Quand elle fermait les yeux de toutes ses forces, jusqu’à voir les étoiles dansées sur ses paupières, c’était la voix ferme d’un homme qui l’appelait.
Luce.
Ce nom fit taire la nausée, et le pied de géant qui lui broyait la poitrine se souleva légèrement pour lui permettre de prendre une gorgée d’air salvatrice. Quelque chose au fond d’elle lui confirma qu’il s’agissait de son prénom et elle s’y accrocha comme une noyée à sa bouée. C’était déjà un premier indice. Maintenant, il fallait qu’elle comprenne la situation.
Lorsque Luce redressa le visage, les gouttes de pluie s’agglutinèrent sur ses cils.
À moins que ce ne soient des larmes ?
Elle se remit debout en s’aidant du poteau et observa le boulevard. Elle était la seule piétonne, et les rares voitures qui passaient ne daignaient même pas ralentir en s’approchant d’elle. Pourtant, sous cette pluie battante, trempée et blessée, elle devait avoir fière allure.
Bon ! Maintenant, Luce, il va falloir qu’on trouve une solution, se motiva-t-elle en déglutissant difficilement.
Si elle continuait d’avancer, elle finirait bien par tomber sur un hôpital ou un poste de police. Cet objectif lui donna la force de reprendre sa marche. Dès ses premiers pas, quelques douleurs s’éveillèrent à elle, lui extorquant une grimace. Son flanc, sa jambe et son épaule droite lui paraissaient contusionnés, comme si elle était tombée sur ce côté. L’eau qui coulait sur son visage drainait un sang rouge vif. Sur son épaule, chaque goutte teintée formait le nouveau pétale d’une rose écarlate. Le dessin se diluait le long de sa manche.
Reste concentrée. Tu peux le faire.
Ses dents enfoncées dans sa lèvre inférieure, Luce continua de tracer sa route, fixant son attention, non plus sur ses blessures, mais sur les pas qu’elle parvenait à faire. À quelques mètres, une silhouette se tenait sous l’un des lampadaires. Un homme encapuchonné.
Elle allait enfin avoir de l’aide !
— S’il vous…
Sa voix se bloqua dans sa gorge, lorsqu’il se retourna.
Son teint était grisâtre et son visage craquelé de lignes rouges et luisantes. Leurs intensités variaient jusqu’au jaune vif comme une braise. D’ici, elle ne voyait que ça, et ses iris à l’éclat rouge percés d’une pupille carrée qui répondait au noir omniprésent dans le reste de son œil.
Fuis.
FUIS !
Ses jambes réagirent en premier, oubliant toutes douleurs, elles la portèrent en direction d’une rue perpendiculaire. L’adrénaline fourmillait sous sa peau lorsqu’une voiture la frôla. Luce s’était jetée en avant pour l’éviter et le klaxonne perça le silence de la nuit. Déséquilibrée, elle s’appuya sur ses mains avant de se remettre à courir, sans même se retourner. La rue qu’elle emprunta était étroite et ici il n’y avait plus aucun autre bruit que sa respiration. Ses pas précipités n’éveillaient qu’un son étouffé et humide.
Pieds nus ! Tu es pieds nus !
Merde !
Lorsqu’elle perçut le claquement régulier et rapide de semelles derrière elle, Luce était coincée entre une voiture mal garée et des poubelles. Il la poursuivait ! Ses doigts se coincèrent sur le couvercle de l’une des poubelles et elle tira de toutes ses forces pour la renverser. Les jambes tremblantes, elle reprit sa course.
Cela lui faisait au moins un obstacle qui la séparait de son poursuivant.
Luce tourna dans la première rue qu’elle rencontra.
Son cœur battait à milles à l’heure.
Sa bouche était sèche.
Sa poitrine la brûlait.
Et les pas étaient toujours là.
À peine plus rapides, comme si l’homme était certain de l’issue de cette chasse.
Elle bifurqua de nouveau et tourna la tête. Par-dessus son épaule, elle ne vit pas l’homme apparaître à l’embranchement. Sa course l’avait fait atteindre une petite place au manège clos. La pluie projetait sa mélodie sur la verrière d’une entrée de métro.
Luce ne vérifia même pas si elle était encore poursuivie lorsqu’elle descendit les marches quatre à quatre, profitant de l’appui de la rampe pour gagner en vitesse. Inutile de se retourner, car elle sentait le regard maléfique lui brûler la nuque. Il n’était pas loin, même si elle ne l’entendait pas.
C’étaient ses tripes qui le lui disaient.
Elle se jeta dans la station, bondit au-dessus des portiques et s’extirpa de la demi-porte métallique qui lui barrait la route sans reprendre son souffle. Quand elle perçut le sifflement strident d’un frein, elle s’engagea vers les escaliers qui lui paraissaient être les bons. Et elle découvrit le métro en arrivant sur le quai. La consigne lumineuse clignotait dans l’ouverture de la rame, et elle se jeta à l’intérieur juste avant que les portes ne se ferment.
Agrippée au poteau de métal tiédi par les lampes, elle se redressa en inspirant. Elle tremblait lorsqu’elle se retourna pour s’appuyer contre la vitre. Les yeux rivés sur l’escalier, elle eut le temps d’apercevoir des jambes vêtues de noirs qui amorçaient la descente des marches, juste avant que le métro ne s’engouffre dans le tunnel.
Tu l’as fait !
Une quinte de toux lui brûla la trachée lorsqu’elle reprit un rythme de respiration plus lent. Un sourire fleurit sur ses lèvres, alors qu’elle reculait de plusieurs pas jusqu’à ce que la barre la soutienne. Ses forces allaient l’abandonner. Ses jambes étaient faites de coton. Mais elle luttait pour garder les yeux ouverts, fixant le tunnel qui défilait avec ses lumières régulières et orange.
Le tiraillement à sa tempe lui rappela ses blessures, et elle voulut vérifier l’étendue des dégâts sur son visage. Pourtant, il y avait quelque chose qui clochait. Dans la vitre qui lui faisait face, elle voyait bien le reflet des deux poteaux et du reste du wagon. Mais aucune trace du sien.
Luce se rapprocha jusqu’à ce que sa joue soit collée contre le verre et déposa sa main contre la surface lisse. En dehors de la buée qui se formait au contact de sa respiration, il n’y avait aucune trace de sa présence.
Pas de reflet.
Un pas, puis deux. N’importe quoi pour l’éloigner de ce tableau effrayant ! Pour se soustraire à la panique, sa main s’était blottie contre sa poitrine, geste illusoire qui lui permit de réaliser que son cœur allait certainement sauter hors de sa cage thoracique tant il battait vite.
Tu n’as plus de reflet !
La lumière artificielle devint plus vive. Trop vive. Luce leva sa main pour s’en protéger. Toujours éblouie, elle plissa les paupières, répétant l’opération à plusieurs reprises. Mais même si elle passait sa main devant ses yeux, le rayon la percutait toujours avec la même puissance.
Il ne te manque pas que ton reflet.
Luce fixa le sol. Ses orteils étaient meurtris. Entre l’eau grisâtre et le sang, elle percevait de petites plaies fines qui se mirent à la démanger. Mais surtout…
Tu as perdu ton ombre.
J'ai rencontré trois petits problèmes :
Cette phrase : "D’ici, elle ne voyait que ça, et ses iris à l’éclat rouge percés d’une pupille carrée qui répondait au noir omniprésent dans le reste de son œil." que j'ai trouvé bien trop longues. En plus, ça ne me paraît pas très cohérent qu'elle ait le temps de distinguer ses pupilles, si elle jette seulement un coup d'oeil rapide.
A la fin, la lumière artificielle m'a perturbée : d'où vient ce rayon ?
Et dernier élément : il n'y a personne dans le métro ? Je ne suis pas parisienne, mais quand je suis montée sur Paris, peu importe l'heure à laquelle j'ai pris le métro, il y avait toujours quelqu'un dedans !
En tout cas, j'ai très hâte de lire le troisième chapitre : c'est haletant !
En tout cas il n'y a pas à dire, tu sais très bien manier l'action. Ton talent pour cele se voyait déjà dans le premier chapitre des enfants de Pan, cependant, je trouve qu'on le percoit encore mieux dans celui-ci.
Malgré quelque fautes de français, ce chapitre, tout comme le premier, en demeure très agrable à la lecture. J'apprécie grandement ta capacité à déposer, illustrer des ambiances, sans trop décrire pour, j'imagine, laisser de la place à l'imagination du.de la lecteur.trice et ne pas " imposer " ta vision de ton roman.
Par exemple, vers le chapitre 1 me semble-il, tu nous décris plutôt un Paris orangé lumineux, bruyant, sous la pluie, avec ses grands boulevards fourmillant de monde. Moi, je percevais plutôt une ville légèrement cyberpunk, un peu du genre de Tokyo, avec des lumières plutôt froides, épurées et aggressives, et de grands buildings de verre...
Parfois, je trouve que les descriptions manqent un peu, comme avec le passage de l'homme au visage craquelé, dans le métro ou avec la fuite de Luce pour lui échapper , mais ce n'est qu'une vision subjective, et puisque je suis moi-même friande de textes très descriptifs...
Comme piur le chapitre 1, je constate ta maîtrise des ouvertures et fermetures de tes chapitres. Ici, il m'a été très agréable de commencer ma lecture avec un passage sonore, pendant que Luce fermait les yeux. C'était un peu, pour moi, comme si elle prenait une sorte de pause. De même, j'ai pu également savourer tes métaphores bien trouvées et originales sans être ardues de compréhension ( je devrais en prendre de la graine... ) : ( " [ ... ] et le pied de géant qui lui broyait la poitrine se souleva légèrement pour lui permettre de prendre une gorgée d’air salvatrice. [ ... ]" " elle s’y accrocha comme une noyée à sa bouée. ") , ( " [ ... ] les gouttes de pluie s’agglutinèrent sur ses cils. " )
Il y a aussi le très beau passage avec les gouttes de sang qui se dilue tout le long de sa manche, oue ncore celui avec les larmes, où les interrogations de Luce entrecoupent savamment les élements narratifs.
Ensuite, on passa au passage d'action. Les scènes se suivent et s'entrechoquent avec fluidité, alternées avec des descriptions rapides et saccadées, qui viennent encore plus renforcer, je trouve, l'effet de mouvement.
Une sublime personification avec : " C'était ses tripes qui le lui disait. "
Au niveau de la scène où Luce réalise sa véritable nature, je n'ai rine à dire dessus, mis à part que comme les autres, elle est très bien construite. J'aodore aussi le fait que la lumière traverse sa main et qu'elle n'ait pas de reflet… Ca me apelle l'esthétique et la thématique des fantômes.
Pour les petites coquilles :
" Quand elle fermait les yeux de toutes ses forces, jusqu’à voir les étoiles dansées sur ses paupières [...] "
Tu as utilisé un participe passé au lieu d'un verbe à l'infinitif pour " danser ".
" Son flanc, sa jambe et son épaule droite lui paraissaient contusionnés [...] "
Il me semble que " contusionnés " prend un " ées", ce qui donnerait " contusionnées "... Mais je ne prétend nullement être une professionelle de l'orthographe, loin de là.
" [...] ses iris à l’éclat rouge percés [... ] " devient : " […] ses iris à l'éclat rouge percées […] "
" Ses jambes réagirent en premier […] " J'ai l'impression qu'il y a une faute d'accord… : " Ses jambes réagirent en première […] " ou " Ses jambes réagirent en premières […] "
" oubliant toutes douleurs […] "
Bien sûr, cette structure de phrase, avec un pluriel à " douleur ", est, je crois, correcte, mais pour un souci de conformisme, je te conseille de la mettre au singulier… Même si Luce ressent plusieures douleurs !
" Son cœur battait à milles à l’heure. ". Le chiffre " mille " est toujours invariable, et ne prend donc jamais de " s " !
" C’étaient ses tripes qui le lui disaient. " Il me semble que " disaient " devient " disait " ...
" […] s’extirpa de la demi-porte métallique. […] " Ici, je pense que " demi " prend un " e ", puisqu'une porte est genrée au féminin.
" C'était ses tripes qui le lui disait " . Il est de convention d'accorder ce présentatif au pluriel, lorsque le sujet réel, en l'occurence " ses tripes", l'est aussi. Cela donne donc : " C'étaient ses tripes qui le lui disait "
Ce chapitre remarquable se ferme avec une superbe chute, en utilisant le fameux monologue de Luce, qui vient à peine compléter ce que je pensais déjà à la lecture du passage du métro.
Je te souhaite une bonne journée, j'espère que chez-toi aussi les températures ont un peu baisées par rapport à ces derniers jours éprouvants, et j'ai hâte de lire le troisième chapitre !
Cordialement,
Eclat