Enora

Par Maric
Notes de l’auteur : Il s'agit du premier jet de ce roman qui sera réécrit plus tard.
J'espère que ça vous plaira. Merci pour vos lectures - texte retouché

Le départ

Le temps s’est mis au diapason de mon humeur maussade lorsque j’arrive, enfin, en vue de la maison. Je sors rapidement mes bagages sous un ciel chagrin. La belle campagne bretonne a revêtu son manteau de tristesse et le vent souffle à l’envi sa colère dans la ramure des arbres qui ploient, chuchotant une demande en grâce qui ne leur sera probablement pas accordée avant un bon moment.

Je soupire, lasse. Je ramène en arrière, d’un geste agacé, mes cheveux qui me balaient le visage et m’aveuglent à moitié, pour contempler la maison et le jardin en friche. « A quoi je m’attendais, franchement ! »

Une plainte lugubre s’élève dans les feuillages et je frissonne dans cette humidité. Je me plais à imaginer l’ombre de ce père, si peu connu, errant dans ce petit carré de terre et se désolant du spectacle des mauvaises herbes qui ont envahi les massifs amoureusement entretenus jadis.

A l’intérieur, l’air sent le renfermé même si une femme du village est récemment passée aérer la maison. Les meubles recouverts de housses font des tâches claires dans la pénombre. J’allume et jette un regard circulaire pour refaire connaissance avec les lieux où je ne suis pas venue depuis cinq ans. J’entre dans la grande pièce à vivre, enlève les housses du fauteuil et du canapé, posés de part et d’autre de la table basse recouverte de poussière qui jouxtent la belle cheminée de pierre. Je souris au souvenir des belles flambées qui nous réunissaient, mon oncle, ma tante et ma cousine Laure, le soir lors des vacances de Noël.

A l’opposé se trouve l’imposant vaisselier breton dont les sculptures n’ont aucun secret pour moi qui en ait si souvent tracé les contours. Enfin, au milieu trône l’imposante table en bois et ses deux bancs.

La chambre de l’autre côté du couloir était celle de mes parents. Elle est habituellement dévolue à mon oncle et ma tante. Je décide de m’y installer.

Je rejoins ensuite la cuisine située dans le prolongement de la salle. Elle est petite mais agréable et très fonctionnelle. Une porte-fenêtre donne accès au jardin, très pratique en été, au moins pas besoin de traverser toute la salle avec les plats.

Après avoir rangé les courses faites sur la route, je me prépare un café que j’estime avoir bien mérité ! « Enfin ! un peu de détente ! ».

Je déguste lentement le breuvage pour ne pas me brûler tout en observant les éléments qui se déchaînent dehors, bien contente d’être arrivée à bon port. La luminosité est crépusculaire et la maison chante sous les assauts du vent. Je laisse le son régulier de la pluie me bercer et m’apaiser doucement.

J’ai toujours aimé cette maison en pierre de granit avec son toit en ardoise. L’atmosphère qu’elle dégage est chaleureuse et j’y ai toujours fait le plein d’énergie. Décorée avec beaucoup de goût par ma tante, elle a néanmoins gardé son cachet rustique. Pour ce que j’en sais, ma mère ne s’en est jamais occupée sauf à poser quelques gravures çà et là.

L’escalier dans le couloir entre la chambre et la salle mène à la salle de bain et à la chambre que je partageais avec Laure lorsque nous étions enfants. Les ressorts du lit, je m’en souviens avec tendresse et nostalgie, ont subi, je ne sais combien de fois, les sauts et assauts répétées de deux gamines excitées certains soirs où nous savions les parents en grandes discussions avec des amis et de toute façon enclins à l’indulgence par un bon repas et une bonne bouteille.

De retour au salon où je me vautre dans le fauteuil, j’établis le programme des jours à venir. Un nettoyage complet s’impose, je dois également trouver un jardinier, bref ! un travail bienvenu qui, je l’espère, me permettra d’oublier, autant faire se peut, la raison de mon retour en Bretagne.

Rien que d’y penser, mon estomac se contracte et un sanglot sec franchit ma gorge. J’essaye d’évacuer ce souvenir, mais il s’impose à moi avec force, accompagné comme toujours d’un sentiment de culpabilité et d’humiliation. Je refoule mes larmes. Remuer ce passé, encore trop frais dans ma mémoire, ne le changerait pas. Mes pensées s’entrechoquent avec violence « Je suis responsable, je le sais, j’’ai un problème,… un gros problème ! ».

Mon cœur manque un battement, un étau me broie la poitrine tandis que la sueur inonde mon visage au souvenir de cet instant où j’ai compris que ma vie serait sans doute une suite d’années solitaires et dépourvue de tout ce qu’une jeune femme peut en espérer. Je me souviens avec une acuité malsaine de ma frayeur, de ces aiguilles qui perçaient mon crâne. Mes tempes étaient serrées dans un étau et des larmes de douleur coulaient sur mes joues. Quelqu’un avait tenté de me parler, mais je ne comprenais pas les paroles, la voix était étouffée par ces sons qui grésillaient dans ma tête, bribes de mots incompréhensibles, hachées, qui malmenaient mon cerveau. Face à mon silence obstiné, la porte avait finalement claqué et j’étais restée prostrée dans la solitude de mon refuge.

Mon malaise s’était peu à peu atténué. Je ne sais pas combien de temps j’étais restée sur le sol la tête entre mes mains, mais ce jour-là pour la première fois, j’avais envisagé la cause de cette douleur, me restait à en dérouler le fil pour y trouver l’origine. 

A ce moment là, j’ai pris conscience que, pour une raison que je ne m’expliquais pas, tout ce qui faisait de moi une personne introvertie, fuyant les relations sociales ou amicales n’étaient pas dû à mon caractère comme je le croyais depuis des années, mais était bien plus profondément ancré dans mon subconscient.

J’ai toujours eu du mal à m’intégrer dans un groupe quel qu’il soit, j’étais solitaire à l’école et si j’ai réussi à me dominer avec l’âge, aucune amitié, en dehors de ma cousine, n’a adouci mon enfance, malgré tous les efforts de celle-ci pour m’intégrer à son groupe d’amis. Je l’accompagnais pour lui faire plaisir, mais je restais à l’écart, sans parler, j’en ai par contre profité pour développer mon sens de l’observation et le décryptage des postures au-delà des mots prononcés. Je sais que ses amis se demandaient pourquoi elle m’amenait encore avec elle. J’avais parfois l’impression que ma cousine avait pitié, mais je n’ai jamais douté de son affection pour moi.

Un filet de transpiration coule entre mes omoplates à ces réminiscences. Les dents serrées, je déglutis pour chasser la nausée, je penche ma tête entre mes cuisses pour tenter d’atténuer mon malaise.

Je suis effrayée, bouleversée, Je prends de grandes inspirations et retrouve peu à peu un rythme cardiaque normal.

Je n’ai confié mes angoisses à personne, pas même à cette femme chaleureuse et attentionnée qu’est ma tante Hélène. Elle m’a accueillie et élevée avec tant d’amour à la mort de mes parents dont je n’ai aucun souvenir, pas même une image à l’orée de ma mémoire. Malgré son insistance, Laure, ma seule amie plus que ma cousine, n’a pu me soutirer la moindre confidence, à son grand désarroi.

J’ai des remords au souvenir de son regard triste et plein de reproches. Elle qui m’a toujours soutenue, aidée, aimée. La seule avec ses parents qui a pu me donner l’illusion d’être « normale », cette fois je ne pouvais m’épancher auprès d’elle. Dieu sait pourtant qu’elle a bataillé ferme mais pour une fois elle s’est heurtée à un mur de silence impénétrable.

Je devais partir, me retrouver seule pour soigner cette blessure et peut-être comprendre. J’ai démissionné de mon poste de bibliothécaire, je pouvais me le permettre, la liquidation des biens de mes parents m’ayant laissé un joli pactole dont jusqu’à présent je n’ai jamais profité.

J’ai fait tendrement mes adieux à ma famille qui a vainement tentée de me retenir tant mon attitude leur était incompréhensible et je me suis enfuie ! Car c’est bien ça, je fuis… Je le sais. Reste à savoir quoi ! Mon instinct m’a incité à venir ici, dans ma maison, mais j’ignore si j’y trouverai une quelconque réponse.

Je me secoue pour sortir de mes sombres pensées et prends mon téléphone afin de rassurer tout ce petit monde. J’accepte par avance les inquiétudes à peine voilées sous les mots tendres, les interrogations mêlées d’incompréhension.

Je leur transmets mon amour et reçois-le-leur comme une bouffée d’oxygène.

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Marlène Goos
Posté le 10/11/2022
salut, j'avais ce roman depuis un moment dans ma pile à lire, donc j'ai fini par passer le voir :) Bien sympa ta façon d'écrire, pour le moment je suis curieuse de voir où tu veux en venir, ce qu'il se passe pour notre héroïne...
Maric
Posté le 06/12/2022
Bonjour
Désolée pour le retard à répondre, je suis ravie que ce premier chapitre t'ait plu et j'espère que la suite te plaira également
Merci pour ta lecture
A bientôt
saoT
Posté le 25/05/2022
Je suis bien contente d’avoir démarrer ce roman ! J’aime ton écriture qui est très poétique, imagée mais sans être biscornue. On te lis avec beaucoup d’aise.
Il y a une jolie attention aux détails, j’aime l’image de ce jardin en friche qui lui fait imaginer un regard de désapprobation de ce père imaginé. J’aime le personnage aussi dans lequel je me suis beaucoup reconnu.
Deux minuscules corrections.
Il y a une petite redondance : Chapitre 14 (ce jour) chapitre 15 (ce jour-là) chapitre 16 (ce jour-là)
Et il manque je pense un mot chapitre 18.
“je penche ma tête entre mes cuisses *pour* tenter d’atténuer mon malaise.”
Je le mets dans ma liste de lecture !
Maric
Posté le 26/05/2022
Hello,
Je te remercie pour ta lecture. Je suis ravie que cela t'ai plu et je suis très touchée que tu te sois reconnue en Enora que j'ai essayé de rendre attachante avec ses faiblesses. J'espère y être arrivée.
Merci pour les annotations pertinentes. J'avais voulu insister sur "ce jour là" mais je trouve que tu as raison ça fait trop :) j'ai donc corrigé.
J'espère que la suite te plaira tout autant
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 16/05/2022
Coucou !
Les phrases de début et de chute sont très jolies ! Tu as raison de les soigner (=
On rentre tout de suite dans les pensées d'Enora, on a un petit aperçu de sa vie, de son passé, de son état d'esprit, je me suis assez facilement identifié à elle. Maintenant j'ai hâte de voir ce qui va lui arrivé.
Je trouve ton style très agréable, il y a plusieurs passages où tu joues des sonorités et ça rend très bien !
Mes remarques :
"qui ploient chuchotant une demande en grâce" -> en chuchotant ?
"les massifs amoureusement entretenus jadis par lui." qu'il entretenait amoureusement jadis ? (je trouve le "par lui" pas très joli)
"dehors, bien contente d’être arrivée à bon port. La luminosité est crépusculaire et la maison chante sous les assauts du vent. Je laisse le son régulier de la pluie me bercer et m’apaiser doucement." bien joué les rimes en "or" et "en" ça donne une belle sonorité à la phrase !
"et de toute façon enclins à l’indulgence par un bon repas et une bonne bouteille." -> rendus enclins ?
"j’établi le programme des jours à venir." -> établis
"Rien que d’y penser mon estomac" virgule après penser ?
"mais il s’impose à moi avec force accompagné" virgule après force ?
"que ma cousine avait pitié," espace en trop
"la moindre confidence à son grand désarroi." virgule après confidence ?
Un plaisir,
A bientôt !
Maric
Posté le 16/05/2022
Hello
Merci pour ta lecture et tes remarques constructives, en effet je suis d'accord avec tes annotations, Je corrigerai très rapidement.
J'espère que la suite te plaire
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 16/05/2022
"Je corrigerai très rapidement" ne te presse pas trop non plus xD ça fait plaisir de voir que tu prends les commentaires en compte (=
Maric
Posté le 16/05/2022
Bien sur, c'est pour ça que je suis sur PA
et non je ne vais pas me précipiter non plus t'inquiètes :))
Laure Imésio
Posté le 05/05/2022
Bonjour,
J'ai beaucoup aimé ce premier chapitre, cette introspection qui nous donne des pistes sans trop en dire. L'évocation de la maison, des souvenirs crée une intimité avec le lecteur. Ce lieu devient presque un personnage. Ton style est agréable et tu parviens à créer une atmosphère particulière, qui donne très envie de découvrir la suite. A bientôt.
Maric
Posté le 06/05/2022
Bonjour,
Merci pour ton commentaire qui me touche. J'espère que la suite te plaira tout autant
A bientôt
Akiria
Posté le 23/04/2022
Hello,
C'est joliment écrit, les descriptions ne sont pas lourdes et facilement visualisables. Ce chapitre pose bien le décor. Je vais découvrir tranquillement la suite.
Maric
Posté le 23/04/2022
Hello Akiria,
Merci beaucoup pour ta lecture et j'espère que la suite te plaira également
A bientôt
M101121
Posté le 27/03/2022
Hello !
J’ai adoré ce premier chapitre qui met vraiment en contexte cette histoire.
Tu as une très belle plume alors vraiment laissez là s’exprimer ! Ça fait du bien aux lecteurs et à vous aussi j’imagine
Maric
Posté le 27/03/2022
Merci beaucoup, ça me fait chaud au coeur. J'espère que la suite vous plaira autant. Merci pour votre lecture
Maud14
Posté le 25/03/2022
Salut !
Je vois qu'on à la Bretagne en commun ;)
J'aime l'ambiance que tu poses, et surtout, j'attends d'en savoir plus sur ce "mal être" de notre protagoniste.
Je suis intriguée :)
Maric
Posté le 25/03/2022
Salut,
Oui je viens de lire ton premier chapitre et ça m'a fait sourire et ça m'a émue :).
Ce mal être mettra plusieurs chapitre à se dévoiler à elle.
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire.
A bientôt
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