Chapitre 1. Aux Champs Elysées

Par keirho
Notes de l’auteur : La première partie de l'histoire. C'est ici que tout commence... à Paris.

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PARTIE 1 : PETITE MUSIQUE DE NUIT

https://www.youtube.com/watch?v=3SCHBcVBCdA

 

 

     Chapitre 1. Aux Champs Elysées

( Pour lire en musique : https://www.youtube.com/watch?v=woFTMwLJilI )

 

Samedi 31 décembre 2022, 23 h 15 de Paris

Le spectacle de minuit sur les Champs-Élysées venait de démarrer. Dire que cette fois les Parisiens avaient été gâtés était un euphémisme.

L’Arc de Triomphe prenait vie grâce aux images qui défilaient et jouaient à cache-cache autour de la place de l’Étoile. Pour la première fois depuis très longtemps, une nouveauté provoquait une réaction euphorique dans un public souvent blasé de la performance annuelle. Des artistes semblaient flotter dans les airs, évoquant une danse d’anges ou de super-héros aux capes multicolores. Ils étaient escortés par une armée de drones futuristes, dont les mouvements étaient chronométrés par une intelligence artificielle. Rien n’était laissé au hasard dans cette valse futuriste.

Le bruit des traditionnels feux d’artifice se mariait avec des airs sonores très - voire trop - variés. Ceux-ci zigzaguait entre le classique et l'électro, en passant par une compilation de tubes indémodables des années 80, 90 et même de l’inoubliable film Amélie Poulain !

La présentation se devait d’être époustouflante. QuickLook, le plus grand réseau social qui ait jamais existé, était aux manettes de la performance. Il fallait fêter l'arrivée du nouveau venu du monde digital de la façon la plus ostensible qui soit. Cette gigantesque « hydre » du numérique, qui avait déferlé comme un tsunami, avait dévoré sans pitié tous ses concurrents en une seule bouchée.

Il faut dire que le décor offert par l’avenue la plus belle du monde ne pouvait que faciliter la tâche.

Rien que le show d’une ribambelle de vedettes de premier rang valait l’occasion d’être là : Dua Lipa, BTS, Adèle, J Balvin, Taylor Swift,... Sans compter le tant attendu retour de Daft Punk.

Une marée humaine de plus de deux millions d'âmes avait répondu à l’appel, selon les organisateurs, remplissant les deux kilomètres qui séparaient l’Arc de Triomphe de la place de la Concorde. Le comptage effectué par la police parisienne avait chiffré la foule à 350 000 personnes seulement. Seuil au-dessus duquel, le président français - locataire du palais de l’Elysée voisin - devait être envoyé par sécurité au pavillon de la Lanterne, à Versailles.

Tout ne pouvait que bien se passer. Et pourtant non loin de là, un petit événement bien plus silencieux et éloigné des projecteurs, allait actionner le mécanisme d’une bombe à retardement qui n’était que la première d’une longue série d’événements improbables.

***

Kevin Letailleur, trente-sept ans, habitait au nord du 16e arrondissement de Paris, sur l’avenue Victor Hugo, à seulement quelques rues des festivités. Son duplex au dernier étage d’un immeuble haussmannien offrait une vue imprenable sur la tour Eiffel et sur l’Arc de Triomphe.

Il était neurochirurgien, et surtout vedette du moment des médias et des réseaux sociaux.

Il y a cinq ans, lors de son jogging dominical au bois de Boulogne, Letailleur avait croisé le chemin du célèbre youtubeur américain Aiden Fuller. Le jeune homme diffusait en direct une de ses performances acrobatiques à moto. Après une terrible chute, le malheureux se trouvait en arrêt cardio-respiratoire. Kevin lui avait prodigué les premiers secours, le ramenant à la vie devant le smartphone témoin qui continuait de retransmettre la scène sur les réseaux sociaux, sous les yeux de centaines de milliers de followers.

Quelques heures après, c’est au bloc opératoire qu’il avait été rappelé pour le sauver à nouveau à la suite d’une hémorragie cérébrale.

Le drame avait eu un effet de vases communicants. Alors que la popularité du motard fondait comme neige au soleil à cause de son geste imprudent, Kevin Letailleur devenait la coqueluche des plateaux télé et de tous les médias. Une fois sous les feux des projecteurs, ses interventions touchaient non seulement à la médecine, mais aussi à l’actualité du monde, politique comprise. Tout le monde voulait écouter ce que l'héroïque joggeur du dimanche avait à dire.

Adieu donc les journées d’anonymat qui l’avaient vu grandir et passer la première moitié de sa vie à Tahiti. C’est là-bas que son père avait connu sa mère, pendant son service national en 1985. Ce dernier décida plus tard de s’y installer, entre autres raisons, parce qu’elle était tombée enceinte.

La Polynésie française et la région parisienne semblaient si opposées géographiquement et culturellement, et pourtant Kevin arrivait à conjuguer parfaitement ces deux chapitres de sa vie.

Cette surexposition médiatique lui faisait du bien. Elle lui permettait de noyer la peine de la séparation qui, à trente-deux ans, l’avait profondément ravagé ; brisant non seulement son couple, mais aussi la paire inséparable que ses jumeaux, Caleb et Miranda, formaient.

Tahiti lui avait offert la première et la seule idylle de sa vie. La capitale mondiale de l’amour la lui avait enlevée, sans qu’il comprenne vraiment pourquoi.

Néanmoins, étant peu habitué aux projecteurs médiatiques, il avait rapidement établi une frontière entre sa vie personnelle et sa fulgurante vie publique. Ses histoires familiales avaient bien trop de secrets qui méritaient la plus haute des discrétions.

D’un caractère affable et de verbe facile, il avait une silhouette agréable grâce à son hygiène de vie irréprochable. Sans être un apollon sportif, ni avoir la plastique d’une star de la télé ou du cinéma, il caracolait en tête des sondages de la presse de cœur, devenant le parti idéal. Une prouesse pour un profil scientifique comme le sien, se définissant lui-même comme un gars quelconque et très maladroit. Heureusement, ses mains avaient une précision millimétrique, une qualité indispensable à son métier.

*

Cette nuit du réveillon, malgré l’heure tardive, la foule se massait toujours dans les rues de son quartier. Kevin avait mis plus de temps à rentrer chez lui que pour pratiquer une rapide chirurgie routinière.

Une fois arrivé à son appartement, il passa la tête devant la chambre de sa fille. Il s’arrêta sur le pas de sa porte, car l’adolescente dormait déjà. Il préféra ne pas la réveiller. Une discussion avec Miranda pouvait facilement être interminable, même à des heures aussi tardives.

Comme chaque soir, il s’affala comme un masse sur son canapé, laissant son regard s’attarder sur l’horizon nocturne féerique nocturne des toits parisiens.

Après avoir passé des coups de fil à sa famille, éparpillée aux quatre coins du globe, il prit le temps de répondre à quelques messages sur les réseaux sociaux de ses followers. Il était presque minuit lorsqu’il envoya son dernier tweet :

« Je souhaite que cette nouvelle année qui arrive voit tous vos rêves s’accomplir. En ce qui me concerne, elle sera chargée de surprises. Bonnes ou mauvaises, ce sera à vous d’en juger ! »

A la seconde où il appuyait sur le bouton ENVOYER, il reçut un SMS de son chef par intérim, le docteur Braulio Da Costa :

« Prépare-toi à partir au bloc, urgence gouvernementale ultra VIP, un chauffeur arrive bientôt te chercher »

Tel un coq de minuit, le son de l’interphone résonna presque au même moment que le SMS. Le chauffeur monta jusqu’à son appartement. Kevin l’attendait déjà devant la porte.

— Bonjour. Je viens de la part de Madame Perrin du Ministère des Affaires Étrangères, le Docteur Da Costa a dû vous appeler, récita l’homme en tendant à Letailleur un dossier médical scellé, portant sur la couverture le tampon « Secret défense ».

Kevin y jeta un coup d'œil en diagonale. Le document était si confidentiel que même la case du nom du patient avait été barrée au feutre noir.

Concentré sur les documents, Kevin ne remarqua pas que le chauffeur venait de subtiliser son téléphone, qu’il avait posé quelques instants auparavant sur le meuble de l’entrée. Dans la précipitation, il oublia de vérifier ses affaires et les deux hommes partirent sans tarder.

Le chauffeur n’eut pas de mal à quitter le quartier, les rues étant un peu plus dégagées. Les millions de personnes s'agglutinaient déjà tout le long des Champs Élysées, car le méga concert venait de démarrer. Épuisé, Kevin s'assoupit en quelques minutes. Cependant, son sommeil ne fut pas long. Une brusque embardée du véhicule le réveilla, alors qu’elle empruntait sans ralentir la courbe de la route N118, à la sortie du pont de Sèvres. Ils venaient de quitter Boulogne-Billancourt, commune limitrophe de Paris.

— Où allons-nous ? Je suis en service à l’hôpital Lariboisière, ou exceptionnellement dans d’autres hôpitaux intra-muros.

— L’urgence vient de l’étranger, Monsieur, je dois vous déposer à la Base Aérienne de Villacoublay, répondit le conducteur.

Je n’ai pas été averti de cela, continua Kevin.

— Votre avion part d’ici une quinzaine de minutes. Désolé, mais je n’ai malheureusement plus d’informations que vous.

Kevin fouilla dans ses poches pour se rendre compte qu’il n’avait ni son téléphone, ni son portefeuille.

— Nous devons rentrer chez moi. Je n’ai pas d’affaires pour un voyage à l’étranger. Je n’ai même pas mon passeport sur moi !

— J’appellerai le Ministère pour qu’ils s’en occupent, revenir à votre domicile nous ferait perdre trop de temps. Votre avion part d’ici une demi-heure.

— J’ai aussi oublié mon téléphone. Et il n’y a personne pour s’occuper de ma fille.

— Le Ministère s’occupera de tout, répondit le chauffeur. Votre sœur a été avertie en ce qui concerne votre fille. Elle est déjà en route pour votre domicile.

Quelques minutes plus tard, sans passer un seul contrôle de sécurité, la limousine se rangea directement à l’arrière d’un avion stationné sur le tarmac. Pour achever de surprendre Kevin, l’appareil qui le dominait portait les emblèmes de la Présidence de la République française.

Tout ce mystère commençait à lui taper sur les nerfs. Il gravit les marches de l’escalier d’accès, et fut accueilli à bord par une hôtesse qui le salua d’un ton froid. Elle lui proposa un verre d’eau, et lui indiqua que le vol pour Bombay durerait neuf heures.

— Un départ pour l’Inde ? Personne ne m'a fait part des détails de cette opération...

— Madame Perrin arrivera dans quelques minutes, vous pourrez lui poser toutes les questions que vous souhaitez, répondit l'hôtesse.

Elle le pria de choisir son fauteuil - il n’avait que l’embarras du choix parmi les soixante sièges vides - et lui indiqua que le décollage était imminent. Les pilotes bouclaient les derniers préparatifs avant le départ.

Kevin interrogea la femme sur le rôle de cette « Madame Perrin » dans une mission qui prenait une tournure aussi diplomatique. Elle lui offrit en échange un sourire de Mona Lisa accompagné d’une présentation lapidaire : « Je suis Clarisse ». Sans lui laisser le temps de placer une nouvelle question, elle se dirigea vers le couloir qui menait à l’avant de l’appareil.

Après une attente qui lui sembla interminable, Clarisse réapparu, pressée d’aller fermer la porte arrière. Kevin remarqua après quelques instants à travers les hublots, que l’avion commençait déjà à rouler. Avant que son accompagnatrice ne disparaisse à nouveau, il lui demanda :

— Madame Perrin ne sera donc plus du voyage ?

— Elle est déjà installée dans l’une des cabines à l’avant de l’appareil.

Un grognement sec sortit de la bouche de Letailleur, ulcéré par le traitement de faveur réservé à l’autre passagère de l’expédition furtive, et par le manque de communication totale.

L'hôtesse se mit à asperger un aérosol, tout en serrant fortement un foulard sur son nez. Kevin sentit subitement une torpeur l’envahir et sombra dans le sommeil.

*

Au même moment, alertés par la voisine de Kevin Letailleur, des membres de sa famille arrivaient à son appartement. Le duplex de cent cinquante mètres carrés avait été complètement retourné, et il ne restait plus un seul endroit où mettre les pieds. Juste derrière la porte était posée en évidence une grande enveloppe rouge, avec un texte inscrit dessus :

« Si vous voulez savoir où se trouve Kevin Letailleur, ouvrez et lisez ce message exclusivement devant la presse, le 1er janvier à 18h précises »

***

À 4 h du matin, la Ministre de l’Intérieur parcourait à vive allure les couloirs du Palais de l’Élysée, cherchant le Président. Il n’y avait aucune trace des huissiers qui auraient normalement dû lui faciliter la tâche.

Même au milieu de la nuit, le bâtiment paraissait plus encombré que d’habitude. Tout le palais était en plein déménagement. Une bonne partie des grands salons de réception avaient été fermés pour d’importants travaux de réparation. Le bâtiment avait failli être détruit quelques mois auparavant lors d’un incendie que les enquêtes qualifièrent officiellement d’accidentel.

En se dirigeant sous les combles de l’aile Ouest, elle crut le trouver dans sa chambre, située dans les appartements restaurés du roi de Rome. C’est à cet endroit que l’actuelle famille présidentielle avait décidé de s’installer. La fille du Président, qui rentrait d’une fête, l’avertit dans le couloir que son père était toujours dans son bureau.

La pièce était maintenant gigantesque. L’actuel Président avait décidé de fusionner le salon vert et l’ancien bureau principal, le réputé salon doré. Il pouvait dorénavant y rassembler plusieurs ministres en réunion restreinte, ou même recevoir de petites délégations internationales de haut rang.

La Ministre le trouva debout face à l’une des fenêtres, regardant en direction du parc du palais, où il pouvait encore apercevoir quelques feux d’artifice furtifs et entendre la foule qui continuait à déambuler sur les Champs Élysées.

Elle pénétra rapidement dans le bureau et commença à parler avant même d’avoir refermé la porte.

— Le Docteur Letailleur est à bord de votre avion, avec Clarisse et Madame Perrin. L’enveloppe sera ouverte en public par sa famille à dix-huit heures comme convenu. En revanche, nous n’avons pas encore trouvé Miranda.

— Les autres avions ont-ils aussi pris l’air ? interrogea le président.

— Air Force One vient tout juste de décoller, répondit la Ministre, la gorge serrée par une angoisse qu’elle n’arrivait pas à contrôler.

***

«... Hier soir, deux inconnus et ce matin sur l'avenue

Deux amoureux tout étourdis par la longue nuit

Et de l'Étoile à la Concorde, un orchestre à mille cordes

Tous les oiseaux du point du jour chantent l'amour …»

 

 

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