« Tried to stay sober
Tried to stay clean
Wake me when it's over
Like a bad dream »
The Mystic - Adam Jensen
Je n’avais réussi à trouver le sommeil qu’aux alentours de cinq heures du matin, après avoir écrit une quinzaine de pages sur cette fille. Une histoire commençait à naître dans mon subconscient, j’écrivais sur un futur rêvé, mais incertain. Cette fille avait l’air si parfaite, enfin aussi parfaite que celle que je rejoins quand je suis dans les bras de Morphée. Après cette intense séance d’écriture, j’ai eu droit à un sommeil de plomb. Mon réveil sonne à onze heures précises, j’entrouvre légèrement mon œil droit, mais les rayons du soleil m’obligent à le refermer instantanément. J’attrape quand même mon téléphone, en réglant la luminosité au plus bas, pour vérifier que tout se passe bien pour Vic au café
Vic - 9h34
Bravo pour hier tu as fait une grosse journée !
Vic - 9h45
D’ailleurs tu comptes venir à quelle heure
Aujourd’hui ?
Vic - 10h05
Okay j’en connais un qui doit encore dormir comme un gros bébé.
Moi - 11h12
Si tu savais… Je m’habille et j’arrive.
Elle me répond avec un émoticone cœur. Je souris avant de partir dans ma salle de bain. J’en ai bien besoin, pensé-je en sentant mon odeur corporelle. Je me mets face au miroir et commence à m’inspecter. Si je veux repartir sur le marché de l’amour faut vraiment que je prenne soin de moi. Je prends un rasoir et coupe à blanc ma barbe de cinq centimètres. Je m’épile le début de monosourcil avant de descendre mon regard sur mon nez. Vu son état on pourrait l’appeler le mont point noir. J’applique délicatement ma crème au charbon dessus. Après une dizaine de minutes, je l’enlève lentement en essayant de ne pas laisser échapper des cris de douleur. Mes cheveux sont bien, c’est la seule partie de mon corps dont je prends soin ces derniers temps, ils sont d’un brun assez foncé, court avec une petite courbe sur le côté gauche qui retombe sur mon front. Je me regarde à nouveau et souris franchement. Tu fais ça pour toi ou pour elle ? Me questionne alors mon cerveau. Je le laisse causer le temps de me glisser sous la douche. Je commence toujours par rentrer quand l’eau est froide, ça me rfait comme un électrochoc qui mets en route mon corps, et aide aussi à la circulation sanguine. Après un certain moment je me décide à sortir de ce paradis devenu bouillant.
Une fois complètement séché et coiffé je traverse mon salon à moitié nu, la serviette autour de mes hanches cache mon intimité, arrivé à mon armoire je choisis mes affaires pour aujourd’hui. J’empoigne un jean noir, un t-shirt blanc et une chemise à carreaux bûcheron que je mettrai autour de ma taille. Ça faisait longtemps que je n’avais pas porté cet ensemble. Je m’inspecte une dernière fois dans le miroir, j’affectionne énormément cet ensemble. Je range mon carnet, mon ordinateur et mes derniers écrits dans mon sac. La fermeture remontée je mets la sangle sur mon épaule droite et me dirige vers la sortie. À la volée j’attrape une pomme, ma mâchoire en arrache un morceau. Au moment d’ouvrir la porte d’entrée mon cerveau repense à la scène d’hier soir, des papillons grossissent alors dans mon ventre. Le sourire aux lèvres je sors sur le palier et verrouille ma porte. Une fois la clef tournée je descends au premier étage, je songe un instant à toquer à sa porte avant de me raviser. Encore trop tôt, calmé-je ma tentation. Arrivé dans l’avenue principale Mr Wilgor, le propriétaire de restaurant indien, me fait signe pour que je vienne le voir.
-Tiens Neil c’est pour toi et Vic pour ce midi, me dit-il en me tendant un sac plein de plats en tout genre.
Je le remercie avec un sourire alors qu’il retourne dans son restaurant. Je dois avouer que je ne suis pas spécialement fan des plats indiens, mais faut avouer que Mr Wilgor est un chef d’exception. Je suis toujours gêné quand il nous offre des repas, mais je sais qu’il fait ça avec le cœur. Logique sinon il ne le ferait pas, m’insurge à nouveau mon esprit. Une clope entre les dents je marche au rythme de ma musique pour rejoindre le travail où Victoria m’attends de pied ferme. Quand j’arrive à l’angle de la rue, je vois que le café est presque vide. Par la fenêtre je brandis les deux sacs de nourriture vers le ciel, je distingue ses dents apparaître tellement la joie qui l’envahit grandi dans son sourire. J’ouvre la porte, salue le seul client à table qui répond timidement, comme si je venais de le couper en pleine prière. À peine le comptoir passé que Vic se jette dans mes bras, je dois lui avoir bien manqué au vu de son enthousiasme.
-Tu me sautes dans les bras par rapport à la bouffe ou parce que je t’avais terriblement manqué ? Ironisé-je en haussant un sourcil.
-La bouffe tu crois quoi ! Me taquine-t-elle. Va falloir qu’on parle de pourquoi tu t’es levé aussi tard toi. M’inspecte-t-elle avec un index accusateur ?
-Laisse-moi déjà arriver nan ? Rigolé-je repoussant encore un peu l’interrogatoire.
Je pose mon sac dans la réserve située derrière la caisse. Je vois du coin de l’œil qu’elle commence déjà à sortir les plats encore chauds. En ouvrant mon sac, pour récupéré mon carnet, j’hésite à sortir aussi la liasse de pages pour lui faire lire maintenant. La connaissant bien elle appréciera lire ça en mangeant. Et puis malgré le fait qu’elle ne me jugera jamais, je crois que c’est la première fois que j’écris quelque chose d’aussi fort. Ou alors pour une fois elle va bien se foutre de ta gueule, je serre du poing forçant mes ongles à laisser une marque dans ma paume. La liasse de feuilles à la main je réapparais devant la caisse, elle tourne sa tête, un morceau de naan au fromage dans la bouche, ses yeux s’écarquillent en voyant les feuilles. Elle lâche sa nourriture pour me l’arracher des mains avant de retourner devant la nourriture, je suis quand même gêné de faire lire à quelqu’un quelque chose d’aussi brut, une vague de chaleur envahit mon corps à ce moment là. Je sors un plat à l’abri du regard des personnes dans le café, tandis que Vic enchaîne les pages.
Des clients rentrent dans le café, Vic ne fait pas attention à eux alors, je termine ma bouchée avant d’aller prendre leur commande. Je garde un œil sur elle. On peut dire qu’elle ne sait pas trop maîtriser ses émotions, elle ne tarde pas à laisser couler des petites larmes en arrivant à la fin de la liasse. Sa tête se lève brusquement à la recherche de mon regard, quand ses yeux trouvent leurs cibles elle plonge en moi, comprenant que ce que je venais d’écrire était bien plus que de la fiction. Quand je reviens à ses côtés le bon de commande entre les mains, je suis persuadé que je suis rouge de honte, j’ai des bouffées de chaleur avec l’étrange impression que tout le monde a le regard sur moi. Vic m’aide a préparer la commande et va servir la commande. En revenant elle se contente juste de me prendre la main et de me la serrer en frottant son pouce sur le dessus de la mienne Ses yeux sont encore humides, en vérité je ne sais pas si c’est ce que j’ai écrit qui la touche autant, ou le fait qu’elle apparaît dans le texte.
-C’est touchant Neil, c’est même magnifique. Mais comment tout ça t’es venu ? m’interroge-t-elle en regardant la liasse de feuille.
-Tu sais cette fille qui passe parfois devant le café. Elle vient d’emménager juste en dessous de chez moi. Et je ne sais pas comment expliquer, mais j’ai ressenti une folle envie d’écrire après qu’elle soit venue me voir hier soir.
C’est faux tu sais ce que tu as ressenti, c’est l’ange de tes rêves, tu devrai assumer un peu.
-C’est quand même un texte fort, on dirait presque une déclaration d’amour.
Un ange passe. Son regard plonge un peu plus loin dans mon esprit, de la joie inonde alors son visage. Évidemment que c’est une déclaration d’amour, elle est stupide non. Putain, mais tu vas la fermer ! Insulté-je mon cerveau en reprenant le contrôle de la voix dans ma tête, la ferme bordel tu ne vois pas que tu me donnes encore plus de stress. Mon amie dégage sa main de la mienne pour partir voir de nouveaux clients. J’en profite pour donner un nouvel avertissement à mon corps en serrant à nouveau le poing. Ce coup-ci je ne me loupe pas, je sens un liquide entre mes phalanges. Merde. Je m’en vais mettre ma main sous l’eau alors que de l’autre main je sors le désinfectant. Tu vas lui dire quoi à ta sœur hein ?! Je me bande la main et range la trousse de secours sous l’évier. Quand elle revient elle voit directement mon bandage, mais j’ai le reflex de lui dire que je me suis coupé en voulant préparer les citrons pour les sodas. Heureusement le mensonge passe sans problème car elle se moque du fait que je ne sois pas très habile avec un couteau.
Pour revenir à cette fille, je ne sais toujours pas pourquoi elle était dans mes rêves depuis des semaines. Outre le fait de la voir dans la rue, il n’y a jamais rien eu avec elle, aucune interaction, à part hier soir. Alors qu’elle termine la commande, j’aperçois Vic qui touche discrètement son collier. Je ne dis rien, mais reste un instant sur son bijou. Elle ne le touche jamais, sauf quand elle est contrariée. Ce collier venait de sa grand-mère, elle se dit que tant qu’elle le porte elle sera toujours en sécurité, et un peu près d’elle. J’aurai peut-être pas du lui mentir, elle doit se douter que c’est pas le couteau.
L’affluence est clairement moindre que le jour passé, mais faut avouer qu’il y avait un tournage dans le centre de la ville hier, ça joue beaucoup sur la fréquentation qu’on allait avoir. Vers seize heures le maire vient nous rendre visite. Il nous propose d’organiser une soirée à thème pour la fête de la musique qui a lieu dans un mois, en association avec le conservatoire de la ville. Des troupes d’élèves viendraient jouer certains morceaux de leur année pour la première partie, et en milieu de soirée le groupe ForeverHeart viendrait interpréter leur dernier album. Ce groupe était né dans la ville, les membres sont les professeurs du conservatoire. Ce serait donc une soirée cent pour cent locaux. Victoria n’hésita pas une seule seconde et approuva la proposition, même si elle trouvait bizarrement le faîte que ce soit le maire qui vienne demander cela et pas la direction du conservatoire directement.
Les portes sont fermées depuis une bonne heure, mais nous on est encore là à discuter du bon vieux temps un verre de soda à la main. Victoria me regarde intensément depuis plusieurs minutes. Elle me dit qu’elle est encore fixée sur le texte que j’ai écrit, elle cherche des explications sur pourquoi j’ai écrit sur cette fille, mais je me fais violence pourne pas cracher le morceau. Elle a beau être ma confidente il y a des choses que je préfère garder pour moi. Alors que je prends une gorgée de ma boisson, une silhouette passe devant les vitres, mon cœur se serre en croyant apercevoir une vieille connaissance. Victoria me fixe avant de me voir partir vers la réserve.
-Tu l’as vu Vic ? Il est revenu, m’excité-je alors que l’alcool me monte au cerveau.
-De quoi tu parles Neil? Me répond-t-elle troublée.
Je réagis au quart de tour, ne lui laissant pas le temps de me répondre, le sac sur l’épaule je quitte les lieux pour me précipiter dehors. Droite, gauche, personne. Je m’enfonce dans l’artère principale, elle est vide. Il n’y a que le silence éternel de la nuit. Je marche à vive allure vers chez moi, sur le chemin je fais attention à tout autour de moi. Je n’ai pas rêvé. Je l’ai vu ! Ces deux phrases tournaient en boucle dans ma tête depuis que j’étais sorti. Mon portable vibre à chaque message de Victoria, arrivé dans l’immeuble je monte les marches par deux, au premier j’entends de la musique émaner de l’appartement d’Ashley, je n’en tiens pas compte et me précipite dans le mien. La porte fermée à double tour je vais chercher sous le lavabo une bouteille. Je sais que je ne devrai pas, mais il faut que je fasse taire mon cerveau. J’aime pas avoir ces pulsions, il est plus dans le coin je le sais il nous a abandonné avec Vic. Je débouche alors ma bouteille, et bois au goulot grimaçant chaque fois que l’alcool passe à travers mon œsophage. Tu es vraiment un faible, si tu crois que ça va m’arrêter. La voix dans ma tête continuée à m’accabler alors je ne m’arrête pas.
Peu à peu l’alcool inhibe mon corps, et ma voix intérieure disparaît. Je revois alors la scène dans le bar, cette silhouette, ce corps. C’était celui d’un vieil ami, dix ans auparavant il était encore avec nous. Certains le considéraient comme la troisième roue du carrosse dans notre trio légendaire avec Victoria. Marc Mitch.
-Tu m’as appelé Neil ?
Je rouvre les yeux en un éclair. Mon regard se précipite dans chaque recoin de la pièce. C’était sa voix j’en suis sûr. Putain d’alcool.
-Même après dix ans tu ne tiens toujours pas ? Rigole-t-il.
-Je t’emmerde Marc, pesté-je. Ça fait surtout depuis que tu es parti que j’avais arrêté.
De l’extérieur on me prendrai pour un fou, car dans cet appartement je suis seul. Seul à parler à quelqu’un qui n’est plus à mes côtés. Il faut avouer que sans lui ma vie perd de sa saveur.
-Bon tu me parles de cette fille ? Me demande-t-il.