À mon réveil, je ne sentais plus ma tête, on nous avait clairement drogué, je sentais que la pression atmosphérique était bien différente, le sous-marin devait être à 300 mètres de profondeur. Je n'osais même pas ouvrir les yeux davantage. En levant la tête, j'avais aperçu un homme aux cheveux cendrés avec des lunettes très sombres au point de ne pas voir ses yeux. Il était aussi vêtu d'une drôle de blouse blanche, tachetée d'algues séchées. Il me fixait avec un air d'étonnement, il ne disait rien, mais il me regardait avec insistance. Lorsque j'avais balayé le regard de gauche à droite, j'avais aperçu tous mes camarades assis les uns après les autres autour d'une longue table en métal. À première vue, ils semblaient garder leur sang froid, malgré l'urine autour de « Binocle », jusqu'à ce que l'homme à la blouse blanche nous fasse enfin le topo de tout ce bordel.
Dans un premier temps, il s'était présenté sous le nom de Roland Adam ; il était océanographe, son rôle était d'étudier les organismes marins, les océans et ses végétaux. Par la suite, il avait été secrètement recruté par l'armée française à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une fois les présentations terminées, il nous avait expliqué les aboutissants de cet incident. Selon lui, cela était nécessaire afin de voir si nous étions capables de survivre à cette dose de poison, car nous en aurions besoin durant notre expédition, mais j'ignorais à quoi il faisait allusion. Il nous faisait comprendre que la mission n'était pas une simple opération de surveillance, mais d'exploration afin de retrouver une vieille base sous-marine cachée dans les montagnes océaniques. Nous avions alors posé diverses questions, car nous commençions à saturer de toutes ces manigances, telles que « Pourquoi un si petit équipage ? » « D'où provient ce sous-marin ? » « Pourquoi autant de mystère ? » « Pourquoi nous avoir empoisonnés ? » ...
Tout ce que nous avons eu en retour, c'était « vous le comprendrez bien assez tôt », sous prétexte que nous n'avons plus le temps de discuter.
Sans plus tarder, il m'avait demandé d'enfiler ma combinaison de plongée pour commencer nos recherches dans les alentours, avec l'un des frères Beaumont, Jacques. Je n'étais pas contre pour commencer les hostilités, mais il faut savoir que les frères Beaumont sont inséparables : depuis que je les connais, ils se sont toujours soutenus entre eux comme les plus gros égoïstes du camp. Donc, séparer l'un des deux relève de la folie s'il arrivait quelque chose à Jacques. Son frère, Jean, avait bien entendu contesté et s'était proposé d'y aller avec lui, mais j'ignore pour quelle raison l'océanographe tenait à ce que j'y aille en personne.
Comme convenu, nous nous étions changés. Notre équipement était incroyable, on pouvait ressentir l'avancée technologique, je n'avais encore jamais vu ça. Nous avions une combinaison de plongée assez chaude, car elle était légèrement matelassée avec des palmes qui semblaient bien plus mobiles que la normale. Le moindre orteil qui bougeait, la palme bougeait aussi, c'était comme avoir une prothèse aux pieds. Nos scaphandres étaient dotés d'une caméra intégrée pour voir nos déplacements et d'un micro. En ce qui concerne l'oxygène, nous avions une grosse bonbonne d'air accrochée dans le dos avec un tube rigide relié au scaphandre. La bonbonne pouvait recycler l'air, ce qui augmentait son autonomie d'oxygène. Et nous avions une lampe torche qui était accrochée au torse de la combinaison.
Une fois équipé, l'océanographe nous avait donné un détecteur pour pouvoir localiser la moindre anomalie électromagnétique. Le sous-marin avait certes la capacité de voir à travers, mais pas d'aussi profond dans la roche, il fallait qu'on se rapproche le plus possible pour pouvoir situer ce qu'il cherche, encore faut-il que cette base existe belle et bien... car personne n'y croyait. Et le capitaine nous avait remis un harpon, qui lui était malheureusement basique.
Avant d'y aller, les deux frères se sont serrés dans les bras avant que Jean m'avertisse de faire très attention à Jacques, sinon j'étais un homme mort. C'est dans ce genre de moments que l'ironie peut être belle parfois. Jacques s'était lancé le premier à l'eau, il ne semblait pas être rassuré, je ne l'avais jamais vu comme ça, c'était sûrement dû à son éloignement avec son frère. Je l'avais rejoint aussitôt et nous nous sommes mis à longer ce long mur rocheux. Il faisait très sombre, on voyait légèrement les faisceaux du soleil, c'était très rassurant malgré ce calme profond. On entendait uniquement le bruit de notre respiration et nos mouvements dans l'eau. Le mur paraissait infini, plus on le longeait, plus on s'éloignait de Minerve, il n'avait fallu que 50 mètres pour la perdre de vue. On s'attendait à voir divers poissons ou plantes marines, mais il n'y avait absolument rien, c'était le néant absolu.
Durant le trajet, après quelques kilomètres à la nage, nos détecteurs n'avaient toujours pas réagi, même pas un seul bip, on s'était même demandé si c'était fonctionnel. J'avais alors profité de l'occasion d'échanger avec Jacques, car on n'en avait pas vraiment eu l'occasion en 2 ans. Avant d'être marin, il était boulanger. Il avait cessé le métier, car la routine ne faisait pas partie de son vocabulaire. Ça nous faisait un point commun. Étant passionné d'histoire, il s'était laissé tenter par l'armée et il voulait rendre service à son pays comme le faisaient nos ancêtres. Je trouve que c'est une belle reconversion, mais si je l'avais su plus tôt, on aurait peut-être eu le droit à du pain de bien meilleure qualité à bord. Par la suite, je m'étais permis de lui demander pourquoi il était toujours collé à son frère et il m'a fait part de leur passé assez tragique...
Leur mère était battue par l'homme qui avait remplacé leur père. Les deux frères avaient tous 5 ans au moment des faits, donc ils faisaient de leur mieux pour se protéger l'un à l'autre, mais lorsqu'ils voulaient le faire pour leur mère, ils se faisaient roués de coups jusqu'au sang.
Tous les jours, ils se forçaient à garder le sourire à l'école, ça ne devait pas être facile du tout. Déjà qu'à leurs 5 ans, ils avaient perdu leur père à la suite d'un accident de voiture, car il était ivre mort. Il passait son temps à boire dès lors qu'il avait appris que leur mère le trompait. Il ne voulait pas divorcer pour rester auprès de ces deux garçons jusqu'à ce qu'il décède.
Un soir, Jacques était rentré de soirée et, en ouvrant la porte d'entrée, leur mère était allongée au sol, dénudée et sans vie. Elle avait été violée et tuée étranglée avec le coussin du divan. Après ça, les deux frères avaient sombré dans le chagrin et la haine. Ils ont tout fait pour retrouver le monstre qui avait ça, mais ils ne l'avaient jamais retrouvé. Leur père avait été remplacé par un psychopathe sans scrupule et sans âme.
C'est suite à cela que leurs liens s'étaient renforcés entre eux, puis ils se protégeaient sans cesse pour ne pas revivre des pertes douloureuses. Ils ne faisaient confiance à personne, jusqu'à ce que Jacques me rencontre, car j'avais comme l'impression qu'il avait énormément besoin de parler, surtout que sa femme n'était plus auprès de lui depuis 2 mois.
Notre conversation avait été interrompue par le détecteur, il avait enfin détecté quelque chose après 4 kilomètres de nage, c'était tout proche, sauf que devant nous, il n'y avait absolument rien, juste un immense tas de roche. Mais Jacques avait trouvé un profond cratère dans la roche, juste en dessous de nous. Il devait faire la moitié de la lune. À l'entrée, il y avait un tunnel construit dans la roche. Nous avions signalé cela au capitaine pour savoir ce que nous devions faire. Il nous avait demandé d'y rentrer et de rester prudent. Nous avions donc tous les deux pénétré cet immense tunnel, il faisait encore plus sombre, plus aucun faisceau de lumière, plus rien. Enfin si... Il y avait une fine lumière qui éclairait le fond, droit devant nous, c'était vraiment léger, on devait être assez loin mais proche à la fois, car le détecteur bipper de plus en plus, alors nous nous étions approchés au plus vite, car on commençait à fatiguer de cette expédition, d'autant plus que le reste de l'équipage s'impatientait de nous revoir.
Une fois que nous étions arrivés devant cette lumière, il y avait une grande porte métallique, elle était similaire à celle des bunkers, mais bien plus costaude. Jacques et moi nous demandions ce que pouvait faire cette porte ici. Nous pensions avoir touché au but et, évidemment, l'océanographe nous a demandé de trouver un moyen d'y rentrer. Le frère de Jacques ne voulait pas, il nous disait à la radio qu'on devait faire demi-tour et qu'on en avait assez fait comme ça. Ce qui était vrai, mais vous n'êtes pas sans savoir que la curiosité humaine peut-être un vilain défaut. Même Jacques était attiré par ce qui pouvait y avoir derrière cette porte. Malgré les différents dommages qu'elles avaient, il y avait comme des grandes marques de coups de fouet, c'était profond et très net. C'est à partir de ce moment-là que nous avons ouvert la porte à l'horreur...