Chapitre 2

Notes de l’auteur : /!\ Attention /!\
Dans ce chapitre, on descend dans l'horreur sans aucun sas de décompression. (bonne chance)

Le fantôme se pencha au-dessus de Kaïn, ses traits déformés par une curiosité moqueuse.

Sur l’écran du portable, une icône s’ouvrit : darknet.

« Ah, je vois. »

Le spectre se redressa, croisant les bras, son regard suspendu sur Kaïn avec une lueur de compassion inattendue.

« T'es sûr ? Tu vas pouvoir supporter ce que tu risques de voir ? »

Kaïn tourna lentement la tête vers lui.

« Tu nous crois si faible ? »

Le fantôme fit le tour du canapé, ses pas résonnant comme des échos dans la pièce silencieuse.

« Écoute… La plupart des gens de ce monde ne se soucient pas du mal qui sévit autour d’eux tant qu’ils n’y sont pas directement confrontés. »

Il s’arrêta face à Kaïn, plantant son regard dans le sien.

« Ils vivent avec des œillères, et arrivent à être heureux parce qu’ils occultent tout le reste. »

Ses traits s’adoucirent, teintés d’une tristesse muette.

« Mais nous, on n’a jamais été capables de faire ça. »

Il posa une main sur son ventre, baissa la tête.

« On est la même personne. Tu sais, moi aussi je ressens ce truc infâme tout au fond de mes tripes. »

Sa voix devint plus sourde, son corps légèrement voûté.

« Mais on n’est pas capables de guérir qui que ce soit. »

Puis il releva brusquement la tête, son regard s’embrasa.

« On est juste des témoins qui restent debout quand les autres tombent. Des échos, des mémoires. »

Il serra le poing, ses yeux brûlant de résolution.

« On pourra jamais effacer la souffrance de qui que ce soit… Mais… on peut la faire partager aux bourreaux. C’est mieux que rien, non ?! »

Kaïn le fixa, bouche entrouverte.

Le fantôme fronça les sourcils.

« Quoi ? »

Un mince sourire fendit les lèvres de Kaïn.

« Je savais pas que j’étais capable de faire d’aussi beaux discours. On devrait peut-être donner des conférences. »

Le fantôme détourna le regard, gêné, frustré.

« Sale con. »

Kaïn baissa les yeux sur son portable, son pouce naviguant calmement.

« Que ça touche notre corde sensible ou pas n’a aucune importance, on peut l’endurer. »

Les images défilaient sur l’écran.

« Jusqu’ici, on s’est contentés d’écumer les journaux à la recherche de pédophiles sortis de prison… »

Son regard se durcit, ses doigts crispés sur l’appareil.

« Mais on peut faire mieux. On peut faire plus. »

Le fantôme s’adossa contre le mur, observant Kaïn d’un air grave.

« Je crois que j’ai trouvé », souffla Kaïn.

L’écran affichait un forum du dark web.

Forum darkhole-chan

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***

Le bidonville de Falktown grouillait sous la crasse et l’odeur de nourriture avariée. Des carcasses de voitures servaient de murs improvisés, et les rues étroites étouffaient sous l’humidité.

Kaïn avançait, mains dans les poches, le fantôme à ses côtés, regardant les alentours avec une méfiance détachée.

« Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas remis les pieds ici. »

Un peu plus loin, trois silhouettes barraient la route. Des loubards en haillons, des battes de baseball posées sur leurs épaules. Ils ricanaient, découvrant des dents jaunies.

« Ça m’avait pas manqué », lâcha Kaïn.

Il continua d’un pas tranquille, traversa le trio sans même leur accorder un regard.

« Il se fout de nous ou quoi ? », cracha l’un.

« Hé, tocard ! Arrête-toi ! » Le cri déchira la nuit.

Kaïn s’arrêta net, toujours de dos. Les trois approchèrent, leurs battes prêtes.

« Tourne-toi, et file-nous tout ce que t’as sur toi », lança celui qui menait, la batte tendue à quelques centimètres du visage de Kaïn.

Kaïn se tourna dans sa direction et leva enfin les yeux vers lui. Un regard fixe. Dur. Implacable.

Un instant, le temps s'arrêta.

Le loubard recula, son visage se décomposant, les lèvres tremblantes.

« Venez, on s’tire », lâcha-t-il brusquement.

Les trois disparurent dans la nuit.

« Qu’est-ce qui t’as pris ?! On aurait pu le dégommer ! », protesta un autre.

Le chef secoua la tête, blême.

« Vous voyez les gars… c’est pour ça que c’est moi le chef. »

Il baissa les yeux, encore hantés par ce qu’il venait de croiser.

« Vous êtes carrément aveugles. »

Il serra la batte plus fort et lâcha dans un souffle rauque.

« Ce type… il est pas normal. »

Un silence pesa une seconde.

« C’est pas une victime, lui… c’est un prédateur. »

***

La maison des Bishop se dressait au milieu des taudis, un peu plus grande mais tout aussi délabrée. Bois pourri, fenêtres crasseuses, porte gonflée d’humidité.

Kaïn s’arrêta devant la porte.

« Je crois que c’est ici. »

Il frappa, levant en même temps son portable vers la lucarne. L’écran projetait une lumière jaune.

Le fantôme grimaça.

« Qu’est-ce que tu fous, putain ? On est pas à un concert de K-pop ! »

« Ils m’ont demandé de faire ça. » Kaïn haussa les épaules.

« J’imagine qu’ils veulent pas ouvrir à n’importe qui. »

Un œil apparut derrière l’entrebâillement.

« Kaïn ?! »

« Oui. C’est moi qui vous ai contactés hier soir. »

La porte grinça, révélant un couple dans la quarantaine, vêtus de guenilles. Leurs sourires, trop larges, suintaient le malaise.

« Entrez, je vous en prie. »

***

Le salon empestait la moisissure et l’humidité. Kaïn s’assit sur une banquette défoncée. Le père, installé dans un fauteuil juste en face, l’observait, un siège vide à côté de lui.

La mère arriva avec un pichet de citronnade.

« Erina est en train de se préparer. Vous voulez un verre en attendant ? »

« Non. »

Elle s’installa près de son mari, son sourire figé.

« Alors… vous êtes plutôt porté anal ou vaginal ? »

Kaïn cligna des yeux, suffoqué par l’absurdité de la question.

« P-pardon ? »

Elle gloussa.

« Oh, c’est votre première fois, peut-être ? Ne vous inquiétez pas. Elle saura s’y prendre avec vous. »

Elle posa une main sur la cuisse du père, le regard plein de complicité malsaine.

« Son père l’a longuement éduquée à ce sujet. »

L’homme bomba le torse.

« Au début, cette petite peste rechignait… mais elle a fini par y prendre goût. »

Ses yeux se durcirent, luisants d’une perversion nauséabonde.

« Vous pouvez lui demander tout ce que vous voulez. »

« Vraiment tout », ajouta la mère avec douceur.

Une sueur froide coula sur la nuque de Kaïn.

« Comment ça ? »

Le sourire de la mère s’élargit encore.

« Nous avons aménagé le grenier. Il y a tout l’équipement nécessaire pour la corriger si vous le souhaitez. Martinet, cutter, acide sulfurique… »

Elle haussa les épaules.

« Mais cela vous coûtera un supplément bien sûr. »

Le père se redressa, soudain grave.

« D’ailleurs, Erina ne va pas tarder, je vais vous demander de nous régler la somme convenue avant de monter. »

Kaïn se leva, sortit une liasse de billets et la tendit.

Les doigts sales de l’homme glissèrent sur chaque morceau de papier. Un sourire satisfait fendit son visage.

« Parfait. »

Un bruit léger résonna dans l’escalier.

Une voix enfantine s’éleva, tremblante.

« Je-Je suis prête. »

Toujours vautré dans son fauteuil, le père leva les yeux vers Kaïn, ses pupilles brillantes d’un éclat pervers.

« Une heure, pas plus. »

« Amusez-vous bien. »

Kaïn marcha jusqu’au pied de l’escalier puis s’arrêta un instant.

Il leva la tête. En haut, une petite silhouette apparut. Deux couettes. Une petite tenue. Le visage baissé, noyé dans l’ombre. Des cicatrices parsemaient ses jambes. Les traces de brûlures d’acide luisaient encore sur sa peau.

« 150 balles… », marmonna Kaïn.

« C’est ça qu’elle vaut pour eux ? »

Arrivé en haut, la fillette pointa une porte d’un doigt hésitant.

« C’est par là. »

Kaïn entra. Derrière lui, la porte se referma.

***

En entrant, Kaïn resta figé.

« C’est… ta chambre ? »

« Oui. »

Un lit effondré, couvert d’un drap jauni.

À côté, une table de chevet bancale, piquée de taches sombres.

Dans un coin, un seau ébréché, l’odeur d’urine incrustée.

Les murs nus suintaient l’humidité.

Le plafond gondolait, prêt à s’effondrer.

Pas de jouets, pas de livres.

Rien qu’un silence lourd, qui pesait plus que la crasse.

Elle s’avança vers le lit, le visage encore caché par l’ombre.

Le fantôme de Kaïn, juste derrière lui, affichait une moue dépité.

« T’es conscient que tu peux pas juste débarquer comme ça, sans rien lui dire, hein ?! »

Erina s’allongea sur le lit.

« Tu vas lui faire peur », ajouta le spectre.

Sur le matelas taché, la fillette prit une pose maladroitement aguicheuse. Sa main s’étira vers Kaïn, son visage encore noyé dans l’ombre.

« Venez. »

Kaïn baissa la tête.

Quand il la releva, son regard s’était durci.

« Il y a méprise. »

« Je suis pas là pour ça. »

Alors, pour la première fois, le visage de la fillette apparut. Son masque d’ombre se dissipa. Deux yeux exorbités, pupilles contractées, luisant d’une terreur animale.

Elle se redressa d’un bond, agenouillée sur le lit. Ses mains jointes, ses épaules tremblantes.

« Non, s’il vous plaît, pas ça. Je ferai tout ce que vous voulez, Papa m’a tout appris. »

Des larmes dévalèrent ses joues. Sa voix se brisa dans un sanglot.

« Je veux pas aller au grenier, je vous en supplie. »

Kaïn la saisit soudain, la serra dans ses bras. Un instant, la peur quitta ses yeux, remplacée par la surprise.

« Qu-qu’est-ce que vous faites ?! »

Il la repoussa doucement, ses mains posées sur ses épaules menues.

« Je vais te poser une question. Je veux juste que tu sois sincère, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. C’est compris ? »

Ses yeux humides restèrent fixés sur lui, perdus, débordant d’incompréhension.

« Ou-oui. »

Kaïn resserra sa prise sur ses épaules. Ses pupilles plongèrent dans les siennes.

« Est-ce que tu veux que je t’emmène loin d’ici ? »

Sa tête retomba. Ses larmes s’écrasèrent sur la couverture.

Kaïn se leva, ses traits crispés par la colère.

« Est-ce que tu veux partir avec moi ?! »

Erina releva la tête. Ses yeux ruisselaient d’une tristesse insondable.

« Ils ne me laisseront jamais quitter la maison… »

Kaïn s’approcha de la porte. Erina ne bougea pas, figée, comme retenue dans un étau invisible.

Il posa une main sur la poignée. De l’autre, il saisit le marteau dissimulé dans son dos. Puis tourna la tête vers elle. Dans ses yeux, un feu s’était embrasé. Ce n’était pas une flamme qui éclaire ou réchauffe, mais une braise vorace qui brûle et dévore tout.

« Reste ici. Je te dirai quand tu pourras descendre. »

Les yeux humides et grands ouverts, Erina répondit d’une voix tremblante, comme si la vue du marteau lui avait suffi à comprendre ce qui allait suivre.

« D-D’accord. »

***

Kaïn descendit les escaliers, marteau à la main.

En bas, les parents levèrent les yeux, légèrement surpris.

« Déjà fini ? » demanda le père.

« Vous êtes un rapide, vous », ajouta la mère.

Kaïn s’arrêta net.

Debout face au père, placé au centre du salon. La mère, plus en retrait, observait depuis le fauteuil.

Le regard du père glissa enfin sur le marteau. Ses traits se crispèrent.

« K-Kaïn, qu’est-ce que vous faites ? »

Kaïn bondit.

Son bras se courba, le marteau en avant.

Le visage du père se figea dans une grimace de terreur.

Le fer s’abattit.

Le côté pointu transperça le centre de son visage dans une gerbe de sang.

Tous deux chutèrent à la renverse.

La mère hurla.

« CHERIIIIIIII !!! »

À terre, l’homme convulsait, le marteau fiché dans le crâne. Ses yeux révulsés fixaient le plafond. Ses bras se tendaient vers Kaïn agenouillé sur lui.

« Arg… je… »

La mère, paniquée, ouvrit à la hâte un tiroir de la cuisine. Ses mains tremblaient.

Kaïn abattit son poing.

Puis un autre.

Puis encore.

Chaque impact déformait un peu plus le visage déjà méconnaissable.

« Vous… » gémit l’homme.

Un couteau glissa des doigts tremblants de la mère et tomba sur le carrelage dans un fracas métallique.

Kaïn frappa encore.

« …en supplie… »

Il saisit le col de l’homme, souleva sa tête déchiquetée face à la sienne. Les traits n’étaient plus qu’une bouillie sanglante autour du marteau tordu.

« FERME TA PUTAIN D’GUEULE !!! » hurla Kaïn, la voix brisée par la rage.

Derrière lui, le fantôme restait debout, les bras croisés.

« Derrière toi, mec. »

Kaïn se redressa, haletant, la sueur et le sang collés à son visage. Sa manche balaya son front.

« Espèce de malade ! » cracha la mère.

Kaïn se retourna.

Elle tenait un grand couteau de cuisine à deux mains, tremblantes. Ses joues gonflées ruisselaient.

Ce n’étaient pas des larmes d’amour, mais celles qu’arrache l’instinct, quand on sent le couperet descendre.

Un bruit de pas rapides résonna dans l’escalier.

Kaïn n’eut pas le temps de détourner les yeux.

Deux petits bras jaillirent de part et d’autre du visage de la mégère.

Des doigts minuscules s’enfoncèrent dans ses orbites.

« AAAAAAAARG !!! » hurla-t-elle en s’effondrant à quatre pattes.

Erina, projetée en avant, roula au sol et se redressa aussitôt.

Son visage éclaboussé de sang, elle empoigna le couteau tombé à terre.

La mère, à genoux, redressa son buste.

Ses yeux n’étaient plus que chair arrachée et sang ruisselant.

« On n’a pas besoin d’en arriver là… » balbutia-t-elle.

« Je-je vais vous rembourser ! »

D’un coup sec, sans une once d’hésitation, Erina lui trancha la gorge.

Kaïn resta figé. Le sang jaillit en cascade.

C’était comme si ce geste avait toujours attendu en elle, tapi dans l’ombre.

Comme si, depuis sa naissance, chaque souffle l’avait menée jusqu’à cette seconde.

Le couteau n’était pas une arme dans sa main d’enfant, mais l’aboutissement d’une vérité trop longtemps enfouie.

La femme s’effondra en suffoquant.

Erina se mit à genoux sur son flanc et planta le couteau encore, encore, encore.

Un hurlement lui déchira la gorge.

« AAAAAAAAAAAAAAAAH !!! » hurla la petite.

Ce n’était pas seulement la rage d’une enfant, mais l’écho de toutes les douleurs qu’elle avait tues.

Chaque coup, chaque cri, arrachait un fragment du malheur qu’on lui avait enfoncé dans la chair depuis sa naissance.

Comme si, à travers ce carnage, elle recrachait enfin les chaînes que ses parents lui avaient fait avaler.

Son bras s’acharnait, sans fin.

Une main se posa doucement sur son épaule.

Erina se retourna d’un bond, les yeux fous, le couteau pointé vers Kaïn.

Son visage d’enfant était maculé d’éclaboussures rouges.

Kaïn la regarda sans peur, avec une chaleur étrange dans ses yeux.

Il serra doucement la lame de ses doigts, désarma le geste sans brutalité.

« Erina, c’est ça ? »

Il prit le couteau et le jeta à terre.

Puis tendit sa main.

« Viens avec moi. Je te promets que plus personne ne te fera jamais de mal. »

Pendant une seconde, le temps ralentit jusqu’à presque s’arrêter, puis elle réalisa.

Le regard d’Erina vacilla. La fureur céda la place à une peine insondable.

Elle attrapa sa main.

Ils avancèrent côte à côte, leurs corps couverts de sang.

Kaïn s’arrêta au seuil. Son regard glissa vers le cadavre du père.

Il revint, arracha son marteau dans une éclaboussure écarlate.

Alors ils franchirent la porte ouverte.

La lumière des réverbères découpait l’entrée comme un portail vers un autre monde.

Kaïn tenait Erina par la main, et de l’autre son marteau dégoulinant.

***

Dans les rues du bidonville, Kaïn marchait, Erina dans ses bras. Sa tête reposait sur son épaule.

Le marteau ensanglanté pendait toujours de sa main.

À travers les yeux de la fillette, la scène défilait à l’envers : les façades crasseuses, les passants figés d’incrédulité.

Certains détournaient le regard, d’autres s’arrêtaient, pétrifiés.

Le Fantôme marchait à leurs côtés. Son regard translucide s’attarda sur certains visages fuyants, et dans son silence transparaissait un profond dégoût.

Les trois loubards croisés plus tôt les virent passer.

Ils échangèrent un silence lourd, le souffle court.

Ils savaient désormais qu’ils avaient bien fait de ne pas l’affronter.

Sous la lueur blafarde de la lune, Kaïn poursuivait sa route.

Il serra un peu plus fort Erina contre lui.

« Au fait », dit-il calmement.

« Je m’appelle Kaïn. »

 

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