Thomas pénétra dans le bâtiment. Les gardes l'avaient fait attendre un bon moment avant de lui permettre d'entrer. Il secoua la tête, mécontent. Il s'y était attendu, bien sûr : les maîtres des lieux n'allaient certainement pas l'accueillir à bras ouverts. Bien que cela soit censé être un secret, ils savaient ce que Thomas venait faire là, le jeune homme n'en douta pas une seconde.
- Prêtre Merlin ! Soyez le bienvenu !
Thomas se tourna vers l'homme qui venait de l'interpeller. Grand, jeune – à peine plus vieux que moi, remarqua-t-il dégoûté - ses cheveux gras et sa barbe non taillée, il respirait la saleté. Une odeur d'urine l'entourait, rendant sa proximité désagréable. Ils me méprisent à ce point, comprit Thomas. Ses habits bien taillés tenaient droit grâce à une saleté incrustée. Cet homme se lavait-il ? Se changeait-il ? Thomas en douta.
- Conseiller Pouliur, dit Thomas en s'inclinant à peine.
Lui ne portait qu'une simple robe brune en laine épaisse cintrée d’une ceinture de lanières de cuir, symbole de son rang, dont il était très fier.
- Hé bien, prêtre Merlin, que nous vaut l'honneur de votre visite ? dit le conseiller avec une sincérité parfaitement imitée.
Son haleine fétide parvint jusqu'à Thomas, qui retint un haut-le-cœur.
- Vous le savez très bien, conseiller Pouliur. Menez-moi auprès du conseil des huit, que cela se termine vite.
- Je ne comprends pas ! répondit le conseiller avec une surprise magnifiquement feinte qui mit Thomas hors de lui.
Le prêtre se força à se calmer et le conseiller n'insista pas sous le regard furieux du jeune homme. D'un geste, Gröth Pouliur proposa à Thomas de le suivre.
Lorsqu'il le fit entrer dans la salle du conseil, Thomas s'était calmé. Autour d'une table ronde étaient assis sept hommes ayant tous entre vingt et trente ans. Habillés de vêtements à la coupe simple et sans ornement, ils n'en resplendissaient pas moins.
Le conseiller Gröth Pouliur prit place sur le huitième siège vide.
À sa droite, son comparse brun, le conseiller Arvel Benith ne broncha pas. N'avait-il aucun odorat ?
À sa gauche, Maxime Perone remua. Thomas savait les deux hommes amis proches, bien que tout les opposa. Maxime Perone apportait un énorme soin à son apparence, usant de son charme exotique, sa rousseur et ses tâches lui valant une attirance certaine auprès du genre féminin.
Vincent Cypher attendait à côté. Il regardait les murs dans une attitude d'ennui. Ses cheveux et ses yeux noirs contrastaient avec la blancheur de son visage, lui donnant une apparence effrayante dans la demi-pénombre de la pièce peu éclairée.
Belan Cortys se racla la gorge. Il se tenait bien droit sur son siège. Une épée pendait à ses côtés, seul dans la salle à arborer une arme.
Harlan Coern mâchait une nourriture invisible. Son corps gras débordait de son siège et ses doigts boudinés frappaient la table sans le moindre rythme.
Thomas évita de croiser le regard d'Anthony Spot. Le conseiller aux cheveux blancs lui foutait la trouille. Il avait pourtant l'âge de Thomas, peut-être moins. D'où lui venait cette couleur étrange ? Thomas préférait autant ne pas le savoir et se plaça de manière à l'avoir dans son dos.
Thomas se tourna vers le dernier conseiller : blond aux yeux bleus, un corps parfait, des habits taillés mettant en valeur son corps idéal. En charge de la diplomatie, Teflan Stylus prendrait les choses en main, Thomas en était certain. Il ne fut pas détrompé.
- Prêtre Merlin, lança Teflan Stylus, nous sommes ravis de vous accueillir dans ce palais. Nous avons beaucoup entendu parler de vous et tous les rapports sont admirables. Vous effectuez un travail merveilleux sans aucun…
- Inutile de jouer de la flatterie avec moi, conseiller Stylus, cracha Thomas. Ça ne prend pas.
Thomas ne comptait pas le laisser mener la danse. Il prit sa respiration et poursuivit :
- Je vais aller droit au but. Je ne suis pas ici pour discuter mais pour…
- Peut-être voudriez-vous vous asseoir ? proposa le conseiller Stylus, coupant ainsi volontairement la parole au prêtre.
Thomas se retint de ne pas exploser. Un sourire étira les lèvres du conseiller Stylus.
- Votre temple est révoqué, annonça Thomas sans détour.
- Pourrions-nous connaître la raison de cette révocation ? demanda le conseiller Stylus d'une voix sereine.
- La raison ? Vous la connaissez très bien ! s'exclama Thomas.
Les huit conseillers se regardèrent en souriant mais lorsque Teflan Stylus regarda Thomas, il ne souriait pas et son regard était plus dur que la roche et plus tranchant que la lame de son épée.
- Prêtre Merlin, si vous sortez de cette pièce en conservant votre jugement, je jure de faire de votre vie un enfer. Peut-être pas demain, ni dans un an, mais je vous conseille de toujours regarder dans votre dos, parce que vous pourriez bien nous y trouver, une dague pointée sur vous.
- Vos menaces ne me font pas peur, conseiller Stylus. Oseriez-vous croire que j'ai peur de mourir ? répliqua Thomas.
Nul ne répondit. Tous savaient ici que c'était même le cadet de ses soucis.
- Afin de m'assurer que tous soient au courant de la révocation du temple du palais impérial, je m'installerai en ville quelques temps. Sachez également que l'entrée du temple de la ville vous est interdite.
À ces mots, Thomas quitta la pièce en tournant ostensiblement le dos aux huit conseillers.
Thomas sortit du palais la rage au ventre. La nuit tombait sur Stonyard, la capitale de l'empire Beera. Il soupira. Les deux dernières lunes n'avaient pas été de tout repos et il n'avait pas beaucoup dormi. Deux mois d'enquête avaient été nécessaires pour découvrir deux preuves nécessaires à la révocation du temple impérial.
Il aurait préféré la troisième mais heureusement, cela avait suffi à convaincre le grand temple. Un coup dur pour les huit conseillers à la tête du palais, car Thomas n'était pas dupe : ce n'était pas l'empereur mais bien eux qui commandaient. L'empereur n'était qu'un pion et s'en satisfaisait très bien, comme ses prédécesseurs. D'ailleurs, s'il lui avait pris l'envie de s'opposer aux huit conseillers, il aurait été enterré et remplacé le jour même.
Arrivé en bas des marches menant au palais, Thomas fit signe à un cocher. La voiture s'immobilisa devant lui.
- Au temple de Chaak, s'il vous plaît.
À peine avait-il dit cela que la voiture démarrait. Le cocher avait fui sans demander son reste. Thomas soupira. Il était vraiment fatigué pour avoir oublié la façon prévisible dont les cochers réagissaient à la mention de ce lieu. Thomas s'approcha de la voiture suivante.
- Au pont de Kremer, s'il vous plaît.
Le cocher hocha la tête et ne démarra que lorsque Thomas fut assis à l'intérieur. Lorsque la voiture s'arrêta, le ciel devenait bleu. Le prêtre avait cueilli les conseillers dès l'aube, espérant les surprendre, en vain apparemment.
La capitale se levait mais Thomas, lui, était fatigué et las. Le jeune prêtre ne rêvait que d'un bon lit. Il ne faisait pourtant pas ce travail depuis longtemps mais chaque révocation apportait toujours son lot d'horreurs, qu'il supportait de moins en moins. Il en avait encore jusqu'à l'hiver prochain. Avec un peu de chance, la surveillance du temple impérial lui prendrait jusqu'au printemps et il pourrait enfin s'installer et vivre une vie calme et sereine.
Il sortit de la voiture et frissonna sous le vent qui se déchaînait continuellement sur ce pont. Il lança une pièce d'argent au cocher dont les yeux brillèrent lorsqu'il lui dit de garder le tout. Le cocher fit repartir la voiture.
Thomas remuait de sombres pensées en avançant sur le pont. Cette affaire était sans doute la plus difficile qu'il avait eu à traiter. Jamais il n'aurait cru que quiconque oserait aller aussi loin. Il manqua de trébucher sur une pierre tombée sur la route. Il maudit sa stupidité et envoya un formidable coup de pied dans la roche qu'il suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle s'écrase sur le rebord du pont, de l'autre côté de la route.
Ses yeux se fixèrent sur ce qui se trouvait juste derrière. Une forme sombre, une femme au vu des cheveux longs, un homme vu ses habits, se tenait là. À cette heure matinale, le pont était désert. Intrigué, il s'approcha pour voir la forme disparaître. Le bruit d'un objet percutant la surface de l'eau écorcha ses tympans. Qui que fut cette personne, elle venait d'essayer de rejoindre Chaak.
- Non ! s'écria-t-il avant de regarder par-dessus le muret de son côté.
Une forme sombre, éclairée par la lune, était emmenée par les eaux. Thomas ne réfléchit pas. Il savait ce qu'il devait faire.
D'un geste, il se débarrassa de sa robe lourde en laine pour se retrouver nu. Sans attendre, il se jeta dans le Chanvre. Il le savait profond à cet endroit et ne risquait donc pas de rencontrer le fond.
Il frémit lorsque l'eau froide lui caressa la nuque et le trempa mais le prêtre se força à ne pas perdre de temps. Il nagea vers la silhouette ballottée par les eaux et l'attrapa alors qu'elle allait couler. Il happa la silhouette - qu'il découvrit féminine dans des atours masculins - et avisa qu'elle ne respirait plus.
Il la tira sur la berge et lui souffla de l'air dans la bouche. Rapidement, la femme cracha de l'eau sans reprendre connaissance. Il remarqua alors que ses poignets saignaient. Cette femme s'était-elle tranchée les veines avant de se jeter à l'eau ? Si c'était le cas, elle devait vraiment être désespérée.
Thomas regarda autour de lui. Nul ne venait d'assister à la scène mais bientôt, les lavandières viendraient envahir les lieux et Thomas ressentit intensément sa nudité. Il porta la femme et remonta, heureux de ne croiser personne. Il remit sa robe, serra sa ceinture puis reprit sa route, la belle dans les bras, ses pieds gargouillant dans ses bottes trempées.
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Julien était de garde. Ça n'était pas spécialement intéressant, mais au moins, ici, il était seul et libre de faire ce qu'il lui plaisait. Il récita une prière qui lui aurait valu des regards noirs de ses compagnons. Il ne comptait plus les nuits passées à attendre d'éventuels visiteurs qui n'existaient pas. Personne ne venait jamais.
Julien secoua la tête. À chaque garde, il se répétait la même chose et cela ne changeait rien. Le haut prêtre avait ordonné la présence continuelle d'un garde à l'entrée du temple afin de prévenir la venue d'éventuels adeptes. Comme s'il y avait des adeptes en dehors du temple, pensa Julien. Et surtout, comme s'ils allaient s'amuser à venir en plein milieu de la nuit ! Heureusement, l’aube venait de pointer le bout de son nez. La relève n’allait pas tarder. Une nuit de plus en moins.
Lorsque le bruit du marteau de la porte d'entrée résonna, Julien crut mourir de peur. Il se leva, les jambes encore tremblantes, et le bruit reprit, plus insistant. Quelqu'un voulait entrer. Julien savait que tous ses frères prenaient leur collation du matin avant les premières corvées. Cette solitude le fit frissonner.
Il se leva, inquiet car il n’avait pas la moindre idée de quoi faire. Personne ne lui avait jamais dit comment réagir en cas de présence d’un visiteur. Devait-il demander l’identité du voyageur puis rendre compte au haut prêtre en laissant l’inconnu dehors ? Devait-il lui proposer d’entrer au risque de le laisser seul dans le sanctuaire ? Devait-il l’amener au haut prêtre ?
Les coups résonnèrent de nouveau, amenant Julien à tourner en rond en transpirant. Tout en bafouillant des sons incompréhensibles, il se décida à ouvrir le ventail pour découvrir le visiteur. Un homme qui devait avoir tout juste vingt ans attendait. Ses yeux gris dévisagèrent le jeune adepte. Ses cheveux plaqués contre son visage dégoulinaient. Étrange. Il n’avait pas plu depuis plusieurs jours pourtant.
- Je suis le prêtre Merlin. Je suis conscient d'arriver tôt mais…
Julien sursauta. Le haut prêtre leur avait annoncé une lune plus tôt qu'un prêtre errant était en ville. Le visiteur n’était ni un inconnu, ni un adepte, mais un prêtre ! Julien s’en trouva rassuré. Cette visite-là, il savait gérer. Julien ouvrit la porte le plus rapidement qu'il lui fut possible, maudissant ce loquet récalcitrant.
- Soyez le bienvenu, prêtre Merlin. Je suis navré de…
Il stoppa en remarquant ce que le voyageur tenait dans ses bras : le corps inanimé d'une jeune femme trempée dans des vêtements masculins. Merlin s’avança, poussant un peu Julien au passage, qui ne s’en offusqua pas. Julien referma la porte derrière le visiteur, avisant les traces de pas mouillées sur le carrelage immaculé du temple. Les frères auraient du travail ce matin.
- Elle a besoin de soins, c'est urgent, s'exclama Thomas.
Une femme au temple ? C’était une première. Non pas que le culte ne soit réservé qu’aux hommes mais aucun temple ne proposait de mixité. Cependant, refuser de venir en aide à une personne dans le besoin allait à l’encontre de tous les codes moraux du culte. Julien s’avança en faisant signe au prêtre de le suivre.
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Thomas découvrit une cellule simple, classique pour un temple : une paillasse, une table vide, une chaise, une malle. Thomas déposa sa prise sur la natte de paille et de plumes mêlées puis se tourna vers l’adepte lui ayant ouvert la porte :
- Elle a besoin de soin, de chaleur et de vêtements propres.
- Je vais prévenir le haut prêtre de votre arrivée ainsi que de vos besoins.
- J’ai moi aussi bien besoin d’un bain chaud et de vêtements secs, des bottes surtout.
L’adepte qui n’avait pas pris la peine de se présenter jeta un coup d’œil à ses pieds et ne put s’empêcher de ricaner. Thomas soupira. Ce jeune homme semblait bien benêt. Alors que le garçon disparaissait dans le couloir, Thomas espéra qu’il arriverait à se souvenir de l’ensemble des besoins et osa un pari avec lui-même, choisissant « non ».
Thomas ouvrit les volets, permettant au soleil matinal de baigner la pièce dans une douce lueur orangée. Ses yeux tombèrent sur la forme inanimée dont la poitrine se soulevait régulièrement. Au moins ne semblait-elle pas souffrir malgré son teint blafard. Elle l’avait échappé belle. Pourquoi avoir voulu en finir ?
Et pourquoi portait-elle de tels atours ? Thomas la caressa des yeux, ne pouvant s’empêcher de grimacer devant les blessures autour des poignets. Il s’accroupit devant afin d’observer de plus près. Ces marques avaient été laissées par des liens de cordes contre lesquels la jeune femme s’était débattue. Thomas détestait ainsi se prendre en pleine face la noirceur de l’humanité.
Un vieil homme aux cheveux blancs choisit ce moment-là pour entrer. Il portait la robe brune ceinturée de la classique ceinture de cuir tressé. Aucun symbole n’indiquait son rang. Au temple, tous les frères étaient égaux. Le poste de haut prêtre était avant tout symbolique. Toutes les décisions se prenaient en groupe. Le haut prêtre servait à centraliser les informations.
- Prêtre Merlin, salua-t-il tandis que Thomas, toujours accroupi, se contentait de lever les yeux vers lui.
- Haut prêtre, supposa Thomas et le vieil homme acquiesça.
- Auguste, se présenta-t-il. Un indice ?
Thomas perçut une pointe d’amusement. Thomas se trouvait très près de la jeune femme, avec qui il était seul depuis plusieurs tours de moulin. Thomas se releva en toussant, incapable de retenir le rouge de lui monter aux joues.
- Oui, dit-il. Elle n’a pas essayé de se taillader les veines en plus de s’être jetée dans le Chanvre.
- Cette femme vient de tenter de rejoindre Chaak ? s’exclama le haut prêtre horrifié.
- Je l’ai sortie des remous tumultueux du fleuve.
- Cet acte vous honore, le complimenta le haut prêtre.
- Pas si elle meurt ! répondit Thomas. Elle est transie de froid. Il faut la réchauffer. Pouvez-vous le faire ?
- J'ai demandé à frère Paulo d'amener ici la baignoire et de faire chauffer de l'eau, annonça le benêt en apparaissant à son tour dans la petite cellule dans laquelle quatre personnes tenaient difficilement. Il ne devrait plus tarder.
Un bon point pour lui, pensa Thomas.
- Pour vous, j’ai supposé que les thermes chauffés suffiraient, indiqua l’adepte.
Thomas acquiesça en ronchonnant. Il aurait préféré ne pas s’éloigner de sa protégée.
- Les frères Auguste et Arnold pourront s’occuper de réchauffer la demoiselle. À leurs âges, cela ne les dérangera pas. Ils en ont vus d'autres.
- C’est elle que cela pourrait déranger, répliqua Thomas.
- Ils ne lui retireront pas un morceau de tissu. Elle plongera tout habillée. Il suffira de retirer les chaussures… qu’elle n’a pas, remarqua Auguste.
- Ses habits sont étranges, confirma Thomas.
- Ne prenez pas votre travail trop à cœur, le conseilla Auguste. Apprenez à souffler un peu. Tous les crimes ne vous concernent pas, prêtre errant.
Thomas acquiesça. Le haut prêtre avait raison. Thomas avait besoin de calme et de repos. Son enquête avait été longue et éreintante. Sauter dans le Chanvre l’avait drainé de ses dernières forces. Il ne faisait aucun doute qu’il allait dormir trois jours de suite.
- Allez, venez, proposa le haut prêtre. Elle est entre de bonnes mains. Vous la retrouverez après avoir mangé et dormi.
Thomas acquiesça. Il sortit, le benêt les suivant dehors et deux hommes au dos voûté et à la peau ridée entrèrent, tandis qu'un jeune adepte - probablement Paulo - portait une bassine pour le moment vide à l'intérieur.
Thomas ronronna lorsqu'il put se plonger dans une bassine d'eau chaude.
- Que nous vaut l'honneur de votre visite, prêtre Merlin ? demanda le haut prêtre lorsque Thomas fut entièrement dans l'eau.
- Je vous en prie, Thomas sera bien suffisant. Je ne viens pas inspecter votre temple mais y demander l'hospitalité. J'ai révoqué le temple impérial et désire rester ici quelques temps afin de m'assurer que mes directives seront suivies d'effet.
Le haut prêtre se raidit à ces mots.
- Vous êtes le bienvenu, Thomas, naturellement. Vous avez beaucoup de courage pour avoir révoqué ce temple. Cependant, je crains que ça ne serve strictement à rien. D'abord parce que la révocation en elle-même du temple leur importe peu. Seule leur disgrâce aux yeux du peuple pourrait les atteindre. Et pour ça, il leur suffit de distribuer leur or aux bonnes personnes. Le conseil des huit ne recule devant rien.
- Je m'en moque. Au moins pendant quelques temps, les horreurs qu'ils commettent cesseront. Si je peux sauver ne serait-ce qu'une vie, je serai satisfait.
Thomas constata que le haut prêtre ne répondait rien. Son silence indiquait-il son contentement ou au contraire sa désapprobation ? Thomas n'en sut rien. Toujours fut-il que le reste du bain se fit dans le silence.
Finalement, l'eau étant devenue tiède, Thomas se releva, saisit un drap et s'en entoura. Le haut prêtre ne l'avait pas lâché des yeux.
- Votre réputation ne ment pas. Vous êtes un homme courageux et avec un grand sens du devoir.
Thomas attrapa la robe propre et sèche apportée par Paulo durant son bain. Thomas la passa, serrant autour de sa taille la lanière de cuir tressé qui l'accompagnait.
- Je suis aussi un homme qui en a assez de devoir voir et entendre ce que les enquêtes apportent. J'en ai assez de subir le flot d'injures et d'insultes que cela amène. J'estime avoir fait plus que mon dû ces cinq dernières années et je souhaite que cette enquête soit la dernière.
- Vous espérez qu'elle traînera en longueur…
- Vous lisez en moi, dit Thomas en souriant.
- Donc, si je comprends bien, vous désirez rester ici, et non seulement y être de passage…
- Disons que je l'espère. À moins que cela ne vous dérange, bien sûr…
- Pas le moins du monde, frère Thomas. Vous êtes le bienvenu dans ce temple. Soyez assuré que je ne dirai à personne ce que vous venez de me confier et j'espère que cette enquête sera aussi longue que prévue.
Le haut prêtre fit un clin d'œil à Thomas, se leva puis se dirigea vers la porte. Dans l'encadrement, il annonça :
- Julien va vous apporter de quoi manger. Ensuite, je vous conseille de dormir un peu, vous faites peur à voir…
- Julien? répéta Thomas.
- L'adepte qui vous a accueilli.
Ainsi, le benêt pas si idiot se nommait Julien.
- Comment va ma protégée ?
- Elle dort, annonça le haut prêtre. Elle s'est éveillée dans l'eau chaude. Elle a demandé à être seule. Auguste et Arnold l'ont laissée avec un drap pour se sécher, une robe d'adepte propre - nous n'avions malheureusement rien d'autre à lui offrir - et un bol de soupe avec du pain. Auguste a osé passer un œil après n'avoir plus entendu un bruit à l'intérieur. Elle s'était séchée, changée et son plateau était vide.
- Une excellente nouvelle.
- Elle dort. Vous devriez faire de même.
Thomas acquiesça. Il suivit le haut prêtre jusqu'à une cellule, réplique de celle de sa protégée. Un plateau proposant de la soupe et du pain l'y attendait.
- Je vous remercie.
- De rien. Reposez-vous bien.
Thomas mangea puis se coucha, pria pour la santé de la jeune femme, puis s'endormit malgré le jour montant, tant de fatigue physique que nerveuse.
Le soleil l'éveilla. Vu son emplacement dans le ciel, le zénith n'était pas loin. Thomas s'étira et se leva. Une fois dans le couloir, il prit un instant pour se repérer et retrouva aisément la chambre de sa protégée que Julien gardait, assis sur un tabouret, les yeux dans le vague, les pieds tapant sur le rythme d'une musique que lui seul entendait.
- Elle ne s'est pas encore réveillée, prêtre Merlin, annonça-t-il en voyant le prêtre errant.
- Thomas est suffisant, indiqua-t-il avant de frapper à la porte.
Seul le silence lui répondit. Il entra sur la pointe des pieds. La jeune femme dormait. Sur le ventre, son bras gauche tombait, sa main effleurant le sol. La blessure sur son poignet, bien visible, nécessiterait des soins. Thomas trouva que la robe sombre d'adepte de Chaak lui allait bien. Il était surpris qu'elle ait accepté de la porter.
Son regard poursuivit son exploration et il tomba sur ses pieds nus. Il frémit en constatant que ses chevilles portaient les mêmes marques que ses poignets. Le mal sévissait partout. Il dut faire un effort pour ne pas lancer son esprit d'enquêteur sur l'affaire. Le pourquoi ne l'intéressait pas. Il devait se concentrer sur le présent et l'avenir, pas sur le passé.
Il constata que le visage de la jeune femme, détendu et serein, proposait un joli teint rosé, loin de la blancheur à sa sortie de l'eau. Il s'en trouva rassuré. Thomas ressortit et referma la porte derrière lui.
- Merci, frère Julien. Je vais prendre le relais.
Julien hocha la tête et s'éloigna dans le couloir. Thomas prit sa place sur le tabouret et s'en voulut de ne pas être d'abord passé à la bibliothèque prendre un livre. Contrairement au benêt, il fut incapable d'invoquer une musique, quelle qu'elle soit. Seul le corps de la jeune femme le hantait, la peur qu'elle ne veuille à nouveau s'offrir à Chaak, l'espoir de son retour. Si elle recevait un environnement sécurisant, cela suffirait sûrement à lui rendre le sourire. Elle avait vécu un événement traumatisant. Charge à lui de le lui faire oublier.