Tout commença en 1968, durant ma 2e année de service militaire dans la Marine Nationale. Deux officiers sont venus dans notre dortoir pour sélectionner cinq marins pour une opération de surveillance. Ils n’avaient pas donné plus de détails malgré nos diverses interrogations. Jeune et curieux, je m’étais porté volontaire et une fois le nombre au complet, ils nous avaient demandé de les suivre. Nous avions marché une bonne vingtaine de minutes jusqu’à l’arrière de la base navale. Sur le moment, nous étions très intrigués, car nous nous étions bien éloignés pour une simple mission de surveillance, d’autant plus qu’il faisait nuit. Nous avions traversé toute une forêt, sans que personne ne dise un mot, pour enfin arriver sur un quai noyé dans la pénombre, mais on pouvait y distinguer quelques lumières provenant de l’eau, au bord du ponton. C’était un sous-marin, très petit pour une utilisation militaire, mais assez imposant. La question qu’on se posait maintenant, c’est que faisait un sous-marin hors de la base navale ? Pourquoi l’avoir fait venir ici ?
Les deux officiers, toujours muets, nous font signe d’avancer et de nous rapprocher. On pouvait y distinguer derrière eux un homme très robuste avec une longue barbe et des cheveux pas très ordonnés. Ce qui me frappa chez lui, ce sont ses cernes et son regard noir, c’était très intimidant, c’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était lui le capitaine.
Une fois en face de lui, son regard scrutait chacun de nos visages. Au départ, je pensais que c’était juste pour contempler ma belle moustache, mais en vérité, c’était pour voir si nous avions autant de cernes que lui et si nous étions disposés à partir. Les deux officiers étaient partis après avoir discuté brièvement avec le capitaine. Je ne savais pas vraiment ce qu’il se disait, d’autant plus que je ne voyais pas grand-chose.
Après leur départ, le capitaine avait enfin pris la parole : « Messieurs, veuillez monter à bord de votre future maison, La Minerve ! » Qu’il disait. Sans tarder, nous avions escaladé l’échelle pour atteindre le toit du sous-marin afin d’accéder au sas d’entrée.
Une fois à l’intérieur, le capitaine nous avait fait signe de le suivre jusqu’à la salle des opérations. Ce qui m’avait troublé, c’est qu’il n’y avait aucun équipage. Ce n’était pas un sous-marin comme les autres, il était doté d’une technologie beaucoup plus avancée et audacieuse. Cela pouvait se voir par la taille et la modernité des différentes machines comme les engrenages sous impulsion électrique ou le périscope qui était capable d’avoir une vision en infrarouge. Mon analyse avait été interrompue suite au discours soudain du Capitaine. Il nous a expliqué que nous étions là pour un seul but, trouver la moindre anomalie derrière chaque montagne sous-marine dans les alentours de Girolata, en Corse. Nous n’avions pas plus de détails, mais j’avais quand même demandé pourquoi nous étions si peu nombreux, et la réponse que j’ai eue en retour était bancale, telle que : « Le nombre ne vaut pas la réussite. » Je me souviendrai toujours de cette phrase, car l’inverse aurait pu garantir notre survie à tous.
Après ce bref discours, nous avions fait le tour de nos dortoirs afin d’y déposer notre paquetage. Chaque dortoir disposait de deux lits chacun. Moi, j’étais dans la même chambre que « Binocle », on l’appelait comme ça, car malgré ses grosses lunettes, il avait le don de viser à côté. Notre chambre était en face des deux frères, Jean et Jacques Beaumont, ils avaient tendance à être froids, mais assez costauds en apparence.
Dans la chambre d’à côté, nous avions Lilou, la seule femme qui s’est portée volontaire. Elle a toujours débordé de courage, surtout face à tous les prédateurs qui rôdaient autour dans le camp. Ils ne voyaient qu’en elle de la chair fraîche, mais ils avaient toujours regretté, car elle était forte pour montrer ses griffes. Nous n’avions jamais eu l’occasion de discuter auparavant, sûrement trop intimidés par sa beauté naturelle. Je ne connaissais pas autant tous mes camarades malgré nos deux années communes. Nous étions tous du genre solitaire, mais on n’hésitait pas à s’entraider lorsqu’il le fallait.
Une fois la visite terminée, nous nous sommes rendus au réfectoire. Il n’y avait aucun cuisinier, nous n’avions que des plats réchauffés qui avaient un goût de mousse à raser, sans parler du pain, j’avais l’impression de manger un bonbon fondu. Sur le moment, nous pensions que le capitaine allait se joindre à nous, mais il a préféré dîner avec une autre personne à bord, toujours inconnue au bataillon. Le reste de l’équipage et moi étions enfin réunis. Malgré notre fatigue, nous échangions sur tout ce que nous avions vécu jusqu’à maintenant. Chacun avait sa théorie. Lilou pensait que nous étions juste là pour tester le nouveau sous-marin avant d’officialiser cela au monde, les frères Beaumont pensaient que c’était pour nous évaluer avant de monter en grade et « Binocle » suivait le flux et ne se posait pas plus de question. Tant qu’à moi, j’avais juste un très mauvais pressentiment, mais au lieu de ça, je leur ai dit que nous étions là, car nous étions les meilleurs du régiment, et cela a suffi pour leur donner encore plus de courage.
Alors que le sous-marin était toujours à la surface, au beau milieu de la nuit, nous avions décidé de rejoindre nos dortoirs. Je me sentais un peu à l’étroit dans mon lit superposé avec « Binocle », mais je cessais de me répéter que c’était juste le temps d’un long voyage.
Et c’est à ce moment-là que notre première erreur avait pris naissance, lorsqu’on commençait à s’endormir. Toutes les portes s’étaient verrouillées une à une, « Binocle » et moi avons bondi de nos lits avant de tenter d’ouvrir la porte, mais cela était impossible. Nous entendions la voix des deux frères Beaumont qui hurlaient : « C’est quoi ces conneries ? Ouvrez-nous la porte ! ». Soudainement, un bruit très fin se faisait entendre dans notre chambre. C’était comme une fuite de gaz, sauf que dans le sous-marin, nous n’en avions pas. J’ai quand même tenté de trouver d’où provenait ce bruit, surtout avec une chambre aussi petite que la nôtre, mais, durant ma recherche, j’avais entendu « Binocle » tomber au sol derrière moi, je m’étais précipité vers lui avant de m’effondrer à mon tour…