Darren appelait ça une maison, je découvris un véritable manoir. Il me mena à une pièce essentielle à mon autonomie; la cuisine.
— Tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour te nourrir, dit-il en ouvrant le réfrigérateur.
Je découvrai plusieurs rangées de carafes identiques à celle qu'il m'offrit plus tôt. Le liquide rouge scintillai dans le verre transparent. Le parfum métallique du sang mêlé à la douceur des cerises, des fraises et des framboises m'étouffa. Ma soif, à peine étanchée, se fit à nouveau sentir.
— Sers-toi, fit Darren.
Je tendis la main vers l'une des carafes mais je m'arrêtai en plein geste.
— Qu'est-ce qui te tourmente, Maëlys ?
Je dégluti, la sécheresse dans ma gorge un témoin de cette soif terrifiante.
— Rappelle-toi ce que j'ai dis, me rappela Darren d'une voix calme. C'est du sang artificiel. Il imite le vrai mais ne vient pas d'humains.
Il ouvrit le placard à côté du réfrigérateur, dévoilant une collection de verres en cristal.
— Si ça peut te mettre plus à l'aise, tu peux te servir un verre, proposa-t-il.
Je secouai la tête.
— L'idée de boire du sang, même faux, me donne des frissons, avouai-je.
— Je sais que cela peut être difficile à accepter au début, me dit-il. Le sang sera là quand tu seras prête.
Il referma le frigo et me regarda.
— Nous pouvons continuer la visite si tu veux.
Je hochai la tête, voulant m'éloigner de cette cuisine et éviter de penser aux carafes pleines de ce sang artificiel.
Nous traversâmes vers la salle adjacente, où trônait une table dressée pour six.
— Pourquoi les vampires ont-ils besoin d'une salle à manger ? demandai-je.
— Nous trouvons plus humain et civilisé de boire notre sang à une table à manger, m'expliqua Darren.
Je me crispai.
— Je n'aime toujours pas l'idée de boire du sang, déclarai-je.
— Je comprends, répondit-il. J'ai d'autres pièces à te montrer. Suis-moi.
Il me conduit à travers la cuisine et de retour au salon. Il s'arrêta devant une porte juste au côté de l'escalier.
— Je pense que tu vas aimer.
Lorsque Darren ouvrit la porte, j'entra au paradis. Un piano à queue placé dans un coin était entouré d'instruments placés avec soin. J'aperçu un violon, violoncelle, une guitare et un saxophone. Des étagères couvraient le mur opposé, débordant de fournitures d'arts ; huiles, acryliques, toiles, pinceaux et peintures, et plus encore. Une table et une chaise se tenaient à proximité.
— Je crois que c'est ma pièce préférée, déclarai-je.
— Tu n'as pas tout vu.
La salle de l'autre côté des escaliers me laissa en revanche indifférente. Elle me rappela ma classe de sport de collège, avec ses équipements de sports et un mur d'escalade et un panier de basket.
— Ta réaction est bien différente.
— Le sport n'a jamais été ma tasse de thé.
— Allons à mon bureau.
Le bureau de Darren se trouvait à l'extrême opposé de la cuisine. Il ouvrit la porte et me fit signe d'entrer. J'hésitai.
— Après vous, murmurai-je.
Nous entrâmes. Des étagères remplies bordaient les murs. Je repérai l'ordinateur sur un grand bureau en chêne. Dans un coin, un canapé moelleux m'attirait.
— Tu peux utiliser l'ordinateur pour commander des vêtements, déclara Darren. Et n'hésite pas à emprunter l'un des livres. Ils sont faits pour être lus.
— Je ne veux pas m'imposer, commençai-je.
— Tu ne t'imposes pas. Considère que c'est aussi ta maison, me répondit-il.
Je choisi un livre mais je n'arrivais pas à me concentrer. Les mots se mélangeaient en un désordre incompréhensible. Ma gorge sèche et mon estomac vide et douloureux occupait tout mon esprit. Rassemblant mon courage, je retournai à la cuisine. Cette fois je n'hésitai pas à prendre une carafe, un verre dans mon autre main. Je les déposai sur la table. L'odeur du sang qui s'échappait de la carafe m'appelait. Mon estomac criait sa faim. Je versai un verre, son odeur fruitée et métallique presque insupportable. Je pris une première gorgée hésitante. Les baies noyaient la saveur métallique. Le verre se vida trop vite, ma gorge brûlant avec une intensité renouvelée. Mon estomac, ayant goûté au soulagement, criait plus fort.
Je vidai verre après verre sans réfléchir.
— Je vois que tu as changé d'avis.
Je me tournai pour voir Darren entrer, son propre verre à la main. Une vague de honte me submergea lorsque je réalisai combien de sang j'eus consommé. Encore une fois, je vidai une carafe entière. À mon grand soulagement, la soif semblait cette fois rassasiée.
— Désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je…
— Tu t'adaptes.
Il s'assit sur la chaise à côté de moi.
— C'est comme n'importe quoi. Plus une chose devient familière, moins elle semble intimidante.
— Je suppose que vous avez raison, fit-je.
Darren finit son verre et ajouta :
— Je parle par expérience.
Il se leva de sa chaise et je l'imitai.
— Alors, prête à faire les boutiques en ligne ?
Je hochai la tête.
Devant l'ordinateur, je regardai les différents articles et leurs prix. Darren payait alors que je ne voulu pas me montrer avide.
— Tu as un maillot de bain dans ta valise ?
— Oui, pourquoi ? Je ne risque pas de retourner à la plage.
— Et si la piscine est à l'intérieur ?
Je me figeai pendant quelques secondes avant que l'information n'atteigne mon cerveau.
— Vous avez une piscine ici ?
— Oui, au sous-sol.
— Pourquoi vous ne l'avez pas montrée ?
— Tu ne semblais pas intéressée.
— Qui n'aime pas nager ?
— Tu veux aller nager ?
— Maintenant ?
— Pourquoi pas ?
Une fois que je récupérai mon maillot de bain dans ma valise, Darren me montra la piscine avec une petite pièce séparée pour prendre une douche et me changer.
— Je vais retourner travailler. Amuse-toi.
Je me changeai et retournai à la piscine.
Une sensation de liberté et de légèreté m'envahissait alors que je glissai à travers l'eau comme une sirène. Je fis plusieurs longueurs avant de tourner sur le dos, fixant le lustre scintillant au plafond. Les globes de lumière ressemblaient à des étoiles. Soudain je plongeai sous la surface, m’émerveillant de la durée pendant laquelle je pouvais retenir ma respiration. Je restai pendant un long moment sans ressentir le manque d'air. Je pouvais à peine contenir mon excitation. Quand je remontai à la surface, Darren se tenait au bord de la piscine avec un sourire amusé.
— Ne penses-tu pas qu'il est temps de sortir ? Tu as nagé pendant…
Il jeta un coup d'œil à l'horloge murale.
— … Quatre heures.
— Quatre heures ? Je n'ai pas vu le temps passé. J'ai même pu retenir ma respiration pendant une éternité. Je suis comme une vraie sirène !
— Plutôt un vampire qui n'a pas besoin de respirer, corrigea-t-il. Nous n'avons pas besoin de respirer contrairement aux humains. Tu peux retenir ta respiration aussi longtemps que tu veux maintenant.
Je souris en sortant de la piscine. Lorsque je me levai, mon maillot de bain collait à mon corps. Darren me tendit une serviette.
— Accroche ton maillot de bain et la serviette à ce cintre.
Je me changeai et retournai au bureau de Darren. Le livre que j'avais commencé plus tôt était déposé sur la table. Je m'affalai dans le fauteuil moelleux et me perdit dans le livre. Les heures filèrent en un éclair. L'histoire termina sur une fin heureuse qui me laissa satisfaite. Je posai le livre sur la table, ma gorge déjà sèche à nouveau. Pas encore brûlante, elle refusait tout de même d'être ignorée.
–Je vais vider les réserves de Darren avant la fin de ma première semaine, murmurai-je pour moi-même.
Je me glissai dans la cuisine vide et récupéra une carafe et un verre. Dans la salle à manger, je versai verre après verre jusqu'à ce que ma gorge soit apaisée. Après avoir vidé mon dernier verre, un bâillement m'échappa.
— Je suppose que c'est l'heure d'aller me coucher, murmurai-je dans la pièce vide.
Une vague d'hésitation monta en moi et je me dirigeai vers le bureau de Darren, donnant de légers coups sur la porte.
— Oui ? Un problème Maëlys ?
J'ouvris la porte et Darren détourna la tête de l'ordinateur.
— C'est laquelle ma chambre ?
— C'est la même chambre que celle dans laquelle tu t'es réveillée.
— Ah d'accord. Je voulais juste faire sur.
Je montai les escaliers et pénétrai dans la chambre. Après avoir refermé la porte, je me dirigea vers la salle de bain. Je me souvenais avoir pris une douche mais n'avais pas encore eu l'occasion de me prélasser dans un bain. Me sentant aventureuse, j'ouvrit un placard. J'y trouvai des bains moussants et des sels de bain qui emplissaient l'air de senteurs florales et fruitées.
— Oh, pourquoi pas ? murmurai-je.
Je saisi la plus proche de moi. L'étiquette indiquait « Lavande et camomille ». En versant le liquide parfumé dans la baignoire, une odeur apaisante rempli la pièce. Je m'enfonçai dans le bain parfumé et perdit la notion du temps une fois de plus. Lorsqu'un nouveau bâillement m'échappa, je décidai de vraiment me mettre au lit. L'horloge sur la table de chevet indiquait minuit passé. Couchée dans le lit confortable, le sommeil me trouva en un instant.
L'horloge indiquait 4 heures du matin lorsque je rouvrit les yeux. J'avais dormi environ quatre heures mais mon corps irradiait d'énergie nouvelle. En dehors de cette vigueur, une faim profonde, et maintenant bien familière, m'envahis. Mon estomac était à nouveau vide, ma gorge sèche et irritée.
— Évidemment, soupirai-je.
Je retrouvai Darren dans la cuisine, sans doute réveillé depuis peu lui aussi. Il récupéra une carafe dans le réfrigérateur. Lorsqu'il se retourna, nos regards se croisèrent.
— Bonjour Maëlys. Bien dormi ?
— La nuit a été très courte.
— En effet nous ne dormons pas autant que les humains. Même si tu n'as pas beaucoup dormi, ne te sens-tu pas reposée ?
— En pleine forme, juste…
Je fixai la carafe que Darren tenait.
— En veux-tu aussi ?
Je hochai la tête. Alors qu'il transporta la carafe dans la salle à manger, j'apportai deux verres.
Darren déposa la carafe sur la table, l'odeur attirante me donna l'eau à la bouche. Je me promis d'être raisonnable. Ma soif sembla un minimum calmée, et je n'en bu que trois verres.
— Tu peux en avoir encore si tu veux, me dit Darren. Je vais juste avoir à appeler le fournisseur plus tôt.
Ses mots ne firent que me rendre coupable. Mon ajout soudain à son quotidien devait bouleverser beaucoup de choses pour Darren.
— Non, c'est bon. Je n'ai plus soif, pour l'instant.
Je m'attendais à un retour de celle-ci dans les prochaines heures.
— Je vais te montrer la buanderie. Ensuite, habille-toi pour faire du sport.
— Pourquoi ?
— Veux-tu voir ce que tu peux faire d'autre que de nager comme une sirène ?
Je retrouvai Darren une demi-heure plus tard. Debout près de la porte, je tripotai l'ourlet de mon sweat-shirt.
— J'ai toujours été nulle en cours de sport, lui fis-je savoir.
— Tu as nagé comme une sirène et tu doute encore? Défais-toi des limites humaines, Maëlys.
J'acquiesçai.
— Je peux essayer mais n'espérez pas de miracles.
Je pris une grande respiration, debout derrière la ligne sur le sol.
— Comptes jusqu'à trois et cours, me signala-t-il.
— Un... deux... trois.
Je filai comme une flèche, plus contrainte par les limites de vitesses. Je fonçait vers le mur d'escalade et pris mon élan. Un moment je courais, le suivant je flottais, atteignant le sommet en un seul bond. J'agripai d'une seule main, me tournant vers Darren.
— Je viens vraiment de… j'ai vraiment…
L'excitation m'envahit et j'en perdit mes mots.
— En effet. Le plus difficile, cependant, est d'apprendre à évaluer la force et la vitesse à utiliser. C'est ce que je veux que tu pratiques.
— Vous vouliez que je vois la différence ? Que je comprennes que je suis plus juste… moi.
— Tu es toujours toi.
Il posa une main sur mon épaule.
— Je comprends que c'est un secret lourd à porter. Si tu changes d'idée et décide de ne pas retourner à l'école…
— Non.
— Très bien. Alors écoute attentivement mes conseils. Tout d'abord, n'oublie pas que tes réflexes sont désormais beaucoup plus rapides. Prends conscience de tes impulsions et ne les laisse pas prendre le dessus. Chaque petite action comme ouvrir une porte ou serrer une main, ou même tenir un crayon exige une maîtrise de ta force.
— C'est logique.
— Donc, voilà l'exercice que je te donne. Écris un journal.
— Pourquoi ?
— D'abord, tu saura quelle force utiliser. Si tu brises le crayon, alors imagine une main humaine.
Je frémis.
— Ensuite, je trouve que c'est libérateur de tenir un journal de tes expériences.
Je hochai la tête.
— L'important, c'est de garder ton calme en quelconque circonstances. Tu n'as pas abîmé mon livre alors j'imagine que l'exercice sera facile.
Et c'est ainsi que tu es né, mon petit journal adoré.