Il pleuvait des cordes. Lefebvre, le policier mandaté par le commissaire Dupont pour aller chercher l’inspecteur Duroy, tentait tant bien que mal de s’abriter à l’aide de son parapluie. Les bourrasques de vent prenaient un malin plaisir à briser son parapluie à chaque fois qu’il se pensait à l’abri. Les ruelles menant au bâtiment où logeait Duroy étaient exiguës. Il croisait toute la misère de Paris dans ces ruelles, personne au commissariat ne comprenait pourquoi il décida de déménager ici suite à la mort de sa femme, son salaire lui ayant permis de rester dans son appartement proche du commissariat. On suppose des problèmes d’argent suite à une dépendance quelconque, ou bien un début de démence. Lefebvre avança dans la dernière ruelle lui permettant d’accéder à l’habitation de Duroy. Les gouttières sur les deux bâtiments délimitant la ruelle déversaient des tombereaux d’eaux. Il tenta de les esquiver avec plus ou moins d’habileté, mais cela n’était plus utile. Entre la pluie et les gouttières, il avait fini complètement mouillé sans s’en rendre compte. Il s’extirpa de la ruelle et déboucha sur une grande cour entourée de trois bâtiments de trois étages chacun, rez-de-chaussée compris. Le bâtiment faisant face à la ruelle était néanmoins légèrement plus grand que les deux adjacents, sans doute était-ce le bâtiment principal. Les informations que Duroy avait fourni au commissariat s’arrêtait là. Ne sachant quel appartement lui serait attribué avant son installation, il ne put fournir plus d’informations avant son déménagement; et n’avait pas contacté le commissariat depuis. Lefebvre devait donc demander au voisinage cette information. Sachant que les bas-fonds de Paris étaient hostile à la police et à la bourgeoisie, il avait pris soin de s’habiller le plus simplement possible et de prétendre être un prolétaire. Il supposa que Duroy avait du faire de même.
Il s’avança vers un groupe d’individus jouant aux cartes, abrités sous l’entrée du bâtiment principal. Ce groupe était composé de trois hommes, il supposa qu’ils devaient avoir un lien de parenté de par leurs ressemblances physiques. Les hommes n’arrêtèrent pas leur partie de cartes à l’approche de Lefebvre, pensant sans doute qu’il s’agissait d’un homme de passage qui rentrerait dans le bâtiment; ils ne gênaient en rien l’entrée du bâtiment, se trouvant à gauche de cette dernière. Il décida de les interrompre mais ne savait pas à qui s’adresser pour demander des informations. L’homme face à lui était assis dans un fauteuil roulant artisanal, à sa gauche se trouvait un jeune homme distrait par la pluie. Il décida de s’adresser au dernier homme qui semblait être le plus âgé, à en juger par son teint gris et ses cheveux poivre et sel.
– Bonjour monsieur, je souhaite rendre visite à un ami, monsieur Duroy, mais je ne sais pas où il loge. Sauriez-vous m’indiquer où le trouver ?
Il n’obtint aucune réponse, ni réaction. Seul l’homme en fauteuil semblait s’agiter mais Lefebvre n’y prêta pas attention. Il avança vers le jeune homme distrait par la pluie et répéta sa demande. La même scène se reproduisit. Il décida donc de prêter attention à l’homme en fauteuil et compris vite que les deux personnes à qui il venait de parler étaient sourdes et que l’homme en fauteuil était muet. L’homme en fauteuil semblait lui indiquer de rentrer dans le bâtiment principal pour trouver Duroy. Lefebvre le remercia et s’excusa de la gêne occasionnée. Légèrement embarrassé par la scène qu’il venait de vivre, il s’empressa de pénétrer dans le bâtiment en poussant tant bien que mal la lourde porte rouillée de l’entrée.
Il se retrouva dans une allée délabrée, le tapis était presque exclusivement composé de moisissures et le mur s’effritait à vue d’œil. Il y avait des portes de part et d’autre de l’allée. Le nom du locataire étant écrit sur la porte de son logement, il prêta attention aux différentes portes du rez-de-chaussée mais aucune ne portait l’inscription de Duroy. Il s’avança donc au fond de l’allée et emprunta l’escalier s’y trouvant qui semblait mener à l’étage supérieur. Chaque marche de l’escalier craqua sous les pieds de Lefebvre, l’escalier était chancelant et semblait prêt à s’effondrer à tout moment. Au fur et à mesure qu’il montait les marches, le plafond se rapprochait et Lefebvre finit par devoir se baisser pour monter les dernières marches. Il s’extirpa de l’escalier et déboucha dans une allée similaire à la précédente, la seule différence était la présence d’une porte et d’une échelle au fond de l’allée en lieu et place de l’escalier précédent. De même, il lut avec attention chaque inscription sur la porte mais ne vit pas le nom de Duroy. Il se retrouva au fond de l’allée, la porte qu’il avait remarqué précédemment ne comportait pas d’inscription. Il supposa que c’était le logement du gardien ou propriétaire de l’immeuble, il décida donc d’emprunter l’échelle. Mais à peine mit-il son pied sur le premier barreau de l’échelle qu’il se brisa instantanément, de même pour le deuxième barreau. Confus, il décida d’aller demander de l’aide à celui qu’il pensait être le gardien ou propriétaire de l’immeuble. Il fit deux pas de côté et toqua trois fois à la porte. Il entendait quelqu’un se rapprocher doucement de l’autre côté de la porte. La porte s’ouvrit, un homme pâle, d’environ un mètre quatre-vingt, bien plus svelte que Lefebvre, brun, aux yeux verts et vêtu totalement en noir lui faisait face. C’était Duroy.
– Duroy! Je vous cherchais, nous avons besoin de vous au commissariat.
Duroy s’avança et remarqua l’échelle brisée. Il esquissa un sourire et ferma la porte de son logement.
– Je vois que vous avez brisé l’échelle, qu’importe, je la réparerai plus tard, personne n’habite au-dessus; les logements sont bien trop délabrés. Vous savez bien que je suis aux arrêts, qu’y a-t-il de si important pour qu’on vous envoie ici ?
– Je suppose que vous ne recevez pas les journaux ici. Un meurtrier, se faisant appeler Le Bourreau, assassine des criminels depuis plusieurs semaines. La situation a dégénéré aujourd’hui, on a appris le meurtre de l’inspecteur Dubois, le principal suspect est ce meurtrier compte-tenu des informations dont nous disposons. Le commissaire m’a envoyé vous chercher et m’a demandé de vous transmettre les informations dont nous disposons.
Duroy était sonné, la mort de l’inspecteur Dubois, même si ce n’était pas un ami et que ce n’était pas le plus vertueux et droit des policiers, l’avait sorti de la torpeur dans laquelle il était depuis qu’il était aux arrêts.
– Il va bientôt faire nuit, rendons-nous au commissariat au plus vite, vous me ferez part des informations récoltés sur le chemin.
Les deux policiers avancèrent d’un pas rapide, ils quittèrent le bâtiment et débouchèrent sur la cour. Il ne pleuvait plus et les trois hommes n’étaient plus là. Duroy s’élança dans la ruelle exiguë. Il voulait retourner au commissariat le plus rapidement possible, cette affaire avait ranimé en lui la flamme de la justice. Lefebvre avait du mal à le suivre et à lui donner les informations sur l’affaire en même temps. Il pénétra dans la ruelle derrière Duroy tout en lui donnant une copie de la lettre envoyé par Le Bourreau. Tout en lisant cette lettre, Duroy empruntait les ruelles précédemment empruntés par Lefebvre. Il semblait connaître par cœur le chemin pour retourner au commissariat.