Ses souvenirs devenaient très flous. Sa mémoire divaguait. Elle se souvenait de quelques éléments sans avoir accès à la trame complète des évènements. Le bonnet noir du matelot qui l’avait prise par le bras pour la guider vers l’une des barques que l’équipage mettait à l’eau en urgence. La coque du navire qui prenait l’eau et tout le monde qui fuyait. Rien de très construit.
Le matelot au bonnet noir et ses compagnons avaient ensuite ramé, si longtemps que Myriam s’était endormie, laissant sa panique et l’état de choc retomber dans le sommeil. Combien étaient-ils sur le canot ? Elle n’en avait aucune idée. Plusieurs, c’était certain mais sans précision. Combien de temps avaient-ils ramé ? Impossible à dire. Comment s’orientaient-ils dans la nuit ? Sûrement à l’aide lumineuse des étoiles mais sans certitude. Le roulis de la mer l’avait bercée et avec elle le flot de sa mémoire apparemment lavée de ce périple. Le discours intérieur de Myriam sur ces évènements était incrédule, refusant d’accepter qu’elle ne se souvenait de presque rien. Les questions s’enchaînaient et Myriam tentait d’y répondre par la raison mais sans se rattacher à une quelconque certitude qu’apporteraient des souvenirs.
Elle s’était ensuite réveillée, au petit matin, dans un quartier animé de Bangalkor. C’était l’odeur du pain qui avait aiguisé son odorat au réveil. Des bâtiments ocre l’entouraient. Les effluves de viennoiseries et de miches fraîches se frayaient un chemin jusqu’à ses narines en passant par les fenêtres ouvertes sur l’extérieur de ce qui étaient vraisemblablement des boulangeries.
Les yeux à peine ouverts, elle avait pu commencer à prendre conscience de l’état dans lequel elle se trouvait. Affamée, épuisée, contusionnée. Son corps semblait attester du périple qui l’avait amenée dans ces conditions à Bangalkor. Périple dont elle ne se souvenait pas vraiment d’ailleurs. Voire pas du tout. Elle avait des bleus aux genoux, des égratignures sur les bras. Mais surtout elle était épuisée et son crâne lui faisait plus mal que jamais. Bien plus mal que lorsqu’elle s’était pris la balançoire du jardin familial dans le front enfant. Ses vêtements de voyages étaient salés, plus ou moins secs et parsemés de taches suspectes. Ces quelques constatations préliminaires l’avaient laissée légèrement consternée. Le flou n’aidait en rien à normaliser son état. Et la perte de ses papiers avait commencé à lever un soupçon de panique en elle. Les papiers de jeune ambassadrice remis par les Roches avaient disparu. La raison légale de son voyage avec eux. Son identité était encore attestée par un minuscule carton indiquant ses liens familiaux. Mais la carte emportée pour suivre son voyage, son petit carnet pour créer son journal de bord, et la carte de ses parents avaient eux aussi disparus. Quelque peu hébétée, elle s’était redressée dans l’encoignure de la vieille porte contre laquelle elle s’était réveillée toute recroquevillée.
C’était Freyja qui l’avait alors recueillie. Elle ne lui avait pas vraiment parlé. Mais elle lui avait souri. De l’un de ces sourires qui passent avant tout par les yeux. Tout simplement, cette grande femme aux cheveux parsemés de fils d’argent, lui avait tendu la main. Et elles avaient traversé ensemble le quartier aux milles couleurs et aux odeurs étourdissantes. La lumière pâle du matin n’enlevait rien à la vivacité des discussions entre les étals qui se préparaient pour la journée. Freyja lui avait seulement glissé quelques mots :
- « Ici nous sommes à Fleuridis, le quartier commercial de Bangalkor. Bienvenue.»
En marchant au travers de Fleuridis et ses maisons en brique rouge, ses milles échoppes colorées, ses rues si tortueuses, Myriam avait achevé de se sentir perdue. Rien ne ressemblait à ce qu’elle connaissait. Les villes Ambrisiennes était bien plus polissées, presque bien rangées. Les murs se fondaient dans un camaïeu de crème, beige et autres saumons, chaleureux mais tièdes. Les étals des marchés couverts étaient bien organisées, jamais une pile plus haute que les autres pour ne pas risquer un effondrement de pommes ou de pêches. Même dans les plus folles histoires que l’on racontait sur Bangalkor, rien ne s’approchait ne serait-ce qu’un peu du spectacle que Myriam avait découvert à ce moment-là. Même le célèbre livre de sa grand-tante Alcime, lui semblait désormais dépassé par la folie du spectacle qui s’était offert sous ses yeux dans les rues de Fleuridis. Les étals rivalisaient de senteurs variées, de couleurs chamarrées et les musiques de chaque vendeur s’assemblaient en une joyeuse cacophonie. Les vendeurs d’oranges jonglaient avec les fruits avant de les presser en jus. Les marchands d’épices ouvraient des sacs aux étiquettes farfelues, offrant à qui passait par là, la chaleur du curry, le piquant du gingembre, le tubéreux du curcuma et d’autres ingrédients inconnus. Une foule dense et variée circulait avec aisance au milieu des échoppes ajoutant encore d’autres tonalités à la musique du marché. Tout cela, lui avait largement tourné la tête, elle ne savait déjà plus trop où elle en était mais en découvrant tout cela, le flou était devenu encore plus intense.
Heureusement, Freyja l’avait accueillie très chaleureusement dans sa maison, pour le temps qu’elle puisse reprendre des forces. En effet, ayant perdu la majorité de ses papiers, Myriam allait devoir trouver un moyen de subvenir à ses besoins par ses propres moyens. Freyja était de la froide région du Vivernois, une région à la réputation glaciale, en tout cas dans les livres de la grand tante Alcime. Mais Myriam avait pu constater que ni l’accueil, ni la douillette maison de Freyja et de sa famille n’étaient froides. Certes, la maison était petite, mais les murs orangés et les tentures chamarrées qui y étaient suspendues donnaient une impression chaleureuse à quiconque passait par cet endroit. Myriam avait donc repris des forces, petit à petit, et elle cherchait chaque jour un peu plus à retrouver le fil de sa mémoire pour comprendre comment elle avait pu passer de la barque en pleine mer au carrefour des boulangers de Fleuridis.
Je suis ravie de continuer ma lecture et mon voyage dans ton histoire 😊
Je trouve que ce chapitre a une très bonne longueur, il reste très facile à lire ! J'ai énormément apprécié tes descriptions !
Ce chapitre est plus posé que les précédents, avec de jolies descriptions du naufrage et de Bangalkor. C'est très agréable à lire.
Tu pourrais peut-être ajouter un petit dialogue avec Freyja pour qu'on puisse mieux appréhender ce personnage et pour couper un peu les descriptions. Ce n'est qu'une suggestion, c'est toi qui décide.
Une petite remarque :
"avaient-ils ramés ?" -> ramé
Un plaisir,
A bientôt !
Merci beaucoup de tes remarques toujours constructives et de ta lecture attentive !
Concernant les dialogues effectivement c'est une bonne piste pour donner vie à la fois à Freyja et faire entendre la voix de Myriam. Peut-être pour qu'elle ne reste pas trop dans sa tête. Je vais méditer ça !
A bientôt !