Chapitre 2. Sayonara, Sayonara

Par keirho
Notes de l’auteur : Petit voyage au Pays du Soleil levant ... la "chasse" continue !

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     Chapitre 2. Sayonara, Sayonara

( Pour lire en musique : https://www.youtube.com/watch?v=C35DrtPlUbc )

 

1er janvier 2023, 6 h de Tokyo

Les festivités de début d’année au Japon, qui s’étalent pendant les sept premiers jours de janvier, avaient cette année une coloration particulière. En même temps que le premier lever du Soleil de l’année, allait se tenir la grande finale de l’émission, Karaoke Bokkusu Champion - ou le champion de la «box karaoké» - ces cabines où les locaux adorent s’entasser pour chanter à tue-tête, entre collègues ou en famille. En guise de bouquet final de l’émission, les visages des célébrités finalistes allaient être dévoilés.

Dans un pays où le karaoké est pratiquement érigé au rang de sport national olympique, l’accueil phénoménal réservé par le public à cette émission ne fut une surprise pour personne. Le principe était simple et d’une efficacité redoutable : choisir, parmi une douzaine de participants, les quatre lauréats qui allaient accéder au rang des “meilleures voix de l’année”. Un titre pompeux et quelque peu usurpé, car aucune aptitude au chant n’était requise pour y arriver. Chaque saison de l’émission fournissait son millésime de champions éphémères, qui périmeraient au plus tard le 31 décembre suivant

Les candidats - habituellement des citoyens lambda - cachaient leur identité sous un déguisement, qu’ils n’ôtaient que le soir de leur élimination ou lors de la soirée finale. Il n’était pas rare d’y croiser des samouraïs aux voix ultra aiguës, des ténors en tenue de geishas ou des candidats du troisième âge planqués sous un déguisement de Pokémon. Les costumes les plus extravagants avaient toujours la côte. D’autres émissions du même style existaient depuis longtemps, mais pour Karaoke Bokkusu Champion, pas besoin d’avoir une voix juste pour pousser la chansonnette et monter sur le podium.

Les prix pour les meilleurs étaient de taille : une tournée de concerts à guichets fermés à travers le pays, et des cachets à la hauteur de l’engouement au pays du karaoké. Mais cette année, l’émission s’annonçait spéciale : une saison de pures célébrités. Exceptionnellement, les recettes de leurs concerts seraient reversées à des associations caritatives au Japon et dans le monde entier.

Depuis plusieurs semaines, les nippons se serraient tous les dimanches devant leurs écrans. La population devait être représentée dans son plus large éventail. La sélection des candidats s’avérait un pur exercice d’équilibriste pour la production de l’émission. Elle devait respecter, entre autres critères, la parité, la diversité, et même les métiers de chaque participant. En raison du caractère unique de cette saison, des candidats étrangers faisaient partie du mercato. L’émission allait devenir une franchise internationale dans le courant de l’année, exposant le Japon et son ouverture au monde entier.

Les candidats éliminés les premières semaines avaient déjà montré un casting à la hauteur des attentes du public. Il y avait eu entre autres : un péruvien, propriétaire de la plus grande chaîne de boulangeries au monde ; un aventurier éthiopien, leader des expéditions dans des climats extrêmes ; une ancienne première ministre néo-zélandaise ; ou encore un japonais quintuple vainqueur des courses d’endurance Samurai Warrior.

La chaîne productrice de la compétition était QuickLook Nippon Entertainment, filiale de QuickLook - le réseau social -. 

La date de la finale n’avait pas été choisie au hasard. Chaque année, la nuit du 31 décembre, durant ce qu’ils appellent le Hatsumōde, les Japonais affluent vers les temples shintoïstes ou bouddhistes pour y faire les premières prières aux divinités, dans l’espoir d’une bonne année. La contemplation du premier lever du Soleil de l’année - Hatsuhinode - fait aussi partie de ces premiers rituels.

Au pays du Soleil levant, le culte du travail occupe un rang structurant de la société. Cette journée privilégiée, où les habitants pouvaient rester loin de leurs occupations professionnelles, garantissait des performances mirobolantes d’antenne pour l’émission. Profitant d’une population qui allait veiller toute la nuit, l’émission comptait laisser tomber les masques avec l’arrivée des premiers rayons de Soleil de 2023.

Pour sa vue à couper le souffle, le lac Kawaguchi fut choisi comme décor pour l’occasion. De par son emplacement géographique idéal au nord du mont Fuji, il permettait de faire apparaître le Soleil comme par magie par l’arrière du colossal volcan endormi. À partir de ce point d’observation, le panorama permettait aussi de montrer le reflet splendide de toute la scène sur le lac. Pour ajouter un voile de grâce à l’ensemble, la neige était au rendez-vous ces derniers jours, en poudrant le paysage inoubliable de la carte postale.

L’impératrice du Japon et son empereur consort étaient aux premières loges, juste devant la scène. Leur présence était tout un symbole qui montrait l’importance que le pays accordait à cette finale.

*

Depuis six heures du matin, les vainqueurs de la saison précédente s’époumonaient sur scène, profitant de leur dernière prestation de cette folle année de popularité. Il s’agissait de leurs dernières minutes de gloire, comme cela avait été le cas pour tous les vainqueurs des saisons précédentes.

Sur une plateforme surélevée dominant la scène, à l’intérieur d’un cube en forme de cabine de karaoké, les quatre nouveaux vainqueurs attendaient la libération de leur anonymat forcé.

A 6 h 51, heure du premier Soleil de l’année à Kawaguchi, la musique rythmée du concert s'arrêta et l’orchestre entama la fanfare triomphale tirée de We Are The Champions. Les images diffusées à l’antenne  montrèrent d’abord un paysage fantastique baigné par les premières lueurs du matin, suivi d’un gros plan de la scène. Et pour finir, un gros plan du cube, dont les cloisons finirent par s'évanouir pour dévoiler les vainqueurs.

Il n’en fut rien. Au lieu de monter les quatre victorieux démasqués, les écrans affichèrent uniquement le présentateur vedette de l’émission Takeshi Miyamoto, ligoté et couché par terre, essayant visiblement de se libérer de ses liens. Le public pensa que la scène faisait partie du scénario, et que dans les secondes suivantes, les gagnants allaient émerger d’une épaisse fumée venant de quelque part… Sauf que les minutes passèrent et personne n’arriva.

Les karaokistes vainqueurs de l’année précédente étaient toujours sur scène, attendant de transmettre les trophées aux nouveaux gagnants. Avertis par la production, ils coururent nerveusement pour libérer le pauvre homme. Une voix off se mit à répéter en boucle des excuses inintelligibles, puis souhaita une bonne année au public, marquant brusquement la fin de la retransmission.

Ce silence se répandit à la vitesse de la lumière jusqu’à Tokyo et dans le reste du pays. Les Japonais qui regardaient la scène abasourdis, contemplaient eux-mêmes un lever de Soleil depuis l’un des multiples endroits mythiques du pays habituellement choisis pour le Hatsuhinode : une plage, un temple, une montagne, un gratte-ciel, un avion spécialement affrété pour l’occasion…

*

A quelques milliers de kilomètres de là, les quatre vainqueurs survolaient l’océan à bord de l’avion de l'Impératrice. Depuis les airs, la vue incroyable qu’ils avaient de ce premier lever de Soleil était aussi fantastique que depuis le pied du mont Fuji. Si ce n’était qu’eux aussi, étaient attachés à leurs sièges, et qu’ils se seraient certainement passés de cette expérience aérienne.

***

Quelques heures plus tard, après l'intervention des forces de l’ordre, l'événement fut « officiellement » qualifié d'enlèvement, lors d’une conférence de presse. La situation était difficile à admettre par les autorités, puisque la sécurité des célébrités avait été assurée par la police locale. Avouer cette défaillance allait ternir l’image de l’institution. 

Par la suite, la presse nationale s’empara du sujet. Les murs des réseaux sociaux dévoilèrent rapidement des vidéos faites la veille, à plusieurs endroits du centre-ville de Tokyo. Les quatre masqués s’étaient promenés à la fin de la soirée du 31 sur le célèbre passage piéton de Hachiko du quartier de Shibuya. Une présentation surprise qui avait mobilisé plusieurs escadrons de police pour assurer le bon déroulement de leur apparition surprise. Le lieu était déjà bondé en temps normal, s’y promener dans ces circonstances relevait de la folie. Caprice de la production pour faire monter l’audimat.

Une question brûlait toutes les lèvres : à quel moment seraient dévoilés les noms des disparus. La police esquiva la question car, pour éviter des fuites, seule la direction de la chaîne connaissait leurs identités.

Vers midi, bien plus que quatre noms avaient déjà commencé à fuiter.  Néanmoins, une photo circulant dans les médias offrait la meilleure piste. Elle montrait quatre personnes déguisées mais non masquées, dans ce qui ressemblait fort à une loge.

Le premier profil était celui de Sanjay Kumar, comédien indien excentrique, tête d’affiche de tous les blockbusters bollywoodiens des dernières années.

Le deuxième était Aïko Hashimoto. La jeune peintre japonaise, à l’ascension stratosphérique avec une carrière internationale, était aussi connue pour son rôle d’ambassadrice de l'UNICEF.

Ensuite apparaissait Mauro Batista, joueur de l’équipe nationale de football du Brésil, lauréat de plusieurs titres internationaux dans des clubs européens ou la sélection de son pays.

Enfin, l’on pouvait reconnaître Ludmila Poliakoff, top-modèle russe, mais surtout ancienne compagne de Mauro Batista.

L’étrange soutien d’une insolite fan étrangère de l’émission donnait du poids à l’hypothèse de la photo. La nouvelle impératrice brésilienne Flavia de Orléans e Bragança, mordue des réseaux sociaux, avait affiché à plusieurs reprises son soutien à l’émission japonaise. Elle intervint personnellement auprès de la chaîne locale qu’elle avait aidé à créer - QuickLook Brasil - OGlobo - afin que le pays sud-américain soit le premier à avoir sa déclinaison locale de  Karaoke Bokkusu Champion. Pour compléter le tout, le premier des juges déjà annoncé était, là encore, le footballeur à succès Mauro Batista.

La bourde la plus éloquente de l’impératrice brésilienne, fut un tweet du 31 décembre, effacé quelques minutes après les disparitions :

 « Vamos Mauro Batista ... O Brasil espera por você com o troféu ! »

[« Allons Mauro Batista … Le Brésil vous attend avec le trophée ! »]

Sauf qu’il ne participait plus à une quelconque compétition footballistique depuis six mois, en raison d’une blessure.

Malgré toutes les hypothèses avancées sur les causes des disparitions, les pays d’origine des stars présumées exhortèrent à tour de rôle le public de laisser les enquêtes de police se dérouler dans le calme. Ne connaissant pas les intentions des ravisseurs, la crise diplomatique réunissait tous les ingrédients pour tourner rapidement au vinaigre.

Les noms ne furent donc pas confirmés ou infirmés, ni par la chaîne, ni par la police.

***

De l’autre côté du globe, la soirée du 31 commençait à peine à enflammer Rio de Janeiro. L’ancienne capitale brésilienne, qui venait de récupérer son statut après l’accession au pouvoir de l’impératrice Flavia, avait toutes les excuses pour fêter ce nouvel An en grande pompe.

Les cariocas convergeaient par milliers vers la plage de Copacabana pour l’habituel feu d’artifice. Le dress code incontournable était total white, la tenue traditionnelle pour recevoir l’année et donner les offrandes à la mythique déesse des mers Iemanjá.

Non sans difficultés, un groupe d’adolescents essayait de se frayer un chemin au milieu de la foule. Ils arrivaient du quartier de Barra de Tijuca, zone huppée de la ville.

L’un des jeunes du groupe, Caleb Letailleur, qui se tenait un peu à l’écart des autres, envoyait une série de messages avec insistance via une plateforme sécurisée :

Vous faites encore la fête ?! Papa est avec toi ?

T’as suivi pour le Japon?

Mauro Batista a disparu. C’est raté pour le Brésil pour la prochaine Coupe du monde !

T’es à la maison?

En l’absence de réponse à ses messages, Caleb composa le numéro de sa sœur.  Plusieurs fois, il tomba sur son répondeur, jusqu’à la dernière tentative. Malgré le brouhaha qui l’environnait sur la plage brésilienne, il reconnut la voix de sa sœur.

— Miranda ? Pourquoi tu ne répondais pas ? demanda Caleb.

— Écoute attentivement. Notre appartement a été cambriolé et Papa a disparu. Une enveloppe a été laissée par ceux qui ont fait ça.

— Et c’était quoi le contenu de l’enveloppe ? Que demandent les ravisseurs ?

— Je vous le dirai plus tard. Mais j’ai réussi à l’échanger par une autre enveloppe. C’est son contenu qui sera publié devant les médias demain.

— Tu penses que cela a un rapport avec toi ?

Sans doute. Il faut avertir Maman, je ne sais pas si nous sommes les suivants. Je me cache et vous devriez faire pareil. Je dois te laisser, je suis sûre que l’on essaie de me localiser.

— Mais t’es où !? , s’énerva Caleb.

Seule une tonalité lui répondit. Miranda venait de raccrocher.

***

«... Sayonara sayonara

Tottemo tottemo tanoshikatta

Motto motto hanashitakatta …»

 

[«… Au revoir au revoir

C'était amusant

Je voulais tellement le dire plus …»]

 

 

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