Chapitre 1: L'éveil

Ma conscience revint peu à peu. J'ouvris les yeux sur une chambre bien trop luxueuse pour être un hôpital. Des souvenirs me submergèrent. Je revis mes parents décédés dans notre voiture accidentée et l'homme mystérieux qui promit de me sauver. Avec les souvenirs, je pris conscience de la réalité. Il ne restait de mes os brisés que le souvenir de leur agonie. La confusion s'empara de moi. Je savais que des os brisés ne guérissaient pas en quelques heures ou quelques jours. J'ignorais combien de temps je fus inconsciente mais ça ne faisait pas de sens dans ma tête. Allongée dans ce lit d'un confort exceptionnel, je réalisai une chose: ma soif dévorante. J'étais déshydratée au-delà de ce que je pouvais imaginer. Ma bouche ressemblait à un désert craquelé priant pour un peu de pluie. Ma gorge brûlait. Mon ventre, vide et douloureux, avait envie de quelque chose mais j'ignorai quoi. Je glissai une main vers ma gorge, désespérée d'apaiser cette douleur incessante. Malgré les vagues de vertiges et de nausées, je m'assis. Je cherchai des yeux quelque chose à boire, mais rien n'était en vue.

 

J'entendis un bruit de porte qui s'ouvrait et je me retournai pour le voir entrer.

— Enfin réveillée, dit-il. Tu as été inconsciente pendant 24 heures.

J'écarquilla les yeux.

— Bien que j'aie entendu parler de cas plus graves que le tien.

Je ne comprenais rien, je voulais demander où j'étais, mais j'avais tellement soif que j'avais du mal à me concentrer.

— Je m'appelle Darren et nous sommes chez moi, déclara-t-il. Je t'ai ramenée après que tu aies perdu connaissance.

 

Je remarqua la carafe qu'il transportait, translucide et pleine à ras-bord d'un liquide rouge inconnu. Une fragrance métallique chatouilla mes narines, accompagnée d'un parfum fruité. Je senti des notes de cerise, de framboise et de fraise. À cet instant, je crus qu'il me ramenait un jus de fruit. Même si l'odeur métallique me laissait perplexe, dans un tel état de soif, ça m'importait peu.

— Tu dois avoir très soif.

Comment le devina-t-il, fut la question qui me vient à l'esprit. Il remplit un verre et le tendit. Je bus sans hésiter. C'était sucré mais pas trop. Les saveurs de cerises, de fraises et de framboises se mélangeaient dans une explosion de douceur fruitée. Je remarquai une légère pointe de fer, mais cela n'affectait pas la saveur.

 

Le verre vide, mon corps en redemandai. Ma gorge réclamai plus de cette boisson mystérieuse.

— Encore, j'ai trop soif. Vous n'imaginez pas à quel point.

— Je comprends plus que tu ne le crois, me répondit-il en remplissant un autre verre.

Mes yeux fixés sur la carafe, je tendis la main vers celle-ci, ignorant le verre offert. Je la saisis, et au lieu de me retenir, Darren éclata d'un rire grave.

— Oui, bois, dit-il avec un sourire. Je me souviens avoir été si jeune, si assoiffé.

Je ne cherchai pas à comprendre le sens de ses paroles. Seule étancher ma soif comptait. Je soulevai la carafe, étonnée de constater sa légèreté.

 

Je bus directement à même le récipient, sans remarquer la rapidité avec laquelle la carafe se vida. Ma soif apaisée restait présente.

— Que m'arrive-t-il?

Il reprit la carafe et la déposa sur la table de chevet.

— Je suis un vampire, et maintenant, toi aussi.

Les mots s'emmêlaient dans ma tête mais une chose devint claire. Il m'avait sauvé la vie, mais à un prix. Ma main trembla.

— J'ai bu... J'ai bu du sang?

 

J'ignorais ce qui me troublait le plus à ce moment; le fait d'avoir bu du sang, ou le fait que mon corps en réclamait davantage.

— Ne t'inquiète pas, me rassura Darren, comme s'il lisait mes pensées. Tu as bu du sang artificiel créé en laboratoire par des vampires pour des vampires.

Ma tête bourdonnait de questions sans réponses.

— Je comprends que cela soit beaucoup à assimiler.

— J'ai besoin d'un peu de temps.

— Je comprends. Prends tout le temps dont tu as besoin.

Il pointa l'une des deux portes dans la chambre.

— Ta salle de bain se trouve ici. J'ai récupéré ta valise dans la voiture pendant que tu étais inconsciente.

— Ma salle de bain? m'étonnai-je.

— Chaque chambre a sa propre salle de bain. Je serai dans la salle de séjour juste en bas des escaliers. Rejoins-moi quand tu seras prête.

Je me levai, remplie d'une nouvelle énergie. Darren sortit par la porte qu'il avait empruntée pour entrer.

 

Hésitant devant la porte, mon cœur se serra en me remémorant le souvenir de partager une minuscule salle de bain avec mes parents. Des larmes coulèrent sur mes joues au souvenir douloureux de leur perte, due à un banal accident évitable. Après une profonde inspiration, je me décidai à entrer. Comme Darren l'avait dit, ma valise attendait près de l'immense baignoire. En croisant mon reflet dans le miroir doré, la curiosité m'envahit. Je m’attardai devant le verre, observant mon reflet, car les vampires ont en effet un reflet. Mes yeux bleu-gris me fixèrent. Lorsque j'ouvris la bouche, je découvris avec stupeur une paire de crocs remplaçant mes canines normales. J'étais bel et bien devenue un vampire. Malgré mes efforts pour les faire se rétracter, mes tentatives s'avérèrent infructueuses, me laissant frustrée. Décidant de me détendre, je me déshabillai et entrai dans la douche, rejetant mes vêtements dans le panier.

 

Arrivée au rez-de-chaussée, je retrouvai Darren assis sur un canapé à l'aspect moelleux. Alors que me tint là comme une idiote, j'entendit sa voix.

— Fais comme chez toi.

J'hésitai avant de m'asseoir dans le fauteuil près du canapé, gardant mes distances. Mes parents m'avaient toujours enseigné à ne pas parler aux inconnus, et je ne connaissais Darren que de nom.

— Je comprends que tu puisses avoir des doutes et des questions. Je suis prêt à t'écouter.

— Pourquoi moi? Et comment m'avez-vous trouvée?

— Crois-le ou non, c'était le fruit du hasard. Je passais par là quand j'ai vu la voiture accidentée de tes parents.

Les souvenirs douloureux refirent surface. J’ai revu mes parents morts et Darren qui s'approchait de notre véhicule…

 

— Vous m'avez fait boire votre sang, murmurai-je, réalisant l'ampleur de ce qui s'était passé.

— Si un humain boit le sang d'un vampire avant de mourir, il se transforme en vampire à son tour.

— Pourquoi j’ai encore soif?

— D'ici un mois ou deux, tu devrais commencer à ne plus être aussi assoiffée, répondit-il. Mais si tu en as besoin, je peux t'apporter plus de sang.

Je secouai la tête.

— Très bien. As-tu d'autres questions?

— Qu'est-ce que ça veut dire pour moi? Est-ce que je dois renoncer à sortir pendant la journée? Est-ce que je dois arrêter l'école?

— À condition de te couvrir entièrement et d'appliquer une crème solaire spéciale, sortir au soleil est plus une nuisance qu'un danger.

 

J'eus un bref espoir que la situation n'était pas désespérée, mais le ton grave de Darren indiquait que les choses étaient loin d'être simples.

— Je pense qu'il vaut mieux que tu lises ceci, dit-il en me tendant un journal que je pris avec hésitation. Le gros titre se lisait: « Adolescente disparue ».

Je lus à voix haute :

— Hier soir vers 22h30, les secours ont été appelés pour intervenir sur les lieux d'un grave accident survenu sur la route 113. Les autorités ont trouvé les carcasses de deux véhicules qui semblent avoir fait un face-à-face. L'autopsie a permis d'identifier les victimes : Émilie Morgan, 42 ans, et son mari Michaël Morgan, tous deux décédés sur les sièges avant.

Je reconnus les noms de mes parents et mon cœur se serra.

— Selon les informations recueillies auprès de proches, le couple était accompagné de leur fille unique, Maëlys Morgan, âgée de 15 ans, pourtant l'adolescente n'a pas été retrouvée sur les lieux.

 

Ma photo me fit face telle une réflexion et je laissai tomber le journal sur la table devant moi.

— Que fait-on maintenant ? demandai-je en regardant Darren.

— Pour le moment, il vaut mieux que tu évites d'être vue, déclara-t-il. J'ai un ami qui peut nous aider à fabriquer des documents médicaux.

Je jetai un oeil autour de la pièce, un sentiment de peur m'envahissant.

— Je comprend, ai-je dis enfin. Je vais rester à l'intérieur pour le moment.

Regardant par la fenêtre, je vis le soleil brillant de tout son éclat dans le ciel. Je ressentis une pointe de tristesse en sachant que l'astre que j'aimais tant représentais désormais un danger. Je fronçai les sourcils.

 

— Et pour l'école? demandai-je. J'avais tellement hâte de commencer le lycée cette année.

— Ça sera un défi, me prévint-il. Être en présence de tant de gens ne fera qu'aggraver ta soif. Nous pouvons survivre avec du sang artificiel cependant nous aurons envie de vrai sang. C'est une lutte constante.

— C'est un refus catégorique?

— Non. Je comprends que tu veuilles préserver une certaine normalité. Si tu y tiens tant, alors nous t'inscrirons au lycée local.

Je hochai la tête. J'avais toujours été une bonne élève et être devenue un vampire n'y changerait rien.

— Comment je fais pour les cacher ? demandai-je en pointant ma bouche. J'ai essayé mais ça n'a rien donné.

— Nos crocs ne peuvent pas se rétracter, souligna Darren. Mais si tu veille à ne pas n'ouvrir la bouche que légèrement en parlant, personne ne s'en apercevra.

Je remarquai enfin qu'il n'ouvrait sa bouche que très peu en parlant sans être difficile à comprendre.

— Avec de la pratique, tu y arriveras. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'ai un coup de fil à passer.

 

Darren quitta la pièce, me laissant seule avec moi-même. Le silence de la pièce m'écrasait. J'avais l'habitude du son de la télévision ou de mes parents qui discutaient. Les cliquetis des aiguilles d'une horloge dans la pièce étaient les seuls sons environnants. Cherchant quelque chose pour m'occuper l'esprit, mes yeux se posèrent sur le miroir posé au mur. J'avais déjà remarqué ma propre réflexion plus tôt, mais cette fois-ci, je décidai de m'amuser à faire différentes expressions faciales. Je simulai des expressions de peur comme de surprise, exposant mes crocs malgré moi. Dissimuler mes canines s'avéra être un défi de taille.

 

— J'ai pris contact avec un ami capable de fabriquer les documents nécessaires, annonçai Darren.

Je sursautai à sa voix, mon visage dans le miroir reflétant ma surprise.

— Ils expliquerons ta disparition soudaine en expliquant que tu as été transportée vers un hôpital privé à l'étranger pour des traitements spécialisés. Tu as été plongée dans un coma pendant un mois entier.

Je hochai la tête.

— Il est crucial que tu restes à l'intérieur en tout temps pour le reste de l'été. Si nous prétendons que tu reçois des soins à l'étranger, personne ne doit te voir.

 

— Et après? Je vais devoir sortir habillée en ninja, toute en noir avec une cagoule?

L'idée de devenir la cible des regards curieux et des ragots me fichait la frousse.

— Ce n'est pas aussi contraignant que tu ne le croies, répondit Darren. Porte des manches longues et un pantalon et couvre la peau exposée avec une couche supplémentaire de crème solaire spéciale.

— Est-ce que je vais me dissoudre en fumée ? demandai-je d'une petite voix incertaine.

— La crème est conçue pour faire effet douze heures. Évite de t'exposer au soleil autant que possible et reste à l'ombre. Tu ressentiras une sensation de chaleur et de picotement sur ta peau. Le pire qui pourrait arriver, et c'est très peu probable, serait que tu t'évanouisses.

— Tant que j'applique la crème.

— N'en néglige jamais l'application.

 

— Sauf que je n'ai que des vêtements d'été, annonçai-je.

— Et si nous te commandions des vêtements en ligne ?

— Vous avez un ordinateur ? demandai-je.

Il hocha la tête.

— Je l'utilise pour le travail, répondit-il. Quand tu vis éternellement, il faut savoir s'adapter aux nouvelles époques.

La vie éternelle demeure un concept étranger pour moi, même aujourd'hui.

 

— La vie éternelle, murmurai-je.

— Oui. Le vampirisme arrête notre vieillissement. Tu resteras telle que tu es maintenant.

— Pour toujours?

— Désolé.

Je fondis en larmes.

— Les gens vont remarquer que je ne vieillis pas. Je ne pourrai pas aller au lycée. Vous m'avez menti, dis-je.

— Tu as 15 ans, Maëlys. Les filles de ton âge ont généralement cessé de grandir. Personne ne devrait se douter de rien.

— Donc...

— Tant que tu évites d'exposer des crocs ou tes nouvelles habilités, tu t'en sortiras.

— Nouvelles habilités?

— C'est pour un autre jour. Que dirais-tu de visiter ma maison?

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