Chapitre 2 La potion à crêpes

Notes de l’auteur : Voici le second chapitre de cette courte fanfiction feel good. J'en suis moins satisfaite que du premier, parce qu'il est très bref, et qu'il ne rentre peut-être pas assez en profondeur dans le fonctionnement de ce monde hybride sorcier-moldu... N'hésitez pas à me donner votre avis ! :)

Chapitre 2

 La potion à crêpes

 

Léandre était grand pour son âge, maigre comme une lunette d’astronomie. Il monta quand même sur un escabeau pour chercher le « livre de recettes » dans la bibliothèque familiale. Apparemment, c’était une sorte de livre de potion, mais moldu. C’était un meuble magnifique, mince et très haut, jusqu’au plafond où dormaient des centaines de livres aux reliures sobres et élégantes. Léandre redescendit de son perchoir, l’air consciencieux, un énorme livre sous le bras. Rose le suivit sans piper mot jusqu’à la cuisine. Le damier noir et blanc faisait ressortir les meubles de cuisine anciens repeints en gris-rose. Léandre commença à sortir des ustensiles tous plus biscornus et tarabiscotés les uns que les autres, et Rose se jeta sur le livre de recettes dans l’espoir de comprendre cette situation qui lui échappait complètement.

 

Point de quantités exprimées en tasses ou en cuillères, mais d’obscurs grammages et litrages qui laissèrent le pendentif en forme de dragon de Rose proprement horrifié. Elle n’avait aucune idée de ce que « antiadhésive » ou « mélanger » pouvait bien signifier. Elle se sentit envahie par la même impression de mystère qu’un exercice de traduction de latin pouvait lui procurer. Elle jeta un regard désespéré vers la porte, mais du salon lui parvenaient des bribes de conversation ennuyeuses typiques des discussions d’adultes : « le système scolaire anglais s’est totalement recomposé après la dernière guerre civile magique », ou bien « des accords du ministère de la magie ont ouvert la porte à des partenariats entre les internats moldus et l’ancienne équipe de direction de Poudlard. »

 

Les parents de Rose ne cuisinaient jamais. Ils avaient à leur service un elfe de maison dont le salaire était déductible des impôts. Rose l’avait souvent regardé faire, après s’être lavé les mains qu’il avait petites et noueuses, avec de longs ongles vernis, il vérifiait que tous les ingrédients étaient dans la réserve, il sortait un plat à service, se concentrait très fort, puis claquait des doigts et un pudding aux myrtilles apparaissait devant lui. Visiblement, les moldus procédaient autrement. Léandre avait sorti une boîte de farine, une motte de beurre, des œufs, de la bière avec des bulles dedans, et du lait demi-écrémé. Il lança un regard interrogateur à Rose, qui ne bougeait toujours pas, n’osant toucher à rien.

Léandre versa la moitié de la boîte de farine dans un saladier, pris un œuf et le frappa brutalement contre le rebord du récipient. Il se rompit en deux, avec des bords crénelés et couverts d’un liquide visqueux et transparent. Rose prit à son tour un œuf, l’imita, et des morceaux de coquilles tombèrent dans la farine, que Léandre récupéra patiemment avec une cuillère à café. Sept œufs, vingt-cinq coups de fouet et un troupeau de grumeaux plus tard, Léandre sortit une baguette magique. Enfin une grosse baguette magique avec un câble électrique et une prise au bout. Rose se boucha les oreilles lorsqu’il alluma le mixeur à soupe, et le regarda exterminer les grumeaux de leur potion jusqu’au dernier avec admiration.

 

Ce n’était pas fini. De la farine plein les cheveux, et les doigts collants, Rose se vit confier un manche de poêle, pendant que Léandre versait une louche de l’onctueuse mixture sur l’huile chaude. Attiré par l’odeur alléchante de la crêpe sur le feu, Snapdragon pointa son museau à l’air. Cramponnée au manche de la poêle, Rose observait attentivement la transformation qui était à l’œuvre : la pâte se solidifia rapidement, à la manière de la cire chaude tombée d’une bougie et qui fige sur la table. Ensuite, des bulles se formèrent à la surface, puis le bord se racornit comme un coin de parchemin posé trop près d’une flamme. A ce moment précis, Léandre fit un grand geste de main. Rose sursauta, manqua jeter la crêpe par terre, et posa fébrilement la poêle sur le feu. Se balançant au bout de son pendentif, le dragon de Rose foudroya Léandre du regard. Léandre cru même voir de la fumée s’échapper de ses oreilles.

« But why on earth did you do that? s’écria-t-elle, furieuse. »

 

Même s’il n’avait rien compris à sa tirade, Léandre eut l’air désolé. Il saisit le manche de la poêle, refit ce grand geste vers le haut avec assurance, et la crêpe fit une pirouette dans les airs et retomba de l’autre côté. La pâte côté poêle avait blondi et s’était couverte de grain de beauté. Rose se sentit stupide.

« Donne, lui demanda-elle le plus poliment possible. »

 

Léandre lui redonna la poêle, et elle le regarda verser une nouvelle louche de potion à crêpes dessus. Elle attendit qu’une pâte se forme, et que les bords brunis se décollent de la poêle. Elle dessina le même geste que Léandre, et la crêpe dessina une cabriole aérienne avant de retomber gracieusement dans la poêle. Léandre applaudit. Rose sentit une bouffée de fierté lui chauffer les joues. Il lui démangeait de remonter ses chaussettes bigarrées qui lui étaient retombées sur les chevilles dans le feu de l’action. C’était comme le cours de sortilèges, il fallait regarder le professeur remuer sa baguette d’une certaine façon, et reproduire ce mouvement au pouce près. Rose était plutôt douée en sortilèges, mais jamais elle n’aurait imaginé que ça lui servirait pour la cuisine moldue. Snapdragon lui griffa subitement le flanc. Il n’avait pas du tout apprécié les gesticulations de sa propriétaire ; quand on est dans le noir au fond d’une poche, ça vous donne carrément envie de rendre votre petit-déjeuner. Rose ouvrit grand sa poche de robe, et une boule de poil furieuse sauta sur le carrelage en damier. Léandre écarquilla des yeux comme des marmites. Snapdragon sauta sur une chaise, monta sur la table et se mit à bouder à côté du mixeur.

 

 Vingt minutes plus tard, les deux gamins et le rat émergèrent de la cuisine, roses et suants.

« Parfait, nous allons pouvoir goûter. Servez-vous les enfants ! sourit Blandine, avant de se tourner vers Fred. Que me disiez-vous sur l’école de votre nièce, déjà, c’était passionnant !

— Comme vous le savez, les petits sorciers apprennent dès le plus jeune âge à maîtriser la magie, professait Fred. Un enfant qui fait une caprice peut faire des dégâts terribles. J’ai un ancêtre qui a fait sauter le toit comme une bouchon de champagne parce qu’on le refusait une chocogrenouille. Désormais, des cours plus, disons modernes, sont devenus incontournables.

— Comment cela se fait-il ? s’enquit Blandine en roulant une crêpe que Rose avait saupoudrée de sucre, et que Léandre avait arrosée de jus de citron.

— Comme Poudlard a été détruit, et que le guerre civile magique a définitivement montré que garder toute la progéniture du monde des sorciers dans une seul endroit est dangereux, presque tous les directeurs de maisons ont passé des traités avec des internats d’excellence anglais. Depuis les années 2000, les Gryffondors vont à Eton, tandis que les Serdaigles vont à Rugby. Les Serpentards, comme vous le savez, se sont totalement décrédibilisés pendant la dernière guerre civile magique, après ça, leur prise de position anti-moldue, notamment en demandant à créer une école de sorcellerie sur le principe de Poudlard, interdite aux nés-moldus, a achevé de les faire dégringoler tout en bas. Presque toutes les familles Serpentards ont émigré à l’étranger. Cela a permis à Poufsouffle de faire sa place. C’était le parent pauvre de Poudlard, parce que Helga Poufsouffle, la fondatrice ancestrale de la maison, était avant-gardiste ! Accueillir tout le monde, et promouvoir des valeurs beaucoup plus pro-sociales : la loyauté, le respect, le travail, &c., c’était la futur ! »

 

 

Léandre avait sorti son jeu préféré, un jeu de société coopératif où il ne faut pas parler. Il était très patient, et attendait que Rose comprenne où elle devait mettre son pion, quelle carte elle devait piocher, et quand retourner le sablier. De temps à autres, Snapdragon essayait de grignoter la tête d’un des malheureux pions. Rose finit par lui céder sa crêpe pour qu’il leur fiche la paix.

 

« Est-ce que les sorciers anglais sont toujours répartis dans les quatre — aujourd’hui trois maisons ?

— On le fait encore, mais par nostalgie, c’est l’occasion d’inviter la famille et de faire ensemble le test sur internet. C’est un très beau invention, internet !

— Oui, c’est vrai. Vous seriez dans quelle maison, vous ?

— Je ne sais pas, mes parents sont contre le test. Ils pensent que ça créé des comparaisons stupides. Mon frère est conseiller d’orientation magique, il prend tout ça trop à cœur. Au lieu de ranger les enfants dans des boîtes alors qu’ils vont encore tellement changer, on leur demande ce qu’ils veulent faire plus tard, on leur parle des métiers magiques possibles…

— Ah oui, ça a complètement changé. Votre frère a déjà décidé où ira votre nièce à la rentrée ?

— Dans un internat en périphérie de Londres. Ils ont beaucoup de terrain, et il y a plein d’activités artistiques possibles. Rose aime beaucoup lire, peut-être voudra-t-elle devenir actrice de cinéma en 5D ou créatrice de décors de théâtre enchantés. L’ouverture avec le monde des moldus a ouverts des milliers de possibilités. »

 

Dans leur dos, le son inattendu d’applaudissements enthousiastes retentit. Ils se retournèrent. Sans émettre le moindre son, Rose et Léandre montrèrent fièrement du doigt le plateau de jeu où tous les pions sautillaient de joie sur la case d’arrivée.

« Au moins, ils ont trouvé facilement comment se comprendre tous les deux, commenta Fred.

— Pour le français, ne vous inquiétez pas, votre nièce va bien progresser le temps de son séjour linguistique chez nous ; mon mari est intarissable et il parle largement pour deux. »

Fred et Violet eurent un petit rire de connivence.

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