Chapitre 2. Rin

Par Benriya

  Le son des bottes de Rin Uchiyama claquait dans les rues d'Hebi, inhabituellement sèches pour une journée de juillet. Parfois, Rin se disait qu'elle ferait mieux de fourrer quelques affaires dans un sac et partir en direction de Mujina où le temps se montrait plus clément. Hebi était pourtant sa ville et, qu'importe ce que l'on pouvait entendre dans les auberges et les restaurants, rares étaient ceux qui parvenaient à quitter cet endroit. La cité du serpent était une artère palpitante du royaume, aux mille couleurs et mille odeurs, aussi tempétueuse que la houle que déversait l'océan sur ses rivages.


  Rin râlait chaque jour contre les nuages gris qui planaient sans cesse au-dessus de leurs têtes, fantasmait les vastes plaines de Mujina et les temples de pierre blanche de Bakeneko, enviait à Inugami la noblesse que la cité martiale imprimait chez ses soldats... Il fallait sûrement être un peu fou pour apprécier la pagaille de cette ville portuaire et peut-être Rin l'était-elle : elle avait beau rêver et pester tout à la fois, elle savait au plus profond d'elle-même que ses sacs resteraient à jamais dans le fond de son armoire. Aussi continuait-elle de ronchonner, plus par habitude que par véritable ressentiment. Et, ronchon, elle l'était actuellement. Contre les pavés qu'elle foulait, contre les nuages gorgés d'une pluie qu'ils se refusaient à faire tomber, contre le vent qui rabattait constamment ses mèches de cheveux sur ses yeux, et surtout, surtout, contre Koubai pointant aux abonnés absents.


  Quand elle avait quitté le poste de police, quelques minutes plus tôt, des sourires s'étaient inscrits sur les lèvres de ses collègues. La colère chez cette femme ne s'exprimait que d'une seule façon (comme le reste de ses émotions) : par un visage fermé aux traits pourtant aussi doux qu'une matinée de printemps. Asuma avait misé deux pièces de cuivre qu'elle ramènerait Koubai en le tirant par l'oreille, Momoi trois qu'il filerait avant qu'elle ne mette la main sur lui et enfin Ari avait tout simplement haussé les épaules, peu intéressé par le pari que se lançaient ses camarades.


  Cela faisait maintenant onze ans que Rin avait rejoint la police. Elle s'était fait connaître de la plupart des commerçants, échangeait sur son passage quelques banalités auprès de personnes rencontrées au détour de ses enquêtes. Si peu de femmes occupaient ces postes, majoritairement réservés aux hommes dont la carrure impressionnait plus les bandits que de jolies courbes et des lèvres pleines, Rin, qui respectait profondément ses fonctions, avait sû se faire une place dans cet univers masculin. Aussi, l'attitude de son partenaire l'agaçait au plus haut point. Koubai n'était pas mauvais, il possédait un œil aussi vif que pouvait l'être son esprit. Pourtant, son caractère débonnaire ne lui permettait pas souvent d'en faire la démonstration... Sauf quand il s'agissait de lui filer entre les doigts.


  Poussant la porte du café que lui avait indiqué Ari, elle le trouva au comptoir, le nez au-dessus d'une tasse dans laquelle la chantilly étouffait complètement ce qu'elle supposait être du café. Rin porta l'index à ses lèvres quand les yeux du patron rencontrèrent les siens. Silencieuse comme un chat, elle se plaça derrière le rouquin et dégaina son sabre. Si elle ne pouvait pas le voir, elle imaginait avec clarté la mine déconfite de son partenaire qui, rapidement, leva les deux paumes en l'air dans un signe de reddition.


  — Rin, dit-il d'une voix dans laquelle se mêlaient à la fois la crainte, l'agacement et peut-être, même si elle préféra l'occulter, un peu d'ironie.
  — Koubai, répondit-elle d'un ton sans émotion. Le chef est venu me trouver ce matin, il n'était pas vraiment étonné par ton absence.
  — C'est pour ça qu'il est chef, il a du flair.


  Koubai repoussa du plat de la main la lame qui chatouillait son cou et se retourna pour faire face à sa partenaire. Son sourire mangeait son visage. Un sourire qui l'avait sorti un nombre incalculable de fois de toutes sortes de situations. De quatre ans son cadet, il était le reflet inverse de Rin. Si la jeune femme respectait les ordres et le règlement à la virgule près, Koubai ne semblait jamais l'avoir lu, ou seulement en diagonale.


  — Un café ?
  — Un cadavre...
  — Je crois qu'on en sert pas ici, lança-t-il en jetant un coup d'oeil derrière son épaule.
  — Très amusant, Koubai. On a retrouvé un cadavre près du port, on nous y attend.


  Une grimace sur le visage, son partenaire glissa de son tabouret, s'étira jusqu'à faire craquer ses os et laissa retomber ses bras le long de ses hanches dans un long soupir.


  — Et bien, en route avant que ce cadavre se fasse la malle.


  Poussant la porte du café, ils prirent la direction des quais. Rin droite et élancée, Koubai déambulant les mains dans les poches de son uniforme mal boutonné. En l'entendant siffloter un air de marins, Rin se posa pour la centième fois une question demeurant sans réponse : pourquoi le chef l'avait-il associée à cet énergumène ? Espérait-il qu'elle parvienne à faire rentrer dans sa cervelle de moineau quelques notions de protocole, de bon sens, de savoir vivre ? Qu'elle ferait de lui un officier digne de ce nom et effacerait son attitude de petit singe de cirque ? Si tel était le cas, Rin essuyait des échecs répétés.


***


  Hebi était une parenthèse dans le royaume. Rien ici ne ressemblait à ce que l'on pouvait connaître dans les autres provinces. Les habits que portaient ses habitants étaient colorés et dévoilaient souvent trop de chair. Les femmes ne se coiffaient pas de jolis chapeaux et pour elles, le terme coquetterie n'avait aucune signification. Les hommes ne s’embarrassaient pas de la moindre politesse et beaucoup arboraient des tatouages aux effigies des légendes peuplant la mer. De tous les quartiers, le port était celui qui représentait le mieux l’âme de cette ville. Un esprit désordonné et bon vivant, parfois violent et débauché. Par conséquent, la présence d'un mort sur ses rivages n'étonnait personne et ils ne trouvèrent qu'un jeune policier agenouillé près du cadavre. Aucune foule n'encerclait la scène. Trop habitués aux rixes et règlements de comptes, les marchands continuaient à vanter le mérite de leurs poissons, les matelots chargeaient et déchargeaient leurs bateaux et les promeneurs vaquaient le nez rivé vers le ciel sans se soucier du fait qu'un homme ait perdu la vie à quelques pas de leurs bottes.


  Avisant leurs tenues, la jeune recrue se redressa et les salua d'un mouvement d'index sur la tempe.


  — Officiers.


  Koubai s'accroupit près du cadavre. Tirant de sa ceinture un petit couteau, il souleva les pans de la chemise du défunt.


  — Le médecin est déjà passé, ses assistants ne devraient pas tarder à venir récupérer le corps.


  Rin se pencha en avant, détaillant le visage gris de l'homme étendu sur le parvis. Ses yeux, d'un bleu pâle, reflétaient le ciel et s'écarquillaient comme si ce spectacle le surprenait. La bonne quarantaine, il avait dû posséder un certain charme dans sa jeunesse avant que les années ne marquent sa peau de rides soucieuses. Il n'avait rien d'un marin. Ses bras étaient trop maigres pour transporter des caisses à longueur de journée et sa peau ne possédait pas l'empreinte salée d'un homme qui passe sa vie dans l'océan. Ses habits étaient de bonne facture mais trop usés pour être ceux d'un bourgeois ou d'un noble. Le col de sa chemise était maculé de taches pourpres : quelqu'un lui avait tranché la gorge dans un arc de cercle parfait partant d'une oreille pour rejoindre la seconde.


  — Qu'a-t-il dit ? demanda-t-elle en redressant le menton.
 — Il pense qu'il a été égorgé cette nuit. Il lui manque aussi deux doigts, le pouce et l'annulaire.
 — Une vengeance de pirates, souffla Koubai d'un ton que Rin jugea trop enjoué pour la situation. C’est assez classique : la blessure est nette, le type a l’habitude. Et collectionner les doigts, si on soustrait les dingues, il n’y a que les corsaires pour prendre le temps de les prélever. Un truc en rapport avec une vieille légende marine… hmm ?


  De la pointe de son couteau, le rouquin extirpa ce qui semblait être un portefeuille d'une des poches du cadavre. L'ouvrant, il en délogea un papier sur lequel Rin aperçu ce qui semblait être son portrait. Sur le dessin, l'homme souriait.


 — Irie Kurusu, lut Koubai. Et bien mon ami, on dirait que tu t'es retrouvé pris dans une sacrée histoire.
 

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Eva lama
Posté le 29/01/2021
Allez je passe au chapitre 2 tout de suite j’ai un peu de temps !!

Je trouve ce chapitre super fluide, j’adore ce duo ! Contrairement aux autres chapitres je n’ai aucune remarques à faire, tout me semble bien rédiger, i ln’y a pas de contre sens, j’aime comment tu décris les corps, les personnages et les lieux !

C’est tout pour moi pour le moment ! hâte du chapitre 3 :)
Mathilde.B
Posté le 30/11/2020
En voilà un bon, chapitre! (Comme les deux précédent d'ailleurs ;))
Bonne description global, je me suis vite immerger.
Le duo de personnages est un peu typique, mais fonctionne toujours.
J'apprécie beaucoup le caractère de Rin.
Benriya
Posté le 05/12/2020
Merci beaucoup, et c'est justement le but de faire un duo sans surprise comme Koubai et Rin :) contente qu'elle te plaise notre petite flic
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