La foule était littéralement en délire. Enfant, adolescents, jeunes, parents ou plus vieux, une douce folie s’était emparée de tout à chacun. Le Haut Guerrikagué de Nonruoc apparu en haut sur le balcon du temple, face à la foule. On devinait derrière lui les silhouettes des sept autres ombres Guerrières, ainsi que celle de du Maître des Chapitres de la bourgade, le commandant de tous·tes les Guerrier·e·s de la ville.
A'arutobi A'aruocagué, le Haut Guerrikagué avait revêtu sa longue cape argentée et jaune électrique, incarnation vivante d’A’aducio, Dieu du Courage et patriarche du panthéon Guerrier. De nombreuses rides marquaient son large front mais personne dans l’assemblée n’aurais osé remettre en cause son rôle de leader religieux. Lorsque le huitième et dernier tintement de cloche retenti, il ouvrit ses deux bras d’une manière très théâtrale et attendit que silence se fasse. Ce qui n’arriva qu’au bout de quelques minutes, tant l’évènement était attendu. Tous les soldat·e·s, peu importe leur rang, se mirent au garde à vous, présentant leurs armes, bombant leurs torses, prêt·e·s à écouter les saintes paroles du Guerrikagué. Au même moment, un serviteur allumait un brasero au pied du balcon, face à la foule.
- Mes cher·e·s ami·e·s, c’est un plaisir de vous retrouver en cette belle journée de Fongprü. Je suis très fier du chemin parcouru par chacune et chacun d’entre vous durant l’année qui vient de s’écouler. Je suis également ravi de voir que nombre d’entre vous ont fait des kilomètres afin d’être ici aujourd’hui et je vous en remercie.
Sa voix chevrotante se tut quelques secondes, ayant déjà la gorge toute sèche après ces quelques paroles. Un servant, l’ayant remarqué, vint lui apporter un broc d’eau pour qu’il puisse se désaltérer. Il but une longue gorgée et enchaina directement :
- Bien, je vais maintenant demander aux plus jeunes d’entre vous de bien vouloir s’avancer s’il vous plait.
À ces mots, quatre bataillons hauts comme trois pommes firent précisément dix pas en direction du locuteur. Contrairement à leurs ainé·e·s, iels n’avaient qu’un simple pagne blanc et or à la place des armures traditionnelles ainsi qu’un bâton de bois à la taille. Mais tout cela allait changer en ce jour de Fongprü. En effet, iels allaient d’ici une poignée de secondes, être reconnu·e·s comme aspirant·e·s Guerrier·e·s.
- Présenteezz aaarmees rugit A'aschaif Letipak, le Maître du Chapitre de Nonruoc. Cet ordre fut suivi par le mouvement de quatre cent paires de mains présentant leurs bâtons de bois à leur supérieur hiérarchique.
La foule s’était bizarrement tue afin d’assister au mieux à ce moment unique dans la vie de tout·e Guerrier·e. Dans ce silence glaçant, sans ordre apparent, un novice s’avançât alors au pied du balcon et fit passer son morceau de bois dans le brasero. Il ne fallut que quelques secondes à peine pour que le bois brûle et révèle une splendide lame d’acier à la place. Notre novice fut rapidement rejoint par ses consœurs et confrères, se mettant les un·e·s derrière les autres afin qu’elleux aussi puissent obtenir leur précieuse lame.
Maintenant en possession d’une vraie épée, iels étaient désormais officiellement en formation pour devenir de fort·e·s et braves Guerrier·e·s. Ce changement de statut était notifié par la transformation de leur « bout de bois ». À partir de maintenant, leurs entrainements ne seraient plus les mêmes et le risque de blessures serait réel ! Une fois que le dernier petit soldat eu passé sa lame dans le brasero et rejoint le rang, le Haut Guerrikagué reprit la parole.
- Bien, maintenant que nous comptons officiellement nos nouvelles recrues dans nos rangs, il est temps de rendre hommage à celleux qui, au contraire, ont fini leur formation et rejoindrons prochainement leurs nouveaux quartiers, dans la caserne Est. Profitez bien de ces deux dernières années ici avant de partir aux confins de notre bel Imperium.
Bien que le soleil fût toujours plus haut et seul dans le ciel bleu azur, l’attention était à son comble et de nouveau le silence s’imposa de lui-même. Comme le voulait la tradition, le Guerrikagué et les sept autres sages allaient maintenant descendre de leur balcon afin d’apposer le sceau Guerrier sur les futur·e·s soldat·e·s. Ces dernier·e·s étant libre de choisir son emplacement. Ce sceau, indélébile car partiellement eigamique, symbolisait leur foi dans les traditions Guerrière et leur dévotion au peuple et à l’Imperium.
Les portes du temple s’ouvrirent en grand quelques secondes plus tard et le groupe de religieux·ses apparu. Tout le monde retenait son souffle, tant iels dégageaient quelque chose de puissant. Seul un petit groupe de mouettes vint rompre le silence avec leurs cris stridents. De grosses gouttes de sueurs perlaient sur le front ridé du prêtre ainsi que sur ceux de ses confrères et consœurs. Tout le monde essayait de les apercevoir, se mettant sur la pointe des pieds ou en escaladant les balcons entourant la place. Instinctivement, tout le monde avait légèrement reculé et un demi-cercle s’était naturellement formé autour du petit groupe. Seul les Compagnies n’avaient pas bougé d’un pouce car l’instant était plus que solennel.
Les huit religieux·ses se placèrent en ligne devant l’entrée du temple. Sans un mot, les deux Chapitres auxquels appartenaient A’artek et A’ałario vinrent se positionner face à eux en opérant une rotation de quarante-cinq degrés. Les dix colonnes des deux Chapitres se transformant en huit colonnes distinctes. Les quatre bataillons des novices étant relégués sur les côtés, deux de chaque. Iels formaient désormais un carré lumineux, le soleil se reflétant sur leurs casques. Toute la promotion mit alors un genou à terre, tout en présentant l’arme qu’iels avaient choisis. Malgré le stress, malgré la chaleur, malgré la pression, pas un·e d’entre eux ne bougeait et c’est comme si cet état de torpeur avait également frappé toute la foule présente derrière.
Un murmure se répandit alors doucement parmi l’assemblée. C’étaient des mots. Des mots prononcés dans un souffle, avec une dévotion toute particulière. « Du Courage, toujours, tu montreras. Ta Fratrie, jamais tu n’abandonneras. Ta Patrie, jamais tu ne trahiras. De Stratèges tu useras. Afin que seule de manière justifiée tu Combattras ».
Un grand fracas retentit soudain !
Tous·tes les autres soldat·e·s sur la place venaient également de mettre un genou à terre. C’était le mantra de leur peuple, les mots qui guidaient leurs actes depuis la nuit des temps. A’artek, I’ideathia, A’ałario et leurs semblables se turent, laissant les autres soldats poursuivre le psaume. Les huit religieux·ses s’avancèrent alors parmi les rangs et commencèrent à bénir les armes choisies tout en apposant le sceau sur les nouveaux·lles soldat·e·s. Le sceau représentait les huit Déesses et Dieux ainsi que l’unité entre A’aducio et I’iancia, ces derniers étant représentés par la même barre.
I’ideathia fut la première de nos trois ami·e·s à recevoir le sceau, apposé sur sa main gauche. Trois rangs plus loin, ce fut au tour d’A’artek et d'A’ałario. Nos deux compères virent la glyphe apparaître sur leurs biceps gauches au moment où chacun de leur prêtre leur souhaitait la bienvenue au sein du 1er Ordre. Les deux compères ressentirent alors une immense fierté. Leur faux et guisarme reçurent également la bénédiction des prêtres. Juste derrière eux, A’avizo et I’iélisa, également membres de la 69ème reçurent un traitement similaire. Les quatre se regardèrent et échangèrent un sourire et un clin d’œil complice. Iels attendirent patiemment genou à terre que les prêtres soient allés au bout de la cohorte avant de se relever comme un seul être. Les chants des autres soldats se turent alors. La foule explosa de nouveau.
L’adoubement de cette génération signifiait que les festivités allaient pouvoir réellement commencer. De nombreux jeux avaient été organisé aux quatre coins de la ville et la soirée allait se terminer en beauté avec le fameux banquet. Les paysans et villageois s’éparpillèrent de parte et d’autre de la place principale ou en direction du marché pour aller s’amuser ou se restaurer. Nos trois amis se réunirent afin de décider de la suite de leur journée.
- Alors ça vous fait quoi d’être officiellement Guerrier ? fit A’artek avec un grand sourire. Prêt à vivre de nouvelles aventures et enfin quitter Nonruoc ?
- Je sais pas répondit son compagnon de toujours, je me sens bien ici poursuivit-il de manière un peu gênée.
- Mais regardez-moi ce gamin se moqua I’ideathia, grand et fort comme un Guerrier mais casanier et peureux comme un enfant toujours dans les jupons de sa mère haha. Heureusement que le départ n’est pas pour tout de suite !
- Riez, riez sourit le plus jeune de la bande, quoi que vous en pensiez cet endroit va me manquer un jour ou l’autre !
- Aller, assez de moqueries comme ça, déclara A’artek, allons chercher une bonne pinte de bière quelque part à l’ombre, je suis en train de cuire dans mon armure !
- Bonne idée ! lui répondit I’ideathia. Si on pouvait trouver le reste de l’escouade pour faire la fête au passage se serait pas mal.
- Ne t’en fait pas pour ça, la 42ème nous a défié et nous ne comptons pas nous défiler !
Sur cette dernière tirade, les deux autres comparses acquiescèrent et après avoir accrochés leurs armes respectives dans leurs dos, se mirent en route pour les abris ombragés du marché où iels pourraient à coup sûr trouver de l’alcool. Le marché était un immense bâtiment couvert mais ouvert des deux côtés qui faisait la jonction entre les casernes Ouest et Est. En temps normal, seules quelques rares échoppes n’étaient pas abritées sous le toit recouvert de tuiles bleues. Mais aujourd’hui n’était pas un jour normal et de nombreuses étales ou carrioles s’étaient étalées sur la place centrale au Nord et sur les aires d’entraînement au Sud, où aurait lieu le banquet par la suite.
Nos amis se mirent à la recherche d’un étale proposant des chopes de bières qu’iels pourraient boire à l’ombre. Iels se frayèrent tant bien que mal un chemin à travers la cohue, évitant un nombre déjà conséquent de paysan·e·s ou commerçant·e·s souls ou ivre mort·e·s. Certain·e·s avaient commencé tôt ! Au passage, iels saluèrent et félicitèrent bon nombre de leurs camarades.
Après de longues minutes d’attente compressés au milieu de la foule, iels trouvèrent de quoi étancher leur soif tout comme - ô miracle – une table et trois sièges libres dans un coin reculé du marché.
- C’est pas trop tôt ! s’exclama A’ałario tout en faisant signe à ses amis de s’asseoir, je meurs de soif !
- Aaprost firent-iels en levant leurs choppes remplies à ras bord de blonde au miel.
À peine avaient-iels trinqué que déjà A’ałario portait sa choppe à ses lèvres et aspirait en une grande gorgée un tiers du délicieux breuvage.
- Aaaah fit-il la lèvre supérieure pleine de mousse blanche, que ça fait du bien ! Les brasseur·se·s de Sroirraw ont encore fait de l’excellent travail cette année ! En espérant qu’on ait des réserves plus importantes que l’année dernière et qu’elles durent de nombreux mois encore s’esclaffa-t-il.
- Pas sûr, rétorqua I’ideathia en jetant un coup d’œil à la ronde. Regarde nos frères et sœurs ainsi que tous les fêtard·e·s qui les entourent. À ce rythme-là, je pense qu’on aura bu tout le stock de bière encore plus vite que l’année dernière ! Alors savoure ta pinte fit-elle en lui faisant un clin d’œil.
- Je crois que tu as raison renchérit son petit ami en poussant un soupir.
- Dommage, déchanta A’ałario en reposant sa bière déjà à moitié vide.
Même à l’ombre, il faisait une chaleur à crever. De nombreuses gouttes de sueurs perlaient sur chacun d’entre elleux.
- Tu voulais pas nous montrer ta guisarme poursuivit A’artek ?
- Bien sûr que si dit-il en la détachant magnétiquement de son dos et en la posant à l’horizontale sur la table devant ses amis.
Ces derniers se penchèrent sur le chef d’œuvre d’A’abaldor et l’admirèrent sous toutes les coutures. Autour d’eux résonnaient de nombreux chants paillards accompagnés par de nombreux instruments ainsi que de danses improvisées, la plupart finissant debout sur les tables. Une ambiance de fête en somme. Malgré la pénombre relative, le couple devinait tout le travail et l’effort qu’A’abaldor avait produit afin de donner vie à cette arme. Iels esquissèrent tous les deux un sourire lorsque les lettres d’or se reflétèrent dans quelques rayons de soleil perdus. La guisarme était vraiment splendide.
- A’abaldor s’est surpassé fit le colosse blond, tu as vraiment de la chance d’avoir cette arme en ta possession ! Elle est magnifique.
- C’est aussi mon avis enchaina sa compagne. Et que dire de notre devise gravée de cette manière ! C’est un travail d’orfèvrerie.
- Et regardez ça fit A’ałario en reprenant délicatement son arme et en l’attachant dans son dos. Son système d’attache est juste exceptionnel. Notre ami avait le sourire jusqu’aux oreilles devant le génie et la qualité du travail de l’ours forgeron.
- C’est impressionnant en effet, je passerai le voir pour lui acheter le même baudrier pour ma faux !
- Tu veux dire ton bout de bois se moqua I’ideathia.
- Je suis tout à fait d’accord avec toi I’ideathia, je m’étais fait la remarque mais je ne voulais pas me prendre un coup de bâton pour rien, explosa de rire A’ałario en buvant une autre lngue gorgée du délicieux breuvage.
A’artek souriait devant les moqueries amicales de ses amis. Sur le fond, iels n’avaient pas tort. Sa faux avait en effet été travaillée et développée de manière à ce qu’on la prenne pour un vulgaire bâton de marche. Il avait fait appel à A'arof Noregrof, un confrère d’A’abaldor pour mettre en pratique son idée. Il fit signe à A’ałario de prendre sa place et se leva, évitant au passage quelques fêtards et serveurs. Son bâton était lui aussi accroché dans son dos mais par un autre mécanisme, beaucoup moins pratique que celui de l’ours.
Il était maintenant debout face à ses camarades, tenant son bout de bois face à lui. Ses amis étaient hilares devant sa dégaine, l’alcool n’y étant pas foncièrement étranger. Iels voyaient un fier Guerrier en tenue d’apparat, n’ayant pour sa défense qu’un vulgaire morceau de bois aussi grand que lui, avec une poignée en son centre et un petit manche à son bout. Ce qu’iels n’avaient cependant pas remarqué, était que son arme était légèrement bombée sur sa partie supérieure. Cela sur une bonne cinquantaine de centimètres en plus. Il tourna légèrement la poignée destinée à accueillir ses mains sur elle-même et sourit devant la stupéfaction de ses amis. Les deux avaient les yeux écarquillés devant ce qui venait de se produire.
- … wahou… alors là chapeau bas A’artek.
- C’est d’une ingéniosité folle renchérit I’ideathia.
- Je savais que mon bout de bois vous laisserai sans voix.
Le fait de tourner la poignée avait en effet activé un mécanisme caché au sein même de l’arête qui faisait sortir le tranchant caché en son sein. A’ałario et I’ideathia pouvait désormais admirer la faux dans toute sa splendeur. Quelques voisin·e·s curieux avaient également tourné leurs têtes. Le tranchant argenté luisait dans la pénombre du marché, dévoilant tout le soin qui lui avait été apporté. La devise Guerrière y avait également été gravée sur la partie haute.
- Vraiment magnifique ! J’en suis presque jaloux, même si ma guisarme transpercera plus d’ennemis que ta petite faux à seigle poursuivit A’ałario hilare malgré une pointe d’envie dans la voix.
- On verra bien, on en reparlera dans quelques années ! Et toi I’ideathia ? Tu ne nous as toujours pas dis et encore moins montré quelle arme tu avais choisie ?
- Par ce que vous étiez tous les deux beaucoup trop occupés à vous pavanez avec les vôtres et que vous avez complètement oublié de me demander ! Mais sans rancune fit elle les yeux pleins de malice. Tu me déçois quand même un peu, ça fait deux jours que je la porte et tu n’as rien remarqué !
- Comment ça ? Si tu portais ton arme secondaire je pense bien, enfin j’espère, que je l’aurais remarqué !
- Pas si sûr que ça. Elle leur fit un grand sourire, souleva ses cheveux ambrés et dévoila une petite hache double attachée dans son dos, comme les armes de ses camarades. Pour ta défense, j’ai fait en sorte de pouvoir la cacher avec mes cheveux lorsqu’ils sont détachés. Mais je pensais pas que cela marcherait à ce point !
- Je n’y ai vu que du feu, bien jouée ma chérie. Où l’as-tu fait forger ?
- Sacrément bien camouflée c’est sûr enchaina A’ałario en finissant sa pinte et en la reposant d’un geste brutal sur la table
- Je suis aussi allé voir A’abaldor, comme A’ałario.
- Copieuse haha, disons que tu as très bon goût ! Bon, c’est pas tout ça, mais si on se mettait en route pour faire quelques jeux et voir la mêlée générale avant que tout ne soit fini ?
- J’suis partante histoire de vous humilier un peu
- Moi aussi, j’ai une épreuve à gagner !
- Laquelle, celui qui fauche un carré de seigle le plus vite ? T’es pas sûr de gagner face aux paysans du coin attention hein s’esclaffa A’ałario
- Moque-toi tant que tu le peux encore mais je compte bien remporter l’épreuve d’adresse au tir à l’arc !
- Bien, alors mettons-nous en route avant qu’elle ne débute, qu’on ait le temps de faire un petit tour quand même
Sur ce, A’ałario et I’ideathia se levèrent, tous·tes réajustèrent leurs armes dans leurs dos et iels se mirent en route à la file indienne. Il ne va pas sans dire qu’A’artek avait soigneusement replié la lame de sa faux afin d’éviter tout accident inutile. Le chemin pour s’extraire des fins fonds du marché fut aussi périlleux que pour y entrer. Nos ami·e·s devaient éviter une foule de personnes de plus en plus dense et de moins en moins sobre. Ce ne fut pas chose aisée. Iels reçurent de nombreuses éclaboussures de bières et de toutes sortes d’autres liquides divers et variés. Un camarade de la 28ème tomba littéralement sur A’artek après un saut d’une des tables en conclusion d’une des chansons. A’artek le laissa repartir après s’être assuré qu’il allait bien.
Il était à peine une heure et demie de l’après-midi, la journée et surtout la soirée promettaient d’être longues. Après de longues minutes à se frayer un chemin dans le marché, iels arrivèrent enfin à l’air libre, sur la place principale. Elle s’était un peu vidée car la foule s’était dispersée aux quatre coins de la ville afin de participer aux différents jeux et activités mis en place. Nos amis se dirigèrent vers le stand de tir à l’arc afin de mettre leurs compétences en exergue. Des cibles avaient été disposées près de la caserne Est et chacun pouvait participer, soldat·e ou non.
Une petite estrade avait été monté entre temps le long du pas de tir afin de permettre aux badauds d’assister au spectacle. La catégorie reine était les volées à quatre-vingt mètres. Chaque participant avait huit flèches pour faire le maximum de points. Tout le monde était fasciné par l’adresse des archers qui arrivaient à mettre en plein dans la mille à cette distance. Pendant qu’A’artek se mettait dans la queue et attendait patiemment son tour, A’ałario et I’ideathia allèrent s’assoir au niveau des cibles. Le soleil rayonnait toujours autant dans le grand ciel bleu et la vue se troublait au-delà d’une dizaine de mètres à cause de la chaleur[1]. La tâche allait être ardue pour les archers.
- Tu penses qu’il va y arriver avec tous ces mirages ? C’est limite si tu vois pas ta cible s’en aller avec cette chaleur
- Faut voir ce que font les autres aussi, ce sont les mêmes conditions pour tous·tes. Tiens regarde, c’est au tour d’A'arit.
A'arit Rehcra était un de leurs camarades de promotion. Au fil des années, il avait acquis la réputation d’être l’un des meilleurs archers du Chapitre. Il venait de se positionner devant la ligne, à quatre-vingt mètres exactement de sa cible. Il banda son arc et tous les spectateur·ice·s retinrent leurs souffles. Le temps était comme suspendu. On entendait plus que de lointains chants provenant du marché.
A’ałario et I’ideathia froncèrent les sourcils, ce n’était pas normal qu’A’arit prenne autant de temps pour tirer une flèche. Il devait rencontrer des difficultés à viser malgré l’absence de vent. Quelques secondes s’écoulèrent encore avant qu’enfin il ne relâche son index et son majeur de la corde et que la flèche parte telle une furie. Elle vint terminer sa course en bas à droite de la cible, dans le quatrième cercle. Pas mal du tout au vu des conditions mais bien en deçà de ses capacités. La seconde flèche ne tarda pas et vint rectifier le tir en se plantant un centimètre plus à gauche en diagonale, dans le troisième cercle. L’atmosphère se détendit un peu. Les six flèches restantes vinrent toutes se frayer une place entre le premier et cinquième cercle.
De nombreux admirateurs et surtout admiratrices se levèrent en applaudissant afin de saluer la performance. A’arit s’épongea le front tout en sueur, salua ses fans et alla s’assoir dans le carré prévu pour les archers étant sur le podium. Avec ses soixante-trois points, il venait naturellement de prendre la tête du concours.
Quelques candidat·e·s se présentèrent encore avant qu’enfin n’arrive A’artek. Comme les autres candidat·e·s, il prit un arc et huit flèches et se positionna face à la cible. Il fut surpris du peu de vision qu’il avait de la cible. Cette dernière donnait l’impression de se mouvoir en permanence et demandait donc beaucoup de concentration pour la viser. Il sorti sa première flèche et l’encocha. Comme A’arit et les autres concurrent·e·s, il mit beaucoup de temps avant de finalement relâcher la pression sur la corde de son arc.
Un murmure de panique souffla dans les travées des gradins lorsque tout le vit où la flèche avait fini sa course : dans le coin inférieur droit, ne marquant que trois points. Une seconde flèche vint instantanément corriger le tir et se planter dans le second cercle, légèrement à droite, marquant huit points. Les spectateurs parurent rassurés. Le reste de la volée fut très constante, A’artek marquant, sept, dix, neuf, neuf et huit points. L’attention était à son comble au moment de tirer sa dernière flèche. Il avait en effet la possibilité de battre A’arit au bout de sa corde. Une fois de plus, un silence total se fit entendre. On pouvait presque entendre le pouls d’A’artek battre dans sa poitrine. Le soleil était toujours à son zénith et il était difficile de tirer dans ces conditions.
La flèche s’élança et vint se planter en haut à droite du 3ème cercle : sept points. A’artek eu une moue déçue. Il venait de décrocher la seconde place, deux minuscules points derrière A’arit. De son côté, Rehcra venait de pousser un soupir de soulagement, tant l’écart était minime. Une clameur montait des gradins pour saluer sa performance et sa victoire. A’artek vint le rejoindre au niveau du podium :
- Bien joué A’arit, sacrée performance au vu des conditions, j’ai les mains encore toutes moites
- Merci, félicitation à toi aussi, j’avoue que j’ai vraiment eu peur sur ta dernière flèche. C’est pas passé loin en tout cas.
- C’est sûr, mais bon, que veux-tu faire face au meilleur archer de notre promotion.
- C’est vrai que j’avais un peu une position à défendre fit-il en souriant gentiment.
La cérémonie de remise des prix fut brève tant elle était symbolique. I’ideathia et A’ałario vinrent rejoindre leur ami.
- Et bien c’était moins une ! T’es vraiment passé à deux doigts – c’est le cas de le dire – de remporter la compétition cette année.
- Je suis fière de toi en tout cas !
Avant de se diriger vers le banquet érigé sur les terrains d’entraînement et de jeter un œil au match de yellovayam au passage, iels avaient une dernière chose à faire, à savoir officialiser l’héraldique de leur groupe. En effet, toute l’organisation militaire de l’Imperium reposait sur son unité la plus petite, à savoir une escouade.
Une escouade était composée de dix soldat·e·s, dont un·e sergent·e. Idéalement, une escouade restait la même tout le long de la carrière de ses membres. Les seules exceptions notables étant les rares changement d’Ordre ou alors la mort de l’un·e d’entre elleux. Une vraie famille au sein des autres troupes. Afin de se différencier des autres escouades au sein d’une Compagnie, notamment au combat ou lors de parades, chaque escouade se choisissait un emblème propre pour se représenter. Il se trouvait sur les flammes d’escouades, tout comme sur leurs tenues, dans des matières diverses et variées au grès des goûts et envies.
La 69ème avait depuis longtemps déjà une idée du leur. Cela faisait quelques mois maintenant qu’iels y avaient réfléchi et s’étaient mis d’accord sur un design très sobre, mêlant leurs origines et leur art. Le haut de leur emblème reprenait la forme du sceau qui venait de leur être apposé, à savoir les sept barres de leur panthéon, symbolisant leur attachement à leurs Déesses et Dieux. Le bas, quant à lui, était composé de deux fentes, qui additionnées au sceau formaient le visage d’un Guerrier casqué, expliquant de manière claire à n’importe qui la faction à laquelle iels appartenaient.
I’ideathia, A’artek et A’ałario furent les dernier·e·s de leur escouade à se présenter au bureau des cadastres à côté de la caserne Ouest. Les sept autres membres de leur escouade, qui les attendaient sous un chêne à côté, se retournèrent à leur arrivée. Nos trois ami·e·s était légèrement en retard sur l’horaire prévu. A'aran, leur sergent et ami, avait eu la bonne idée de se retrouver avant le gros des festivités vers 14h afin que chacun·e puisse ensuite vaquer à ses occupations comme iel le souhaitait, sans avoir à remuer Nonruoc dans tous les sens pour trouver tous les membres de cette petite mais sympathique famille. Il fallait tout de même être franc, vaquer à leurs occupations en ce jour de Fongprü signifiait notamment se pinter la gueule ensemble tout en mettant une raclée à la 42ème…
Un chouette programme en somme.
C’est pour cette raison qu’aucun·e d’entre elleux ne fit de remarque à leur arrivée. Au contraire, iels affichaient de grands sourires sur leurs lèvres et I'irène avait même une pinte à moitié vide à la main. Après de brèves accolades et les félicitations de rigueurs pour celleux qui ne s’étaient pas encore revu·e·s depuis la cérémonie, la mauvaise troupe parcourue les quelques mètres qui les séparaient du bureau.
L’après-midi était désormais bien entamé mais le soleil ne semblait pas vouloir se mouvoir dans le ciel. Il faisait toujours une chaleur à crever. Le bureau en question était une simple table en bois posée sur des tréteaux où deux anciens attendais les propositions de la relève. Ils étaient bien seuls et essayaient tant bien que mal de s’éventer. A’aran prit la parole :
- Bonjour à vous nobles anciens ! Sergent Morau de et avec la 69ème au complet. Nous venons vous soumettre notre emblème.
- Qu’I’iridia vous salut camarades ! Avant toute chose, nous avons besoin de confirmer la composition de votre escouade dit l’ancien A’atasse Chatten. Ensuite vous pourrez nous montrer votre emblème.
- Je comprends parfaitement. Je suis le sergent A’aran Morau. Mon escouade se compose des Guerrières I'ilena Valeto, I'ilène Gone, I'ideathia Todestochter, I'irène Adeo et I'iélisa Baylle. Il laissa la plume rattraper sa parole avant de poursuivre. Ainsi que des Guerriers A'avizo Otreum, A'artek Ta'apfer, A'alban Deade et A'ałario Wojownik.
- De la 69ème du coup ?
- C’est cela Messire. La 69ème Escouade de la 6ème Compagnie du 1er Chapitre de Nonruoc pour être exact.
- Merci bien Sergent enchaina l’ancien A’alex Chado. Maintenant que les formalités sont terminées, nous sommes toute ouïe[2], vous pouvez nous présenter votre proposition.
A’aran fit un pas de plus en avant, tout en sortant de sa poche un morceau de tissu soigneusement plié, représentant leur héraldique. Le reste de l’escouade était stoïque, retenant son souffle.
- La voici fit-il solennellement
Chatten se saisit du textile et le déplia. Ils le regardèrent de manière attentive puis échangèrent un regard avant d’émettre leur jugement.
- J’aime beaucoup votre créativité ! Nous validons votre choix et confirmons par la même occasion l’accession de la 69ème Escouade au 1er Ordre Guerrier.
Pendant une fraction de seconde, une intense jubilation se fit sentir au sein du groupe. Quiconque aurait observé les dix paires d’yeux de plus près aurait pu apercevoir des flammes d’excitation et d’impatience en leur centre. Iels gardèrent malgré tout un calme calculé tandis que Chado reprenait la parole :
- Avant que vous ne puissiez disposer et profiter du reste de la fête nous allons vous demander encore quelques minutes de votre temps et de votre attention. En effet, nous avons un message pour vous.
- Comme vous le savez, enchaina son compère, vous auriez dû poursuivre votre formation dès la semaine prochaine. Cependant, suite au désistement imprévu de la 59ème, c’est votre escouade qui a été choisie pour reprendre leur mission.
En voilà une nouvelle inattendue ! Les dix frères et sœurs d’armes avaient de plus en plus de mal à se contenir. En temps normal, iels auraient dû attendre encore une voire deux années avant d’effectuer leur première mission en dehors de Nonruoc. Voilà qui changeait complètement la donne.
- Vous êtes donc exempté·e·s de cours pendant toute la durée de l’opération. Vous devrez vous rendre à Egalliv leur apporter nos présents en guise de remerciement des vivres qu’iels nous ont envoyé comme participation et gage d’amitié aujourd’hui.
- Voici en prime une missive – ainsi qu’un laisser-passer – que vous transmettrez au bourgmestre. Le voyage dure 2 semaines aller-retour et vous serez libre de passer autant de temps que vous jugerez nécessaire sur place pour accomplir votre mission.
Il tendit la missive à A’aran, qui la glissa dans un étui de la même taille attaché à sa ceinture.
- Maintenant que tous les détails sont réglés, avez-vous des questions ? Si non, vous êtes libres de retourner vous amuser et de profiter de votre soirée.
Aucun·e membre de l’escouade ne fit de remarque ou ne broncha. Dans le doute, A’aran attendit encore quelques secondes avant de prendre la parole.
- Nous vous remercions sincèrement nobles anciens. Nous accomplirons notre mission avec dévouement et partirons après-demain à l’aube. Vous pouvez compter sur la 69ème !
Après avoir remercié une fois de plus leurs anciens, le groupe prit enfin la direction des terrains d’entraînement. Iels avaient beau être à l’autre bout de Nonruoc, iels pouvaient tout de même entendre les mélodies endiablées que les diverses fanfares entonnaient afin de mettre l’ambiance. En chemin, iels virent nombre de leurs frères et sœurs d’armes assis·e·s dans l’herbe sèche, en cercle buvant dans d’énormes choppes et fêtant leur promotion. Un bonheur et un sentiment de légèreté se faisait ressentir. Un sentiment somme tout très agréable. Juste avant de replonger dans les tumultes de la foules, A’aran se retourna vers sa troupe et leur fit un signe de la tête. Iels se mirent instinctivement en cercle afin d’écouter ce qu’il avait à leur dire.
- Je vous embête deux minutes tant qu’on peut s’entendre et que vous êtes sobres fit-il en leur faisant un clin d’œil. Je vous propose rendez-vous demain après-midi vers 15h aux écuries pour vérifier le chariot et les vivres. Vous avez la journée pour faire vos affaires. Départ après-demain aux aurores, sans faute, avec regard appuyé vers A’avizo, dont la réputation de soudard était légendaire.
Le concerné fit comme s’il n’avait pas entendu, un sourire jusqu’aux oreilles. Le reste du groupe hocha simplement la tête. Le sergent Morau était apprécié par tous·tes et son bon sens également. Personne n’y trouva rien à redire.
À la limite de courir tant iels avaient envie de faire la fête, iels finirent par atteindre les premières tables du banquet[3]. Au diable le yellovayam, l’heure était à se remplir la panse, le foie et à se défouler avec ses camarades. Un immense feu virevoltait au centre des tables et de nombreux commis s’affairaient autour afin de faire griller cuisses de chevreuil, aubergines, paprika farcis ou côtes de bœufs monumentales. Une fois de plus, de nombreux habitant·e·s dansaient tant bien que mal entre (ou carrément sur) les tables, esquivant avec difficultés les ivrognes, plats ou serveurs.
Au milieu de cette cohue, I’iancia soit louée, iels arrivèrent à trouver leurs complices de méfaits. Le sergent Saufmann de la 63ème leur fit un grand sourire ainsi qu’un geste de la main les invitants à les rejoindre. Iels ne se firent pas prier et la 69ème se scinda afin d’aller boucher les trous sur les bancs occupés par leurs ami·e·s des 63ème, 67ème et 68ème escouades.
Ces quatre équipes, faisant toutes partie de la 6ème Compagnie de Nonruoc, étaient connues pour particulièrement bien s’entendre. Elles avaient été ensemble lors de nombreux exercices d’entraînement au fil des années et une vraie amitié était née. De nombreuses choppes vides ainsi que des cadavres de bouteilles de divers alcools se massaient sur la table. Egalement les restes de ce qui avait dû être un porc encore quelques heures auparavant. Une fois assis·e·s, les membres de la 69ème se firent servir chacun un Maß de bière ambrée de Sroirraw ainsi qu’un steak de bœuf. Iels trinquèrent tous·tes ensemble, profitant des festivités et du brouhaha ambiant.
C’étaient les plus beaux jours de l’année comme on avait l’habitude de dire. Les discussions allant bon train, il aurait été impossible de tenir les comptes des consommations de tous·tes les protagonistes. Les plats ne faisaient qu’aller et venir, se faisant engloutir entre temps. Les bières non plus n’avaient pas le temps de réchauffer dans les verres… Lentement, quelques braseros commençaient à faire leur apparition çà et là, anticipant l’arrivée lente de la nuit.
A’avizo se retrouva entre les cousins Bredele et Bredala, respectivement sergents des 67ème et 68ème escouades.
- Alors comme ça vous allez sécher les cours pendant plusieurs semaines commença le premier ?
- Où est-ce qu’ils vous ont envoyé renchérit le deuxième ?
A’avizo fût prit de court par leurs questions mais comme leur mission n’avait rien de confidentiel, il ne se priva pas de leur livrer les renseignements escomptés.
- Les nouvelles vont vites on dirait ! Comment êtes-vous au courant ?
- Nos petits-doigts nous ont parlé.
- Nous ne sommes pas sergents pour rien héhé.
- Je vois fit le soldat en s’esclaffant. Nous sommes missionné·e·s pour aller à Egalliv. La 59ème ne peut y aller donc c’est notre escouade qui a été chargée de leur mission. Pas trop déçus d’être cloitrés pendant ce temps-là ?
- Que veux-tu qu’on te dise ? Vous allez nous manquer, surtout dans les oppositions. Une victoire offerte c’est toujours bon à prendre nan ?
- C’est ça moquez-vous, on vous ramènera des souvenirs d’Egalliv. Mais bon, si ça peut vous rassurez nous ne partons qu’après-demain. Nous avons donc tout le temps de profiter ensemble ce soir !
Morts de rires tous les trois, ils trinquèrent avec plaisir en se projetant déjà à leurs retrouvailles d’ici quelques semaines. Une demi-seconde plus tard, les regards de leurs frères et sœurs d’arme en face d’eux se durcirent et leurs sourcils se froncèrent. Dans la foulée, une ombre vint obscurcir leurs dos. Ils se retournèrent tous les trois pour observer le nouveau venu, une main discrète sur leurs épées. Ils firent face à un grand roux à la barbe hirsute. Ses avant-bras étaient aussi large que les mollets d’A’avizo. Derrière lui, neuf autre soldat·e·s attendait sagement en formation. Une once de peur passa dans ses yeux. Avant que le roux n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, A’aran se leva sur la gauche d’A’avizo et vint se placer devant l’inconnu. Le reste de la tablée se mit alors à sourire.
- Aaaaaaahhh mon cher Zerof, vous êtes venu·e·s prendre votre branlée ? Je commençais à m’inquiéter et croire que vous vous étiez défilé·e·s.
- Un défi est un défi Morette. Ca fait depuis bien trop de semaines que vous clamez être les plus gros·ses buveurs·ses du Chapitre. Nous sommes venu·e·s rectifier cela.
- Vous entendez ça ? La 42ème relève le défi. Camarades, il est l’heure de faire honneur à notre réputation.
Dans un seul et même mouvement, le reste de la 69ème se leva et se dégagea des bancs pour rejoindre leur sergent. Iels étaient toujours tout sourire. Ce mouvement soudain attira l’œil de certaines des tables environnantes, se demandant ce qu’il se passait.
Bredele et Bredala partirent chercher les armes pour le duel, tandis que la 63ème faisait place sur la table, empilant toutes les assiettes pour les mettre dans un coin de la table et faisant enlever les choppes et bouteilles vides par des intendant·e·s.
Les rivalité entre les Compagnies, qu’elles soient du même Chapitre ou non, étaient assez fréquentes. Il s’agissait d’une manière pour l’Imperium de galvaniser ses troupes en maintenant une concurrence permanente, idéalement saine, entre ses différentes factions. Celle entre la 4ème et la 6ème de Nonruoc était tout particulièrement notable. On ne savait en expliquer la cause exacte mais il en avait toujours été ainsi. Mais bon, mieux valait régler ces conflits d’égo dans un concours de descente de bière – car c’est bien de cela dont il était question ici – que dans une rixe avec de vraies armes létales. Savoir quelle escouade était la plus rapide à boire dix Maß était certes puéril mais cela restait un moyen[4] d’évacuer la pression des derniers mois.
Moins d’une minute fût nécessaire pour que les deux escouades se retrouvent de part et d’autre de la table et que les 63ème, 67ème et 68ème se massent debout autour afin d’encourager les participant·e·s. Dans le même temps, Bredele et Bredala revenaient au loin, fendant la foule à renfort de grands gestes de bras et de cris afin de laisser la place nécessaires aux deux intendant·e·s les suivants, chacun·e portant dix Maß.
Les choppes furent disposées de part et d’autre de la table, en deux rangées de dix. Le but était on ne peut plus simple. Une personne de chaque équipe commençait à boire en même temps. Une fois son récipient terminé, la suivante pouvait commencer à inonder son gosier à son tour et ainsi de suite. La première rangée à terminer ses dix litres gagnait.
Tandis que deux membres de la 63ème faisaient le tour de la table et de celles à proximité immédiate à la recherche de parieur·se·s potentiell·e·s, les deux cousins prirent le lead pour animer le duel.
- Mes sœurs et frères d’armes, avez-vous vu notre consœur Modération ce soir ?
- Il me semble bien en effet cher cousin. Elle est présente en ce moment même à cette table !
- Cela signifie donc que tous·tes les participant·e·s peuvent boire à leur guise cette succulente bière en provenance directe de Sroirraw ?
- C’est bien ce qu’il me semble en effet !
- Parfait ! Bredele fixa les deux sergents : Sergents, êtes-vous prêts ?
Seul deux regards pleins de détermination lui répondirent. Autours des deux escouades, la tension monta aussi vite que le volume sonore baissa. Chaque participant·e attrapa l’anse de sa choppe.
- Dans ce cas, 3… 2…, 1… BUVEZ !
La clameur reprit de plus belle, les encouragements et soutiens fusant dans tous les sens tandis que les sergents Morau et Zerof avalaient leurs premières gorgées du délicieux breuvage. Le dos droit, les yeux dans les yeux, il ne semblait exister rien d’autre pour eux à cet instant précis.
La 44ème venait d’arriver pour soutenir leurs camarades de Compagnie. Certaines des tables avoisinantes perdaient également des membres curieux, qui souhaitaient venir se plonger dans l’atmosphère bouillonnante de cette compétition.
I’ilena se tenait prête à prendre la suite de son sergent, une fois que celui-ci aurait fini. Le niveau de liquide ne cessait de baisser à une vitesse hallucinante dans son verre. Les deux était presque à égalité mais ce fût Morau qui reposa bruyamment le premier son Maß sur la table. Sa seconde leva aussitôt le sien et commença à engloutir ses premiers décilitres d’alcool. Elle eut le temps de boire quelques gorgée avant que Zerof ne pose à son tour son verre et que son camarade prenne la suite.
Un Maß partout, plus que neuf pour départager les deux escouades.
Le second de la 42ème fût plus rapide qu’I’ilena mais il fût bien le seul. I’ideathia et I’ilène réussirent à renverser la vapeur et reprendre la tête. A’alban et A’artek donnèrent quant à eux un Mass d’avance à leur équipe. On sentait la 42ème commencer à faiblir et perdre confiance en elleux. Zerof ne cessait d’hurler afin d’encourager ses ami·e·s. Iels avaient cependant du mal face aux encouragement des autres escouades pour la 69ème, la voix du sergent Saufmann étant particulièrement portante. Un attroupement de plus en plus conséquent était en train de se former. Cela arrangeait bien nos deux compères de la 63ème, qui voyait la demande de paris exploser. Tout le monde se demandait qui allait bien pouvoir l’emporter.
Pendant qu’I’irène buvait, A’ałario ne pût s’empêcher de regarder la foule les entourant. Il analysait et décryptait tous les visages de son environnement proche. Une exaltation globale se faisait ressentir, bien aidé par les litres d’alcool déjà engloutis depuis les premières heures des festivités. Il ne pût s’empêcher de remarquer une jolie fille aux cheveux d’argent, que son épaulette identifiait comme étant de la 111ème, qui lui fit un grand sourire. Sourire qui faillit lui faire manquer son tour et perdre de précieuse secondes à son équipe. Il n’était pas le plus grand ni le plus rapide des buveurs mais il accomplit sa tâche dans un laps de temps assez court pour permettre à I’iélisa de donner un deuxième Maß d’avance à la 69ème.
Ne restait plus alors qu’A’avizo, qui avait volontairement été placé en dernier afin de combler un éventuel retard si besoin. Chose qui ne serait pas nécessaire vu la tournure qu’avait pris la compétition. Ayant tout de même un certain égo, il ne pût s’empêcher de rajouter à lui tout seul un troisième Maß d’avance, celant l’humiliation de la 42ème.
Le peu de personnes encore assises se levèrent en même temps que l’ambiance globale explosait. Les participant·e·s se seraient dans les bras, tout en sautant de partout. Plus rien n’avait de sens, plusieurs soldat·e·s se prirent des douches de bière venant de tous les côtés. Penaude, la 42ème ne se fit pas prier et disparue à l’autre bout du marché sans demander son reste. Ne restèrent que les vainqueur·e·s pour profiter et poursuivre la fête.
Une véritable marée humaine entourait désormais la table du duel. Il était compliqué de savoir dans quelle direction aller afin de quitter ce tourbillon humain. Les chants paillards et beaufs fusaient dans tous les sens. A’artek eu juste le temps de lever les yeux pour voir son sergent porté par une demi-douzaine de personnes. A’aran effectua quelques sauts en l’air avant que ses bourreaux ne le reposent par terre. Il fit une accolade à chaque cousin, les remerciant d’avoir créée une telle ambiance. Puis, d’un commun accord, une nouvelle tournée générale fût décrétée.
Autour d’elleux, l’ambiance restait la même que depuis le milieu d’après-midi. Des nouveaux braseros venaient s’embraser et s’ajouter à ceux déjà présents, plutôt pour la lumière que pour la chaleur. On approchait de la minuit et la chaleur ambiante était toujours aussi étouffante. Les divers chapiteaux regorgeaient de rires et de bonne humeur. Une allégresse des plus grands soirs en soi.
Certains couples, souvent alcoolisés, tentaient de manière infructueuse de quitter le rassemblement discrètement, bras dessus bras dessous. A'ałario observait tout ce petit monde un sourire en coin. Que c’était bon de voir tous ses camarades et leurs familles profiter à ce point de cette chaude nuit de fécho.
Vers une heure du matin A’artek et I’ideathia s’éclipsèrent, laissant A’ałario avec ses camarades dansant sur les tables au son endiablé d’un luth. « Drink Up, There’s More » se nommait la chanson. Notre ami avait beau ne pas être sobre, il était cependant encore assez conscient pour observer ses camarades trinquer à la santé d’I’iridia tout en urinant sous les tables. Sans parler de ceux en train de vomir quelques mètres plus loin.
Il n’arrêtait pas de sourire naïvement face à ce tableau peu commun et peu représentatif du statut de Guerrier. Et aussi à cause de la Guerrière au cheveux argenté avec qui il n’avait cessé d’échanger des regards plus ou moins furtifs au cours de la soirée. Elle était partie après le défi mais avait fini par revenir plus tard, sans engager la conversation. Il ne la connaissait que de vue, étant dans la promotion venant avant la sienne. Elle lui plaisait beaucoup, il devait bien le reconnaitre. Il se promit d’aller lui parler à son retour de mission d’ici quelques semaines.
Après un dernier regard avec elle, il se leva, salua toute la tablée qui ne lui accorda que peu ou pas d’importance, ses occupant·e·s étant quasiment tous ivre mort·e·s. En quelques minutes, il rejoignit la chambre qu’il partageait avec A’artek, priant pour ne pas le trouver en plein ébat avec sa dulcinée. Main sur la poignée, il tendit l’oreille. Tout était silencieux. Il toqua doucement…pas de réponse.
Il enclencha alors la poignée et entra lentement dans leurs quartiers. Vides. Il poussa un soupir de soulagement, ses ami·e·s avaient dû aller chez I’ideathia. En silence, il posa sa guisarme ainsi que son épée à côté de sa paillasse. D’un grand geste, il poussa toutes les affaires qui trainaient sur cette dernière par terre. Il défit sa tunique, ses protège-tibias, son pagne et posa son casque sur sa table de chevet.
Torse nu, il ne put s’empêcher de contempler la marque du sceau toute fraîchement apparue sur son bras gauche. Quelle fierté et surtout quel chemin accompli depuis le jour où il avait été recruté par sa nouvelle famille. Qui l’aurait parié ? pensa-t-il tout en s’allongeant dans son lit. Sa fenêtre ouverte laissait passer quelques rayons de lune ainsi que, finalement, une légère brise plus que bienvenue. On entendait au loin les festivités qui continuaient de battre leur plein malgré l’heure plus qu’avancée. Allongé sur le dos, les yeux fermés, A’ałario savourait cet instant avant de s’endormir. Son serment prononcé quelques heures auparavant le berçait.
« Du Courage, toujours, tu montreras.
Ta Fratrie, jamais tu n’abandonneras.
Ta Patrie, jamais tu ne trahiras.
De Stratèges tu useras. Afin que seule de manière justifiée tu Combattras ».