Chapitre 2 - Owen

Je pousse les portes qui mènent au gymnase, dès que je la franchis, je sens l’odeur que j’aime tant : un mélange de tension, de plastique, de bombes, de froid et de chaussures de volley-ball. Mon cœur bat la chamade, j’évite de le montrer pour ne pas effrayer mon équipe, mais je me doute que le match va être compliqué, les Deltas sont très forts que ce soit d’un point de vue technique et psychologique. J’ai étudié tous les dossiers de préparation que nous a fournis le coach et visionné un maximum de leurs matchs. Ce qui pourrait nous faire le plus de mal est leur défense et leur mur qui est difficilement franchissable. Je vais devoir surveiller l’état psychologique de notre pointu lorsqu’il se fera contrer et voir s’il a besoin d’un soutien approfondi. Se faire contrer quelquefois n’est pas une fin en soi, c’est beaucoup plus difficile lorsque la majorité de nos actions se terminent en un échec et que l’étau que construit l'adversaire se referme sur nous.

Les Deltas ont pour technique d’attaque de briser le moral de leurs adversaires avec des contres solides. Leur mur est incroyablement résistant, il faut donc le détruire avec toute la force que nous possédons. Contrairement aux équipes que nous avons déjà affrontées, ils n’utilisent pas la technique du “contres par engagement anticipé”. Nous n’allons donc pas les voir sauter en fonction des prédictions qu’ils auront fait pour savoir où la passe va aller mais qu’ils sautent après avoir vu où se dirige la passe, les leurrer va être encore plus difficile alors qu’ils font de la “lecture du contre”.

J’admire la foule dans les gradins, nous jouons à domicile ce qui implique que nous avons plus de supporters de notre côté qui scandent notre chant et arborent nos couleurs : le gris anthracite. Au premier rang, je peux principalement voir des filles qui portent nos maillots. Mon regard la recherche et la trouve automatiquement, elle est aux côtés de son père et discute joyeusement avec lui. Elle porte toujours la casquette du coach et son jean noir préféré. Je la vois encore me dire qu’il est génial parce qu’il ne la serre pas et cela même lorsqu’elle mange des burgers ! Je peux voir d’ici qu’ils ne sont pas d’accord sur le sujet qu’ils abordent, cependant aucune animosité n’est visible. Je les connais juste par cœur, elle fait partie de mon monde depuis toujours et lui est celui qui m’a appris à jouer au volley-ball.

Elyas parcourt la distance qui nous sépare et me parle joyeusement m’obligeant à détourner le regard. Il s’agit du libéro de l’équipe, mais aussi mon meilleur ami et cela depuis le lycée où il a décidé de prendre l’introverti que j’étais sous son aile. En me parlant de mon amour pour le volley-ball, il a réussi à mettre en place une confiance et une complicité auxquelles peu de personnes ont accès.

- Daichi, tu es prêt pour le match ? Tu penses qu’on a véritablement une chance de les battre ?

Daichi est mon surnom depuis que je joue au volley-ball, il s’agit d’un personnage de manga qui m’a fait adorer cette discipline. Je l’ai toujours admiré et je trouve qu’il est le meilleur capitaine qu’il puisse exister.

- Cela dépend, est-ce que notre libéro se sent d’attaque pour rattraper tous les contres ?

- Toujours ! Je suis en feu ce soir, regarde, je vais tellement vite qu’il y a de la fumée qui sort de mon cul !

- Conserve ton énergie pour le match, on en aura besoin.

Lorsque l’on se positionne devant les autres joueurs, nous échangeons des regards défensifs et analytiques. J’analyse l’aura de tous les joueurs tandis que mon équipe se concentre sur leur adversaire direct et leur forme physique. Rien de magique, c’est plutôt une impression de tension lorsque l’on rentre dans une pièce et que tout transpire la pression.

Avant de retourner dans les vestiaires, nous nous sommes bien entendu échauffés. C’est important dans n’importe quelle discipline sportive, notamment dans un sport où il y a beaucoup de saut et qui nécessite de la détente. Pendant l’échauffement, Isaac, notre passeur officiel, s’amusait à mettre en difficulté chacun des joueurs. Il connaît les limites de tous et vise parfaitement à ce niveau. Cela a pour but de faire monter de quoi nous sommes capables.

Je me dirige vers l’arbitre tandis qu’Elyas et son t-shirt jaune pétant prend le relais en sautillant et en guidant les loups vers le coach pour ses derniers mots d’encouragement. En tant que capitaine j’ai pour mission de définir le côté où nous allons jouer pour le premier set et le troisième s’il y en a un. Je salue brièvement le capitaine de l’équipe adverse qui est le libéro de l’équipe, cela se voit facilement puisqu’il porte comme tous les libéros une couleur de t-shirt différente par rapport aux autres joueurs. L’arbitre nous salue et nous invite à choisir le côté d’une pièce de monnaie :

- Ce sera face pour mon équipe.

Je suis du regard la pièce qu’il lance puis me dirige vers mon équipe pour annoncer le résultat. D’ici j’entends Elyas échanger avec Issac, notre passeur, les deux n'arrêtent pas de comparer leurs détentes. Même si c’est un combat perdu pour Elyas et son mètre 76. Malgré son souhait d'être toujours au-devant de la scène et de ne pas savoir s’arrêter de parler quand il le faut, il est la personne qui ne te trahira jamais et prendra toujours le temps d’analyser ton raisonnement et ta réaction. Il peut cependant partir au quart de tour, s'il sent que tu atteins son honneur ou celui d’une personne dont il est proche. Je prends une grande inspiration alors que tout le monde me regarde, me demandant silencieusement le résultat de ce tirage au sort. Ce n’est pas réellement important, il n’y a pas de mauvais côté du terrain surtout sachant que nous allons jouer sur les deux. Ici, il s’agit ici d’une superstition.

Certains préfèrent commencer face à leurs supporters d’autres contre ou tout simplement en n’ayant pas le soleil dans les yeux. Avoir un grand nombre de supporters permet de faire peur aux adversaires en leur donnant l’impression que nous avons un niveau largement supérieur. Voir tous ces gens qui acclament chacune de nos actions permet aussi de nous sentir soutenus. Ce n’est pourtant pas ce qui nous importe le plus lors d’un tirage au sort. Mais savoir quelle équipe sera la première à servir, oui. Un premier service est un message très important, d’autant plus s’il se conclut par un ace, un point marqué directement sur le service. Cela envoie un message direct à l'adversaire : nous sommes là, nous vous attendons pour la suite.

Je décide de dire directement les résultats au lieu de les faire poireauter, certains de mes coéquipiers ne gèrent pas bien leur stress. Christian est tellement stressé avant un match que la moindre pression supplémentaire le ferait tomber dans les pommes.

- Nous servons un premier.

Tout le monde fait un petit geste du poing pour montrer sa joie. On ne pose pas la question du terrain choisi, même si ce n’est pas mon choix de prédilection, je prends toujours le terrain qui convient le mieux à mon équipe, celui en face de nos supporters. Dès que j’ai terminé et que les esprits se sont apaisés, le coach reprend son discours :

- Tous les entraînements que nous avons réalisés, tous les sacrifices que vous avez faits, nous ont conduits à ce moment. Il n’y pas de raison pour que ceux-ci vous trahissent, alors affrontez-moi ces Deltas et montrez-leur qu’il ne faut pas se frotter aux loups !

Toute l’équipe s’écrit à sa suite :

- Fight !

Nous nous mettons tous en place, je ne suis pas en charge du premier service. Je retiens ma respiration et me concentre pour analyser la scène qui se déroule devant moi. Julien, notre pointu commence avec son smash qui pourrait faire tomber la tête de n’importe qui. Je suis tenté de mettre mes mains derrière ma tête pour me protéger, j’ai déjà eu l’occasion de me prendre des services ratés et je n’ai pas envie de revivre l’expérience. Cependant, je ne le fais pas. Julien ressent déjà assez de stress, si je doute de ses capacités cela ne va que l’accentuer. Sa position dans l’équipe est très difficile, c’est l’une des personnes qui reçoit le plus de pression. C’est à lui à qui nous envoyons la balle quand nous avons besoin de marquer. La réception de l’équipe adverse est bonne, ce qui leur permet de nous la renvoyer facilement. C’est le pire des scénarios, un renvoi parfait et puissant. Il touche le sol avant même que nous ayons le temps de réagir.

- Ne vous en faites pas, le prochain point est pour nous ! Restons calmes et passons à la contre-attaque !

C’est au tour de l’équipe adverse de servir, dès qu’une équipe remporte le point, il y a un roulement dans les positions de chaque joueur et surtout le service passe de l’autre côté du filet. Fore, l’un des joueurs d’en face n’est pas connu pour ses services puissants, il devrait assez facile de renvoyer la balle et de faire une bonne réception.

La balle se dirige vers moi et je me mets en position pour la renvoyer en manchette. Tout en faisant attention à ne pas absorber la puissance du service. Elle se dirige directement vers Isaac qui passe parfaitement la balle à l’un de nos joueurs le plus rapide : Théo. Après s’être élancé de tout ce long, il réussit à percer la défense grâce à sa vitesse et marque notre premier point. Un cri de joie retentit de notre côté du terrain et nous nous remettons tout de suite à nos places attitrées.

Le match continue et les difficultés s’enchaînent, il devient de plus en plus ardu de suivre le mauvais du ballon et de garder ma concentration. Le mur qui se dresse devant nous devient de plus en plus infranchissable. Etant attaquant, je suis souvent soumis à celui-ci et je dois avouer qu’il me donne des frissons. Dès que je m’élève dans le ciel, un rang aligné parfaitement se créer et ne laisse aucun espace, aucun espoir. Je tente d’analyser le terrain, mais presque tous mes smashs sont contrés, tout comme ceux de notre pointu. Je le vois au fur et à mesure s’énerver et perdre ses moyens. L’énervement et l’impatience commencent à montrer le bout de son nez.

La pression est écrasante pour Théo, le mur qui se dresse devant lui, l’empêche de faire quoi que ce soit et lui fait ressentir que rien ne pourra y changer. Il est devenu impossible pour lui de visualiser l’autre côté du mur. L’atmosphère devient lourde, chaque pas devient un supplice et je vois dans son comportement qu’il est proche de s’écrouler. Je tente ce que je peux pour le rassurer et lui remonter le moral, mais cela ne fonctionne pas comme je le voudrais, je l’entends juste grommeler. L’humeur de notre côté du filet est au plus bas, ce qui a pour effet de nous déconcerter. Nous faisons des fautes à répétition, notamment des fautes au filet, ce qui implique qu’il a touché la bande blanche qui marque la partie supérieure du filet entre les mires avec une quelconque partie du corps ou des vêtements, comme vient de le faire Isaac.

- Je suis désolé les gars ! dit-il en soufflant fortement.

- Ce n’est pas grave. Tu as compris pourquoi tu as commis une faute, ça va te servir dans le futur et te permettre de ne plus faire la même erreur.

Il me répond en levant les yeux au ciel et en serrant les poings. Je sais que nous avons besoin d’un temps mort, mais nous les avons déjà tous utilisés. Je ne peux que compter sur mes joueurs pour se booster mutuellement.

Alors que l’un des attaquants de Deltas se lance dans une course effrénée pour récupérer la passe qu’on vient de lui faire. Je ne peux m’empêcher de penser que nous n’allons jamais réussir à récupérer ce ballon. Malgré le peu de temps qu’il a eu pour analyser le terrain, l’adversaire a réussi à viser où il n’y avait personne. Je me gifle mentalement de penser comme ça et me pousse à rester positif. Elyas, n’a pas eu ce problème et s’est directement élancé à la suite du ballon et fait une réception parfaite en amortissant la puissante et nous renvoyant la balle à une parfaite hauteur.

Je ne peux m’empêcher de lui crier : Elyas, jolie réception ! Même si je le félicite, je sais qu’il n’est pas satisfait de son coup. Il a beau avoir été très réactif et a réussi à garder la balle en jeu, il n’a pas réussi à renvoyer la balle à notre passeur, ce qui nous aurait facilité la tâche. Malgré ça, il réussit à alléger l’atmosphère avec une seule phrase : Pas de soucis à avoir avec moi les gars ! Je suis là pour sauver toutes les balles qui vous semblent impossibles à rattraper ! Elyas est le parfait libéro et ami, toujours fiable, il permet d’enlever un peu de la pression que nous avons sur les épaules en nous permettant de ne regarder que devant nous.

Grâce à ces sauvetages et à nos services puissants, nous arrivons à réduire l’écart que les Deltas ont creusé. Je n’arrête pas de me répéter que la seule chose à faire est de se battre pour ne pas la laisser nous dépasser. Nous commençons tous à être épuisés, l’équipe est tout aussi bruyante que nous et se félicite dès qu’ils réussissent à nous stopper. Le moindre point que nous marquons est une victoire. Cependant, même si nous arrivons à notre combinaison la plus puissante, il ne manque plus qu’un point aux Deltas pour gagner le match.

C’est à mon tour de servir, je me place en position 1 et donc à l’arrière du terrain. J’en profite pour regarder le coach et voir s' il a des consignes à nous donner. Je ne vois que notre manager faire les cent pas tandis que Manon parle à son père et lui vole son tableau pour lui dessiner sa nouvelle stratégie. Elle saute partout et fait de grands gestes pour lui expliquer son idée, rien qu’à la voir, je sais qu’elle ne perd pas espoir. L’arbitre siffle m’indiquant que c’est à mon tour de me lancer, je vérifie que je suis bien derrière la ligne et frappe de toutes mes forces en visant sur le côté, il s’agit d’un service smashé. Les Deltas font une réception parfaite suivie d’un point gagnant, nous n’avons même pas le temps de réagir. Le ballon touche le sol de l’autre côté du terrain à quelques centimètres de la ligne, L’arbitre siffle, nous montrant que nous avons perdu.