Chapitre 2 : `LA soirée

Notes de l’auteur : N’hésitez pas à exposer vos critiques. Cela m’aiderais beaucoup à m'améliorer. Mercii

Aujourd’hui, nous étions mercredi, et ce soir se tenait la soirée caritative annuelle du club.

C’était l’événement de l’année. Celui que tout le monde attendait ou redoutait. Une soirée grandiose, destinée à réunir les plus riches habitués du club autour d’un buffet raffiné, d’une piste de danse, et surtout… de donations bien visibles.

Tout le personnel était sur le pont. Même moi, qui avais l’habitude du stress, je sentais la tension dans l’air. On avait engagé du renfort pour l’occasion : des extras pour le service, des fleuristes pour les centres de table, une équipe technique pour la lumière et le son. Il fallait tout penser dans les moindres détails.

Je faisais partie de l’équipe chargée de la mise en place de la salle.

Le plan de table avait été imprimé au petit matin. Il fallait que tout soit parfait : les nappes impeccables, les couverts alignés, les bouquets bien centrés. La salle de réception était magnifique. Sobriété et élégance. De longues nappes blanches retombaient jusqu’au sol. Sur chaque table ronde, un vase de lys blancs trônait au milieu, entouré de bougies crème dans de petits photophores en verre givré.

Les tables étaient disposées en ovale, laissant une large ouverture au centre : la piste de danse, juste en face de l’estrade. Là où, plus tard dans la soirée, le directeur du club prononcerait son discours, et où certains clients prendraient la parole pour faire briller leur générosité… ou leur égo.

Tout le monde courait dans tous les sens, mais moi, je gardais la tête froide. Je m’appliquais. J’avais l’impression que ce soir serait… différent. Et quelque part au fond de moi, je me demandais si elle viendrait.

Le club était en ébullition. Entre les derniers préparatifs dans la salle de réception et les allées et venues des clients, on aurait cru que le monde entier s’était donné rendez-vous ici. Je venais de finir de placer les cartes-noms sur la table centrale quand je quittai la salle pour aller chercher un stock de serviettes dans la buanderie. En traversant le couloir principal, je les aperçus.

 

Monsieur et Madame Spencer.

Ils descendaient les marches du grand escalier en bois, chacun vêtu d’une tenue de sport élégante. Lui, polo blanc et short marine, sac de squash à l’épaule. Elle, dans une combinaison cintrée couleur crème, les cheveux attachés en une queue basse impeccable.

Quand ils arrivèrent à ma hauteur, il me salua poliment d’un hochement de tête :

— Bonjour Lexie.

Je répondis avec un sourire professionnel.

— Bonjour Monsieur Spencer, Madame.

Son regard glissa sur moi, un sourire court, plus léger qu’au salon. Comme un éclat involontaire.

Ils passèrent. Je repris ma marche. Puis je sentis cette brûlure fine, cette sensation d’être suivie du regard.

Je me retournai. Elle s’était arrêtée. Nos yeux s’accrochèrent. Pas de sourire. Juste un silence lourd d’air tiède. Son regard me parcourait sans me scruter. Souple. Lent. Comme une caresse qu’on ne fait pas mais qu’on laisse deviner.

Je sentis mon ventre se serrer. Pas de désir pur. Plutôt un appel confus, quelque chose de tiède et profond. Comme la promesse d’un refuge ou d’une chute.

Elle tourna simplement la tête et rejoignit son mari. Je restai figée, le souffle un peu court.

Plus tard, en pliant des serviettes, je sentais encore son regard. Pas une image précise. Plutôt une chaleur diffuse, tenace. Un endroit en moi qu’elle avait effleuré sans même le toucher.

La salle vibrait sous le murmure des conversations feutrées, le tintement des couverts, les éclats discrets des rires bien placés. Au centre, les tables dressées en ovale encadraient une piste de danse encore vide. Le parfum des lys se mêlait à celui du champagne.

Je circulais entre les invités, le plateau en équilibre sur la paume, jusqu’à l’instant où je l’aperçus.

Madame Spencer. Seule, appuyée contre le bar, légèrement en retrait du tumulte. Son mari était absorbé par une discussion animée, entouré d’hommes en costume. Elle, au contraire, semblait ailleurs hors du cadre, hors du bruit.

Je m’approchai avec discrétion.

— Madame Spencer, puis-je vous proposer quelque chose ?

Elle tourna les yeux vers moi, lentement. Sa présence, même silencieuse, était enveloppante.

— Un verre de champagne, Lexie. Merci.

Je lui tendis une flûte. Elle l’accepta sans un mot, leva légèrement son verre, comme dans un toast silencieux, et but une gorgée. Le mouvement était fluide, maîtrisé, presque cérémonial.

— Vous savez, dit-elle doucement, parfois je me demande ce que vous voyez vraiment, derrière tout ça. Ce genre de soirée… est-ce que vous y croyez ? Ou est-ce que vous observez tout ça comme une pièce de théâtre ?

Son regard ne me quittait pas. Je ne savais pas si elle attendait une réponse précise ou simplement une réaction.

— Je regarde, répondis-je après un silence. J’observe beaucoup. Peut-être pour comprendre.

Elle inclina légèrement la tête, l’air presque amusé.

— Et est-ce que vous arrivez à comprendre les gens ? Ce qu’ils montrent… ou ce qu’ils évitent de montrer ?

Je sentis une tension étrange dans ma gorge.

— J’essaie. Parfois. Mais je crois qu’il faut surtout apprendre à les écouter. Même quand ils ne parlent pas.

Un silence, cette fois plus dense. Elle me fixa un instant, puis dit, presque à voix basse :

— Il y a peu de gens qui savent vraiment regarder, Lexie. Et encore moins qui savent supporter d’être vus. Vous pourriez en faire partie.

Elle termina sa coupe dans un geste tranquille, la posa doucement sur le bar, puis se détourna, sa robe effleurant le sol.

Je la suivis du regard. Elle traversa la salle, passa entre les tables comme portée par la musique, jusqu’à rejoindre la piste où une valse lente venait de commencer. Elle se mit à danser, seule d’abord, comme par jeu, avant qu’un invité l’invite poliment. Elle accepta, mais c’était elle qui menait, malgré tout. Je ne bougeais pas. Je la regardais tourner sous les lumières. Une image presque irréelle.

Je restai un instant immobile, le cœur balloté par une émotion sans nom. Était-ce la grâce de ses mouvements sur la piste qui m’avait saisie ? Ou le simple fait qu’elle m’ait vraiment vue ?

J’inspirai profondément, repris mon plateau et rejoignis les autres serveurs, mais je savais déjà que cette soirée-là ne me quitterait pas de sitôt.

Un tintement de verre coupa doucement la musique.

Au centre de la piste de danse, le directeur du club un homme à l’élégance presque caricaturale s’avança sur l’estrade, le micro entre les mains. Les convives cessèrent peu à peu de parler, se tournant vers lui. Quelques serveurs, dont moi, s’arrêtèrent aussi, discrets en bordure de la salle.

— Mesdames et messieurs… commença-t-il dans un sourire parfaitement maîtrisé.

S’en suivit un discours soigné, rythmé par quelques blagues mondaines et remerciements obligatoires. Il salua l’importance des dons récoltés, évoqua brièvement les associations soutenues, puis termina par un toast général. Des applaudissements polis s’élevèrent. La musique reprit, un peu plus douce cette fois.

Je revenais de la cuisine avec un plateau de coupes de champagne fraîchement remplies, que je portais avec ma prudence habituelle. La salle avait retrouvé son rythme élégant, rires, murmures, éclats de cristal.

Je m’approchai d’un petit groupe, et là, à l’orée de la conversation, Madame Spencer tenait encore une coupe presque vide. Nos regards se croisèrent. Un léger sourire passa sur ses lèvres, quelque chose entre la distraction et l’intention.

— Un autre verre ? proposai-je poliment.

Elle leva sa coupe.

— J’allais justement vous rendre la mienne, merci.

Mais dans le même mouvement, alors qu’elle me tendait son verre pour refuser poliment, un geste trop rapide, un déséquilibre infime… et le champagne restant coula directement sur le haut de ma chemise. Le tissu se mouilla aussitôt, froid, collant à ma peau.

— Oh non, je suis désolée ! Vraiment, c’est ma faute ! s’exclama-t-elle aussitôt, tendant instinctivement la main vers moi.

Je reculais d’un demi-pas, un peu prise de court, puis tentai un sourire :

— Ce n’est pas grave, je vais juste me rafraîchir… je reviens.

Je posai le plateau sur la table la plus proche et me dirigeai vers les toilettes discrètement situées au fond du couloir. L’humidité sur ma peau m’irritait plus que je ne l’aurais cru, et mes joues étaient brûlantes, d’embarras ou de surprise, je ne savais pas encore.

Je poussai la porte. L’endroit était vide. Silence feutré, éclairage tamisé. Je me penchai vers le miroir, tapotant doucement le tissu de ma chemise avec une serviette en papier.

Puis j’entendis la porte s’ouvrir. Et avant que je ne puisse me retourner, sa voix :

— Je ne pouvais pas vous laisser gérer ça seule… Je suis vraiment confuse.

Madame Spencer était entrée. Elle s’approcha lentement, s’arrêtant à ma hauteur, me regardant par le reflet dans le miroir.

— Laissez-moi au moins vous aider. dit-elle doucement.

Avant que je ne réagisse, elle prit une serviette à son tour. Avec une précaution presque cérémonieuse, elle tamponna la tache sur mon épaule, puis glissa légèrement vers la clavicule, à travers le tissu mouillé. Ses gestes étaient lents. Mes yeux croisèrent les siens dans le miroir, et elle ne détourna pas le regard. Je sentis ma respiration se suspendre. Ce n’était pas un geste déplacé. Rien d’exagéré. Juste… trop doux. Trop proche.

— Vous êtes glacée… murmura-t-elle.

Je ne trouvais rien à répondre. Le silence était devenu trop dense, mais pas inconfortable. Plutôt étrange. Troublant. Mes pensées se bousculaient, mais je ne parvenais à en saisir aucune clairement. Était-ce la gêne ? La chaleur ? La proximité ? Ou juste… le fait que c’était elle ?

Elle recula d’un pas, repliant la serviette en papier entre ses doigts.

— Voilà. Ce n’est pas parfait, mais… je vous devais au moins ça.

Elle esquissa un sourire, presque malicieux, puis se retourna lentement vers la porte. Avant de sortir, elle ajouta, sans se retourner :

— Je vous promets de faire plus attention… la prochaine fois.

Et elle disparut dans le couloir.

Je restai seule, face au miroir, le cœur battant trop vite. Mon reflet ne m’aidait pas à comprendre ce que je ressentais. Mais une chose est sûre : Quelque chose venait de changer ce soir.

Lorsque j’ai repris mes esprits, je suis retournée dans la salle pour terminer la soirée. Il commençait à se faire tard, et la salle se vidait peu à peu, jusqu’à ne laisser que quelques personnes. Certains étaient visiblement un peu trop alcoolisés, ils ricanaient à table en finissant leur verre.

Pendant ce temps, les autres serveurs et moi étions en train de ranger la salle. Je ramassais les verres vides laissés un peu partout, quand soudain une dispute éclata. À ce moment-là, j’étais seule : mes collègues étaient en cuisine. Deux hommes en costume élégant avaient commencé à se battre. Je me suis immédiatement dirigée vers eux pour leur demander d’arrêter. Ne m’écoutant pas, j’ai tenté de saisir l’un des deux, mais malheureusement, en se retournant brusquement, il m’a accidentellement frappée au visage.

Ce n’était pas intentionnel, mais Jack, ayant entendu le vacarme, s’est précipité dans la salle. Lorsqu’il m’a vue au sol, il est immédiatement venu vers moi.

— Lexie, tu vas bien ?

— Oui, ça va… essaie de les séparer, répondis-je, un peu sonnée.

Jack et Sam sont intervenus pour les séparer, les ont installés sur des chaises, puis ont demandé des explications.

— C’est lui qui a commencé, dit l’homme en costume bleu marine.

— Tu as touché les fesses de ma femme, connard ! répondit l’autre, furieux.

— Oh ça va, t’as vu comment elle est habillée aussi ?

— Espèce de…

 

Jack coupa court à l’échange et accompagna l’homme aux mains baladeuses jusqu’à sa chambre. Pendant ce temps, je discutais avec le couple.

— Vous allez bien, mademoiselle ? Je suis vraiment désolé. Je… je ne voulais pas vous frapper…

— Ce n’est pas grave, j’ai bien vu que ce n’était pas intentionnel. Je vous rassure, tous les clients du country club ne sont pas comme ça, dis-je avec un sourire rassurant.

— Encore heureux !

— Bon chéri, on devrait aller se coucher. On doit se lever tôt demain. On a bien besoin de repos après cette soirée agitée, dit-elle.

 

Ils sont partis se coucher. Pendant ce temps, je terminais de ramasser les derniers verres, et Jack me rejoignit.

— Quelle affaire ! Tu es sûre que tu n’as pas mal ?

— Ne t’inquiète pas, Jack, tout va bien. On a enfin terminé. Je ne pense qu’à aller me coucher, dis-je en ricanant.

Mais au fond… je ne fais que penser à elle.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Julie Derussy
Posté le 03/07/2025
C'est toujours bien écrit, et intrigant. On se perd un peu dans le mélange des temps verbaux : passé simple, passé composé, présent...
J'ai été un peu surprise par l'expression : "à l’orée de la conversation"
Vous lisez