Chapitre 2

Notes de l’auteur : « Take my hand, we’ll make it, I swear ; Oh-oh, livin’ on a prayer » Bon Jovi --> https://www.youtube.com/watch?v=lDK9QqIzhwk

Dix mois plus tard à Beauregard, appartement d’Hugo

 

- Shit ! 

La dernière goutte de lait tombe dans ma tasse de céréales et il m’en manque clairement les deux tiers.

Je m’empresse de regarder dans le placard si je n’en ai pas d’avance mais non. S’il y a bien un moment dans la journée qui ne doit pas être enlaidit c’est le petit déjeuner. Ma seule motivation à me lever de mon lit chaque matin vient de ce que je vais pouvoir manger.

Je grogne de frustration et m’observe dans le miroir de l’entrée. J’efface quelques signes de sommeil de mon visage et court dans ma chambre enfiler mes vêtements de la veille. J’attrape mon sac à main et dévale les escaliers jusqu’en bas du petit immeuble. Je trottine jusqu’à ma voiture, une petite Ford fiesta blanche, ponctuée de traces de rouille et dont l’arrière est reconnaissable grâce à ses innombrables autocollants.

Je monte à bord et conduit nerveusement, en insultant les automobilistes autour de moi, qui n’ont clairement pas de problèmes de petit-déjeuner, eux !

Je me gare enfin au magasin bio proche de chez moi (suffisamment proche pour faire rapidement le trajet en voiture mais pas assez pour le faire à pieds).

Depuis quelques mois j’essaie d’adopter des comportements plus écologiques. Ma seule grosse faille est la nourriture. Je n’ai pas réussi à arrêter les sodas et gâteaux industriels, ni même les fast foods. Mais à part cet écart, je fais attention à ma consommation.

Je me précipite dans le rayon des boissons et attrape un pack de lait. J’en profite pour aller piocher deux boîtes de mes gâteaux au chocolat préférés et me stoppe devant le rayon papier toilette en me rappelant que ça fait déjà deux jours que mon colocataire et moi utilisons des mouchoirs à la place. J’ai le choix entre seulement deux marques. L’un est moins cher mais ne paraît pas être produit en France. Je l’attrape et commence à lire avec concentration les informations sur l’emballage.

- Celui-ci est plus doux, me dit une voix d’homme en me montrant l’autre marque.

Je ris spontanément et me tourne vers l’inconnu. Quand mes yeux se posent sur l’individu, mon rire s’étrangle dans ma gorge, laissant derrière lui un sourire qui tend sévèrement vers la grimace. Mes hormones semblent avoir perdu pied face à la beauté de cet homme et mon corps ne sait plus comment il doit réagir.

Bien plus grand que moi, il tend un bras vers moi et prend quelque-chose sur le rayon au-dessus de ma tête sans se départir de son air chaleureux.

- La douceur est un critère vraiment important dans ce cas précis, c’est vrai …, je finis par dire en ricanant bêtement en tentant de reprendre contenance.

Il m’adresse un sourire gigantesque, qui me fait me perdre en moi-même et tourne les talons après m’avoir adressé un petit signe de la main.

Je souffle, dépitée. C’est bien ma veine. Ce genre de situation sexy ne m’arrive que quand je ne suis pas lavée, que je porte mes vêtements de la veille et que je suis au rayon PQ. Génial ! Et puis je ne peux pas la fermer ou dire quelque-chose de plus percutant ? Je me tape le front avec le paquet de papier toilette et attire le regard curieux d’une vieille femme.

Je me rappelle mes céréales qui sont en train de ramollir chez moi et me dirige à grandes enjambées à la caisse.

 

A ma voiture, j’hésite et regarde autour de moi. Personne. Je prends le paquet de papier toilette et fais un selfie avec, que j’envoie à mon colocataire.

Hugo me répond avec un GIF de Jim Carrey qui fait le pitre en tutu rose. Je ris. Et avant de monter dans la ford, je croise le regard du garçon qui sort du magasin, son sac de course posé nonchalamment sur une épaule. Mon débit sanguin s’accélère. Ce mec est vraiment …il dégage une aura solaire et tellement séduisante. Je m’installe rapidement derrière mon volant ignorant son petit signe de main, et démarre en trombe pour rejoindre mes céréales au plus vite.

 

 

- Ça va Lilipuce ? 

Hugo s’assoit à mes côtés sur le canapé du salon. Il m’appelle « Lilipuce » en référence à un personnage de la série How I Met Your Mother qu’on a regardé ensemble. Étant une grande amatrice de culture populaire, j’ai fini par contaminer mon ami. On ne peut pas dire que la réciproque soit vraie avec sa passion pour le rugby.

- Je stresse un peu, j’admets avec un petit sourire.

Demain je fais ma rentrée en licence d’anglais à la fac du centre-ville. Je n’y connais personne et je suis une grande timide. L’année dernière j’avais commencé d’autres études à Grenoble, qui est une bien plus grande ville que Beauregard, mais j’ai malheureusement dû les interrompre pour m’occuper de ma sœur. Recommencer à zéro aujourd’hui, enfin demain, m’effraie complètement.

- Ça me fait même peur en fait, j’avoue en rongeant mon ongle.

Il met un bras autour de mes épaules.

- C’est bien. Il faut prendre des risques dans la vie. Sinon on ne vit pas. 

Je sais à quoi il fait allusion et je me détends un peu. Il a parfaitement trouvé les mots pour que je vois les choses sous une autre perspective.

Dans mon dos, juste sous l’élastique du soutien-gorge, à droite de ma colonne vertébrale, j’ai un tatouage, un lettrage qui dit « Voglio vivere », « je veux vivre » en italien.

- Et tu me rappelles pourquoi tu veux faire une licence d’anglais ?

- Tu sais très bien pourquoi, je ronchonne.

- Rappelle le moi, il insiste.

Je soupire et explique :

- Parce que la langue anglaise me rassure. Je la trouve plus simple, plus expressive. La communication avec l’autre est grandement facilitée et claire quand c’est en anglais. Simple. Et clair. Et vivant ! C’est …j’adore cette langue. Elle me rassure. 

Je me suis un peu emmêlée les pinceaux mais mon ami me sourit et passe un bras autour de mes épaules.

- Et toi demain tu vas entamer des études d’anglais … 

Je vois où il veut en venir. Je devrais être excitée et heureuse.

- Mais …c’est nouveau, nouvel établissement, que des inconnus …rien ne me dit que ça se passera bien juste parce que ce sont des études qui me plaisent. 

- C’est vrai, rien ne nous garantit jamais que les choses se passeront bien. Mais je te promets qu’il y aura de supers moments. Et cette peur de l’inconnu que tu ressens, à la fin de la semaine elle aura déjà disparu, parce que d’ici là tu auras étendu ta zone de confort et cette école te sera même devenue familière. Essaie juste de ne pas trop te renfermer sur toi-même, et de t’ouvrir aux autres d’accord ? Y a toujours des cons qui traînent un peu partout, mais ça ne doit pas t’empêcher de remarquer les gens géniaux qui sont au milieu. 

- Ok, mais si ça se passe mal, ce sera de ta faute. 

- Ok, mais si dans une semaine tout se passe bien, tu m’offres des sushis. 

Manger asiatique est un peu devenu notre rituel. On commande généralement un ensemble de makis, california rolls et sushis au petit restaurant asiatique du coin et on mange ça devant une série. La plupart du temps, c’est moi qui impose le choix de la série, bien-sûr. En ce moment je lui réclame à nouveau Big Bang Theory que je regarde entièrement une deuxième fois. C’est une de mes séries préférées. Sheldon Cooper, Joey et Chandler, Barney Stinson, Jessica Day et Nick Miller … font tout autant partie de ma famille que Clara et Hugo. Et ne parlons même pas des univers magiques de Poudlard, Star Wars ou de la terre du milieu.

J’ai conscience de ne pas être très ancrée dans la réalité à cause de ça. Mais c’est ma manière de survivre. Parce que la vérité c’est que j’ai bien trop conscience de ce qui m’entoure, et que mon hypersensibilité m’y rend parfois très vulnérable. Et je ne me sens jamais autant moi-même que quand je suis plongée dans ces univers fantastiques, magiques et quelque peu idylliques. Si l’humain est doté d’imagination c’est qu’il y a une raison.

- Tu veux que je t’accompagne demain ? me propose Hugo, me sortant de mes pensées.

Je grimace.

- Je serais tentée de dire oui mais ça aurait l’air bizarre. Et puis tu es trop beau, je me ferai remarquer tout de suite à tes côtés. Je vais me contenter de me bourrer d’anxiolytiques jusqu’à ce que je me sente prête à embrasser le monde entier ! je plaisante en tendant les bras en avant.

- Je sais que tu rigoles à moitié … Sinon on peut se mettre une murge. Tu seras tellement pas bien demain que tu ne penseras même plus à ta timidité.

- C’est 17h, je rigole.

Il hausse les épaules.

- Et alors ? Y a pas d’heure pour s’en mettre une. Tu vas devenir étudiante, tu vas vite comprendre ça.

Je perds mon sourire.

- J’ai pas bu depuis … 

Je n’ai pas besoin de finir ma phrase, je sais qu’il comprend.

- Il va falloir remédier à ça. L’alcool est le meilleur moyen de se faire des amis. 

- Belle campagne pour lutter contre l’alcoolisme ! J’ironise avant de reprendre :

- Ok mais pas ce soir. Tu ne te rappelles peut-être pas comment je suis quand je suis éméchée … mais je n’ai pas envie de me retrouver à faire du rentre dedans à mon meilleur ami gay.

Il explose de rire.

- Malgré ton charme indéniable, je pense pouvoir résister. 

L’alcool me fait devenir très entreprenante. Je ne cherche pas forcément de relations sexuelles dans ces moments-là, mais par contre j’ai une furieuse envie d’embrasser tout le monde, filles, garçons, non-binaires ...

- Je serais bien capable de te convaincre méfie-toi …, je dis faussement sérieuse.

- Bon à la place d’une soirée alcoolisée, je te propose ça …

Il se lève et se dirige vers le frigidaire pour en sortir des petits pots de glace Ben&Jerry’s du compartiment congélateur.

Je pousse un cri d’excitation en tapant des mains à cette vue.

- Tu es …le dieu de ma vie. Je vais installer un autel dans ma chambre pour te prier tous les matins.

- Et les soirs ! il renchérit. Clara n’est pas là ce soir ? 

- Kenza, je réponds simplement.

Kenza est la meilleure amie de ma sœur. Je n’aime pas trop qu’elle traîne chez elle. J’adore Kenza, mais sa mère … C’est plus une copine qu’une figure d’autorité. Quand elles sont chez elle, ce sont deux adolescentes lâchées en pleine liberté et ça m’angoisse légèrement. Mais je ne peux pas enfermer ma sœur dans sa tour d’ivoire. On partage la même chambre, et bien qu’elle soit spacieuse, celle-ci ne permet aucune intimité. Clara a eu 16 ans et même si elle m’adore, elle a besoin de liberté. Donc je lui permets de découcher plusieurs fois par semaine et j’enferme mon angoisse à double tour au fond de ma cage thoracique.

- Tu allais regarder quoi ? il me demande en désignant mon PC portable.

- Justement je n’avais pas d’idées. 

On se fait un marathon ? 

Bonne idée. Il est tôt, ça nous laisse le temps de regarder environ 2 ou 3 films d’affilée, perfect timing ! je dis. Tu veux regarder quoi ? 

- J’ai envie de me relancer dans les Seigneurs des Anneaux. En commençant par les Hobbits.

Je ne pouvais pas espérer meilleure soirée. Ça fait longtemps que je ne me suis pas plongée dans cet univers, depuis que les Hobbits sont sortis au cinéma, il y a donc plusieurs années déjà.

- Let’s do it ! je m’exclame en lançant le premier film.

- Hé Lily ? Quoi qu’il se passe demain ou après-demain ou …bref tu m’as compris, qu’importe, je serai toujours là pour toi, ici, à t’attendre les bras ouverts d’accord ? 

Je hoche la tête contre son épaule. Une petite larme traîtresse s’échappe et coule jusque dans mon cou.

- Merci gogo … d’être mon ami. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, je murmure

- Bah c’est clair que ta vie serait moins agréable sans moi, il me taquine.

- Mais tu sais, il reprend, ce n’est pas à sens unique, j’aime vous avoir, ta sœur et toi, dans mon quotidien, et je ne conçois plus de vivre sans vous aujourd’hui. 

- Chut j’entends rien !  je fais semblant de rouspéter alors que je pleure silencieusement sur son épaule.

- Tu es en train de tremper mon t-shirt, il me taquine, sans s’en plaindre le moins du monde.

Hugo est fils unique. Il a eu une enfance tout à fait ordinaire et heureuse. Et ses parents l’aiment sincèrement. Il n’a jamais manqué d’amis, c’est quelqu’un de simple et honnête. Sans compter qu’il est plutôt beau garçon et populaire grâce au rugby. Malgré tout ça, il s’est entiché de mon amitié. Puis de celle de ma sœur. Je pense que malgré l’amour de ses parents et l’intérêt des autres pour lui, il s’est toujours senti seul. Et bizarrement c’est auprès de Clara et moi qu’il a trouvé ce qu’il lui manquait profondément : une famille. Lucky for us.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Gabinovsky
Posté le 10/02/2025
" Je pense que malgré l’amour de ses parents et l’intérêt des autres pour lui, il s’est toujours senti seul. Et bizarrement c’est auprès de Clara et moi qu’il a trouvé ce qu’il lui manquait profondément : une famille"
ca me fait penser a moi merci
Marovska
Posté le 16/02/2025
Je suis heureuse que tu t'y reconnaisse et que ça te touche :)
Merci pour ton commentaire
Vous lisez