Chapitre 2 : Eulalie

Année 1342, 2e jour des Calendes, huitième mois 

 

Son cheval galopait dans la forêt. Les autres la suivaient derrière s’assurant que personne ne les rattrapait. A cinq, elles avaient réussies à transporter tout le matériel d’Eulalie.

– Nous sommes presque arrivées.

Lia l’avait rattrapée et galopait maintenant à côté d’elle.

– Ralentissez l’allure les filles.

Elles étaient parties au milieu de la nuit, espérant mettre la plus grande distance possible entre le village et elles. Leur camp pour la nuit se dressait derrière les arbres. De petites cabanes toutes reliées les unes aux autres par de petits préaux.

– On va passer la nuit ici et commencer la cérémonie. Demain on partira à l’aube pour rejoindre le camp. 

Lia descendit de sa monture et laissa glisser le sac qu’elle transportait. La tapisserie dépassait du haut du sac.

– Chacune une maison, on se retrouve dans une heure.

Les filles prirent les affaires sur les chevaux qu’elles confièrent à Lia. Les sacs chargés étaient transportés dans la cabane d’Eulalie qui semblait être à l’abandon. Le toit comportait un trou et on pouvait voir la mousse recouvrir les murs extérieurs. 

Un cheval s’ébroua.

Il faut partir ce soir. Il ne faut pas rester ici.

La voix tonna dans l’esprit d’Eulalie ce qui lui arracha une grimace.

Tu sais bien que c’est dangereux alors pars.

– Tout va bien ?

Lia avait fini d’attacher les chevaux. Elle transportait des seaux rouillés remplis d’eau. 

– C’est le serpent, il est revenu.

Lia soupira. Elle distribua un sceau qu’elle posa devant chacune de leur monture.

– Ca ne s’est jamais arrêté ?

Eulalie confirma par un signe de tête. Elle s’approcha de sa monture qui hennit. Ses naseaux s’ouvraient pleinement avec sa respiration qui s’accélérée. Le cheval semblait s’agiter, évitant la main que lui tendait Eulalie. Il se cabra soudainement. Eulalie recula tandis que Lia se précipita pour le calmer.

– Doucement mon grand, doucement.

Le cheval s’apaisa sous ses paroles. 

 

Tout le monde s’affairait sauf Eulalie. Elle semblait déboussolée, errant lentement entre les cabanes depuis leur arrivée. Elle observait les arbres qui s’étaient élargies depuis son départ, les fleurs qui s’étaient répandues grâce aux graines semées.

– Tu ne viens pas Eulalie ?

La voix la sortit de son état Lalya s’était approchée d’elle. Elle posa le sac au sol devant Eulalie.

– Tout va bien ?

– Ca faisait longtemps que je n’étais pas venue.

Lalya lui répondit par un sourir compatissant.

– Tu sais ça n’a pas beaucoup changer depuis que tu es partie.

Étant la cadette du groupe Lalya n’avait pas connu la vie avant l’Incident, mais elle en avait forcément étudié des passages lors de sa formation. Cela comprenait aussi l’histoire d’Eulalie, connue dans toute leur communauté.

– J’ai vu la tapisserie que tu as commencée. 

Eulalie acquiesça.

– C’est pour remplacer l’ancienne ?

Elle ne répondit pas, se contentant simplement de la regarder.

– Pardon je n’aurais peut-être pas dû…

– Ce n’est rien.

Elle soupira doucement.

– Je l’amènerai à ma soeur quand nous serons arrivées au camp. Elle se chargera de la mettre en fonctionnement. 

Lia leur fit un signe de la main au loin. 

– Je crois que c’est le moment de commencer.

Lalya lui attrapa la main et elles coururent jusqu’à la maison d’Eulalie.

La porte ouverte laissée s’échapper une douce chaleur d’un feu déjà allumé.

– Tout est prêt ?

Lia ferma la porte derrière elles.

– Oui.

Sur le feu, le chaudron d’Eulalie prenait place. On pouvait entendre bouillir le breuvage à l’intérieur. Une légère odeur de plantes se dégageait dans toute la cabane. Le vent soufflait doucement contre les volets de la maison.

Les deux autres filles étaient assises à même le sol, en cercle. Elles ne parlaient plus, observant Eulalie comme si elles attendaient un ordre de sa part.

Lia pose un ouvrage devant elle, sur la tapisserie d’Eulalie qui recouvrait le sol. Eulalie connaissait parfaitement ce manuscrit, il servait depuis plusieurs générations. Elle en avait même fait sa spécialité lors de ses études. 

Le livre s’ouvrit sur deux pages totalement vierges. La reliure craqua doucement sous les doigts de Lia. 

– Il est temps de commencer.

Lia se mit à fredonner un chant, le chant de protection. Les filles la rejoignirent au fur et à mesure. Bientôt, le chant résonnait dans toute la pièce. 

Des caractères apparurent sur le manuscrit, puis des mots, puis des phrases entières. La langue utilisée leur prendrait plusieurs heures à déchiffrer mais ça en valait la peine. 

Le choeur continuait, chantant de plus en plus fort, comme si elles puisaient leur force dans la présence de leurs soeurs. 

Un voile épais, s’extirpant du chaudron, recouvrait la pièce. Il rendait difficile de voir à plus de vingt centimètres.

Le vent frappait de plus en plus fort contre les fenêtres, signe que la forêt les rejoignait aussi. Le silence fut rompu par les chevaux qui s’ébrouaient, puis par des voix et des bruits de pas. 

Ils arrivent.

La cérémonie n’était pas encore finie. 

– Retrouvez-là !

Les voix se faisaient de plus en plus proches. 

Eulalie ne pouvait pas interrompre le rituel, cela risquerait de tuer Lia, plongée trop profondément dans ses incantations. Il ne restait plus qu’une solution.

Elle prit le livre des mains de Lia et l’ouvrit à la première page. 

– Elles sont là Abbé !

Elle se mit à chanter un deuxième chant par dessus celui de ses soeurs. Elle devait réussir.

Une odeur de bois brulé se répandait dans la pièce, très vite suivi par une fumée épaisse et noire.

La pièce devenait floue pour Eulalie. Les objets semblaient trembler autour d’elle. Elle pouvait tout de même apercevoir un fin rayon de lumière colorée qui les recouvrait. 

L’air devenait difficilement respirable, mais ni Lia, ni Lalya ne semblaient s’en rendre compte. Elles restaient plongées dans leur incantation, un chant se répétant sans fin. 

Eulalie continuait seule. La lumière devenait de plus en plus forte jusqu’à l’éblouir totalement. Elle essaya de se lever mais retomba immédiatement au sol, impuissante.

 

– Abbé ! C’est quoi cette lumière ?

Ils étaient éblouie par une lumière violette venant de l’intérieur de la cabane. 

L’abbé Jean se tenait devant la maison. 

– Le nouvel Incident.

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