Les yeux de Zara sont fixés sur l'horloge au dessus de la tête nue de son prof d'histoire.
Quelques secondes.
froissement de vestes, zips des sacs qui se ferment, le prof tente de protester mais la longue sonnerie stridente lui coupe la parole.
Zara part sans attendre personne, la démarche pressée. Inès ou Alice ne se sont jamais vexées, c'est une habitude: quand elle a sa séance de boxe après les cours, elle se dépêche toujours d'être à l'heure.
Elle a deux heures pour vider son sac...
La jeune fille trottine juqu'à l'arrêt de bus, où arrive déjà le bus de 16 heures.
Comme d'habitude, quand Zara passe entre les sièges, il y a quelques regards accrocheurs. Bien qu'ils soient moins nombreux et persistants qu'à ses premiers jours au lycée, cela lui faisait toujours un peu mal.
Heureusement, il était assez tôt pour que le bus soit rempli de vieux regards aigres.
Tous les jours, elle prend sur elle.
A la mort de son père, alors qu'elle n'avait que 6 ans, les revenus de la famille sont devenus beaucoup trop maigres pour rester dans le bel appartement que la famille occupait au 11ème arrondissement de Paris. De plus, sa mère finît par quitter son travail pour congé maladie, sombrant de jour en jour dans une dépression où elle écoulait chaque jour les yeux rouges.
Zara vécut alors dans un HLM durant 7 ans.
Ce n'est qu'il y a quelques années que sa mère retrouva sa force, un travail, et même un nouvel amant.
En arrivant au lycée, elle découvrit un tout autre monde; en effet sa mère l'avait inscrite dans un établissement du 8ème arrondissement, où la plus part des élèves étaient des blancs plus ou moins aisés.
Même si elle s'était habituée à détonner dans le décor, elle avait aussi pris soin d'adapter son style vestimentaire: en effet, elle eut vite remarqué que porter des sweats avec un nom de grande marque dessus n'était pas du meilleur goût et ne prouvait absolument pas une possible richesse.
Ce qu'elle trouva drôle aussi quelque part, c'est de voir chez beaucoup la volonté de s'affranchir de leurs parents. Joe, par exemple, dont les parents étaient tous deux co propiétaires d'une banque. Son père voulait le voir réussir sciences Po en parcours droit et économie, cependant Joe avait décidé de faire le moins d'efforts possibles. Zara disait le comprendre, pourtant elle se demandait toujours un peu au fond d'elle pourquoi ne profitait il pas de la chance que lui offraient ses parents.
Il avait tout, et absolument tout devait être gâché. Il faisait peu de sport, utilisait l'argent de ses parents pour acheter de la came, et passait essentiellement ses nuits, selon ses dires, à peindre et dessiner. Le matin, il planquait tout, disait à peine bonjour et partait le pas définitivement désinvolte, dans la belle veste en cuir rouge que sa mère devait avoir payé 500€ chez Armani.
Elle soupira, et sortit son téléphone de sa poche. À chaque fois qu'elle se rendait compte que sa journée n'avait aucun sens, elle dirigeait son regard vers des écrans bleutés de pixels. Réflexe.
Sur son fil d'actualité instagram, rien d'intéressant. Elle voit les posts sans les regarder. Alors elle vérifie ses notifications snapchat. Rien non plus, ormis une demande de message bizarre de plus de la part d'un petit pervers. Elle attendait un message d'Inès, mais leur dernière conversation date encore de l'avant veille.
Dépossédée d'elle-même en réalité, elle voyait son corps flotter seul, errant sans âme dans un bus trop plein. Les minutes tournaient dans le vide alors que Zara voulait simplement se mettre à courrir, tout de suite, à hurler, à frapper et à vaincre. Pour ignorer l'attente, elle anésthésiait son cerveau, comme chaque jour, des images criardes et saturées de ces influenceurs reconnus.
Enfin, le bus s'arrêta devant le gymnase et elle se rappela que dans ses oreilles tournait encore en boucle un vieux son de rap américain.