Chapitre 2 - Début

Par 2Max
Notes de l’auteur : Premier jet. Comment percevez-vous le changement de personnalité du personnage ?

« Bonjour, où tu vas ? me dit un conducteur.

— Je descends dans le Sud, à la grande ville !

— Monte !

— Merci beaucoup.

— Combien d’temps que t’attends ?

— À peine dix minutes, il y a du monde sur cette route.

— Ah ça oui mon bonhomme. Tellement qu’y a du passage qu’on l’appelle la route 66. Tu vois l’engin là haut ? C’est une batteuse. Elle récolte les graines de colza qui serviront à nourrir les bêtes et même à faire du carburant. 

— C’est grand comme machine.

— J’te l’fais pas dire. Qu’est-ce tu vas foutre à la ville ?

— J’aime bien.

— T’es déjà allé ?

— Non.

— Ah, dit le chauffeur en riant et en crachant une glaire sur le pare-brise, comment qu’tu sais qu’c’est bien si t’es jamais allé ?

— J’ai une intuition. Je sens au fond de moi que je vais aimer cette ville. Je sens même que je l’aime déjà.

— Moi j’aime pas la ville ! Ça pue ! Il y a du bruit tout le temps ! Ils roulent comme des cons…

— Attention !

— Pas de panique jl’avais vu.

— Oui, enfin c’était priorité à droite.

— Sur cette route c’est priorité à c’lui qui s’arrête pas.

— C’est bien la peine de parler des citadins roulant comme des cons si vous ne respectez même pas les bases de code de la route.

— Oui m’enfin bon.

— Et puis en campagne aussi ça pue. Ça sent les champs épandus de fumier.

— Ah oui, mais ça, c’est naturel !

— Et le bruit ? On en parle du bruit ? Les tracteurs, les camions, les poules. Il y aura bientôt plus de coqs en prison pour tapages que d’humains.

— Ah ! Les coqs oui ! On aura bientôt plus l’droit d’en avoir à cause de mes connards de voisins venus en campagne pour fuir le bruit citadin.

— Nous ne sommes pas habitués à nous réveiller à six heures du matin.

— Ah, ça c’est sûr ! Seulement, la ferme, ça n’a rien à voir avec leurs jeux sur leur machin là. Eux c’pas compliqué, ils se réveillent à midi, ils passent une demi-heure sur le smatphon et ils croient que leur ferme est entretenue. Chez nous on se lève à l’aube et le soleil n’est pas en l’air assez longtemps pour faire c’qu’on doit faire dans la journée.

— Embauchez du monde pour vous aider.

— Elle est bonne celle-là, et j’le paie comment l’gars moi ? Avec de la terre ?

— Vous avez une belle voiture, un beau tracteur, vous ne devez pas être malheureux.

— Tu penses ! Tout est à crédit. Je suis endetté pour les quarante prochaines années. 

— Alors comment vous faites ?

— Bah, on se serre l’ceinturon. On demande de l’aide aux copains.

— Vous demandez de l’aide aux citadins aussi ?

— Tu m’fais bien rire. Ils sont incapables de tenir un outil. Et dès qu’il faut se salir les chaussures, y a plus un chat.

— Vous avez essayé de leur apprendre ? Si cela se trouve, ils aimeraient et donc arrêteraient de faire des procès contre les coqs.

— Impossible, ils ont le cul vissé sur leur chaise de bureau. Ils ne savent rien faire d’autre que de tapoter sur leur machine à écrire de l’informatique.

— Vous n’en savez rien. Regardez, tout à l’heure, j’étais à peine monté dans votre voiture que vous me faisiez déjà un cours sur la batteuse et le colza. Vous devriez essayer de leur apprendre.

— T’en as des idées, toi ! Aller, j’tourne là. J’te dépose là. Tu peux continuer à faire du stop par là. Et la grande ville c’est par là.

— Merci. »

Curieux paradoxe qu’est cet homme. D’un côté, il a envie de me montrer sa passion alors que je n’ai rien demandé, de l’autre il ne veut même pas apprendre à ses propres voisins son métier. C’est malheureusement ce qu’on retrouve régulièrement dans la campagne. Des personnes incroyables, d’une gentillesse infinie et d’une sagesse profonde capable d’être l’exacte opposée de ce qu’ils sont, mais seulement pour une partie de la population. Une partie différente.

Tout cela me remémore la soirée d’hier. Après avoir essayé plusieurs maisons, je suis tombé sur une femme d’une trentaine d’années qui a accepté volontiers de m’héberger pendant la nuit. C’était un couple bien confortablement installé dans un vieux mas revisité au goût du jour par cette charmante hôtesse. Le portail étant ouvert, j’ai tout d’abord traversé une allée jonchée de pierres entourées d’une multitude de fleurs regroupant toutes les couleurs que le monde possède. Les anciens volets en bois revêtaient une couleur turquoise tandis que les plantes vertes recouvraient le crépi blanc cassé. La terrasse prenait la forme d’un havre de paix où l’on pouvait y rester des heures à écouter le chant harmonieux des oiseaux et la douce mélodie de la fontaine. Le jardin entourant cette maison était impeccable. La porte d’entrée splendide. Chaque élément était pointilleusement déposé dans le seul but de rendre ce paradis parfait. 

Je frappe trois fois à la porte et j’entends une petite voix qui me propose d’entrer, je n’ose pas. La porte s’ouvre donc et j’aperçois, d’abord un sourire radieux, puis un visage me disant déjà « bienvenue chez nous ».

« Bonjour, je m’appelle Léo et je voyage vers le Sud. Seulement je n’y arriverai pas à temps aujourd’hui et je cherche donc une âme charitable pour m’héberger cette nuit. Un canapé, un tapis ou une cabane de jardin me serait d’une grande aide.

— Bonjour. Marie. Et détrompe-toi jeune homme, nous n’avons pas pour habitude d’héberger des inconnus dans la cabane de jardin. En revanche, nous avons une chambre d’amis qui ferait très bien l’affaire.

— Ça serait génial !

— Entre donc ! Je suis en train de préparer du thé. Mes enfants vont bientôt rentrer de l’école avec mon conjoint. Enfin, lui n’est pas à l’école, il va seulement les chercher.

— Merci beaucoup pour votre accueil, j’espère que je ne dérange pas.

— Pas du tout.

— Je peux vous aider pour quoi que ça ce soit ?

— Oh oui ! Mais pas maintenant. Pour l’instant c’est la pause thé. Vous aimez le thé ?

— Oui.

— Je vous en sers une tasse. Sucre ?

— Non merci, je suis au régime.

— Comme moi ! Mais ça ne m’empêche pas d’en prendre quand même.

— Vous n’avez pas besoin de régime, si je puis me permettre.

— Tu peux te permettre oui, même si je n’accepte pas les mensonges dans cette maison. Où vas-tu dans le Sud ?

— À la grande ville.

— Ah ! Un citadin, hein ?

— J’adore cette ville. J’espère pouvoir y vivre et faire ma vie.

— C’est tout le malheur que je te souhaite. Entre nous, je n’ai jamais été aussi heureuse qu’à la campagne.

— Moi j’ai besoin de voir du monde, de bouger.

— Vas-y ! Fonce ! T’es sur la bonne voie. Ça fait combien de temps que tu es sur la route ?

— Depuis aujourd’hui.

— Ah, c’est récent. Tu n’as pas bonne mine pourtant. Tu veux prendre une douche ?

— Avec plaisir, si ça ne dérange pas.

— Je vais être très clair avec toi. J’adore accueillir du monde à la maison. Mon conjoint adore cela aussi. Et les enfants sont ravis de pouvoir jouer avec une nouvelle personne. Que l’on soit quatre ou cinq, ça ne change pas grand-chose, donc profite de cette maison comme si c’était la tienne.

— Merci beaucoup, c’est très chaleureux de votre part. 

— La salle de bain est à l’étage. Finis ton thé et suis-moi ! Je vais te donner une serviette. »

Les escaliers sont parsemés de cadres avec d’anciennes photos, des portraits. Selon Marie, ce sont tous les ancêtres de sa famille depuis plus de deux cents ans. Marie est passionnée de généalogie. Elle passe la moitié de son temps libre à retracer la vie de ses ancêtres, et l’autre moitié à entretenir celle de ses descendants. Une fois sorti de la douche, je vois une pile de vêtements que Marie a soigneusement déposé. D’anciennes affaires de son conjoint, trop petites aujourd’hui. Je m’essuie, je m’habille et je descends la rejoindre en bas.

« Léo, je suppose ?

— Oui, et vous devez être le conjoint de Marie ?

— Tout à fait. Michel, enchanté. Voici Jeanne, huit ans et Renaud, cinq ans. Si tu as un doute sur leur prénom, dis-toi que Marie est fan de Jean Reno.

— Arrête avec cette histoire, dit Marie d’une voie lointaine. C’est un pur malentendu !

— Oui oui, je sais.

Michel se penche vers moi et me chuchote

— Je t’assure que c’est vrai, mais elle ne l’assume pas à cause du fait que tout le monde l’ait remarqué, alors qu’elle voulait que ça reste subtil.

— Je garderai le secret, répondis-je d’une voix basse également. »

 

La nuit commence à tomber. Tout va à deux milles à l’heure dans cette maison. Les enfants courent partout, Marie fait la cuisine et Michel dresse la table.

 

« Léo, dans notre famille nous avons une tradition qui nous tient à choeur. Nous sommes très croyants et nous faisons toujours une prière de trente minutes avant de manger. J’espère que tu es croyant, dit Marie d’un regard qui me transperce comme une flèche empoisonnée.

— Euh… c’est-à-dire que je respecte énormément les religions, mais… je n’ai jamais été initié aux principes… fondamentaux. Même si je reste persuadé que… la religion est une bonne chose pour nos vies et… notre Monde.

— Tu n’es pas croyant ? dit Michel d’un ton sec.

— Non, répondis-je d’un soupir angoissant.

— Nous non plus, dit Marie. C’était juste pour te faire peur. Allez, vous pouvez manger !

— Vous faites ça à tout le monde, dis-je en riant soulagé.

— Oui, dit Michel, excepté les vrais religieux.

— Vous arrivez à les reconnaître ?

— Généralement ils ne se lavent pas, dit Marie. 

— Pardon ? répondis-je abasourdis.

— On ne voit pas beaucoup de monde par ici, la plupart des voyageurs sont des pèlerins qui descendent à Saint Jacques pour aller croiser les mains et guérir du cancer. Crois-moi ! Si cela fonctionnait, alors on ne se ferait pas chier à faire des chimio.

— Ce pèlerinage est un des plus connus du Monde, plusieurs centaines de milliers de personnes y vont chaque année. Ces gens y croient et la religion les aide à vivre et parfois à survivre.

— C’est que du charabia tout ça, dit Michel. Ils sont endoctrinés dans le but de donner toutes leurs économies à des oligarques pédophiles.

— Wouah ! Alors là je trouve ça très réducteur. D’une part le christianisme n’est pas une secte, personne n’est obligé de donner de l’argent pour être religieux. D’autre part, ce n’est pas parce que certaines personnes profitent de leur situation dominante que tout le monde fait la même chose. Les pédophiles ne sont pas tous chrétiens.

— Non, mais les chrétiens sont tous pédophiles, dit Marie.

— Je ne peux pas vous laisser dire cela ! 

Je me lève de ma chaise.

— On n’a pas le droit de juger autant de gens pour les crimes de quelques-uns. C’est biaisé ! Si encore vous connaissiez tous les chrétiens, je ne dirais rien, mais si cela se trouve, vous avez des gens dans votre entourage qui sont chrétiens et vous ne le savez même pas.

— Détends-toi mon garçon et assieds-toi, dit Michel. Marie est un peu trop catégorique. Évidemment qu’ils ne sont pas tous pédophiles, mais il y a certaine tête d’affiche qui le sont et tu ne peux pas nier que c’est inquiétant.

— Oui, je suis d’accord, mais nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même panier.

— Tu as raison. Marie, excuse-toi et montre-nous que tu viens de dire une énormité.

Marie se lève de sa chaise.

— Je m’excuse ! Tous les catholiques ne sont pas des pédophiles, j’en suis certaine. Je viens de dire une grosse connerie et cela prouve une fois de plus que je suis qu’un être humain.

— Connerie ! répéta insolemment Jeanne.

— Bravo Marie, dit Michel ironiquement en tentant de cacher son amusement. »

C’est une petite victoire pour moi de voir Marie se raviser comme cela. Même si je sais qu’au fond son avis n’a que très peu changé, je suis satisfait qu’elle se contredise à voix haute. Peut-être le début d’un changement.

Elle m’a promis qu’à un moment dans la soirée, je leur serais utile. Je ne savais pas encore pourquoi et je l’ai compris aussitôt le repas, quand les enfants ont filé dans le salon et ont sorti une boîte de jeu visiblement chère à leur coeur. C’était donc ma part du contrat, laisser à ce couple un temps de répit pour qu’ils puissent jouer aussi, dans leur coin évidemment. Leurs enfants ne sont pas désagréables. Ils sont même très intelligents. Durant notre partie, Jeanne me glisse à l’oreille que son frère joue de la guitare. Je lui propose donc de nous montrer ce qu’il sait faire, mais il refuse. Il change de ton. Il devient méfiant et triste. Il fronce les sourcils. Ses narines se dilatent. Il se pince les lèvres. J’interviens, avant qu’il n’égorge sa soeur, et je lui demande pourquoi il ne veut pas jouer.

« Elle va se moquer de moi, me répond-il.

— Pourquoi se moquerait-elle ?

— Parce que je ne sais pas jouer.

— Pourtant Jeanne m’a dit que tu savais.

— Oui, mais ça ne fait pas longtemps, alors je ne sais pas trop bien jouer.

— C’est normal, quand on commence on ne sait pas et puis on apprend.

— Moi je ne saurais jamais !

— Si tu ne commences pas, tu ne sauras jamais effectivement.

— Je ne veux pas qu’on se moque de moi.

— Joue-moi quelque chose et je te promets que je ne me moquerai pas de toi. »

 

Puis il a joué. Mal. Mais il a joué. J’étais triste de le laisser ainsi, alors je lui donne un conseil pour que ses doigts soient mieux placés. Étrangement cela à fonctionner. Je n’ai jamais fait de guitare. Je devrais peut-être m’y mettre. Renaud me promet de continuer à jouer de la guitare, Jeanne m’assure qu’elle ne se moquera plus de lui, et moi, au petit matin je partirai le coeur léger.

 

« Eh bien, on a la tête dans les étoiles, me dit un conducteur qui s’est arrêté sur le bord de la route.

— Ah oui, pardon. Je repensais à ma soirée d’hier.

— Tu vas quelque part ?

— Je descends à la grande ville !

— Moi aussi, je vais faire deux ou trois courses. Monte !

— Merci. »

 

Cette fois, j’ai monté en grade. Je ne connais pas la marque de cette voiture, mais la qualité des sièges en cuir me donne quelques indices sur son prix extravagant. On est à la frontière entre un avion et un camion poids lourd. Tout est électronique, le tableau de bord est immense, on n’entend pas un bruit, la climatisation est parfaite. Le pilote, habillé d’un costume lui offrant une taille parfaite, semble maîtriser son appareil. Il porte des gants lui offrant une adhérence au volant et, je suppose, à la route. J’ai l’impression d’être transporté sur un nuage et que rien ne pourra m’arriver. Si je ferme les yeux, je vole.

« Tu voyages ?

— Oui, enfin disons que je descends à la grande ville pour y vivre.

— Ah oui, et ça fait longtemps que t’es sur la route ?

— Depuis hier.

— Ah seulement, tu ne viens pas de bien loin alors ?

— Non.

— Tu vas retrouver des amis, de la famille ?

— Ni l’un ni l’autre. J’y vais pour un nouveau départ, un nouveau boulot, une nouvelle vie.

— Oh, et tu n’as pas peur ? J’ai entendu dire que c’était compliqué de trouver du boulot là-haut ?

— Je me débrouillerai.

— Tu travailles dans quoi ?

— Dans la restauration, plus précisément dans le service, plus précisément je suis barman et sinon je peux aussi être serveur.

— Tu as de l’expérience ?

— Pas tellement.

— Le marché de la restauration est plutôt ouvert. Il y a beaucoup de demandes, mais les conditions sont difficiles. Les patrons recherchent surtout des gens avec de l’expérience. Les diplômes, aujourd’hui, ça ne sert plus à grand-chose.

— Ça tombe bien, je n’en ai pas.

— C’est un bon point pour toi !

— Et vous, vous travaillez dans quoi ?

— Je suis chauffeur pour un milliardaire. Je viens de le déposer à l’aéroport, il part pour un voyage d’affaires en Asie qui va certainement lui rapporter quelques millions. Dans le pire des cas.

— Vous passez votre journée à conduire ?

— Oui ! Et j’adore cela. Surtout ce genre de voiture. Elles se conduisent toutes seules. C’est un peu comme un jouet complètement autonome, mais qui nous laisse le contrôler de temps en temps. C’est bien plus qu’un plaisir.

— Et votre patron serait d’accord de faire monter un inconnu dans sa voiture ?

— Quand il est à l’intérieur, non. Mais dans notre cas, ce n’est pas interdit. Mais dis-moi, tu voyages et tu n’as même pas de sac à dos ?

— Euh… non.

— Tu l’as perdu ?

— Euh… oui.

— Ah, merde, c’est ennuyeux ça. Tu as perdu ton porte-feuille avec ?

— Oui, j’ai perdu mes papiers aussi.

— Merde ! Tu vas devoir tout refaire. Je te conseille d’y aller rapidement parce que l’administration, ça prend toujours un siècle. Du coup, tu n’as même pas un peu d’argent sur toi ? Tu vas dormir où ?

— Non, je n’ai plus rien. J’irai dormir chez l’habitant.

— Tiens ! Ouvre la boîte à gant, il y a cinquante euros dedans. Tu t’en serviras pour refaire tes papiers et trouver quelque chose à manger.

— Oh merci, c’est très gentil.

— Tu sais, nous, dans le Sud, on est comme ça. On s’aide entre nous. On vit bien ensemble alors pourquoi ne pas s’entraider.

— C’est exactement ce que j’ai dit à un monsieur qui m’a pris en stop tout à l’heure.

— Eh oui ! Tu as raison. Aller je te dépose sur cette petite place, elle est charmante et il y a plein de bars. Tu vas peut-être trouver ton futur patron. Bon courage !

— Encore merci ! »

 

Il a raison, il y a plein de bars ici. L’occasion pour moi de se détendre un peu en terrasse, une limonade à la main, le soleil en pleine tête. Cette place est charmante, on dirait qu’elle est toute neuve. Le revêtement du sol en pavé, les arbres épais, la fontaine offrant une mélodie radieuse infinie. Je resterai là pendant des années, mais j’ai un boulot à trouver, et un toit à localiser. Au moment d’aller payer, je propose mes services au patron du bar. Mauvaise pioche, il ne recherche personne. Il me conseille tout de même “Le bar de la place” où le patron pourrait peut-être m’aider. Je file donc tout droit vers ce minuscule bar que l’on voit à peine. Un décor bien traditionnel pour une ambiance bien chaleureuse.

« Je cherche un emploi de serveur et je viens vers vous pour savoir si vous cherchiez quelqu’un pour la saison ?

— Ah, on peut dire que tu tombes bien ! J’ai justement un de mes serveurs qui vient de me lâcher pour cet été. Tu serais capable de t’occuper des commandes en terrasse et de gérer le bar en début d’après-midi ? Il n’y a pas grand monde à cette période et moi, j’aime bien faire ma sieste.

— Sans aucun problème !

— Quelles sont tes expériences ?

— J’ai travaillé pendant deux ans dans un petit bistrot de campagne. Il n’y avait guère de monde, mais bien assez pour une personne. Le patron était âgé et avait du mal à gérer son bar tout seul. En quelque sorte j’ai permis au dernier bastion des relations sociales de survivre. Ensuite, ce malheureux homme est décédé et aucun de ses enfants n’a voulu perpétuer la tradition. Un bar qui meurt, c’est un village qui meurt.

— Complètement d’accord avec toi !

— Ensuite j’ai travaillé pendant un an dans un bar ambiance. On ouvrait le soir à partir de dix-sept heures jusqu’à deux heures du matin. Je m’occupais d’organiser les soirées et de gérer la salle.

— Et je peux contacter ton ancien patron pour avoir les références ?

— Le premier est mort, et pour le second… je n’ai pas gardé son numéro. Mais je peux peut-être le retrouver si vous voulez.

— Hum… oui, tu me le donneras plus tard. Tu tombes bien tu sais, j’ai vraiment besoin de quelqu’un alors laissons tomber les références pour l’instant.

— Il va me falloir ta carte d’identité et ton numéro de sécu.

— À propos… je n’ai pas de papier.

— Je vois… tu m’as pourtant l’air d’être français ?

— Je le suis ! Mais j’ai perdu tous mes papiers donc je ne les ai pas là, tout de suite.

— On fera sans pour commencer. De toute façon, cela m’arrange de te payer au black. Tu n’y vois pas d’inconvénients ?

— Pas du tout.

— Je m’en doutais. Qu’est-ce que tu viens faire dans cette ville ?

— J’adore cette ville. J’aimerai y vivre. Je suis arrivé aujourd’hui et donc j’ai besoin d’avoir un boulot.

— Tu as un endroit où dormir au moins ?

— Non pas encore, mais je compte dormir chez l’habitant.

— Bon courage ! Ce n’est pas évident ici pour les gens d’ouvrir leur porte à des inconnus.

— Je devrais m’en sortir.

— Tu peux commencer quand ?

— Maintenant !

— Tu ne dois pas trouver un toit d’abord ?

— J’ai plus besoin d’un travail que d’un toit.

— Aller va ! Je te laisse ton après-midi. Toute façon l’heure de la sieste est passée. Rendez-vous demain matin à dix heures pétantes ! 

— Je vous promets d’être là. Merci, je suis très content. »

 

Je ne crois pas en la chance, et pourtant aujourd’hui je la prends de plein fouet à chaque instant. Je vais profiter de mon karma positif pour frapper à la porte des habitants, je suis sûr que du premier coup ça va fonctionner.

Il est vingt-trois heures maintenant et personne ne veut m’accueillir. J’aurai dû écouter Denis, en tant que patron d’un bar il connaît forcément le quartier. J’ai la chance qu’en cette période il fait chaud, je vais pouvoir m’allonger quelques parts et je repenserai à tout ça dès demain.

Chaud ? J’ai dit chaud ? J’ai surtout dit n’importe quoi. C’est pourtant évident, la nuit il n’y a pas de soleil et rester allongé sans bouger me refroidit tout le corps. La ville est bruyante et je n’arrive pas à fermer l’oeil. Je dois absolument me reposer avant ma journée de travail demain. Je vais fermer les yeux et faire un effort, après tout ce n’est pas si terrible. C’est comme si j’habitais dans une immense maison avec plein de colocataires qui ne dorment pas et qui s’amusent à klaxonner en roulant à toute allure. Je délire. J’ai froid. J’ai faim. Vivement demain.

« T’as mauvaise mine mon garçon. T’as la mine d’un gars qui a passé la nuit dehors, je me trompe ?

— Non pas du tout Monsieur Denis.

— Appelle-moi Denis. Bon écoute, j’aurais peut-être dû t’en parler hier, mais tu avais l’air confiant donc je t’ai laissé te débrouiller. Je connais un squat pas très loin d’ici. Une dizaine d’immigrés clandestins ont posé leurs valises. Tu pourras t’installer avec eux.

— Ah oui ? C’est loin d’ici ?

— Non c’est à deux pas. Je t’y emmènerai après la fermeture.

— Il y a le chauffage dans le squat ?

Denis s’arrête un instant, il se retourne vers moi le sourire au coin des lèvres.

— C’est une vraie question ?

— Il a fait super froid cette nuit.

— Eh oui, la journée il fait trop chaud et la nuit trop froid. C’est le climat de la région. Mais oublie le chauffage, c’est un squat. Il n’y a rien. Ni chauffage, ni électricité, ni frigo, ni télévision.

— C’est dommage.

— Je dois avoir quelques couvertures dans le grenier. Tu pourras en prendre.

— Je ne risque rien ?

— Ce sont des gens très bien. Je connais un gars là haut, je l’ai dépanné de quelques cafés. Ces gens, ils sont dans une misère terrible. Alors, crois-moi, ils n’ont pas le temps de t’apporter des ennuis. Si les flics déboulent, tire-toi au plus vite, c’est tout !

— Vous avez l’air de bien connaître cette ville.

— Ça fait quarante ans que je vis là, je connais la moindre rue. Et s’il te plaît, arrête de me vouvoyer j’ai l’impression d’être un vieux con.

— Ok, pardon Monsieur Denis.

— Denis ! 

— Oui, pardon Denis.

— T’as mission n’est pas compliqué. Les clients arrivent, ils s’installent en terrasse ou dans le bar. Tu vas les voir, tu prends la commande, tu reviens au bar, tu me transmets la commande, je sers ce qu’ils veulent et tu leur apportes. Si tu arrives à faire tout ça sans rien casser, alors tu auras ta paie. Pigé ?

— Oui, Monsieur Denis… euh, Denis, pardon. Oui, Denis.

— Tu sais faire les cafés ?

— Sur la grosse machine là ?

— Bah non, avec le distributeur de cacahuètes !

— Ah ! Avec ça ? Oui bien sûr. Dans mon ancien job, je faisais les meilleurs cafés-cacahuète de toute la ville !

— Quand je m’absenterai, tu devras t’occuper de faire les cafés. Les gens ne boivent que du café, de la bière ou du rosé. Le rosé ce n’est pas compliqué, tu prends le verre et tu le remplis.

— La bière, pareille ! Oui je connais j’avais la même tireuse dans mon ancien job.

— Tu sais servir une pression ?

— Voyons Denis, quand même.

— Fais-moi un café alors et commence à sortir le rosé, Marco ne va pas tarder.

— C’est qui Marco ?

— Bientôt ton nouveau meilleur ami. Un client qui reste là toute la journée. Sans lui, je ferme la boutique.

— Je l’adore déjà. »

 

Et voilà, en aussi peu de temps qu’il faut pour le dire j’ai un nouveau boulot, un nouvel “appart” et même un meilleur ami. Ma vie dans cette nouvelle ville débute aujourd’hui et je sens que je vais l’adorer. 

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