CHAPITRE 2 Royaume d’Énthera - Institut de Silnyr ~ Aeris

La nuit s’était posée comme un voile épais sur l’Institut. J’avais cru que le sommeil m’emporterait rapidement, à la façon d’une couverture chaude tirée jusqu’au menton. Mais mes paupières restaient ouvertes, écorchées par une lumière que je ne voyais pas. Mon corps était tendu sous les draps, le souffle haché, et sous ma peau, la spirale vibrait toujours.

 

Zevryn.

 

Je n’avais pas réussi à le dessiner entièrement. Son visage s’était brouillé à chaque tentative, comme si ma main refusait de saisir ce que mon cœur reconnaissait. J’avais fini par refermer le carnet en tremblant. La spirale argentée sous ma clavicule émettait une chaleur irrégulière, pulsante, presque vivante.

 

Je me relevai. Pieds nus, dans la chambre silencieuse, je marchai jusqu’à la fenêtre. La lune flottait haut, encadrée par les arcs elfiques de Silnyr. Les couloirs étaient calmes. Pas un souffle. Pas un pas. Pas un cri d’animaux nocturne. Seulement la pression. Comme si le monde s’était arrêté de respirer, attendant que je fasse quelque chose.

Je sortis.

Les couloirs de l’Institut étaient baignés d’une lumière diffuse, presque liquide. Mes pas étaient muets sur le sol de pierre, mais j’avais l’impression qu’ils résonnaient dans tout l’espace. L’air semblait chargé, vibrant comme une corde tendue. Je descendis deux étages, puis pris un couloir étroit qui menait à la bibliothèque.

La porte de chêne craqua sous ma main. À l’intérieur, l’odeur familière de vieux cuir, d’encre séchée et de poussière enchantée m’enveloppa aussitôt. Les étagères semblaient m’observer. Il y avait une forme de conscience ici, discrète mais constante. Le grimoire m’attendait.

Je m’approchai. La même alcôve, la même étagère. Et là, il était. Le grimoire noir. Il avait été refermé, pourtant je sentais qu’il me reconnaissait. Qu’il me guettait. Qu’il m’appelait. Sa couverture semblait battre, comme une respiration.

Je tendis la main. Au moment où mes doigts effleurèrent la reliure, une onde traversa mon bras, puis tout mon corps. Je perdis l’équilibre, tombai à genoux. La spirale sous ma clavicule s’illumina, faiblement. Le grimoire s’ouvrit d’un coup sec.

Des pages tournèrent seules, comme fouettées par un vent intérieur. Des lettres surgirent, s’effacèrent, puis réapparurent. Ce n’était pas une langue que je connaissais, mais mon esprit la comprenait. Chaque mot s’imprimait directement dans ma mémoire.

 

“Oublie. Rappelle. Offre. Liens brisés. Chants éteints. Tu portes les fragments.”

 

Je reculai. Mon dos heurta une étagère. Le grimoire se referma lentement, comme repu. Je restai là un moment, tremblante, avant de me relever et de quitter la bibliothèque.

 

Le jour se leva dans un murmure de vent et de cloches. Dans la grande salle, les élèves circulaient entre les tables du petit-déjeuner, emmitouflés dans leurs uniformes de lin épais. L’air sentait la brioche chaude, les croissants beurrés, le thé de fleurs de brume et les fruits confits. Thalen était déjà là, assis à une longue table de bois, entouré d’un petit groupe d’amis. Il me fait un clin d’œil discret quand nos regards se croisière.

Je m’assis seule, comme souvent. Mon bol fumait devant moi, mais je n’avais pas faim. À l’autre bout de la table, Mave me fit un signe de la main, puis me rejoignit.

— Tu n’as pas l’air dans ton assiette, dit-elle en s’asseyant. Mauvais rêve ?

Je hochai la tête, sans trouver de mots. Puis :

— Le grimoire… il s’est ouvert tout seul. Il m’a parlé, Mave. Enfin… c’est comme si je comprenais ce qu’il disait.

Mave fronça les sourcils, mais ne sembla pas surprise.

— Il y a des livres comme ça, ici. Pas beaucoup. Tu crois que tu devrais en parler au directeur?

— Et dire quoi ? Que je suis appelée par une relique affamée ? Que je ressens des mots que personne ne lit ?

Elle sourit, douce et vive.

— Tu pourrais dire que tu es spéciale. Ça, tout le monde l’a déjà remarqué.

 

Je levai les yeux vers elle. Elle tenait sa tasse à deux mains, comme une ancre dans la tempête mais avant que je ne puisse répondre, une voix s’éleva derrière moi, tranchante:

 

— Ou alors tu pourrais arrêter de faire semblant.

Je me retournai. Lira. Toujours impeccable. Toujours acide.

— Ce n’est pas parce que tu traînes dans la bibliothèque comme un fantôme qu’on te doit de l’admiration, poursuivit-elle. Tu n’enseignes même pas les matières fondamentales. Juste… l’art.

— Lira, grogna Mave. Pas ce matin.

— Oh, je dis juste ce que tout le monde pense. Certains ici travaillent dur pour se faire une place. D’autres… brillent juste en se taisant.

Je ne répondis pas. Ce n’était pas la peine. Je pris une gorgée de thé, sentant mes doigts trembler légèrement contre la porcelaine. Lira me lanca un regards menacant et parti.

— Elle te provoque parce qu’elle déteste ne pas comprendre ce qui t’entoure. Lira veut toujours tout maîtriser.

Mave continua notre conversation

— En parlant de choses étranges… Tu sais qu’on attend un nouveau professeur ? Un Fae venu d’Astrae. Pour enseigner l’histoire magique. Il paraît qu’il a étudié les ruines d’un royaume perdu.

— Ellaryon ?

Mave cligna des yeux, interloquée.

— Comment tu connais ce nom ?

Je baissai la tête, le cœur battant.

— Je… Je l’ai entendu. Dans un rêve.

Elle ne répondit pas. Mais son silence en disait long.

 

Plus tard, j’ouvris la porte de mon atelier de dessin. L’odeur de fusain et de pigments me calma. Les élèves s’installèrent en cercle. Aujourd’hui, on étudiait les formes en mouvement.

Mais alors que j’expliquais les bases de la composition, mon bras se crispa. Mon souffle se coupa. La spirale vibra sous ma peau. Un courant me traversa, fulgurant.

Les pinceaux explosèrent.

Les pots d’eau se renversèrent. Les croquis brûlèrent, sans feu visible. Une onde invisible avait balayé la pièce.

Silence. Regard. Frissons.

Mave entra brusquement.

— Aeris.

Je levai les yeux. Les murs semblaient tournoyer. Ma vue se brouilla.

— Je dois sortir.

 

Je quittai la pièce en courant, traversant les couloirs, les escaliers. Je bousculai deux élèves, descendis vers les jardins, puis bifurquai jusqu’aux bois.

Thalen était assis sur un banc de pierre près des serres.

— Tu cours comme si quelque chose allait exploser.

Je tentai un sourire, sans y parvenir. Il se leva et m’ouvrit les bras. Je m’y réfugiai sans réfléchir. Il sentait la lavande et le cuir vieilli.

— Ça recommence, soufflai-je. Les tremblements. Les rêves. Les livres. La spirale.

Il me tint plus fort.

— Tu sais, les gens ici oublient facilement. Ils répètent ce qu’on leur dit. Ils disent qu’il y avait sept royaumes. Mais parfois… dans les écrits les plus anciens, il y a une huitième étoile sur les cartes. Ils ne savent pas ce qu’elle signifie.

— Mais toi, tu sais.

Il hocha la tête.

— On l’appelait Ellaryon. Un royaume de mémoire. D’harmonie. Et il y avait un arbre… immense, au centre de tout.

— L’Arbre-Cœur ?

— Oui. Mais il a été détruit lors de la Rupture. Et avec lui, beaucoup de vérités ont disparu. Ou ont été effacées.

— Et moi ? Pourquoi est-ce que je ressens tout ça ?

Thalen s’écarta un peu, me regarda.

— Parce que tu portes quelque chose. Un lien. Une trace. Peut-être une clé. Mais tu ne dois pas te précipiter. La mémoire est puissante. Et dangereuse.

Je hochai la tête. Il me tendit une petite pierre noire.

— Je l’ai trouvée dans tes affaires. Tu reconnais ce symbole ?

Un cercle, brisé en trois spirales. Il vibra dans ma main.

— Non… mais je crois qu’il m’appelle.

Un souvenir me revint. J’étais enfant, blottie contre le torse de Caellen, le père de Thalen, pendant qu’il récitait une berceuse ancienne. J’avais eu peur d’un cauchemar. Il m’avait caressé les cheveux en murmurant : « Les vraies histoires se souviennent de nous, petite étoile. Même quand on les oublie. »

Je clignai des yeux.

 

Thalen me raccompagna à l’institut car je voulais assister au cours d’histoire du nouveau professeur, même si je ne suis pas élève, cela m’intéressait, et avant de partir, il me dit:

— Tu veux venir avec moi ce week-end ? Je rends visite à père et mère.

Je pris une inspiration. L’idée me réconfortait, même si je n’osais pas le dire.

— Peut-être. Je ne sais pas si je peux quitter l’Institut en ce moment.

— Tu peux toujours. Tu en fais trop, Aeris. Tu as le droit de souffler. De respirer.

 

L’amphithéâtre de pierre était presque plein. Des dizaines d’élèves s’étaient déjà installés, leurs plumes prêtes, leurs grimoires ouverts. Un murmure parcourait la salle, comme un courant souterrain. Tous attendaient Maëron, le nouveau venu d’Astrae, dont les rumeurs entouraient l’arrivée d’une aura presque prophétique.

On disait qu’il avait enseigné aux enfants des Hautes Maisons. Qu’il possédait une mémoire absolue. Qu’il avait vécu une guerre oubliée. Qu’il parlait aux ombres.

Il entra sans un mot. Sa cape flottait derrière lui, d’un bleu nuit profond, ourlée de motifs argentés qu’on aurait cru mouvants. Il ne sourit pas. Ne salua personne. Il s’installa près du pupitre, et sa voix s’éleva, grave et tranquille :

— Avant la Rupture… il existait sept royaumes.

Silence.

Il nous regarda, un par un. Puis ajouta, d’un ton presque désinvolte :

— Du moins, c’est ce que la mémoire autorise encore.

Un frisson me parcourut. Je sentis mon cœur ralentir, comme s’il cherchait à entendre mieux. Autour de moi, certains se redressèrent, d’autres échangèrent un regard intrigué.

Maëron fit quelques pas.

— Les archives officielles ne parlent pas d’autre chose. Mais dans les chants oubliés, dans les cendres des manuscrits brûlés, certains symboles apparaissent. Une spirale. Un arbre. Un éclat d’étoile.

Mon souffle se bloqua. Je fixai mon encrier.

 

— Certains noms ont été bannis, poursuivit Maëron. D’autres, effacés. Mais tout ce qui est effacé peut un jour revenir. À condition que quelqu’un s’en souvienne.

Il marqua une pause, et sa voix se fit plus grave, presque absente :

— La mémoire est une magie ancienne. Et toute magie oubliée devient dangereuse quand elle revient.

Il s’arrêta. Juste devant moi.

— N’est-ce pas, mademoiselle Aeris Varenn ?

Le sang me quitta. Je sentis la spirale pulser contre ma peau.

— Je… je ne sais pas.

Il me fixa, longuement. Puis, avec un sourire pâle :

— Pas encore.

 

Le reste de l’après-midi, les mots de Maëron tournaient dans ma tête comme des lames lentes. J’avais pris des notes, griffonné des spirales sur les marges, souligné des noms inconnus. Mais tout me semblait secondaire.

Quand le dernier cours se termina, je pris le chemin de la bibliothèque. Pas pour lire. Pas vraiment. J’avais besoin d’être dans cet endroit silencieux, entre les colonnes anciennes, sous les verrières couvertes de lierre. Je me glissai entre les rayonnages. Trouvai un recoin caché. Sortis mon carnet.

Je dessinai. D’abord sans penser. Puis de plus en plus vite.

Un arbre immense, au tronc fendu. Des racines en spirale. Une lumière qui tombait d’un ciel fendu. Une voix.

Le carnet trembla entre mes mains.

— Souviens-toi…

Je sursautai. Ce n’était qu’un mot griffonné sur la page. Mais je crus l’avoir entendu. Clairement.

Je refermai le carnet. Une sueur froide glissait dans mon dos. Je rangeai mes affaires et quittai la bibliothèque sans me retourner.

 

Le soir, je restai à l’écart des autres. Je rentrai tard dans ma chambre, les bras chargés de carnets et de livres. Une brume s’était installée sur Silnyr, enroulant les tours comme une promesse oubliée. Une pluie fine tombait sur ma fenêtre, les gouttes frappaient doucement les vitres. J’allumai une lampe, tirai les rideaux, et me laissai tomber sur mon lit.

 

Ma cicatrice brillait.

Pas d’une lumière visible. Mais elle vibrait dans mes os, dans mes souvenirs, dans cette partie de moi que je n’avais jamais comprise. Je relevai ma tunique. Juste sous la clavicule, le tracé fin de la spirale s’était étiré. Comme si elle respirait.

Je fermai les yeux. Une voix chantait. Lointaine. Brisée.

“Souviens-toi… Le chant dort, mais la pierre veille.”

J’ouvris les yeux, haletante. Le médaillon noir posé sur ma table de chevet brillait d’une faible lueur.

Et alors que je tendais la main vers lui, une ombre passa sous la porte.

Un pas léger. Presque trop léger pour être humain.

Je me levai d’un bond pour ouvrir la porte.

Le couloir était vide.

Mais sur le sol, quelqu’un avait laissé un morceau de parchemin, replié trois fois. Je le ramassai, le cœur battant.

À l’intérieur, une seule phrase, écrite à l’encre violette, presque métallique, comme une lumière fossile venue d’un autre temps. L’écriture était fine, fluide… trop maîtrisée pour une main hésitante.

 

“Ils te cherchent. Ne les laisse pas te trouver.”

 

Je restai immobile, le parchemin serré dans mes doigts. L’encre semblait encore fraîche. Elle laissait une odeur étrange, une senteur fauve, de cuir noir, de cendre, d’ambre brut.
Un mélange de bois humide, de pluie, de terre battue, comme celle qu’on foule avant la tempête.
Et sous tout cela, un parfum minéral, presque électrique. Comme l’écho d’un orage qui n’est pas encore tombé.

Une odeur sauvage. Ancienne. Inoubliable.

“Ils te cherchent.”

Qui ? Et pourquoi maintenant ?

Je rouvris la porte lentement. Rien. Pas même le moindre souffle d’air dans le couloir. Mais quelque chose avait changé. Comme si l’espace lui-même s’était légèrement déplacé, dans un frisson invisible.

Je refermai la porte et verrouillai.

Puis je m’assis au sol, dos contre le bois, le cœur cognant si fort que j’eus peur qu’il réveille tout l’Institut.

Le médaillon noir vibra de nouveau. Une pulsation sourde, presque rythmée. Et, sans réfléchir, je le pris et le passai autour de mon cou.

La spirale réagit aussitôt.

Un frisson monta de ma colonne jusqu’à ma nuque, puis redescendit jusqu’au bout de mes doigts. Les lumières de la lampe vacillèrent. Un instant, le monde parut se replier, comme une page qu’on tourne trop vite.

Je vis… autre chose.

Une salle que je ne connaissais pas. Circulaire. Sculptée dans la pierre blanche. Des arches tordues par le temps. Des murs couverts de symboles en spirale. Et au centre, une silhouette. Immobile. Drapée d’un manteau de plumes grises.

Elle leva la tête.

Ses yeux étaient entièrement argent. Sans pupilles. Sans iris.

Elle me vit.

Et tout disparut.

Je haletai, recroquevillée contre le mur de ma chambre, les yeux grands ouverts dans le noir. Le médaillon était tiède contre ma peau. Le silence retomba, mais mon souffle ne parvenait plus à le briser.

Je ne dormis pas cette nuit-là.

 

À l’aube, Silnyr semblait figé dans un rêve pâle. Les cloches ne sonnèrent pas.

Je descendis tôt. Trop tôt pour le petit-déjeuner. Mes pas me guidèrent sans que je décide. Pas vers la bibliothèque cette fois. Vers le Jardin d’ombre.

Il était interdit. Réservé aux anciens maîtres. Fermé depuis la Rupture, disait-on.

Mais le portail était entrouvert.

Juste assez pour que je passe.

À l’intérieur, tout était figé. Les plantes n’avaient pas fané, ni poussé. Elles semblaient… suspendues dans le temps. Des lianes translucides pendaient comme des filaments d’argent. Des fleurs noires brillaient sans lumière. L’air sentait le fer et l’encens.

Au centre, une pierre dressée.

Et gravé dans la pierre, le même symbole que sur la petite pierre donnée par Thalen : le cercle brisé, les trois spirales.

Je tendis la main. Mon doigt effleura la gravure.

Une voix s’éleva. Pas dans l’air mais dans mon esprit.

« Tu portes la dernière note. »

Je reculai, mais mes jambes tremblaient. Mon front se couvrit de sueur.

« Tu es la clef. La dernière mémoire. »

Puis tout se tut.

Je sortis du jardin en titubant.

Et là, sous les arches de l’entrée, quelqu’un m’attendait.

Maëron.

Il ne disait rien. Mais son regard était grave, presque douloureux.

— Vous n’auriez pas dû entrer, dit-il enfin.

Je serrai les poings.

— Je ne l’ai pas choisi.

Il me fixa longuement. Puis ajouta, à voix basse :

— Alors préparez-vous, Aeris Varenn. Car ceux qui portent la mémoire… sont toujours les premiers à disparaître.

Je n’ai pas répondu. J’ai simplement continué à marcher, quittant les jardins sans un mot, les épaules tendues et le cœur battant. Les mots du professeur résonnaient encore dans ma tête comme un écho.

"Alors préparez-vous, Aeris Varenn. Car ceux qui portent la mémoire… sont toujours les premiers à disparaître."

Pourquoi m’avait-il dit ça ? Il venait d’arriver, il ne me connaissait même pas. Et pourtant, il m’avait regardée comme s’il savait quelque chose que j’ignorais. Comme s’il m’avait reconnue.

Je remontais les couloirs vers ma chambre, encore troublée. Il y avait quelques élèves qui traînaient ici et là, certains bavardaient à voix basse, d’autres riaient en jetant un œil sur leurs notes. Mais dans l’aile des professeurs, tout était calme.

Les escaliers avaient encore bougé pendant la nuit. Ce n’était pas rare, mais ce matin-là, quelque chose me paraissait inhabituel. Les marches grondaient doucement sous mes pas, comme si elles échangeaient des secrets. Un miroir au mur avait était déplacé, révélant l’entrée d’un couloir que je n’avais jamais remarqué auparavant, un passage étroit, faiblement éclairé, bordé d’arches anciennes envahies de lierre.

Par curiosité, j’ai fait quelques pas vers ce couloir, une chaleur surprenante pulsa sous ma peau, ça me brula presque. L’air y était plus dense, chargé d’un parfum de résine et de pierre humide.

J’entendis quelque chose, un appel, faible, indistinct, mais présent. Il vibrait dans ma tête plus que dans mes oreilles. Puis, un éclat de lumière, et au bout du couloir, un renfoncement, presque invisible, où se dessinait un vieux temple dissimulé derrière des feuillages suspendus.

Je me suis avancée.

À l’intérieur, une fresque couvrait tout un pan de mur. Des étoiles peintes, des silhouettes, un arbre lumineux. Et puis, une scène : un portail fracturé, un enfant dans les bras d’une femme, un ciel éclaté en fragments. Mon cœur s’est serré.

Un vertige m’a prise, et tout est devenu flou.

J’ai vu du sang, des chants brisés, des cris. Une forêt qui brûlait. Une voix masculine hurlant un nom. Un bébé emporté dans un vortex d’ombres.

Puis… le silence.

Et des yeux. Froids. Dorés comme de l’or liquide, traverser de reflets argenté. Inoubliables.

Zevryn.

Bébé.

Je me suis réveillée sur le sol de pierre, haletante. Le temple avait disparu. Le couloir aussi.

Mais la fresque était là.

Et la spirale brillait.

Je ne comprenais rien. Tout était trop étrange, trop intense. Mon esprit tournait encore. Je ne savais plus quoi penser. Ce que j’avais vu… ce n’était pas un rêve. C’était une mémoire. Une vision. Quelque chose de plus ancien que moi. Et ça m’avait reconnue.

Pour retrouver un semblant d’équilibre, j’ai décidé d’aller prendre le petit-déjeuner. Entourée de monde, peut-être que je me sentirais plus en sécurité. Peut-être que le simple bruit de la vie ordinaire suffirait à repousser l’étrangeté de cette vision. Le réfectoire était déjà animé. Des élèves riaient, se disputaient des viennoiseries, échangeaient leurs cours du matin. Je me suis assise près d’une fenêtre, une tasse fumante entre les mains, essayant de capter leur insouciance, de m’y accrocher.

Mais même là, au milieu des voix et du pain chaud, quelque chose me suivait. La spirale sous ma clavicule battait comme un second cœur.

Et dans ma tête, une certitude s’installait doucement : rien ne serait plus jamais normal.

Soudain. une voix familière a claqué derrière moi.

— Tu as toujours eu le chic pour me rater, hein ?

Je me suis retournée. Luna. Sa silhouette mince, sa tresse auburn, ce sourire vif. Elle avait passé deux ans à Astrae à enseigner la magie du souffle. Et c’était ma meilleure amie.

Je l’ai serrée dans mes bras, longtemps, avec cette force un peu maladroite qui dit tout ce que les mots ne savent pas dire. J’ai senti son cœur battre contre le mien, familier, rassurant, comme une ancre dans la tempête. Elle m’a observée un instant, ses yeux brillants d’émotion, avant de hausser un sourcil moqueur, pour alléger l’instant.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu fais une tête de fin du monde.

Je lui ai tout raconté, la spirale, les insomnies, le mot sur le parchemin, le professeur, le couloir.

Elle a blêmi légèrement.

— Aucune de ces choses n’est anodine, Aeris. Peut-être que ce n’est pas toi qui les attire. Peut-être qu’elles te reconnaissent.

Je me suis forcée à rire, mais sa main est venue serrer la mienne. Elle est restée avec moi un moment, et on a parlé de tout et de rien. Comme avant. Comme si le monde n’était pas en train de se fissurer autour de moi.

 

 

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