Chapitre 2 - L'engagement

Par arno_01

« J'y crois pas les gars. Deux superbes belles filles vous draguent toute la soirée. Et rien ! Même en le faisant exprès, je n'aurais pas réussi. »

Kalder n'en démordait pas, tentant de comprendre pourquoi nous avions refusé, Xian et moi-même, une drague tout assumée de la part des jeunes filles la veille au soir – ou le matin peu avant le départ pour être exact. En ce qui concernait Xian, l'exploit n'était pas tant de l'avoir refusé, que d'arriver à s'en être sorti – vu l'énergie que mettait la fille à la tâche.

« Je peux te donner la réponse pour Anthem, si ça t'intéresse Kalder ? »

Je regardai Xian, interloqué. Qu'allait-il donc sortir ? Puis je me rappelai ma bourde. Je lui avais, à la rentrée dernière, un peu trop parlé lors d'une soirée. Je me précipitai pour le faire taire, mais de deux doigts il me tint éloigné, sans aucun effort de sa part – ce qui était totalement injuste, car il ne fit pas même semblant.

« Elle s'appelle Cynthia, continua Xian. Assez grande, 'châtain clair qui rougeoie lentement sous les couchers de soleil'. Et plus important que tout, dans un mois elle rejoint l'armée, elle aussi. Mais dans l'Ecole de Navigation.

- Et moi, poursuivit Kalder, je parie que l'on peut trouver une photo dans son term. »

Et là-dessus, nous nous précipitions tous sur mon terminal. Moi pour le décrocher de mon bras, et le ranger dans ma poche. Mes amis pour le fouiller, l’ausculter Un raclement de gorge, bien trop grave pour venir d'un jeune appelé, nous rappela à l'ordre, et me sauva la mise. Les quelques soldats de retour de permission tenaient à rester au calme dans ce wagon.

Le train filait sur le rail central – pour être exact il flottait sur le lit magnétique du mono-rail – nous emmenant toujours plus loin vers la base centrale militaire, en plein cœur de l'anneau viable. Nous venions de Chlankar, en bordure nord de l'anneau, une centaine de kilomètre au sud de la limite de termafrost. A notre vitesse – de l'ordre de 500 km/h – le changement de climat était visible depuis les hublots, ou l'étage panoramique. Arrivé à la base, il allait faire chaud et humide aussi profitions nous du confort climatisé en observant le paysage.

Le train était affrété spécifiquement pour l'armée afin d'embarquer les nouveaux appelés – en grand nombre et tous très jeunes. L'ambiance y était électrique. Entre ceux qui voulait faire étalage de leurs connaissances militaro-ignorante, de leur détachement total quant aux risques de mourir, ou de leur force. Je dû même intervenir avec Xian pour séparer deux m'as-tu-vu en train de s'écharper le chignon – malgré ces vingt centimètres de plus le gars ne ressemblait plus à grand-chose comparé à son adversaire féminin.

Seuls quelques îlots de paix persistaient autour des rares soldats de retour de permission. Et nous avions rapidement réussi à trouver un tel coin. Kalder admirait le paysage, n'ayant jusqu’à présent que peu eu l'occasion de voyager.

« Vous vous rendez compte, mes parents n'ont jamais été plus loin que la région de Xon – adjacente à Chlankar – et moi je vais voyager dans l'espace. Vous auriez vu mes petits frères ce matin : les larmes aux yeux de me voir partir pour longtemps. Mais quand je leur ai dit que dans quatre ans je serai de retour à la fin de la guerre, ils n'avaient qu'une peur ne pas être appelés rapidement et ne pas voir d'autres planètes. »

Avant la guerre, les voyages interplanétaires étaient faisables, très chers mais faisables. Mes propres parents avaient visité quelques fois nos bases lunaires – sous prétexte de gazothérapie sur Grön – et leur voyage de noce s’était fait sur Beltegueuse. Ils nous avaient promis, quand la guerre était encore moins rude, que dès sa fin ils nous emmèneraient faire un voyage spatial, ma sœur et moi. Mais la guerre ne s'était pas terminée. Elle avait empiré.

D'entre nous trois seul Xian avait déjà pris des vaisseaux. Plus jeune il avait été pris à la Haute Académie de Monolaque de Danse de Rimbeurzilande – ou d'un nom de planète approchant – pendant quatre ans. A la mort de son père, il y a deux ans, dans les usines de moteurs sous-spatiaux, sa mère n'avait plus eu les moyens de payer l'académie. Il était rentré sur D'Zorön, en pension à Chlankar.  

“Et vous avez entendu les nouvelles ? nous demanda Kalder

- Lesquelles ? Que la future promo d’officiers supérieurs sera la meilleure que l’histoire ait connu, plaisantais-je.

- Non. Le Haut-Chancelier, il aurait proposé une reddition à la GRUP. Ça se trouve on aura à peine nos uniformes que tout sera fini.

- Ne t’en fait pas trop pour ça, va, le rassurais-je. Aucune chance qu’ils acceptent. S’il lance la proposition, ce n’est pas pour que la GRUP la signe, mais pour obtenir du soutien des plus modérés à l’Assemblé de l’Union.”

Je me gardai bien de détailler ce que j’en avais compris des conversations que menaient mes parents, en ma présence parfois. Proposer une reddition à la GRUP, faisait croire aux habitants de l’UEI – c’est-à-dire à moi et mes camarades – que nous étions en train de gagner la guerre. Ce n’était pas encore le cas. En faisant ainsi le Haut Chancelier rassurait la population, et se ménageait des alliés parmi les plus modérés. Ce n’était que de la politique, et je mis fin rapidement à la conversation, préférant admirer le paysage.

Dehors, des tempêtes et des tornades se chassaient les unes après les autres à des vitesses effrénées. Il s'agissait d'un ballet en plein vol, zébrant le ciel de couches noires ou blanches, d'éclairs et de pluie ondulante. Tous étaient des signes que nous arrivions dans les tropiques. Encore quelques heures avant d'arriver en bord de mer, au spatioport, et à la base militaire.

Çà et là, des tours blanches crevaient le ciel. Des paraboles d'un bleu turquoise crépitaient à leurs sommets. Le réseau de bouclier était prêt être mis en service à la moindre alerte, même dans ces régions inhabitées. Depuis cinq ans, chaque habitant de D'Zorön connaissait les gestes à effectuer en cas d'attaque pour économiser de l'énergie, nécessaire aux boucliers.

Le train sortit d'un coup de la jungle méridionale, pour se retrouver dans une vaste plaine, parsemée de quelques bâtiments, et surtout d'énorme pistes à navette. Au fond, à contre-jour du soleil se distinguaient des silhouettes de tours de contrôle, de balisages : nous arrivions à la base militaire.

Deux autres trains, en provenance d'autres régions, nous rejoignirent de part et d’autre, avant de freiner à l'entrée de la gare. A la sortie sur les quais, Xian, Kalder et moi-même semblions noyés dans un flot continue d'adolescents qui, pas plus que nous trois, n'arrivaient à se repérer dans l'immense hangar qui servait de gare.

Nous nous arrêtâmes devant un panneau d'affichage : Kalder étant affecté à une autre école, devait se rendre dans une caserne différente de la nôtre avec Xian. Malgré la foule, nous réussîmes à faire nos adieux, dans le silence : cette fois-ci l'enfance était définitivement terminée. L'adolescence nous n'en avions vu que l'aube. La guerre nous happait. Au fond de nous, nous redoutions ce changement, mais avec l'impatience de la jeunesse.

* * *

Nous étions une cinquantaine de mobilisés pour l'ENOS à attendre, près d'une pancarte aux trois-quarts délavée par la trombe de pluie qui nous tombait dessus. Je pestais intérieurement contre la saucé que nous nous prenions. Nos sacs s'imbibaient d'eau, et nos rares affaires ne tarderaient pas à ressembler à des éponges.

De la plante des pieds Xian battait un rythme de danse, que je ne reconnus pas. Tout comme moi, il observait les quelques petits groupes qui s'étaient formées. A en juger les conversations inexistantes, rares étaient les personnes qui se connaissaient auparavant.

Au bout de deux heures, sous cette pluie chaude, un sergent instructeur vint nous retrouver. De mauvaise humeur, la pluie n'y était pas pour rien. A moins que cela soit d'avoir affaire à des gamins de quinze à dix-sept ans. Nous devinâmes son discours plus que nous l'entendîmes – entrecoupé de bourrasques de plus en plus violente.

« Alors les gosses ! Ça vous fait marrer d'attendre là, sous la pluie ! Pas capable de vous repérer sur une carte. Je comprends mieux qu'on vous envoie dans une unité spéciale de formation. Car sinon aucun capitaine ne voudrait de vous. Pour le dîner, c'était il y a une heure au mess. Donc pour vous, le prochain c'est demain matin à 6h00, après la levée du drapeau. »

Finalement c'était contre notre affectation qu'il avait la dent dure !

« En arrivant, direction les vestiaires puis la Log, qui vous fournira vos uniformes. Après ça je ne veux plus voir vos vêtements civils. JAMAIS ! Il y a deux baraquements : celui de droite pour les filles, et le gauche pour les gars. Dedans vous faites ce que vous voulez. Et pour répondre à votre principale question : Non je n'irais pas vous border ce soir ! Demandez à vos camarades. Maintenant vous me suivez. »

Il partit à petite foulée, sans se retourner. Au bout d'un quart d'heure, ceux avec de grands sacs commençaient à montrer de signes de fatigues. Notre sergent rajouta encore une demi-heure – de détours dans tous les sens j'en étais certains – avant de nous indiquer du doigts les vestiaires. Il prit congés de nous, en nous rappelant le rendez-vous à 5h30 le lendemain.

Aux vestiaires nous pûmes nous sécher, plus de la tempête de dehors que de la douche. Un maréchal-ferrant vint nous retrouver, et nous distribua à tous un mètre-ruban électronique.

« Le mètre-ruban est fait pour enregistrer douze mesures successives. Les affiches sur le côté vous donnent l'ordre précis à respecter. Mettez-vous par deux pour vous aider. Et vous nous retrouvez derrière le comptoir pour obtenir vos uniformes. »

Dès son départ, un vacarme résonna dans la pièce, au fur et à mesure que les conversations – et les questions primordiales de chacun – reprenaient :

« Ils ne vont pas nous faire décoller par ce temps-là ? La navette n'arriverait pas à faire cinq cents mètres sur la mer.

- T'es taré toi. La mer c'est pour l'atterrissage des navettes, pas le décollage. »

« Nos affaires civiles, on doit les abandonner ? Car j'en ai plein dans mon sac. »

« Le sergent vous croyez que c'est vraiment notre instructeur ?

- Mais non. Lui c'est juste un troufion. Notre instructeur, le gradé, ne voulait juste pas venir se mouiller. »

« On est vraiment censé se mettre dans cette position pour mesurer l'écartement maximum genou-coude? » Le garçon en question s'était mis dans une position acrobatique digne d'un invertébré. Mais il avait un mal fou à en revenir. Il subit deux crampes en punition. Et l'hilarité générale.

* * *

Effectivement le sergent n'était pas notre instructeur principal. Un sous-lieutenant, Marjévik, nous accueillit le lendemain matin, à la levée de drapeaux. Après qu'il eut passé une demi-heure à nous apprendre à se mettre au garde-à-vous, nous avions tous compris son obsession : 'la discipline'.

Après un petit-déjeuner, sur lequel nous nous étions précipités, nous eûmes enfin le droit à une séquence de briefing de la part de notre instructeur.

« Nous resterons sur la base cinq jours, avant de partir en navette vers le vaisseau. En ce moment, vos autres camarades appelés sont endormis, puis envoyés là-haut. Vous serez les derniers à la rejoindre, avant le départ pour Malanh'ar, la planète de l’Etat-Major. D'ici là, le programme est simple : sport, sport et sport. Renforcement musculaire, puissance explosive, endurance. Tout y passera. Avec une pesanteur de 0,9g vous êtes plutôt grand, ce qui représentera un avantage. Mais vous devrez intervenir sur des planètes avec plus de 1,8g. Actuellement vous ne marcheriez pas cinq kilomètres avant de vous effondrer. »

Je jetais un coup d’œil à l'assemblée, et effectivement les capacités physiques semblaient très inégales. Il n'y avait pas de surpoids, la guerre et ses restrictions tout autant que le suivi médical y veillaient attentivement. Mais les sportifs se distinguaient très facilement du lot. D'autant qu'ils n'étaient pas les plus nombreux. Aucun de nous ne semblaient majeurs, quelques-uns devaient peut-être avoir jusqu'à deux ans de plus que Xian et moi. La majorité avait quinze ans.

Pour le vol spatial, nous ne serions pas mis en hibernation – au contraire de la totalité de nos camarades. La majorité des vols spatiaux se faisait en hibernation, permettant ainsi d'économiser de la place, et le poids de toute la nourriture et eau nécessaire au maintien en éveil. Nous allions arriver à Malanh'ar avec un mois de retard par rapport au début de la formation. L'armée voulait donc profiter des quinze jours de trajet, pour minimiser notre retard.

Dès l'après-midi, nous comprîmes ce que signifiait aux yeux de notre sous-lieutenant instructeur Marjévik le terme sport intensif. Après deux jours à ce rythme, nous envisagions tous d'échanger nos places pour l’ENOS contre un régiment classique. Au bout de trois j'avais moi-même assez des courses d'endurance à répétition – pourtant seul sport où j'étais bon. Et pour la première fois depuis des années, je vis Xian totalement à plat, au bout de quatre jours – seuls deux ou trois autres garçons et une fille, tous plus âgés, tenaient encore à ce moment.

Ils nous avaient d’abord enlevé tous nos terminaux personnels, et même les différents capteurs que certains portaient depuis des années. « Vous oubliez vos terminaux, et vos capteurs de formes, nous précisa notre sous-lieutenant. Ici vous ne vous arrêterez pas à l’éffort le plus optimal, calculé par vos chers terminaux et gadget. Ici vous devrez aller encore plus loin. Pas question de s’arrêter parce que vous commencez à avoir mal aux jambes. Quand vous aurez du mal à soulever les jambes, trainez les pieds si vous voulez, mais continuez ! »

Nous eûmes droit à une multitude de sports : course, natation, plongé, parcours d'obstacles, escalade, cycle. Mais aucun sport de combat – le sous-lieutenant ne voulait pas nous abîmer. Cela ne l’empêchait pas de nous épuiser à longueur de journée. Sans aucun repos. Les sports s’enchaînaient, avec le minimum de repos pour récupérer, juste de quoi nous laisser assez de force pour recommencer. Et quand il sentait que certains d’entre nous ne s’étaient pas assez données, il nous faisait tous recommencer.

Dès le deuxième jour je sentais que ce sport à répétition cachait bien autre chose. Je m’en ouvris à Xian, lors du déjeuner – tandis qu’il faisait la grimace pour se forcer à manger des compléments alimentaires sur-vita-protéïnés :

« Ils ne peuvent pas continuer à nous forcer à cette allure-là, non ? Ça n'a pas de sens.

- Je suis bien d'accord, Marjévik nous épuise trop pour que nous gagnons vraiment en force et en résistance. Il doit chercher autre chose. »

L'après-midi même, un garçon nommé Louan, s'effondrait en pleur, en crise, en plein milieu d'un exercice. Un sergent vient le chercher pour l'amener à l'infirmerie. Je compris alors qu'on ne le reverrait pas. Les cinq jours de renforcement étaient surtout un examen d'entrée. Qui n’aurait pas la force mentale de pousser encore et toujours plus loin serait recalé. Trois autres personnes partirent le troisième jour.

Puis l’on passa aux tests physiques de résistance en conditions particulières : les mêmes sports que précédemment mais en surpression ou sous-pression atmosphérique. A ces tests s'ajoutaient les tests de résistance à l’accélération, la claustrophobie et le vertige.

Quatre adolescents furent également recalés suites à ces tests. Les recalés avaient l'air d'avoir été tirés au sort. Qui du gars très physique ne supportait pas les surpressions, et saignait aux oreilles avant de s'évanouir. Qui de la fille très agile et endurante tombait mal à 4g d'accélération. Je nous estimais heureux, Xian et moi-même d'avoir échappé à ces maux aléatoires.

A la fin des cinq jours, nous étions pressés de prendre la navette, direction le vaisseau spatial, où nous espérions un peu de repos.

* * *

Je me sentis écrasé contre mon siège. Le sang afflua à l'arrière du crâne, tandis que mes yeux se couvraient d'étoiles et de trous noirs. Pendant les vingt minutes qui suivirent, respirer devint difficile, une source d'effort. Entre la concentration nécessaire à respirer, et l'étau qui enserrait ma tête, j'étais à peine conscient du bruit tonitruant des moteurs à plasma.

Au plafond des lumières clignotaient, et malgré avoir appris leurs signification la veille, je n'avais plus une seule idée de leur message. Le décollage se passait-il bien ? Y avait-il une avarie ? Mêmes ces questions n'avaient, pour moi, aucun caractère d'urgence. Une simple formalité passant au second plan, derrière mon mal de crâne.

Pendant ces vingt minutes d’accélération, le bruit des moteurs changea doucement, indiquant ainsi que la baisse de pression atmosphériques. Il ne fallut que quelques minutes pour que le bruit devienne très léger, indiquant une sortie réussie de l'atmosphère. Mon mal de crâne, lui, ne diminua pas. La navette continua d’accélérer nous plaquant à nos sièges – qui devenaient de moins en moins confortables.  

A plus d'une occasion, je voulus bouger pour ajuster ma pipette, et boire un peu d'eau – espérant ainsi clarifier mes pensées. J'en fût incapable. J'essayai également à plusieurs reprises de me tourner pour voir comment s'en sortait mes compagnons, et même ce mouvement fut impossible.

L'accélération s'arrêta brutalement. Je me sentis portée vers l'avant, mes poumons furent d'un coup libre, léger. En contre-coup le sang se concentra à l'avant de ma tête, et je perdis conscience une ou deux secondes. J'avais à peine réalisé ce qui arrivait, que notre sous-lieutenant, et un sous-officier s’affairait entre nous pour repérer les plus malades. Quelques-uns avaient saigné du nez, depuis le début du décollage peut-être, d'autres étaient évanouis.

Pendant que les moins en forme se remettait doucement, je commençais, comme mes camarades à découvrir les joies de l'apesanteur. Détachant nos ceintures, nous flottions au beau milieu de nul part. Xian, quelques rangés derrière moi s'amusait déjà à tourbillonner.  Avec mes deux ou trois voisins, nous prîmes parti de nous batailler gentiment dans ce nouvel environnement, qui était bien étrange pour nous qui n’avions jamais quitté notre planète. Nous avions à peine eu le temps de nous agripper les uns les autres, que la navette accéléra de nouveaux, ralentit, fit une embardée, et continua sur cette lancée chaotique.

Pris de panique, nous tentions tous de nous arrimer à nos sièges. Mêmes les sérieux, qui n'étaient pas sortis de leurs sièges peinaient pour refermer leurs ceintures. Ceux qui s'étaient mis à flotter dans la navette, se voyaient projeter à l'arrière à chaque accélération, avant de revenir à l'avant à toute vitesse lors des décélérations. Les embardées leurs faisaient découvrir les ailes babs et tribs de la navette. Quant à moi, je m'agrippai au dossier de mon siège du mieux possible – au point de m’y retrouver à califourchon. La course affolée du vaisseau me fit tourner en tous sens, mais je ne perdis pas ma prise, et réussi à éviter du mieux possible mes compatriotes – dont certains valdinguaient d’un bout à l’autre du navire.

Une fois ma position affermie, je commençai seulement à m'inquiéter. Qu'avait-il bien pu se passer ? Même Marjévik s'était détaché, lui-même ne devait pas s'attendre à une telle course. Des combats ? D'Zoröns était bien trop loin des zones de combat pour représenter un quelconque intérêt.

Entre deux changements de direction, où je ne manquais pas de me retourner en tous sens j’essayais de trouver notre instructeur. Le ballet incessant des infortunés qui n'étaient pas attachés, et de ceux comme-moi seulement par un ou deux bras, empêchait de voir toute la navette. Et bien que nous ne remplissions la navette qu'à moitié, les corps, jambes et bras qui se balançaient lui donnait un air de piste de danse pleine à craquer.

A l'occasion d'une brusque embardée – me faisant faire une des plus belles roues de ma vie – je vis notre sous-lieutenant accroché au siège d'un appelé. Il n'avait pas l'air inquiet, et lançait des coups d’œil complices au sous-officier agrippé une rangé devant.  

Je le vis manipuler son term, avant de se lever. La course désordonnée de notre navette, s’arrêta alors. Je vis plusieurs appelés grimacer de douleurs, deux ou trois semblaient mal en point avec peut-être des fractures. Quelques blessures et coupures faisaient également partis des lots. Je revis pendant un instant, le barman qui m'avait servi près d'une semaine plus tôt : toujours rester attaché. Son avertissement n'avait pas duré bien longtemps.

Marjévik semblait mécontent. Je m'attendis alors à une longue remontrance. Assurément il allait nous passer un savon. Il attendit que tout le monde se taise. Les plaintes douloureuses se turent rapidement. Il en fut autrement pour que tout le monde comprenne que c'était Marjévik qui avait manipulé la direction.

Son sermon fut simple : « Vous avez compris ?! » Pas un seul appelé n'osa élever la voix.

* * *

Le reste du voyage se passa sans complication majeure. Sur les quinze jours, nous en passâmes près de cinq en accélération douce ce qui nous permettait de ressentir une pesanteur – plus importante que sur notre planète – mais bien plus agréable que l'apesanteur généralisé, dont nous avions eu le loisir d'explorer les limites pendant les cinq jours suivants. La dernière phase fut une décélération, et je fus bien content – une fois le vaisseau retourné pour la décélération – de retrouver un plancher.

Dès l'installation nous eûmes un avant-goût de ce que – aux yeux de l'armée – signifiait cher. La place qui nous était disponible, à nous les éveillés, était réduite au minimum. Nous partagions une chambre à six, et j'aurais pu en mettre quatre comme celle-ci, dans ma chambre chez mes parents. Il s'agissait de deux lits superposés à trois étages, séparés des quatre-vingts centimètres réglementaires. La seule armoire disponible était prise par les grosses combinaisons spatiales. Nous espérions tous ne pas avoir à nous servir, pour une évacuation d'urgence. Elles paraissaient lourdes, et avaient été taillées pour des adultes – très loin de nos gabarits.

Seule la salle de sport était assez grande pour que nous y rentions tous en même temps. Elle servait d'ailleurs également comme réfectoire, place d'arme, et zone de rassemblement. Deux autres petites salles allaient servir à nos cours. Nécessitant qu'un tiers d'entre nous y participions au maximum.

Nous fûmes donc séparés en trois groupes, et alternions le sport, un cours de remise à niveaux – tant en standard qu'en mathématique ou en planétologie – et en cours sur la chaîne de commandement. Ce dernier était surtout une occasion de nous apprendre la discipline exigée et le mille-feuille de galontologie – comme nous nous amusions à nommer cette inextricable hiérarchie.

Le premier jour d'apesanteur nous vit tous systématiquement accrochés, qui à une barre, une sangle, ou s'attachant avec les ceintures dès que nous le pouvions. Assurément nous avions assimilé la leçon de Marjévik. Celui-ci et les sous-officiers s'amusaient d'ailleurs à nous voir si prudent, tandis qu'eux se laissaient filer sans retenue sur toute la hauteur de notre unique cage d'escalier. Il attendit deux journées complètes pour nous avouer que, à cette vitesse en sous-espace, nous ne risquions aucun changement majeur de direction.

Si le vaisseau faisait une seule embardée majeure il s’abîmerait totalement tout seul. D'un autre côté un vaisseau ennemi n'aurait qu'une chance très mince de nous toucher, pas même un sur un million. Mais qu'il nous touche avec un missile de classe étoile, ou d'un simple Aster2 le résultat serait le même pour nous : la désintégration totale.

Après ces paroles – qui pour une raison inconnue ne rassuraient pas tout le monde – nous lâchâmes totalement les balustrades et rambardes de sécurité. Des courses le long de l'escalier ne tardèrent pas à être organisées.

Même nos supérieurs se prirent aux jeux en organisant une course d'obstacle version apesanteur. Des cubes, des lits, avaient été disposés en mouvement le long de l'escalier – qui avait depuis longtemps rangés ses marches pour ressembler à un puits central. Pour la finale, où j'avais été qualifié, les sous-officiers rajoutèrent des drones, télécommandés par le vaisseau. Leur programme était principalement de s'acharner sur les trois premiers. Après une longueur à me battre contre eux pour rester en première place, lors du retour je laissai passer trois personnes espérant les griller au chapeau juste avant l'arrivé. Je récupérais deux places de justesse, pour terminer bon second derrière Xian.

Le retournement du vaisseau eu lieu dans notre sommeil, et la phase de décélération commença. Nous nous réveillâmes le lendemain matin avec une pleine pesanteur. Cinq jours plus tard nous atterrîmes à Malanh'ar.

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MARSHAL
Posté le 17/09/2021
Bravo une fois de plus pour ce deuxième chapitre. On sent que tu élèves le niveau et le vocabulaire au fil de l'histoire. Tu as même réussi à me faire utiliser mon dictionnaire sur le mot avarie (rires).

Petite faute relevée au paragraphe au tu listes la multitude de sport: ajoute un "S" à "parcours d'obstacle".
arno_01
Posté le 18/09/2021
Merci pour ton message. Anthem aime bien utiliser les mots. J'ai donc essayé de faire un peu attention au style et de varier les mots.

Merci pour la coquille
LauLCas
Posté le 11/06/2020
J'aime bien comment tu nous donne des informations même si la partie sur la politique pourrait en perdre un. Mais je suppose qu'on en sera plus par la suite

"Au fond de nous, nous redoutions ce changement, mais avec l'impatience de la jeunesse" : j'aime beaucoup cette phrase !!

Ah on sent que les choses se compliquent, l'entrainement a pas l'air simple du tout !

Petit faute relevée :

-Le réseau de bouclier était prêt être mis en service à la moindre alerte, même dans ces régions inhabitées : prêt à être mis
BearOmega
Posté le 29/05/2020
Très bon encore. J'aime beaucoup le style et le vocabulaire que tu utilises. Cela me rappelle beaucoup la guerre éternelle ou encore le film Starship Troopers. Tu as vraiment un style à toi, rendant l'univers très organique, mais restant dans une critique sur la guerre.
Bravo à toi. ;)
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