Abigaël avait un genou à terre, le regard baissé sur le sol. Les yeux clos, elle attendait. Elle savait que son maître finirait par apparaître. Quelques minutes plus tôt, il lui avait demandé de le rejoindre dans cette clairière. Elle sentit un vent chaud sur son visage et elle sut qu'il était arrivé. Elle leva les yeux sur lui, toujours aussi éblouie par sa beauté, sa prestance, sa grandeur.
- Abi, commença le maître d'une voix grave, nous allons avoir besoin de toi.
- Je suis à vos ordres, maître, répondit Abigaël en souriant.
- La Perle est en train de retrouver de la puissance. Nos dernières tentatives de l’approcher se sont soldées par des échecs. Ses gardes du corps ne la lâchent pas d’une semelle.
- Comment puis-je vous aider ? interrogea Abigaël, qui ne voyait pas bien ce qu’elle pouvait faire.
- Les habitants du pays des mages considèrent la Perle comme une menace. Nous ne comptons pas les faire changer d’avis. Seuls, ils n’ont pas la moindre chance car ils ignorent ce qu’ils s’apprêtent à combattre.
Abigaël se demanda à quel genre d’idiots elle avait affaire. Comment pouvait-on s’attaquer à une telle créature sans rien en savoir ? C’était du suicide !
- Tu vas devoir les aider, en conclut le maître.
Abigaël sursauta. Elle n’avait pas la moindre envie de s’approcher de la Perle, d’aussi près que ce soit.
- Vous ne me demandez tout de même pas de la tuer ? s’exclama Abigaël. Parce que je ne compte absolument pas…
- Non, la rassura le maître. La Perle doit retourner dans sa prison. Nous avons besoin que tu convainques ces gens de t’aider à éloigner leurs gardes du corps le temps que nous intervenions.
- Je ne me sens pas concernée par ce problème, précisa Abigaël. C'est à vous de le résoudre.
Un petit silence s'installa. Abigaël finit par le rompre.
- Il sera fait selon vos désirs. Après tout, les pouvoirs de la Perle seront inopérants sur moi. Je ne risquerai rien. Ces gens que vous me demandez d’aider, en revanche…
- Justement, protège-les, ordonna le maître. Je veux qu’ils réussissent leur mission. Il faut empêcher la Perle d’agir comme elle a prévu de le faire. Elle ne va pas tarder maintenant. Il faut te dépêcher.
- Quels sont ses plans ? interrogea Abigaël.
- Reprendre ce qu’elle considère comme sien.
Abigaël sourit. Ainsi, le défi perdurait. Abigaël secoua la tête. Pourquoi fallait-il qu’eux, simples mortels, y soient mêlés ?
- Où dois-je me rendre ? s’enquit Abigaël.
Une carte apparut dans son esprit. L’endroit où elle se trouvait était indiqué ainsi qu’un chemin menant aux montagnes peuplées par les protecteurs de la Perle. Abigaël hocha la tête. Un vent chaud la força à fermer les yeux et lorsqu’elle les rouvrit, son maître avait disparu. Elle se mit en chemin. Elle avait de la route à faire et elle devait se dépêcher.
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Taïmy regardait les jeunes Ar'shyia suivre leur leçon du jour. Amel s'occupait de Pauline et Jean, enfants facétieux et espiègles. Aux côtés d’Amel se tenait Nicolas, son assistant. Ils partageaient leur vie avec amitié et fraternité.
Taïmy surveillait Brittany, la dernière Ar’shyia arrivée. Nourrisson endormie dans un berceau, son sommeil permettait à l’archimage d’observer l’entraînement avec sérénité.
Pourtant, ce moment était troublé par la présence de deux personnes dans la petite cour intérieure. Philippe était assis par terre, contre le mur sud, à côté de la porte menant aux chambres. Il lisait. Sa présence incommodait Taïmy mais pas autant que celle de Yohan. L’ensorceleur se trouvait contre le mur nord, dans le dos de Taïmy, mais le magicien n’avait pas besoin de le voir pour sentir sa présence car Yohan était son assistant, tout comme Nicolas était celui d’Amel.
À ceci près que les assistants étant censés protéger leur magicien des ensorceleurs. Avoir un assistant ensorceleur énervait Taïmy au plus haut point. Un été, un automne, un hiver et un printemps n’avaient rien changé : l’archimage ne s’était toujours pas fait à l’idée. Yohan jouait parfaitement son rôle d’assistant en ne lâchant pas son magicien d’une semelle. Taïmy ne lui en voulait que davantage.
Un garde s'approcha, permettant à l’archimage de se concentrer sur autre chose.
- Un message des voyants, annonça-t-il.
Taïmy prit le message tandis que le garde partait après l'avoir salué. Amel s'approcha.
- Quelles nouvelles ? demanda Amel.
Taïmy pâlissait au fur et à mesure qu'il lisait le parchemin. Amel commença à s'inquiéter.
- Taïmy ? Que se passe-t-il ? insista Amel.
Taïmy finit sa lecture puis se releva vers Amel. Dans ses yeux, Amel vit de la peur, de l’angoisse, de l’incertitude. Quelle nouvelle avait pu ébranler cet homme toujours si sûr de lui ? Amel vit l’archimage se reprendre et une seconde après, il annonçait d’une voix lisse et forte :
- Les voyants prédisent la fin du monde.
Amel sursauta.
- Cependant, ils ont appris du passé, précisa Taïmy. Comme leurs ancêtres, ils ont vu le monde, puis le néant.
- La magie extérieure va de nouveau disparaître ? comprit Amel. Je n’y crois pas !
- Les voyants ont fait leur possible pour que la nouvelle ne vienne pas seule. Ils ont affiné leurs visions et ont été capables d’établir le moment précis de la disparition mais également d’où elle partirait. En revanche, ils ignorent tout de la raison. Leur vision semble incapable de se focaliser sur la scène en elle-même, compléta Taïmy.
- Il nous suffit de nous rendre là-bas et d’empêcher le responsable d’agir, annonça Amel. Je vous rappelle qu’on ne sait pas comment rendre la magie au monde une fois qu’elle a disparu. Elna n’a jamais été en mesure de le faire et nous ignorons toujours qui en a été capable.
Taïmy frémit en entendant le nom de la précédente archimage, celle qu’il avait longtemps considérée comme sa mère. Le jour de sa mort, alors qu’elle avait décidé d’en finir avec la vie, la petite communauté avait appris avec stupeur dans sa biographie, qu’elle avait écrite elle-même, qu’elle avait menti sur deux sujets très importants : le retour de la magie dans le monde que tous croyait être son œuvre et l’identité de l’assistant de Taïmy.
Depuis, le jeune homme en voulait énormément à Elna et rien ne semblait pouvoir calmer sa rancœur. Decklan, le mari d’Elna, avait fini par quitter la citadelle pour retourner à la forteresse des Mordens. Sa fille, Helena, l’avait suivi mais elle revenait régulièrement pour passer des moments privilégiés avec son frère, Philippe.
- Nous ignorons tout de la personne responsable de la disparition de la magie, rappela Taïmy. Il faut parer à toute éventualité. Je vais envoyer un message à toutes les factions magiques. Mieux vaut former un groupe hétéroclite afin de multiplier nos méthodes d’approche. Nos chances n’en seront que plus grandes.
- De combien de temps disposons-nous ?
- La magie disparaîtra au début de l’automne, le jour de l’équinoxe, annonça Taïmy en lisant le parchemin en provenance de Praedy, la forêt des voyants.
L’état venait de commencer. Cela ne leur laissait pas temps de temps que cela.
- Je m’occupe de rédiger les parchemins, annonça Taïmy en s’éloignant.
Il jura entre ses dents en constatant que Philippe et Yohan lui emboîtaient le pas.
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Six personnes étaient réunies dans la salle principale de la forteresse magique. Tous, sauf Yohan, étaient assis sur les chaises disposées autour de la table. L'ensorceleur, quant à lui, se tenait debout au fond, le dos reposant sur le mur de pierre. Il était habillé très simplement mais avait refusé de laisser ses armes dehors. À sa ceinture pendait un fourreau alourdi d'une épée bâtarde et deux couteaux fins mais résistants et de très bonne qualité. Ses yeux noirs dévisageaient l'assemblée avec froideur.
- Je vous souhaite à tous la… commença Taïmy avant d'être coupé par Moratus.
Vêtu de l'habituel vêtement noir des gens de sa race, l'homme avait rabattu sa capuche, laissant apparaître un visage légèrement ridé, des yeux noisette et des cheveux gris. Son visage était sévère.
- Évitons les formules de courtoisie, proposa le nécromancien. Venez-en directement au fait et dites-nous pourquoi vous nous avez convoqués ici.
L'ambiance fut refroidie. La présence d'un nécromancien était difficilement supportée par les autres personnes présentes, surtout par Ismaël, le druide. Ce dernier contrastait beaucoup avec Moratus. Ses vêtements naturels verts et bleus détonnaient par rapport au noir de son voisin de table. Ses longs cheveux blonds et ses yeux bleus semblaient rayonner d'une éternelle jeunesse.
- Bien sûr, dit Taïmy. Si je vous ai demandé de venir, c'est en réponse au dernier message des voyants.
Astral, la voyante, inclina la tête. Ses cheveux bruns lui tombèrent devant les yeux. Elle les remit en place d'une main légère et fine puis posa à nouveau sur le magicien ses yeux marron. La voyante était plutôt mal à l'aise dans cette pièce, seule femme parmi tant d'hommes. Elle remettait sans cesse son vêtement en place. Pour le voyage, elle avait mis des chausses d'homme mais elle s'était changée en arrivant et portait maintenant une robe compliquée agrémentée de plusieurs colliers, bracelets et bagues qui lui donnaient un air étrange et surréel. Taïmy continua :
- Le passé semble se répéter. Une nouvelle fois, les voyants voient la fin du monde, c’est-à-dire la disparition de la magie extérieure.
Tous sursautèrent à cette nouvelle. Si la magie extérieure venait à disparaître, tous les êtres magiques, excepté les magiciens, seraient privés de leurs pouvoirs. Plus que cela, ils seraient coupés de leurs sentiments, à cheval entre la vie et la mort. Suffisamment vieux pour avoir vécu l’absence de magie, la voyante, le druide et le nécromancien frémirent de terreur. Ils ne voulaient en aucun cas retourner à leur état de mort-vivant.
- Les visions des voyants sont-elles claires ? interrogea le Morden.
Taïmy lança un regard noir au jeune homme et remarqua que tous avaient fait de même. Pourtant, le Morden aux cheveux noirs ne broncha pas.
Taïmy était exaspéré par le jeune homme. Il s’agissait d’un justicier. Pas un diplomate. Pas même un soldat. Un simple justicier. Et encore, même pas sorti de l’enfance. Taïmy le transperça du regard. Il ne pouvait pas avoir terminé sa formation. Il était bien trop jeune pour ça. Taïmy avait requis de chaque groupe magique un élément pour échanger sur un sujet de grande importance et les Mordens lui avaient envoyé ça. Ces gens-là n'avaient-ils donc aucun respect pour lui ? Taïmy était très agacé et il comptait le montrer.
- Garde ta langue ! s’exclama Taïmy en tutoyant volontairement le plus jeune homme de la salle. Les voyants savent ce qu’ils disent !
- Je ne cherchais aucunement à insulter les voyants, répondit le Morden sur un ton calme et tranquille.
Il était clair que l’agressivité ambiante ne le touchait pas le moins du monde. Yohan sourit. Il ne connaissait pas le Morden, mais déjà, il l’aimait beaucoup. L’ensorceleur parvint à se souvenir du nom du jeune homme : Elmarion de Kartos. Il se promit de ne jamais l’oublier.
- Je veux simplement m’assurer qu’il n’y a pas de seconde vision, de fourche ou d’anicroche, continua le Morden. Je me renseigne, c’est tout.
Son ton calme transparent d’honnêteté apaisa tout le monde sauf Taïmy. Astral prit la parole :
- Nous ne sommes pas confrontés à une fourche. Aucun voyant n’a eu de vision contradictoire.
- Si la magie venait à disparaître, vous pourriez la faire reparaître, archimage, comme votre prédécesseur, proposa Moratus.
Taïmy ne répondit pas, gêné. Il ne pouvait pas dévoiler qu’Elna n’avait pas redonné sa magie au monde car c’était l’un des secrets légués par la magicienne à son successeur. Un secret bien gardé qui ne devait en aucun cas fuiter. Cela soulèverait trop de questions sans réponse.
- La dernière fois que la magie a disparu, cela a tué tous les magiciens, rappela Astral.
Taïmy hocha la tête, ravi de cette réponse. Moratus, Yohan et Elmarion ne furent pas dupe. L’archimage avait été très gêné par cette question et qu’il ait été sauvé par la voyante ne changeait pas l’embarras dans laquelle la question avait mis le magicien. Les trois êtres magiques en conclurent que l’ancienne magicienne n’avait jamais révélé comment elle s’y était prise et que l’actuel archimage en était incapable. Ils n’insistèrent pas.
- Comment se fait-il que vous ne puissiez pas voir précisément l’endroit où la magie va disparaître alors que vous pouvez en prédire le lieu et le moment exact ? demanda Elmarion à Astral.
- Comment cela ? interrogea le nécromancien.
Yohan regarda le Morden. Ainsi, le jeune homme en savait beaucoup. Comment avait-il pu avoir connaissance du message des voyants ? Il l’ignorait. Les Mordens étaient les maîtres dans l’art de l’espionnage. Qu’ils aient pu avoir accès au message n’était pas surprenant mais qu’ils l’aient fait à l’intérieur même de la citadelle démontrait un sérieux problème de sécurité. Astral ne parut pas ébranlée par la question. Elle l’attendait et avait visiblement préparé une réponse :
- Nous l’expliquons par l’endroit de la disparition : la montagne des ours. Vous le savez, elles sont peuplées de minuels, ces êtres capables de repousser la magie extérieure. Nous supposons que certains d’entre eux traîneront dans les environs et que leur présence interfère avec nos pouvoirs.
Le Morden s’inclina devant cette réponse claire, indiquant ainsi qu’elle lui convenait parfaitement.
- Que savons-nous de la cause de la disparition prochaine de la magie ? interrogea Moratus.
- Du fléau - c’est le nom que nous donnons au responsable de la disparition - nous ne savons strictement rien, avoua Astral sans la moindre honte.
- C’est pourquoi vous êtes ici, continua Taïmy. Ensemble, nous allons nous rendre sur les lieux et, quoi que nous trouvions, nous agirons.
- Excusez-moi, archimage, intervint Yohan qui parlait pour la première fois, mais quand comptiez-vous nous demander notre avis ?
- Jamais, Yohan, et si tu ne la fermes pas, tu vas le regretter ! s'exclama Taïmy, énervé par l’insolence de son assistant.
N’était-il pas censé le soutenir ? C’était pourtant le premier à lui mettre des bâtons dans les roues, quoi qu’il fasse. Taïmy gouvernait. Ses désirs étaient des ordres et nul ne devait les contester.
- Pardonnez-moi ma franchise, archimage, dit Moratus qui ne comptait pas se laisser marcher sur les pieds. Même si je n'approuve pas forcément la façon de procéder de votre assistant ensorceleur, il n’a pas tort. Nous demander notre avis serait une bonne chose. La décision finale vous revient, naturellement, mais écouter les propositions et les conseils de personnes deux fois plus vieilles que vous pourrait vous être bénéfique.
Taïmy jeta un regard noir à Yohan qui sourit, d’autant qu’il avait remarqué que le Morden s’apprêtait lui aussi à prendre la parole pour le défendre. Moratus l’avait simplement pris de vitesse.
- Soit, admit Taïmy à contrecœur.
Il détestait ne pas avoir le contrôle. Jusqu’au soir, ce fut ensemble qu’ils décidèrent de la date du départ, du matériel à emporter, du chemin qu’ils emprunteraient. À la fin de la réunion, Yohan avait une bonne idée sur le caractère de chacun.
Astral et Ismaël étaient du genre à se laisser faire. Ils n’avaient quasiment jamais pris la parole et quand ils le faisaient, personne ne les écoutait.
Elmarion était comme lui : il écoutait et n’intervenait que par dose microscopique, toujours pour dire une chose intelligente.
Quant à Moratus et Taïmy, ils luttaient pour l’obtention du plus grand temps de parole, quitte parfois à dire des choses sans intérêt.
La promenade dans les montagnes des ours promettait d’être intéressante, d’autant que Philippe, qui n’avait pas été convié à la réunion, les accompagnerait. Il serait sans aucun doute le larbin du groupe. C’était dans son caractère de se rabaisser. Yohan tenta d’imaginer l’ambiance du voyage. Il en salivait d’avance. Incapable de ressentir la moindre émotion, avoir l’occasion de vivre à travers celles des autres était un véritable plaisir pour lui.
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Abigaël regarda autour d’elle. Elle rappela encore une fois la carte de son maître et elle apparut dans son esprit. Elle était pourtant au bon endroit. Elle savait ce qu’elle cherchait mais pas moyen de mettre la main dessus. Les autres n’allaient pas tarder à arriver et elle tournait en rond. Elle jura. Comment pouvait-on être aussi stupide ? Elle savait que son maître ne lui pardonnerait pas un échec. La situation était trop grave. Abigaël insista et sa persévérance paya. Elle fut rapidement en place. Désormais, il lui suffisait d’attendre.
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La première partie du voyage fut harassante. Sous un soleil de plomb, les plaines à l’ouest de la Terre des mages parurent interminables à tous les compagnons de route. Le druide et le magicien refusaient d’utiliser leur magie pour rendre l’atmosphère supportable.
À la frontière, Taïmy prit le temps de discuter avec le commandant de la garnison principale. Ce dernier fournit à l’archimage un maximum d’informations concernant les emplacements actuels des minuels ainsi que leurs plans à venir, mais il savait en fait peu de choses.
Ils partirent le lendemain et s’attaquèrent à la montagne. Leur première rencontre avec un ours fut douloureuse. Le géant, qui les avait vus venir de loin, leur avait tendu une embuscade. Apparemment peu apeuré à l’idée de se battre à un contre sept, il n’avait même pas appelé de renfort.
Ismaël fut attaqué le premier. Lorsqu’il tenta de se défendre avec ses pouvoirs, ils furent sans effet. Tandis que Taïmy se préparait à lancer un sort, Yohan, Elmarion, Moratus et Philippe tirèrent leurs épées au clair. Philippe fut rapidement désarmé par le géant. Elmarion, Moratus et Yohan tinrent jusqu’à ce que Taïmy, d’une compression cardiaque, tue l’ours. Moratus constata que la mort du minuel ne lui apporta aucune énergie. La déchirure qu’entraînait habituellement un décès ne se produisit pas. Il en fut très mal à l’aise.
Ils perdirent du temps à soigner le druide qui s’éveilla vidé de tout pouvoir. La montagne contenait de la vie, mais pas suffisamment pour permettre au serviteur de la nature de remplir correctement ses réserves. Ils durent se contenter d’un druide à moitié utile. Ils furent plus prudents mais les ours avaient l’avantage de connaître le terrain.
Leur seconde rencontre leur coûta les réserves de Moratus. Le nécromancien se sentit vidé avant même d’avoir pu voir le danger. Il n’eut pas le temps de prévenir ses camarades. L’aptitude en combat des garçons et les pouvoirs de Taïmy permirent au groupe de continuer à avancer mais leur moral en avait pris un coup.
Philippe se sentait inutile. À chaque combat, il avait été écarté comme un vulgaire fétu de paille malgré ses nombreuses années d’entraînement.
Yohan et Elmarion se rejoignaient régulièrement en bataille. Les deux hommes s’appréciaient énormément même s’il était en fait difficile de le constater sur le visage de l’un ou de l’autre, Elmarion étant imperturbable à la façon des Mordens et Yohan mort-vivant.
Moratus préférait la solitude. Astral, la voyante, guidait le groupe mais la présence des minuels troublait de plus en plus ses visions si bien que le groupe tournait en rond dans ces montagnes inconnues. Les cartes étaient trop peu précises pour être utilisables.
Un orage choisit ce moment pour éclater. La pluie tomba violemment, accompagnée d’éclairs. Le tonnerre déchirait l’air. Cela avait obligé les voyageurs à descendre de leur monture et à la maintenir fermement par la bride. L’ambiance était morose. Nul ne parlait. Tout le monde était trempé jusqu’aux os et tous ignoraient la direction à prendre.
Elmarion s’arrêta. Ismaël faillit le percuter.
- Qu’est-ce qui se passe ? hurla le druide pour couvrir le vent.
Elmarion ne répondit pas. Il bifurqua vers la gauche, prenant un chemin différent de celui emprunté par Taïmy et Moratus, à l’avant. Ismaël cria pour les prévenir, tandis que le reste du groupe suivait Elmarion. Ils débouchèrent sur un long chemin droit mais il n’y avait nulle trace du Morden. Un précipice imposant se dévoilait un peu plus loin.
- Elmarion ! s’écria Ismaël, inquiet.
- Je suis là, répondit le Morden depuis l’intérieur de la montagne.
- Où ça ? insista le druide.
Elmarion sortit de la montagne. Le druide s’avança. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’il vit le trou dans la falaise. Il semblait s’enfoncer profondément.
- Ça s’élargit par la suite. Il y a un genre de clairière entre les rochers, de quoi faire tenir tous nos chevaux puis une grotte qui a l’air profonde. On pourrait s’abriter là en attendant que l’orage passe, reprendre des forces et ainsi permettre à votre voyante d’affiner ses visions.
La proposition enchanta le druide. Il entra et les autres le suivirent. Taïmy suivit mais il n’était clairement pas content qu’on ne lui ait pas demandé son avis. Moratus resta à l’entrée, comme hypnotisé. Elmarion demanda :
- Qu’y a-t-il ?
Taïmy remarquant l’arrêt du nécromancien revint sur ses pas.
- Il y a des tombes tout près.
Il descendit de cheval, tendit les rênes à Elmarion et entreprit de suivre son instinct de serviteur de la mort. Rapidement, il arriva devant deux tas de pierres.
- Il y a deux cadavres là-dessous, annonça-t-il à Elmarion et Taïmy qui n’auraient jamais pu le supposer seuls. Là-bas, il y a une autre tombe.
En s’approchant, ils constatèrent que celle-ci était bien différente. Bien visible, on y avait apporté beaucoup de soin. La personne enterrée devait être importante car on avait recouvert sa tombe de marbre blanc.
- Je sais qui est enterrée là ! s’exclama Taïmy. C’est Anaïs, la magicienne tuée par Helman, un ensorceleur au service du Morden Arfer Turiel. Les deux autres tombes doivent être les leurs. Cet endroit est maudit. La caverne doit être l’ancien repère de ces deux monstres. Plus vite on partira et mieux je me sentirai.
Taïmy s’éloigna et Moratus le suivit. Elmarion resta seul devant le marbre blanc puis il se tourna vers les deux tombes délaissées. Il vérifia que tout le monde avait bien rejoint la fissure avant de s’agenouiller devant les tombes. Le travail fut harassant. Retirer les pierres glissantes sous la pluie, les mettre à côté et recommencer.
Puis, il atteignit la terre et dut creuser. Le premier corps apparut enfin. Il fouilla le sol devenu boueux jusqu’à trouver la main droite du cadavre. Vide… Elmarion maudit sa malchance. Ce n’était pas le bon.
Il recommença sur la seconde tombe. Il creusa avec ses mains, n’osant s’aider d’un instrument qui pourrait détruire le trésor convoité et enfin, ses efforts furent récompensés par une violente douleur dans ses mains. Ses os semblèrent se déchiqueter mais il insista, pour enfin permettre à une main d’os couverte d’un gant de cuir rouge d’apparaître. Il prit l’objet à pleine main, faisant fi de la douleur. Il tenait son trophée.
- Qu'est-ce que tu fais ? dit quelqu'un derrière lui.
Il sursauta et se retourna en prenant soin de cacher son trésor dans son dos. Il devait tout faire pour cacher la souffrance intense qu’il ressentait.
- Yohan ! s'exclama-t-il en découvrant le jeune homme. Tu m'as fait peur !
- Tu fouilles les cadavres ? s'étonna l’ensorceleur. D'habitude, c'est plutôt l’apanage des nécromanciens.
- Je… Je… bredouilla Elmarion, incapable de trouver un mensonge valable.
- Tu cherches le gant magique de Turiel, annonça Yohan.
Elmarion se figea. Ces gants étaient interdits. Leur destruction avait été ordonnée des années auparavant par Elna et Decklan. Celui-là était le dernier. Yohan allait-il le dénoncer, l’obligeant à se départir de ce fabuleux trésor ?
- Ne t'inquiète pas, je ne dirai rien, assura Yohan. Je m’en fiche totalement. Tant que tu ne t’en sers pas.
- Je ne compte pas le faire, assura Elmarion. C’est…
- plus fort que toi, finit Yohan. Je sais combien les Mordens vénèrent les objets magiques. C’est sûrement parce que tu as senti la présence du gant que tu as été attiré par ici, nous permettant de nous trouver un abri. Garde-le mais un conseil, cache-le. Je doute que Taïmy apprécie. D’ailleurs, en parlant de lui, il veut qu’on parte demain à la première heure. Moratus essaye déjà de le faire changer d’avis. J’ai rajouté une couche. Si tu pouvais…
- Aucun problème. Je lui parlerai aussi, promit Elmarion en souriant. Je te rejoins dans un instant. Je dois tout remettre en place histoire que personne ne se doute de rien.
Yohan hocha la tête puis retourna se sécher dans la caverne.
- Qu'est-ce que tu faisais ! s'exclama Taïmy en voyant arriver le Morden.
- Je vérifiais les environs. Aucun danger visible. Comment va notre voyante ?
- Que veux-tu dire ?
- A-t-elle eu une vision plus précise quant à notre destination ?
Le silence prouva que non.
- Mieux vaut qu’on reste là tant que ça ne sera pas le cas, annonça le jeune homme. Inutile de continuer à tourner en rond en risquant de mauvaises rencontres. Cet endroit se défend aisément. Qu’en pensez-vous, archimage ?
Taïmy dut reconnaître le talent du Morden. Sa jeunesse induisait ses interlocuteurs en erreur. Derrière ses traits infantiles se cachait un garçon d’une grande intelligence. Là où Moratus et Yohan avaient échoué, Elmarion réussit et Taïmy accepta que le groupe reste dans la caverne le temps pour Astral d’avoir une vision précise.
- Cet endroit est super ! s’exclama Moratus qui revenait de son inspection. C’est hyper grand là-dedans. Il y a des chambres, une cuisine avec une cheminée, de nombreuses pièces et pas de danger visible.
Un hurlement déchira le calme ambiant, contredisant les dernières paroles du nécromancien.
- C’est Philippe, annonça Moratus. Il était parti découvrir un autre couloir.
Tous foncèrent en direction du cri, sauf la voyante qui resta pour surveiller le repas, et Ismaël.
- Vous n'y allez pas ? demanda Astral en regardant le serviteur de la nature.
- Non, que pourrais-je faire ? Je n'ai quasiment pas de magie et je ne sais pas me battre.
Astral hocha la tête. Ils étaient indubitablement les deux boulets du groupe. Ils se sourirent et ce fut un petit moment joyeux. Ces derniers temps, les signes d’affection étaient rares.
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Taïmy s’engagea dans un couloir, tentant de trouver son chemin pour retrouver Philippe qui avait cessé de crier. Le magicien s’arrêta pour tenter d’utiliser ses pouvoirs afin de trouver le jeune homme. Yohan lui passa devant en criant :
- C’est trop long et puis dans ces tunnels, ça ne servira rien. Mieux vaut se séparer. Le premier qui le trouve hurle.
Taïmy ne put que lui donner raison. Il le suivit et ils débouchèrent sur une vaste pièce servant probablement d’entrepôt de stockage. La pièce était grande et sèche, parfaite pour la conservation des aliments et des vêtements. Son utilité avait changé. Elle servait désormais de refuge aux dix ours qui s’y trouvaient. L’un d’eux, penché sur le corps de Philippe, tentait visiblement de déterminer si le jeune homme était encore en vie. Du sang s’écoulait sur la pierre.
Moratus n’hésita pas. Il se jeta la tête la première parmi les ours sans attendre. Très bons combattants, les ours parèrent la première attaque et Moratus sentit sa vie lui être retirée. Il connaissait cette sensation due à l’absence de magie pour l’avoir vécue toute son enfance. La revivre lui coupa les jambes et il s’écroula.
Yohan se porta au secours du nécromancien mais à un contre dix, le combat n’était clairement pas en sa faveur. Alors qu’il jaugeait ses adversaires et que ceux-ci l’entouraient prudemment, Yohan vit deux d’entre eux s’écrouler, sans raison apparente. Les ours, concentrés sur l’ensorceleur, ne s’en rendirent d’abord pas compte. Ils s’apprêtaient à attaquer lorsque deux combattants de plus tombèrent. Surpris, ils se retournèrent.
Taïmy choisit ce moment-là pour lancer le sort qu’il préparait depuis le début de la rencontre. Les adversaires furent projetés contre les murs de la caverne. Ils furent tués sur le coup. Yohan se protégea de la déflagration de magie blanche en activant ses pouvoirs. Elmarion ne put agir de la même manière. Derrière l’un des ours qu’il venait de tuer par derrière, il fut expulsé et hurla en s’écrasant contre la paroi brune.
Seule resta debout une jeune femme brune qu’aucun des compagnons n’avait jamais vue. Elle s’élança vers le Morden, paniquée, ne sachant visiblement pas quoi faire. Elmarion était pétrifié. La colonne vertébrale brisée, il ne pouvait plus bouger. Les côtes brisées, il luttait pour respirer.
Taïmy s’élança mais une fois à côté, il annonça :
- Je ne sais pas guérir des blessures aussi graves. J’ai appris à soigner des bobos mais je n’aurais jamais cru devoir affronter quelque chose de ce genre.
- Moi, je sais faire, annonça Yohan.
Taïmy comprit ce que l’ensorceleur proposait et il n’en revenait pas. Il n’eut pas le temps de parler que Yohan continuait :
- Seulement, tu as déjà perdu beaucoup d’énergie en lançant ce sort. Tu n’as plus de quoi guérir les deux.
Taïmy montra qu’il ne comprenait pas.
- Philippe est à l’agonie, rappela Yohan.
- Moratus, allez chercher le druide, lança Taïmy au nécromancien qui dès les minuels morts, avait retrouvé sa vie. Il a beau avoir peu de magie, il en aura peut-être assez.
- J’en doute et le temps qu’il arrive, il sera trop tard. Il faut choisir, insista Yohan.
- Il faut le choisir, lui, annonça la jeune femme en désignant Elmarion.
- Pourquoi ? lança Taïmy qui se demandait sur quoi la jeune femme se basait pour faire un tel choix.
- C’est un Morden, fit-elle remarquer en montrant sa ceinture rouge sang. Un Morden ne voyage jamais sans une feuille d’ange.
- Il faut faire vite ! s’exclama Yohan. Taïmy, me permettez-vous d’utiliser vos pouvoirs pour sauver Elmarion ?
Taïmy hurlait intérieurement. Comment en était-on arrivé là ? C’était inimaginable. Il accepta à regret d’un geste de la tête. Il sentit son contrôle sur ses pouvoirs lui échapper mais ça n’était pas si désagréable qu’il l’aurait cru. Lorsqu’il ne s’en servait pas, ses pouvoirs lui semblaient loin. Là, ils étaient un peu plus loin que d’habitude, sans plus. Elmarion respira pleinement plusieurs fois avant d’ouvrir les yeux et de se redresser.
- Que s’est-il passé ?
- Tu as une feuille d’ange ? hurla Taïmy en retour.
- Oui, répondit Elmarion en retour sans comprendre pourquoi on l’agressait de la sorte.
- Philippe se meurt, annonça Yohan d’une voix calme ne laissant pas transparaître l’urgence de la situation. Il a besoin de soin, tout de suite.
Elmarion fut debout un un clignement d’œil. Le temps qu’il rejoigne Philippe, sa feuille d’ange, à l’abri dans un renfoncement de sa ceinture, fut prête à l’emploi. Il l’appliqua sur la blessure de Philippe et activa l’objet. En quelques secondes, Philippe reprit des couleurs mais il ne s’éveilla pas.
- La feuille d’ange soigne la blessure. Elle ne redonne pas le sang perdu, annonça Elmarion. Il ne saigne plus et ses plaies sont refermées mais il n’est pas sorti d’affaire pour autant. Il lui faudra quelques jours pour s’en remettre.
Taïmy jura intérieurement face à ce délai supplémentaire. Il avait bien espéré que la voyante mettrait moins de temps que cela à préciser la destination.
- Il nous reste encore largement le temps, rappela Yohan.
Moratus et le druide arrivèrent à ce moment-là.
- Merci, mais nous nous sommes débrouillés, annonça Yohan.
- Qui est-ce ? interrogea Moratus en désignant la jeune femme, restée au fond de la caverne.
- Je suis arrivé par ce couloir, commença Elmarion en désignant la seconde entrée de la caverne. Les ours étaient tournés vers vous. Ils ne m’avaient pas vu. Cette femme était assise, les mains attachées. Silencieusement, elle m’a montré qu’il y avait une dague trop loin d’elle pour qu’elle s’en saisisse. Je me suis approché furtivement, je lui ai donné la dague et je suis venu me placer derrière un premier ours. Elle m’a rejoint sans le moindre bruit pour imiter ma position. C'était impressionnant. Elle est très douée. À mon signal, elle a frappé et je peux vous dire une chose : cette fille s’y connaît en assassinat. Elle a frappé exactement au bon endroit, sur les reins. La victime meurt sans avoir la possibilité d’émettre le moindre son. Elle m’a suivi et a renouvelé le geste. Ensuite, je me souviens vaguement avoir senti un souffle violent me projeter en arrière. Quand je me suis réveillé, je me suis fait gueuler dessus par Taïmy.
Le magicien grogna à cette remarque puis annonça :
- Un assassin, hein ! On ne dirait pas à la voir. Ceci dit, elle n’est pas la seule ici à cacher son jeu et à garder des atouts dans sa manche, finit Taïmy en regardant Elmarion qui rangeait sa feuille d’ange.
Taïmy regarda la jeune femme. Elle devait avoir le même âge qu’Elmarion. Physiquement, elle était banale : taille normale, cheveux longs bruns, yeux marrons, un visage ovale sans beauté ni laideur particulière. Sa poitrine n’était ni petite, ni énorme. Sa robe était très simple, montrant une origine sans noblesse.
- Que faites-vous ici ? interrogea Taïmy.
Abigaël n’avait jamais eu l’intention de se trouver parmi des ours. Elle avait trouvé la caverne selon les indications de son maître. Ravie d’avoir atteint son but, elle n’avait guère été prudente en visitant les lieux. Elle n’avait remarqué que trop tard la présence de ce groupe d’ours, venus se reposer quelques jours dans cet endroit bien connu des montagnards. Elle s’était faite prendre, délester de sa dague puis attacher. Il était clair qu’ils comptaient la vendre comme esclave au premier marché. Cependant, Abigaël n’avait jamais craint que cela se produise. Elle savait que des gens viendraient, ces gens qu’elle attendait.
Ils vinrent, répondant à l’appel du destin. Les ours s’éloignèrent pour les combattre mais Abigaël ne parvint pas à reprendre sa dague, trop éloignée d’elle. Elle était verte de ne pouvoir les aider. Si elle le faisait, elle saurait se montrer utile aux yeux des gens auprès de qui elle devait se faire accepter.
Un membre du groupe apparut par le couloir faisant face à Abigaël, dos aux montagnards. Il devait avoir son âge mais ses yeux noirs brillaient d’une intelligence évidente et d’une sagesse rare. Ses traits fins, ses muscles bien dessinés, ses cheveux courts en pagaille… La jeune femme fut immédiatement sous le charme. Elle n’en oublia pas le combat et fit signe au jeune homme de l’aider. Un Morden, reconnut-elle à sa ceinture. Il la détacha et elle put enfin aider, agir. Maintenant que les montagnards étaient morts, elle allait devoir inventer une histoire plausible.
- Je m’appelle Abigaël, se présenta la jeune femme. J’ai été trouvée par les Thorens alors que je m’étais perdue dans ces montagnes.
- Les Thorens ? interrogea Taïmy.
Abigaël désigna les montagnards morts.
- Les ours ? supposa Taïmy en comprenant que la jeune femme n’était pas originaire de la Terre des mages.
Le magicien ignorait quelle peuplade nommait les ours les Thorens. Cela dut se voir car Abigaël raconta :
- Je viens des huit royaumes et plus exactement de Frê, le sixième. Les Thorens viennent régulièrement attaquer nos terres. Ils volent de la nourriture, des bêtes et des femmes, pour l’esclavage. Dans ma tribu, tout le monde sait se battre, même les femmes. Alors que nous étions en route pour un village voisin afin d’y vendre trois cochons, les Thorens nous ont attaqués. Ils étaient trop nombreux. Tous mes compagnons sont morts. J’ai été emmenée. Je me suis enfuie le lendemain en tuant la moitié d’entre eux. L’autre moitié m’a poursuivie, m’obligeant à m’éloigner de mes terres. Je me suis retrouvée dans ces montagnes et j’avoue m’y être perdue. J’ai croisé ce groupe et ils m’ont emmenée ici. Ils comptaient repartir assez vite, je crois.
- Les ours connaissent l’existence de cet endroit ! s’exclama Taïmy. Nous ne devrions pas rester.
- Est-ce qu’il vaut mieux errer au hasard dans des montagnes mieux connues par les ours ou rester dans une caverne dont l’entrée est très facile à protéger ? Un simple tour de garde suffira à prévenir toute arrivée de ce côté, fit remarquer Elmarion.
- Je préfère rester ici, au chaud et au sec, qu’avancer au hasard dans ces montagnes peuplées d’ours, chouina Ismaël.
Taïmy jura mais fut forcé d’admettre que c’était la meilleure solution.
- Vous m’avez sauvé la vie, annonça Abigaël. Le code de mon clan m’oblige à vous suivre afin de vous rendre la pareille.
- Super, souffla Taïmy.
Moratus se pencha pour porter Philippe, toujours inconscient, jusqu’à une chambre vide.
- Elmarion, Yohan, continuez à explorer la grotte, ordonna Taïmy. Je ne veux pas d’autres mauvaises surprises.
- Puis-je vous accompagner ? interrogea Abigaël en se tournant vers le Morden.
Elmarion hocha distraitement la tête. Abigaël suivit le jeune homme qui avançait sans vérifier le contenu des pièces devant lesquelles il passait.
- Vous avez un but précis ? interrogea la jeune femme.
- Oui, répondit Elmarion. Comment se fait-il que vous n’ayez pas été touchée par le sort de notre magicien ? s’enquit le Morden en sautant du coq à l’âne.
- Je n’en sais rien, mentit Abigaël. Je ne devais pas être dans l’axe de son sort, je suppose.
Elmarion, en bon Morden, repéra le mensonge mais choisit de ne pas insister. Il enregistra toutefois l’information : leur nouveau compagnon de route n’était pas honnête avec eux. L’histoire qu’elle leur avait servie était également fausse. Apparemment, tous ses compagnons l’avaient gobée mais Elmarion n’était pas dupe. Cette Abigaël leur mentait et Elmarion comptait bien la surveiller de près.
- Que cherchez-vous ? s’enquit Abigaël.
- Des objets magiques, répondit Elmarion. Je ressens leur présence.
Abigaël ne savait pas de quoi le jeune homme parlait. Elle avait été prise par les Thorens avant d’avoir pu visiter entièrement l’endroit. Ils débouchèrent dans un vaste couloir. Du bruit venait de la droite. Elmarion tendit l’oreille et reconnut la voix de ses compagnons. La sortie ne devait pas être très loin. Elmarion partit à gauche et s’arrêta devant la première brèche dans le mur. Elle ouvrait sur une pièce encombrée. Une montagne d’objets s’y trouvait, sans ordre apparent, jetés là avec désinvolture. Pourtant, il s’agissait bel et bien d’objets magiques.
Elmarion entra et commença à se saisir des premiers objets. Abigaël continua à avancer. Quand elle revint, Elmarion activait son troisième objet sans parvenir à en déterminer le fonctionnement.
- Il y en a plusieurs comme celle-là, annonça Abigaël. La dernière pièce est inaccessible. L’entrée est barrée par une porte en fer.
Elmarion se redressa à cette nouvelle. On laissait autant d’objets magiques sans protection, mais on prenait le soin de mettre une porte en fer un peu plus loin ? Quel fantastique trésor pouvait bien renfermer cette dernière salle ? Elmarion se dégagea de son trésor et se dirigea vers le fond du couloir.
- Je croyais que vous vouliez des objets magiques, lança Abigaël sans comprendre pourquoi le Morden quittait la pièce.
Elmarion se posta devant la porte en fer et projeta ses sensations.
- Il y en a aussi là-dedans ? interrogea Abigaël.
- Non, répondit Elmarion, curieux.
Il appuya sur la poignée de la porte mais celle-ci refusa de s’ouvrir. Elle était probablement fermée à clef. Elmarion retourna dans la première salle, en prenant le temps de jeter un œil aux autres montagnes d’objets magiques. Une fois dans la première pièce, il entreprit de fouiller le tas.
- Que cherchez-vous ? s’enquit Abigaël.
- Un objet qui aurait le pouvoir d’ouvrir les portes fermées à clef, annonça Elmarion qui mettait de côté tout ce qui ne semblait pas convenir.
- Sur quels critères vous basez-vous pour trouver le bon ? interrogea Abigaël qui n’avait pas la moindre idée de l’action possible de tous ces objets.
- L’intuition, répondit Elmarion.
Abigaël comprit que le Morden était mal parti.
- Vous faire aider du magicien prendrait sûrement moins de temps, fit remarquer la jeune femme.
Elmarion gronda :
- Il ne voudra jamais m’aider.
Abigaël comprit que le groupe n’était guère soudé. Ça l’arrangeait. Les dissensions entre les différents membres l’aideraient à mieux s’intégrer. Il était toujours plus difficile de s’immiscer dans des liens forts.
- Vous voulez que j’aille le demander pour vous ? proposa Abigaël. Moi, il ne me connaît pas.
- Vous avez mon âge et vous êtes plus douée que lui en combat et en furtivité. Il vous hait déjà, la contra Elmarion.
- Je n’ai pas de préjugé sur les gens. Je vais essayer tout de même, annonça Abigaël avant de sortir de la salle pour retourner à l’entrée.
Trois hommes et une femme se trouvaient là, autour d’un feu, mais le magicien ne s’y trouvait pas. Elle reconnut les hommes. Celui qui était arrivé en premier et qui avait failli mourir était éveillé mais il semblait mal en point. Le druide et le nécromancien, reconnaissables à leurs vêtements, se présentèrent. La voyante fit de même. Le garçon en souffrance fut incapable de se présenter seul. Il ne sembla même pas se rendre compte de la présence de la jeune femme.
- Sauriez-vous où je peux trouver le magicien ? interrogea Abigaël.
- Dans les couloirs, dit Moratus. Il est parti rejoindre Yohan. Il veut s’assurer lui-même que l’endroit est sans danger. Pourquoi ?
- Elmarion a besoin de lui pour ouvrir une porte fermée à clef. On ne sait jamais ce qui peut se trouver derrière. Mieux vaut être prudent, non ?
Moratus sourit puis dit :
- Inutile de sortir vos arguments devant moi. Je ne peux pas vous aider. Refaites la même chose devant le magicien et il vous suivra sans hésiter.
Abigaël sourit mais intérieurement, elle se promit de toujours faire attention au nécromancien. Il semblait lui aussi très rusé. Abigaël trouva facilement le magicien et comme prévu, il la suivit sans rechigner après avoir entendu ses arguments. Elmarion sembla impressionné. Taïmy se concentra et rapidement, un clic retentit.
- Ça n’a pas été difficile, assura le magicien. Elle était juste fermée à clef.
Il poussa la porte pour découvrir son contenu : une bibliothèque bien rangée. Des meubles supportaient des livres nets. Deux tables propres et vides constituaient le centre de la pièce. Elmarion, Abigaël, Taïmy et Yohan entrèrent, surpris de trouver une telle pièce au milieu d’une grotte à l’abandon.
- Quelqu’un a pris grand soin de protéger cet endroit, murmura Abigaël.
Tous se saisirent d’un livre au hasard et commencèrent à le lire.
- C’est un précis de grammaire, annonça Taïmy, d’une langue que je ne connais pas.
- Pour ma part, un carnet de vocabulaire, dans la même langue que le tien, je suppose, dit Yohan.
Abigaël reconnut la langue du livre qu’elle tenait et frémit. C’était impossible ! Un tel ouvrage n’aurait jamais dû exister. Il était interdit de…
- C’est impossible ! s’exclama Elmarion. Un tel ouvrage ne devrait pas exister.
Abigaël avait l’impression que le jeune homme venait de lire ses pensées.
- Que veux-tu dire ? interrogea Taïmy.
- Cet ouvrage est un recueil des sorts simples et basiques, dit Elmarion en désignant le livre qu’il tenait dans sa main. Regardez l’auteur.
Taïmy et Yohan le cherchèrent sur leur livre. Ils trouvèrent.
- Arfer Turiel, lut Yohan qui ne connaissait pas ce nom.
- Arfer Turiel ? répéta Taïmy d’un ton mauvais laissant entendre qu’il connaissait. C’est le sorcier qui a torturé Elna et causé la mort d’Anaïs !
- La conclusion est évidente : ces livres traitent de magia verborum, annonça Elmarion.
Taïmy ouvrit de grands yeux et même Yohan sursauta malgré son état de mort-vivant.
- Je croyais qu’il était interdit de l’écrire, fit remarquer Yohan.
- Turiel ne s’embarrassait peut-être pas de règles, expliqua Elmarion. Ceci est un trésor inestimable. Je dois absolument compulser ces ouvrages.
- Tu ne disposeras que du temps que nous passerons ici, limita Taïmy. Quand Astral aura eu une vision plus nette, nous repartirons et tu viendras, fini ou pas. Cette bibliothèque ne va pas s’envoler.
Elmarion hocha la tête.
- Je me demande si c’est une bonne idée, murmura Yohan.
- Pourquoi ? interrogea Taïmy qui en avait un peu assez que son assistant le contredise sans cesse.
Pour une fois, le magicien avait fait preuve de gentillesse en allant dans le sens du Morden qu’il détestait et voilà que l’ensorceleur le contrait.
- C’est à cause d’un sort, à cause de la magia verborum, que la magie a disparu de ce monde. Alors que nous savons qu’elle va bientôt disparaître, un nouveau sorcier va apparaître. Et si la menace, c’était Elmarion. Après tout, il sera bien à l’endroit prévu au moment prévu, puisque nous y allons. Et si c’était lui qui, en lançant un sort de manière un peu précipitée, faisait disparaître la magie !
- Je ne pourrai pas lancer de sort compliqué d’ici une ou deux lunes, répliqua Elmarion. Je pourrai à peine prononcer deux mots. À l’époque, les sorciers lançaient des sorts tout le temps et le monde ne s’en portait pas mal. Il ne faut pas tomber dans la terreur non plus !
Taïmy réfléchit. On ne pouvait pas apprendre à détruire le monde en quelques jours.
- Tu es libre d’apprendre, dit Taïmy. On ne sait pas ce qui nous attend là-bas. Je préfère avoir à côté de moi toutes les forces possibles.
Elmarion sourit tandis que Yohan fronçait les sourcils. Le Morden s’attela à l’ouvrage. Il aurait du travail, beaucoup de travail. Lorsqu’Abigaël lui proposa de rester pour l’aider, le Morden accepta. Ainsi, il pourrait surveiller la jeune femme.
Il commença par regarder les différents titres des ouvrages, cherchant par lequel il pourrait commencer mais il y en avait des centaines. Abigaël lui tendit un livre : « Introduction à la magia verborum ». Elmarion sourit. C’était parfait. Soudain, quelque chose le choqua. Il s’assit, ouvrit le livre puis, tout en lisant, lança :
- Vous savez lire, Abigaël ?
- Oui, pourquoi ?
- Comme ça, pour rien, dit Elmarion en souriant.
Finalement, la jeune femme n’était pas si douée que ça. Elle faisait des erreurs. D’après son histoire, elle n’avait jamais mis les pieds en Terre des mages. Pourtant, elle parlait leur langue et savait même la lire. Elmarion se demanda quand ses compagnons s’en rendraient compte. En attendant, il comptait bien la surveiller tout en profitant de l’aide qu’elle lui apportait si volontairement. Il comptait bien découvrir pourquoi elle tenait si ardemment à intégrer leur groupe. S’il fallait répondre à ses attentes pour ça, il le ferait car il avait bien remarqué les regards que lui portait la jeune femme. L’appréciait-elle réellement ou bien faisait-elle semblant afin de mieux s’intégrer ? Il l’ignorait mais il comptait bien lui retourner la faveur.
À l’heure du dîner, Philippe vint chercher Elmarion pour le prévenir que tout le monde était réuni dans la salle à manger, sauf Yohan qui faisait le guet. Philippe ne s’attendait visiblement pas à trouver quelqu’un d’autre qu'Elmarion dans la bibliothèque. Ses camarades ne lui avaient pas indiqué la présence d'Abigaël, considérant que Philippe était au courant, étant présent au moment des présentations. Le jeune homme, complètement embrumé juste après son réveil, ne connaissait en fait pas l'existence du nouveau membre féminin du groupe.
Il découvrit une jeune femme aux courbes gracieuses, au sourire splendide et aux yeux brillants. Il fut sous le charme. Elmarion plissa des yeux en s’en rendant compte. La jeune femme avait montré de l’attrait pour lui et s’imaginer devoir se battre contre Philippe, le boulet du groupe, l’horrifiait. Le Morden fut heureux de constater qu’Abigaël regardait Philippe avec une neutralité totale.
- Bonjour, dit le jeune homme. Je suis Philippe. Une créature telle que vous ne peut avoir qu'un nom sublime…
Abigaël comprit que son interlocuteur était sous son charme et ce bien qu’elle n’eut à aucun moment essayé de lui plaire. Le nouveau venu était grand, fin, pas viril du tout. Il était encore un garçon. Pourtant, il devait avoir à peu près le même âge qu’elle ou Elmarion, mais clairement, chez lui, l’homme n’apparaissait pas encore. Tout le contraire de ce qui aurait pu plaire à la jeune femme. Il était clair que Philippe deviendrait un bel homme mais pour le moment, l’âge ingrat était loin de l’avoir quitté.
- Je me nomme Abigaël, dit la jeune femme sur un ton neutre montrant qu’elle ne l’appréciait pas plus que ça mais pas agressif non plus.
Elle voulait s’intégrer dans le groupe. Qu’elle ait tapé dans l’œil de l’un d’eux pouvait s’avérer bénéfique.
- Un prénom magnifique, autant que vous… répondit Philippe.
Sa tentative de drague était pathétique. Abigaël se retourna vers ses livres. Elle préférait largement leur compagnie.
- Le dîner est prêt dans la cuisine, annonça Philippe. Taïmy souhaiterait que tout le monde mange ensemble, excepté Yohan qui monte la garde.
- Je préfère rester ici, annonça Elmarion. Abigaël, tu veux bien m’amener un plateau repas ?
- Manger dans une bibliothèque ? Surtout d’aussi grande valeur ? Certainement pas, répondit la jeune femme.
Elmarion se redressa et jaugea la nouvelle venue. Ainsi, elle voulait s’intégrer au groupe, mais pas en faisant n’importe quoi. Elle ne se laisserait pas faire. Elmarion hocha la tête et se leva.
Lorsque tous furent à table, Philippe interrogea Abigaël sur son passé et elle répondit, utilisant la même version que précédemment. Elmarion fut impressionné. La jeune femme inventait sa vie avec facilité. Les mensonges glissaient, les uns derrière les autres, s’emboîtant à la perfection. Elle n’oubliait jamais l’invention précédente. Elmarion en profita pour tester la jeune femme.
- Où avez-vous appris à parler notre langue ?
- Que voulez-vous dire ? répondit Abigaël. Je parle ma langue natale, celle de mon village, à Frê.
Elmarion fut mouché. Nul ne connaissait l’existence des huit royaumes. Personne n’y avait jamais mis les pieds. Ainsi, nul ne savait quelle langue ils parlaient. Qu’ils communiquent de la même manière qu’eux n’était pas impossible.
- Comment se fait-il que vous sachiez lire ? insista Elmarion. Chez nous, seuls les riches, les nobles ou les êtres magiques ont cette connaissance.
- Dans mon village, tout le monde apprend à lire et à écrire, répondit Abigaël. Les pauvres, les riches, les garçons, les filles, tout le monde.
Elmarion hocha la tête tandis que le groupe méditait ces paroles. Ces huit royaumes semblaient bien organisés et évolués.
- Et vous ? Que faites-vous dans ces montagnes dangereuses ? lança Abigaël.
- Nous cherchons ce qui va faire disparaître la magie du monde, annonça Taïmy.
- Je ne comprends pas, avoua Abigaël mais Elmarion vit qu’elle mentait.
- Tu sais sûrement qu’il y a environ quatre siècles, la magie a disparu pour ne revenir qu’il y a environ vingt ans, commença Taïmy.
- Non, j’ignorais, dit Abigaël. Je ne suis probablement pas assez âgée.
- Ton école ne t’enseignait pas ça ? s’étonna Taïmy.
- Non, pas vraiment. Elle nous enseigne l’histoire de notre pays, les lois, les règles, les bases sur le fonctionnement du corps, le miracle de la vie et les positions des étoiles.
- Il y a vingt ans, est-ce que certaines personnes de ton peuple sont soudainement devenues vivantes ? s’enquit Taïmy.
- Vivantes ? Comment ça ?
- Taïmy, intervint Philippe, il n’y a peut-être tout simplement pas d’êtres magiques dans son peuple. Auquel cas la présence ou non de la magie ne les touche absolument pas.
Le magicien dut admettre que la réflexion du jeune homme n’était pas idiote.
- Bref, la magie est reparue mais elle risque de disparaître à nouveau. Nous sommes là pour l’empêcher à tout prix, finit Taïmy.
- Abigaël, savez-vous ce que le gant blanc que Taïmy porte à la main gauche signifie ?
Abigaël réfléchit. Par rapport à son histoire, était-elle censée le savoir ? Elle comprit que le Morden la testait. Avait-il vu clair dans son jeu ? Elle frissonna intérieurement.
- Non, mentit Abigaël. Je devrais ?
Taïmy allait intervenir mais Elmarion lui fit signe de se taire d’un geste de la main. L’archimage n’apprécia pas du tout de se faire ainsi refuser le droit de parler par le jeune Morden.
- Sauriez-vous nous dire à quel groupe magique chacun de nous appartient ?
- Taïmy est un magicien, dit Abigaël. Je l’ai compris grâce à la façon dont il a lancé un sort.
- Si votre peuple ne connaît pas la magie, comment pouvez-vous connaître l’existence des magiciens ? interrogea Elmarion.
- Il y a des magiciens parmi mon peuple. Une dizaine, mais ce sont des êtres respectés de notre société. Ils n’ont jamais eu de problèmes à utiliser leurs pouvoirs, avoua Abigaël.
Taïmy se crispa à ces mots. Ainsi, d’autres peuplades avaient des magiciens expérimentés ? Elna n’était donc pas la première ? La révélation fit froid dans le dos à l’archimage. Elmarion, lui, ne s’en faisait pas trop. Abigaël mentait. Il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter.
- Et moi ? interrogea Elmarion.
- Elle t’a désigné comme Morden grâce à ta ceinture, annonça Taïmy.
- J’ai entendu les Thorens parler de vous. Ils croient que vos pouvoirs sont liés à cet objet et qu’avant, vous portiez un gant rouge qu’ils craignaient encore plus, expliqua Abigaël.
Ainsi, comprit Elmarion, la jeune femme rendait son récit crédible en y insérant des parties véridiques.
- Et les autres ?
- Ismaël est un druide, dit Abigaël. C’est sous cette dénomination que Taïmy a envoyé Moratus le chercher alors que Philippe et vous étiez à l’agonie. Ceci dit, je ne sais pas ce qu’est un druide. Apparemment, il peut soigner des gens mais pas en ce moment, j’ignore pourquoi.
Ismaël fit la moue et Elmarion fut impressionné par la mémoire de la jeune femme. Elle n’oubliait rien.
- Astral a des visions, continua Abigaël en désignant la femme. Je ne sais pas ce que ça veut dire mais vous devez attendre qu’elle en ait une avant de repartir, vous l’avez dit dans la bibliothèque. Yohan, qui n’est pas là, a le pouvoir le contrôler les pouvoirs du magicien. Il l’a fait devant moi mais j’ignorais qu’une telle chose était possible. Je n’en avais jamais entendu parler.
- Il n’y a pas d’ensorceleur sur vos terres, comprit Taïmy.
- S’il y en a, je ne le sais pas, avoua Abigaël avant de finir : Quant à Moratus et Philippe, j’ignore quels pouvoirs ils ont.
- Philippe, aucun, assura Taïmy d’une voix cinglante.
Abigaël vit le jeune homme reculer. Le magicien l’aurait giflé que sa réaction aurait été la même.
- Moratus est un nécromancien. La mort lui donne du pouvoir, finit Taïmy.
Moratus s’inclina en souriant. Abigaël lui rendit volontiers son sourire, montrant ainsi son caractère : elle n’avait pas peur de la mort. Assassin, elle l’appréciait même.
- Vous devez apprécier que j’ai tué les Thorens, en conclut Abigaël.
- Non, grommela Moratus. Les minuels repoussent la magie extérieure. De ce fait, leur mort ne m’apporte rien.
- Ah, finit Abigaël.
Même ce « Ah » sonnait faux, sentit Elmarion. Elle mentait sacrément bien. Il fallait s’en méfier. Elmarion ayant fini d’interroger la jeune femme – pour le moment, Philippe discuta avec elle. Moratus se pencha sur Elmarion et lui murmura à l’oreille :
- Elle ment, n’est-ce-pas ?
- Sur presque tout, répondit Elmarion. Ceci dit, elle ment tellement bien qu’elle me fait douter.
- Vous ne connaîtriez pas un sort de vérité ? proposa Moratus.
- Même si je l’avais, je ne sais pas encore lancer de sort, avoua Elmarion.
- Connaître la magia verborum ne suffit pas ?
- Apparemment pas. Je n’ai pas encore terminé « introduction à la magia verborum ». Il y est dit que la magia verborum est limitée par trois choses, et que la seconde et la troisième sont respectivement l’imagination du lanceur et sa connaissance de la langue. Turiel dit qu’il vaut mieux découvrir la langue avant de commencer à lancer des sorts et risquer de mauvaises surprises en ne comprenant pas bien ce que l’on fait. Il a donc gardé la limitation numéro une pour la fin du livre. Je pourrais aller voir, remarqua Elmarion, mais je préfère m’en tenir aux conseils donnés par le sorcier.
- Je le comprends, dit Moratus. Si un sort n’est pas envisageable, un objet magique alors ? Vous en avez des montagnes à votre disposition.
- J’ignore leur usage. Le déterminer me prendrait des années, maugréa Elmarion.
- Yohan n’a pas ce problème. En tant qu’ensorceleur, il lui est très facile de connaître l’effet d’un objet.
- J’irai lui parler, promit Elmarion en souriant.
L’idée de Moratus était excellente.
Le lendemain, Yohan faisait signe à Elmarion de le rejoindre en dehors de la bibliothèque où Abigaël se trouvait également. L’ensorceleur donna au Morden une paire de serre-poignet en cuir. Ils étaient magnifiques. La finition était parfaite, les lacets en excellent état et les motifs fins et délicats. Elmarion les passa volontiers.
- Comment fonctionnent-t-ils ? interrogea le Morden qui avait senti que les objets étaient magiques.
- Active-les et ils seront capables de déterminer le mensonge. Ils deviendront brûlants en présence de mensonge. Méfies-toi, prévint Yohan, ils réagissent également à tes propres mensonges. Leur utilisation doit être particulièrement délicate. De plus, la vérité est une notion compliquée. Deux personnes peuvent ne pas avoir le même avis sur le même évènement. Les serre-poignets repèrent uniquement les mensonges prononcés volontairement.
Elmarion montra qu’il comprenait. Il remercia l’ensorceleur avant d’entrer de nouveau dans la bibliothèque. Pour le moment, il se concentrerait sur la magia verborum mais il ne comptait pas oublier Abigaël pour autant.
Il eut raison car Astral eut une vision le soir même. Elle réunit tout le monde. Taïmy ne cacha pas sa joie. Le départ fut prévu pour le lendemain, à l’aube.
et qui est son Maître? au début je pensais que c'était Elmarion mais apparemment pas...