je n’avais plus le temps pour tester d’autres accroches, je réfléchirais dans le métro. Ou alors je prierais pour qu’ils ne me posent pas cette question.

Dans le métro, je me dis que vraiment, cette famille de riches a bien de la chance de ne jamais avoir à le prendre. Ils doivent avoir une voiture de luxe, peut-être même un chauffeur. Je ne sais pas ce qu’ils font comme métier, j’aurais peut-être dû me renseigner sur Google avant de me lancer dans cet entretien. Merde. Ils ne vont jamais m’accepter, je n’ai pas été assez curieuse. Trop tard, il n’y a pas de réseau dans les sous-terrains, je vais devoir improviser et compter sur mon charme naturel. Je lâche un rire étouffé à cette pensée. Je n’ai aucun charme, à vrai dire, je n’ai jamais eu de copain, pas même de flirt. Personne ne s’est jamais intéressé à moi, alors forcément… Ce n’était pas un couple riche qui allait le faire les premiers.

Oui, je n’ai aucune chance d’avoir ce poste alors, autant me détendre et y aller au feeling. On verra bien si ça matche. Qui sait, peut-être que c’est moi qui ne voudrais pas de ce job ! Ça m’étonnerait tout de même, sauf si l’employeur m’enferme dans sa cave, j’ai des doutes que je puisse me permettre de refuser cet emploi.

Bref, j’arrive devant chez eux. Je crois ? La bâtisse est immense, vraiment trop immense. Un palace. L’entrée est accueillie par des escaliers… Non, mais sérieux, qui a ça ? Les murs sont d’un blanc nacré, les fenêtres font ma taille, le plafond, au vu des deux étages, avait l’air d’être horriblement haut… Je suis sûre qu’une seule de leurs toilettes fait la taille de mon appartement pourri.

Tandis que je suis impressionnée par la possible valeur de cette baraque, la porte d’entrée s’ouvre comme s’ils ont deviné que je suis arrivée. Peut-être m’espionnent-ils ? En même temps, je suis aussi du genre à regarder par la fenêtre quand j’attends un rendez-vous. Pas de quoi paniquer.

— Estelle ?

— Oui. Oui, c’est moi.

C’est un homme qui me reçoit, d’une trentaine d’années je dirais : le meilleur âge pour un homme. Quand ils ont assez mûri pour avoir une bonne barbe, mais pas assez pour être couverts de rides. Il est brun, je dirais même que ses cheveux, brillants et soyeux, sont noir corbeau. Il les a plaqués en arrière, afin de dégager son regard éclatant. Ses yeux verts me fixent et moi, je fonds sur place. Qu’il est beau ! Ce n’est pas possible, je rêve. Je ne peux pas être employée par ce type, riche, beau, et en plus qui me donne le job de mes rêves ? Ça devait être plutôt un mec du personnel de maison, un genre de majordome. Parce que les mecs riches sont tous vieux et moches.

Je me rends compte qu’il ne m’a même pas dit son nom au téléphone, je sais juste qu’ils s’appellent les Haillet, car c’est ce qui est noté sur l’annonce, mais le reste… Je ne sais rien d’eux. Mais bon, les entretiens servent à ça : découvrir son futur employeur.

Il m’adresse un sourire satisfait : je lui plais. Je me vois déjà signer le contrat et tout ce qui s’en suit, je suis si heureuse ! Mais je dois me calmer, parce que rien n’était encore joué. Et son sourire… Mamma mia ! Les dents parfaitement alignées et blanches. Au vu de sa beauté, il devait avoir épousé une mannequin.

Je m’avance chez lui après qu’il m’ait fait signe de la main d’entrer. Il ne parle pas beaucoup, il ne m’a même pas dit bonjour. Moi non plus d’ailleurs. Ça y est, c’est râpé. Il va me penser impolie et donc ne pas me choisir. Je peux encore me rattraper !

J’arrive directement sur son salon, spacieux, lumineux, incroyable. Les meubles sont blancs, en verre, ou en marbre pour certains. Comment est-ce possible d’être aussi riche ? Surtout quand d’autres sont pauvres comme moi.

Il me montre de la main son canapé qui a l’air moelleux à souhait.

— Asseyez-vous.

J’obéis sans discuter. Je suis toute timide, je n’ose pas bouger d’un poil. Mes jambes tremblent et mes mains sont moites, heureusement qu’il ne me les a pas serrées pour me dire bonjour. C’est étrange, je ne vois sa femme nulle part. Il a l’air d’être seul ce matin. Ça m’enlève un poids, en espérant qu’il soit le seul à décider s’ils m’acceptent ou non. C’est toujours plus facile de convaincre une seule personne plutôt que deux.

Il s’assit sur le fauteuil face à moi, et son visage devient sérieux. Il perd son sourire, ses traits se raidissent, bon sang, il n’a pas l’air de rigoler. Je ne dois pas me laisser impressionner.

Il s’enfonce dans son fauteuil et croise ses bras, ça y est, il est prêt à me manger toute crue.

— Présentez-vous.

— Oui. Je m’appelle Estelle Mossé, j’ai dix-huit ans, et je suis en études de psychologie. Je suis vraiment motivée…

— Nous recherchons un dogsitteur, me coupe-t-il brusquement.

Sa voix était sèche et tranchante comme une lame de rasoir. Mon cœur s’emballe devant son charisme. C’est la première fois qu’un employeur me parle de cette manière.

Je m’attends à la fameuse question qui me terrorise depuis hier.

— Vous êtes disponible quand ?

Euh…

— Tout de suite.

— Parfait !

Quoi ? Déjà ? Suis-je prise ? Je ne comprends rien. Il m’affiche un nouveau sourire sincère. On dirait qu’il se fiche de moi, de ma présentation, de ce que je fais dans la vie, tout ce qu’il désire, c’est quelqu’un pour sortir son chien.

Il se lève et m’adresse un regard qui me fusille sur place. Je comprends que je dois le suivre. Il m’embarque à l’étage, toutes les portes sont fermées sauf deux. Une marquée « Célia » dessus, et une « Eliott ». Ils doivent avoir deux enfants, même si aucun n’a l’air présent. Il s’approche de la porte marquée « Eliott » et l’ouvre…

Je me retrouve face à une pièce dédiée à leur chien. Coussins, niche, paniers, jouets, il y a de tout. Et surtout, un petit chiot me saute dessus. Je suis attendrie, je le caresse à la mort, je pourrais le manger tant il est mignon. Je me retiens, bien sûr. Il est noir, ses pattes sont caramel, il a encore les oreilles repliées, mais je devine que c’est un berger allemand.

— Il a cinq mois.

J’en ai oublié la présence de Monsieur Haillet. Je suis tout excitée à l’idée de caresser ce chien, et surtout de m’en occuper, si bien que je me retourne vers lui avec un grand sourire jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il tirait la gueule. Il avait encore son air intouchable de grand patron. Je me rends compte alors que, peut-être, je manque de professionnalisme. Il ne va pas me prendre.

— Vous pouvez commencer dès maintenant et aller le promener ?

— Bien sûr !

— Merci, Estelle.

Il me montre où se trouve le collier et la laisse et me laisse seule avec Eliott. Je suppose que j’ai un job. Rien ne peut me plomber le moral, désormais. Je suis si heureuse ! Je repasse dans le couloir avec le chien, cette fois-ci, et je m’arrête devant la chambre de Célia. Il ne m’a pas parlé d’une Célia. Ni même de sa femme. Ce type est quand même bien mystérieux. Mais qu’importe, j’ai un travail !

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