Océan Atlantique, 11 000 mètres d’altitude
22 Juillet 2023, 14h03
Cela faisait pratiquement huit ans que Guillermo avait quitté les îles Caraïbes. Sa relation avec son frère n’était pas la meilleure à cette époque, mais après avoir appris la nouvelle de sa mort, il ne pouvait pas faire comme si de rien n’était. Son frère jumeau, la seconde partie de lui, s’en était allé ; et toutes leurs nombreuses disputes et altercations physiques étaient également parties avec lui.
Ce vide pourrait-il être comblé un jour ?
- Comment est-ce qu’il était ?
- Pardon ?
- Votre frère, comment était-il de son vivant ?
- Eh bien, j’ignorais que poser des questions aussi personnelles faisait partie de tes prérogatives d’assistante. On t’as appris ça à l’école des assistants, c’est ça ?
- Lol ! Si cela vous gêne de vous confier à votre assistante, prenez-moi donc pour une amie.
- Pardon ? Je pense que tu as un peu trop de scrupules maintenant, Suzy. Ne trouves-tu pas ?
- On est en hauteur pour encore six heures. Le trajet est long et vous semblez manifestement avoir envie de parler à quelqu’un. Alors, à moins que vous ne comptiez passer tout le vol, la tête dans vos... pensées, je vous informe que je suis à votre disposition si vous voulez causer.
- ...Tête de nœud !
- Pardon ? Eh ! Ce n’est pas la peine de m’insulter pour...
- C’était une véritable tête de nœud.
- Euh... oh ! Je vois.
Guillermo avait tacitement accepté de parler de Ricardo à son assistante. Il pensait à son frère jumeau, il l’aimait profondément. Sa mort serait sans doute un tournant majeur dans sa vie. Il avait besoin de se confier à ce sujet avec quelqu’un. Suzy était là pour lui.
Comme toujours !
- Il était teigneux, stupide, puéril, toujours plein de sourire et de joie peu importe les circonstances. C’était un imbécile pur. Une véritable... tête de nœud.
- Vous l’aimiez beaucoup, hein ?
- Il me sortait par les cheveux. Toujours là à venir vers moi, toujours là à me demander de lui rendre des services étranges. C’était un incapable.
- Oh !
- Il n’arrivait à rien faire sans moi. Il ne savait rien faire de ses dix doigts et de son cerveau. Si tenté qu’il en avait un, bien sûr.
- C’était un inutile, alors ?
- C’était un authentique !
- Ah bon ?
- Cet imbécile de Rodrigo, il voulait juste être auprès de moi. Il voulait juste faire des choses avec moi. Il me collait sans arrêt, juste pour me... pourrir la vie.
- Il vous aimait.
- Au fond, je sais qu’il n’avait pas besoin de moi. Il était parfaitement capable de se débrouiller sans moi. Il voulait toujours que je le sorte de situations... tordues. Ricardo fonçait toujours tête la première dans les emmerdes. Il adorait que je le gronde, il adorait faire l’enfant pour que je lui crie dessus.
- Il vous adorait.
- Peut-être.
- Pourquoi venait-il toujours vers vous s’il pouvait s’en sortir tout seul ?
- Cet enfoiré, il le savait. Il le savait parfaitement.
- Hein ?
- Oui, il l’a toujours su, d’ailleurs.
- Quoi donc ? Que savait-il ?
- Il savait le très bien : Celui qui avait besoin de l’autre, ce n’était pas lui. Non, c’était... c’était moi qui avais le plus besoin de cet... imbécile.
- Eh bien, moi, je pense qu’il avait aussi besoin de vous.
- Non ! Il n’avait pas besoin de moi. Il n’a jamais réellement eu besoin de moi. Je le sais. Je le ressens intimement. Ça a toujours été comme ça.
- Pourquoi en êtes-vous autant certain ?
- Il... il me l’a prouvé. Oui, il me l’a prouvé le jour où il m’a dit qu’il allait se marier avec elle. Il m’a prouvé qu’il n’avait pas besoin de moi et que c’était moi qui ne pouvais pas me passer de lui. Oui, ce jour-là, il m'a abandonné. Ce salaud ! Il m’a... laissé tomber pour... elle.