Chapitre 2 : Tymine

Par Eyneli

— Très bien, Princesse Iyana. A votre tour, Princesse Heirya.

Heirya quitta sa chaise, faisant attention à ne pas faire de pli dans sa robe. Avec concentration, elle fit la révérence, sans tomber. Une fois redressée, elle enchaîna les pas de danse qu’elle apprenait depuis plusieurs jours maintenant. Leur professeure d’étiquette, la Duchesse d’Amich, était chargée de leur inculquer toutes les règles du protocole et comment bien se comporter devant la cour. Apprendre les danses les plus populaires du pays n’était donc que normal dans un tel cours.

Désormais âgée de six ans, la jeune princesse s’acclimatait peu à peu à son pays d’adoption. Elle avait la chance que la princesse Iyana avait son âge et que son grand-frère adoptif, le prince Isaalt, n’avait qu’un an et quelques de plus qu’elle. Cette proximité d’âge avait conduit Ralysa et Phémen à les faire avoir leurs leçons en même temps.

Au départ, elle avait eu du mal à s’approcher d’eux. Iyana était une enfant pétillante, qui vivait toutes les émotions avec force, ce qui l’amenait parfois à éclater en sanglots comme si elle était de verre. Si au début cela avait dérouté la jeune princesse qui avait jusque-là grandi sans enfants autour d’elle, elle avait vite appris à apprécier sa soeur adoptive. Isaalt quant à lui était bien plus calme mais tout aussi perturbant. Il semblait pouvoir lire en elle comme dans un livre ouvert et elle devait avouer que cela lui avait fait peur au début. Il lui avait très vite expliqué qu’Iyana et lui étaient atteints d’hypersensibilité magique, qui se manifestait avec une force différente chez l’un et chez l’autre. Moins impacté que sa soeur, il ressentait les émotions de ceux qui l’entouraient et pouvaient donc percevoir celles d’Heirya sans problème.

Au fur et à mesure, cela leur avait permit de se rapprocher à une vitesse impressionnante. En quatre mois, ils étaient devenus un trio inséparable, en particulier Isaalt et Heirya qui ne se lâchaient pas d’une semelle. L’un comme l’autre ne semblait plus rien avoir à se cacher et il n’était pas rare de les trouver dans les jardins, allongés dans l’herbe pour admirer les étoiles lorsque la nuit tombait. C’est donc, sans surprise, qu’une fois la leçon d’étiquette enfin terminée, qu’ils se rendirent tous les deux dans les jardins pour aller admirer la mer.

Le palais d’Expondia, le capitale de Tymine, était construit en hauteur, au bord d’une plage et permettait donc un spectacle magnifique en fin de journée. L’eau venait s’échouer sur le sable où l’écume se glissait doucement, comme l’aurait fait de la neige lors de la saison froide. L’astre diurne se couchait paresseusement, permettant à des milliers de teintes de venir recouvrir le monde qui s’endormait peu à peu. Le violet, l’ocre, l’orange… Tout venait se fondre dans le ciel et la mer en une myriade de couleurs qui les laissa émerveiller.

— C’est magnifique, souffla Heirya.

— C’est bientôt la fin de la saison, tu verras, en hiver c’est encore plus beau !

Isaalt se tourna alors vers elle, comme si une révélation venait de le frapper.

— Mais tu vas bientôt entrer dans l’Institution du coup !

Elle acquiesça. Ralysa avait été ferme, elle entrerait en même temps qu’Iyana dans l’école de magie d’Expondia, malgré son retard sur certains points. Depuis le début de la pause estivale, elle avait ainsi occupé une partie de ses journées à s’occuper de rattraper ce retard et son professeur avait annoncé quelques jours plus tôt qu’elle était prête. Une part d’ellle était inquiète. Et si malgré tout cela, elle n’arrivait pas à suivre ? Si elle ne se faisait pas d’amis ? Si elle n’arrivait pas à utiliser de la magie ? Isaalt stoppa ses angoisses d’une main posée sur son avant-bras et lui sourit. Il vint caresser ses cheveux et elle se laissa aller à cette douce attention.

— Merci, chuchota-t-elle, souriant à son tour.

— De rien, répondit-il sur le même ton.

 

Les derniers jours qui la séparaient de sa rentrée à l’Institution semblèrent passer à toute vitesse et, enfin, le jour fatidique fut là. Elle fut réveillée par Iyana qui sauta sur son lit, surexcitée.

— Enfin ! s’exclama-t-elle. C’est le grand jour !

Son enthousiasme gagna Heirya qui éclata de rire avec elle et elle quitta ses couvertures pour s’habiller sans attendre plus longtemps. Elles avaient préparées leurs tenues ensembles la veille. Malgré qu’elle soit la princesse héritière de Rencter, elle avait préférée se fondre dans la masse pour cette journée. Ainsi, elle avait choisie une robe aux couleurs de Tymine : rouge à dentelles argentées. Sa gouvernante s’occupa de coiffer ses longs cheveux et y accrocha des perles dorées, avant d’y déposer son diadème des mêmes couleurs que sa robe. Quand elle se regarda dans le miroir, Heirya sourit. Elle espérait faire bonne impression.

Une fois qu’elle fut prête, Iyana l’attrapa pour la conduire jusqu’à la Salle à manger, assez petite puisqu’elle n’était faite que pour accueillir la famille impériale. Il n’y avait personne à table, comme souvent le matin. Ralysa et Phémen avaient des emplois du temps bien remplis qui les empêchaient de passer beaucoup de temps avec leurs enfants, de même que la Princesse Héritière Kataline qu’elle voyait rarement. C’était sûrement pour cette raison qu’Isaalt, Iyana et elle s’étaient autant rapprochés. Lorsqu’ils étaient seuls, au moins ils l’étaient ensemble.

Le petit-déjeuner était sur la table, bien trop garni pour nourrir seulement six personnes. Confitures faites avec les fruits du sud, gelées de baies, plusieurs miels différents, pain blanc et aux céréales, brioche, flocons d’avoine, lait, diverses viennoiseries, jus de fruits… Heirya avait toujours vécu sans connaître le besoin et n’était jamais sorti de l’enceinte du palais depuis son arrivée. Cette opulence ne la dérangeait nullement et c’est sans se préoccuper de ce que pouvait bien devenir les restes qu’elle s’installa. Sa gouvernante se tenait près de la porte, prête à répondre au moindre de ses désirs, toute comme ceux d’Iyana. Les jeunes princesses déjeunèrent tout en discutant joyeusement, les sourires illuminant la pièce. Nul n’aurait pu dire laquelle rayonnait le plus, tant chacune brillait d’enthousiasme. Toute angoisse avait quitté Heirya, pour ne laisser place qu’à l’impatience. Iyana était à ses côtés et elle n’avait aucun doute sur le fait que, tant qu’elles seraient ensembles, rien ne leur arriverait de mal.

 

Une heure plus tard, Heirya et Iyana marchaient en direction de l’Institution. Celle-ci se trouvait juste à côté du palais, ce qui leur économisait une longue marche. Elles empruntèrent un chemin qui conduisait directement à l’Institution, qu’Isaalt qui commençait avant elle avait dû utilisé un moment auparavant. La mer était calme et le ciel était bleu, laissant l’astre diurne se refléter sur l’eau. Heirya le voyait comme un signe qu’il s’agissait d’une bonne journée. Soudain, alors qu’elles s’arrivèrent au portail de leur école, Iyana se figea. Son visage avait blêmit et elle respira profondément. Un des gardes chargés de leur protection se précipita vers elles et se mit aussitôt à chercher ce qui se passait.

— Juste… un instant… demanda Iyana en l’écartant. Que je… m’habitue.

Elle s’appuya sur Heirya qui la regardait avec inquiétude. Malgré son état, Iyana trouva la force de lui sourire pour la rassurer et elle s’évertua à faire de même, comprenant alors ce qu’il venait d’arriver à sa soeur. C’était la première fois qu’elle voyait son hypersensibilité se manifester ainsi mais Isaalt lui avait déjà raconté que, bébé, Iyana ne pouvait assister aux représentations en son honneur puisque cela lui faisait trop mal. S’ils pouvaient ressentir les émotions, ils ressentaient également les énergies magiques avec une force décuplée, sans même y être initiés. Cela ferait d’eux d’excellents magiciens, dignes de la lignée à laquelle ils appartenaient, mais cela représentait également une grande souffrance pour eux. Tout était fait d’énergie magique, la matière en était remplie et elle les entourait donc constamment. Arriver dans un lieu où la magie était certainement en train d’être utilisée devait avoir frappé la princesse comme une vague.

Après quelques minutes, Iyana se redressa finalement et elles purent avancer de nouveau. L’Institution était immense et les deux princesses s’arrêtèrent quand elles arrivèrent devant. Il s’agissait d’un grand dôme en cercle dont les murs étaient reliés par des tours. Iyana n’était pas aussi surprise qu’Heirya, ayant toujours connu la ville d’Expondia. Pendant ses leçons, Heirya avait appris que la capitale était aussi surnommée la Ville aux Mille Tours et elle comprenait mieux pourquoi. Si l’architecture de la ville ressemblait à celle de l’Institution, son surnom était bien mérité.

Elles passèrent par une porte marron, fait d’une matière que l’enfant ne connaissait pas, et débouchèrent dans un long couloir. Les murs étaient tapissés de rouge et était décoré de tableaux. Sur l’un des murs, Heirya reconnut un tableau de Ralysa et elle s’en approcha. Elle était bien plus jeune mais Heirya pouvait la reconnaître facilement. Sa peau obsidienne venait mettre en valeur ses yeux ambrés, les mêmes que ceux d’Isaalt et Iyana.

Au fur et à mesure que le temps passait, d’autres enfants les rejoignirent. Certains venaient visiblement de familles nobles mais n’osaient pas pour autant les approcher. Iyana ne s’en offusqua pas et continua à discuter joyeusement avec elle. Enfin, une femme se chargea de venir les chercher. Elle portait une tunique rouge, signe qu’il s’agissait d’une magicienne. Dans son dos, sept étoiles brillaient pour témoigner de sa puissance. Pour la première fois, Heirya sentit son coeur se serrer et une paire d’yeux gris vinrent danser devant elle. Ceux de Kellua. La magicienne lui manquait avec force, même si elle tentait de ne pas penser à elle. Elle jeta un coup d’oeil à la pierre accrochée à son poignet, dans une prière muette.

 

***

 

Pour ce premier jour, la magicienne qui était leur professeure référent leur fit visiter l’Institution, pour qu’ils sachent où aller une fois leurs emplois du temps en main. Heirya découvrit ainsi la bibliothèque, les amphithéâtres, les salles de cours, les laboratoires, le réfectoire… Pour passer d’une tour à l’autre, ils utilisèrent des ponts aériens. De là, ils pouvaient admirer la ville d’Expondia qui répondait parfaitement à son surnom. Les tours semblaient la composer, faites majoritairement d’une pierre violette. Cela l’étonna puisque la couleur de Tymine était le rouge, au contraire de Rencter qui avait le bleu et le violet.

— C’est une pierre qui se trouve très facilement à Tymine donc on l’utilise beaucoup, lui expliqua Iyana.

Après s’être émerveillée une dernière fois sur la beauté d’Expondia, Heirya suivit ses camarades. L’heure du repas approchait et son ventre commençait à se manifester. Leur professeure donna à chacun son emploi du temps et elle découvrit le sien avec étonnement. Le nom des matières ne lui disaient rien, si ce n’était quelques unes. Cette année s’annonçait intense.

Une fois leur emploi du temps en main, chacun put prendre le chemin du retour. Ceux qui étaient logées à l’Institution prirent le chemin de l’internat, tandis que les autres prenaient celui de la sortie. Iyana et Heirya furent rattrapés par Isaalt qui ébouriffa leurs cheveux, accompagné par un autre garçon qu’Heirya ne connaissait pas.

— Heirya, je te présente Lutz, un camarade de classe. C’est le fils de la Duchesse de Marthen.

Il s’inclina dans une parfaite révérence, avant de continuer à marcher. Elle le salua à son tour et lui sourit. Elle ne connaissait pas la Duchesse de Marthen puisqu’elle n’avait encore participé à aucune occasions formelles, Ralysa refusant qu’elle assiste à des évènements pour le moment. Elle comprenait la décision de l’Impératrice et l’appréciait même. Elle avait déjà eu tant de choses à rattraper depuis son arrivée…

— Enchantée, Lutz. Que la lueur des Astres brillent sur ton chemin.

— Et qu’ils éclairent le tien. Je suis loyal à Sa Majesté, mais tu peux compter sur moi ! Je ne refuserai jamais d’aider une de ses protégées.

Il lui fit un clin d’oeil et elle eut un petit rire. La vie à Tymine n’était pas si désagréable, pensa-t-elle.

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