chapitre 2 : Enora

Par Maric
Notes de l’auteur : Texte remanié

Une rencontre

Le soleil est enfin revenu, j’ai fini de remettre la maison en état et j’ai défriché comme j’ai pu le jardin. Cela m’a permis de mettre de l’ordre dans mes pensées. Si mes migraines me frappent plus fréquemment, elles disparaissent presque instantanément, ce qui m’évite la crise d’angoisse. Malgré tout je sais que j’ai eu raison de venir me réfugier ici car depuis mon arrivée je sens couler dans mes veines une énergie nouvelle. J’ai toujours eu la sensation d’une fracture en moi qui tend à se confirmer par la raison de mon retour et bien que je ne sache pas d’où me vient cette impression, je retrouve un peu de cette sérénité que j’avais à chaque fois que je venais dans cette maison avec ma famille.

Satisfaite d’avoir redonné vie à mon intérieur, il est temps de penser au ravitaillement. Direction le village où j’espère que la petite épicerie est toujours en activité. Je n’ai vraiment pas envie de me taper plusieurs bornes pour faire des courses.

Le village s’est agrandi en cinq ans et je constate avec soulagement que je peux trouver sur place tout ce dont j’ai besoin.

Je suis étonnée par l’ambiance survoltée dans l’épicerie et surprend à la caisse la conversation entre deux clientes qui discutent avec excitation de la découverte des gendarmes. Un homme a été retrouvé mort au bord d’une route. Je n’en apprends pas plus, les deux femmes s’éloignent toujours palabrant à ce sujet. Une triste nouvelle mais j’imagine bien que dans ce village plutôt tranquille un tel fait doit exalter tous les habitants.

Mes emplettes terminées, je décide de m’octroyer une pause en allant boire un café au bar-tabac situé sur la place près de l’Eglise « comme le veut la coutume » je pense un sourire amusé aux lèvres. J’imagine parfaitement les braves gens qui se précipitent au bar, à peine le curé a-t-il dit son « ite missa est », enfin maintenant c’est plutôt : la messe est dite !

A l’intérieur du bar, les tables sont quasiment vides, les clients préférant s’accouder au comptoir pour regarder la télévision ou discuter avec le patron. Je m’installe donc près de la baie vitrée où je pourrai observer les passants et l’activité de la place.

Le serveur, un grand jeune homme au sourire engageant, vient immédiatement prendre ma commande.

En attendant mon café, je redécouvre les marines accrochées au mur. Un filet accroché au plafond, rappelle que le village a vécu de la pêche, je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui. Le comptoir en bois recouvert d’une peinture rouge laqué détonne un peu mais l’ensemble est agréable. Je me souviens d’être venue plusieurs fois ici étant enfant avec mon oncle et ma tante. Les rires et les discussions entremêlés sonnent agréablement à mes oreilles après ces derniers jours de solitude.

Je pousse un soupir de satisfaction en me détendant sur mon siège.

  • Voilà mademoiselle.

Le serveur pose devant moi la tasse de café fumante dont je règle la note et j’en profite pour lui poser la question qui trottine dans ma tête :

  • Vous ne connaîtriez pas quelqu’un qui serait intéressé par quelques heures de jardinage ? Je viens d’arriver et mon jardin ressemble à une forêt vierge.

Le jeune homme rit, passe une main dans ses cheveux en réfléchissant.

  • Vous êtes la personne qui vient d’aménager dans la maison des Brisson à la sortie du village ?

Je hoche la tête et porte la tasse à mes lèvres.

  • Vous n’avez pas été dérangée par les gendarmes j’espère, s’enquiert-il avec un sourire qui lui creuse une fossette dans les joues.
  • Euh non ! Pourquoi ?
  • Un homme a été découvert hier matin au bord de la route à quelques mètres de chez vous, je pensais qu’ils seraient passés vous poser des questions, savoir si vous aviez vu quelque chose.

Je frissonne à cette idée et maintenant il me revient qu’en effet j’ai entendu des véhicules et une sirène la veille, mais habituée à ce genre de bruit en ville, je n’y ai pas prêté attention et comme je n’ai pas l’habitude de jouer les voyeuses, je n’ai même pas imaginé me rendre sur les lieux.

  • Qu’est-ce qui lui est arrivé à ce pauvre homme ?
  • On ne sait pas mais certaines personnes parlent déjà de sorcellerie ou de mauvais sort.

Il a baissé sa voix sur un ton de confidence. J’étouffe un rire incrédule, ça me paraît à peine croyable qu’on puisse envisager une telle possibilité

  • Vous plaisantez !

Un sourire en coin étire les lèvres du jeune homme me démontrant ainsi le peu de cas qu’il fait de ces allégations, ce qui me rassure une peu.

  • Faut dire que le cas est un peu bizarre. Il semblerait que cet homme, un touriste je crois, était mort depuis plusieurs jours déjà, mais n’a été découvert qu’hier. C’est surprenant car il était vraiment visible, à ce qu’on dit. Excusez-moi, on m’appelle !

Le serveur me laisse pour servir les clients qui s’impatientent. Je reste songeuse et triste pour cet homme dont la vie s’est terminé seul au bord d’une route.

Il revient pour me demander si j’ai tout ce qu’il faut et nous discutons un peu du village. J’apprends ainsi qu’il s’appelle Romain et qu’il est né ici. Nous recherchons dans nos souvenirs si nous ne nous sommes pas croisés à l’occasion de mes vacances. Il repart vers ses clients en me faisant un signe de la main. Très sympathique ce Romain.

Je termine tranquillement mon café qui a tiédi pendant notre conversation.

La porte s’ouvre sur deux hommes auxquels je ne porte pas une attention particulière lorsqu’ils s’installent à deux tables de la mienne. Le visage tourné vers la vitre, je ne me préoccupe pas de ce qui m’entoure. Je jette un œil à mon portable, check les messages et fais le tour des réseaux sociaux.

Je lève la tête pour soulager ma nuque que je fais craquer. C’est alors que mes yeux croisent par inadvertance un regard perçant, fixé sur moi. J’ai un hoquet de surprise. Je ne peux m’en détourner. Ses yeux m’ont épinglée et j’ai l’impression de plonger dans les ténèbres. Ils sont si noirs que je n’en vois pas la pupille.

Un flash de douleur me traverse le crâne. Je grimace involontairement, frotte mes tempes en fermant les yeux me délivrant ainsi de cette inquiétante emprise.

En quelques secondes la douleur s’évanouit aussi vite qu’elle est apparue. Je rouvre alors les yeux pour constater que les deux hommes discutent tranquillement comme si de rien n’était. D’ailleurs s’est-il passer quelque chose ? « Tu croises le regard d’un inconnu et tu paniques, c’est n’importe quoi ! … oui, mais un regard flippant quand même). Je me moque de la petite voix apeurée dans ma tête et plonge à nouveau le nez sur mon téléphone en jetant, subrepticement, des coups d’œil à la table où les deux hommes sont installés.

De ce que je peux en voir, il semble grand avec une carrure plutôt imposante. Ses cheveux noirs sont légèrement bouclés et une mèche rebelle lui tombe sur les yeux. Il la ramène régulièrement en arrière en passant une main dans ses cheveux. Sans savoir pourquoi, je suis sûre qu’il est conscient de mon furtif examen. Son interlocuteur a la même carrure avec des cheveux blonds qui frôle ses épaules. Comme il me tourne le dos je ne peux voir son visage.

Le regard d’obsidienne me surprend en pleine séance de matage et cette fois je détourne vivement les yeux, non sans avoir encore une fois ressenti leur froideur glaciale. Je sens mes joues s’empourprer.

L’arrivée de Romain, avec mes renseignements sur un bout de papier, me soulage. Je le remercie chaleureusement et me lève pour partir. Je ne peux empêcher ma tête de se tourner vers la table comme si elle était aimantée et mes yeux se trouvent à nouveau happée par ce regard qui, encore une fois, me cloue sur place et me coupe le souffle. Je dégluti péniblement. Impossible qu’il n’ait pas senti ma peur. Les dents serrées, je détourne les yeux et fais volte-face. Je me dirige vers la sortie, les jambes flageolantes, sentant le poids de son regard dans mon dos.

Une fois installée dans ma voiture, je pose la tête sur le volant pour reprendre mon sang froid. Une brume enveloppe les évènements, me donnant un sentiment d’irréalité. Je peine à me rappeler ce regard, j’essaye de l’attraper mais à peine ai-je le temps de le saisir qu’il s’effiloche. Suis-je le jouet de mon imagination ? Je suis complètement perdue. « Je me suis fait un film, c’est tout, on oublie les regards bizarres et on se secoue ». Je me redresse et prends le chemin de la maison. Plus je m’éloigne du village, plus je me détends. La radio passe Ed Sheeran, mon chanteur préféré du moment et je balance la tête au rythme de la musique dont je fredonne les paroles avant de me lâcher et de chanter à tue-tête.

En tirant les clés de la maison de mon sac, je fais tomber le papier que m’a remis Romain. Je me baisse pour les ramasser et c’est là que je les vois… deux empreintes de pieds, un homme au vu de la taille, profondément ancrées dans la terre encore meuble après la pluie de ces derniers jours.

Mon cœur fait un bond. Je me lève et regarde autour de moi. Je suis devant le portail du jardin, à quelques mètres de la route. Cet espace sert de temps en temps à garer un véhicule quand on reçoit des amis. Donc l’homme a quitté la route pour s’approcher de la maison. Les traces sont récentes car elles sont bien nettes. Je ne sais pourquoi je pense à cet homme mort, cherchait-il de l’aide, mais dans ce cas pourquoi n’avoir pas sonné ? Ou bien les gendarmes, mais je n’y crois pas, ils auraient signalé leur présence. Je frissonne et m’empresse de rentrer chez moi.

***

Quelques jours plus tard

Je me réveille en sursaut, tremblante, inondée de sueur. Je me précipite sur le verre d’eau posé sur ma table de chevet et le bois d’un seul trait tant ma gorge est sèche.

Mais quel cauchemar ! J’essaye d’en attraper des bribes, mais elles s’effilochent avant même que j’ai le temps d’en saisir une, ne reste qu’un sentiment de malaise qui me tient au bord de la nausée. Une migraine me déchire le crâne « génial ! rien de mieux pour commencer une journée ».

Je marche d’un pas incertain vers la salle d’eau. Je m’empêtre au passage dans ma robe de chambre que j’ai abandonnée sur le sol avant de me coucher et manque de me casser la figure, je me rattrape à la porte de justesse « Putain de merde, fait chier ». J’arrive enfin au lavabo sans me tuer et m’asperge le visage. Mon mal de crâne s’est estompé, c’est déjà bonne nouvelle ! Je croise mon regard dans le miroir. De grands cernes s’étalent sous mes yeux. Je grimace, j’ai une sale tête !

Soudain un flash de mémoire me traverse, je vois un homme. Je distingue à peine les contours d’une silhouette, ça pourrait être n’importe qui… mais je sais qu’il s’agit d’un homme. Le souvenir se désagrège sans que je puisse le retenir, me laissant perplexe et un peu effrayée.

Un café ! Mon remède pour aborder toutes les journées surtout celles qui commencent mal ! Le temps que celui-ci soit prêt, le malaise s’est évaporé et c’est d’une humeur plus sereine que je vais prendre ma douche.

Je m’habille rapidement d’un jean qui a déjà bien vécu, un tee-shirt à manche longue et un sweet à capuche. Pas très élégant certes, mais très pratique et c’est principal. Je ne vais pas à un rendez-vous et ne brigue pas le titre de Miss Machin. Je brosse énergiquement mes cheveux que je noue en un chignon lâche et met mes bottes. Mon sac, mon téléphone… et c’est parti !

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Laure Imésio
Posté le 20/05/2022
Bonsoir ,
Un chapitre semé d'éléments troublants et inquiétants. Tu installes une atmosphère particulière qui intrigue le lecteur et donne envie de découvrir les lourds secrets enfouis. A bientôt.
Maric
Posté le 21/05/2022
Merci beaucoup pour ta lecture.
J'espère que la suite te plaira tout autant.
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 17/05/2022
Coucou !
Tu commences à semer de petits éléments pour faire grimper la tension : le meurtre proche de la nouvelle maison d'Enora, les deux hommes à priori anodins qui ne le sont sûrement pas, les cauchemars, le léger malaise.
Romain c'est parfaitement le nom que j'aurai donné à ce personnage ahah Il lui colle carrément à la peau.
Hâte d'en apprendre plus, sur le meurtre notamment.
Mes remarques :
"et j’ai fini de remettre la maison en état et j’ai défriché" remplacer le premier "et" par une virgule ?
"presque instantanément ce qui m’évite" virgule après instantanément ?
"par la raison de mon retour et bien que je ne sache pas d’où me vient cette impression. Je retrouve un peu" -> retour. Bien que je ne sache pas d'où me vient cette impression, je retrouve... (une suggestion à prendre ou pas)
"que j’avais chaque fois que je venais" -> à chaque fois ?
"activité, Je n’ai" point ou j minuscule
"sont quasiment vides les clients" virgule après vides ?
"qui a tiédit pendant" -> tiédi ?
"et je me lève et regarde" virgule à la place du premier "et" ?
Un plaisir,
A bientôt !
Maric
Posté le 18/05/2022
Coucou Edouard,
Merci pour ta lecture. En effet, j'essaye de semer des indices sans trop en dévoiler.
Quand j'ai cherché le nom du serveur, Romain s'est imposé, mais je n'en voulais pas, va savoir pourquoi ::), alors j'ai essayé d'autres prénoms en vain. C'était Romain, voilà. Et comme tu le dis ça lui va comme un gant ha ha.
Merci pour les annotations pertinentes. Cela m'aide beaucoup.
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 18/05/2022
"Romain s'est imposé, mais je n'en voulais pas, va savoir pourquoi ::), alors j'ai essayé d'autres prénoms en vain. C'était Romain, voilà. Et comme tu le dis ça lui va comme un gant ha ha." xD
Maud14
Posté le 25/03/2022
"Mais qui est cet homme au regard noir" serait ma première question!
On sent qu'il y a du passif, de l'oubli, des chose refoulées... Et on a hâte que ça remonte petit à petit. Tu laisses par ci et par là des bouts de pain comme le petit Poucet!
Maric
Posté le 25/03/2022
Merci beaucoup ! j'avais peur justement de ne pas en dire assez. Mais c'est justement l'effet que je recherchais. Alors je suis contente d'avoir réussi, c'est mon premier roman. Il ne faut pas hésiter à me faire des critiques si nécessaire :)
Maud14
Posté le 25/03/2022
C'est bien noté!
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