Le retour au manoir se fit dans le silence le plus complet.
Rhen avait apporté les premiers soins à Gemma qui se réveilla dans son lit quelques heures plus tard, sonnée, mais bien vivante.
Comme l’avait dit Rhen, ma sœur allait bien. Et quand le médecin confirma qu’elle n’avait rien de grave, à peine une légère commotion qui se résorberait d’elle-même, tout le monde fut soulagé.
Sauf moi.
À peine le médecin reparti, je m’isolai dans un petit salon loin à l’étage. Le silence aurait pu y être reposant, mais il ne laissait que plus de place à mes pensées désordonnées. Je n’avais même pas quitté mon costume, incapable de leur faire face à tous. À la place, je fixais mes mains sans les voir, me répétant en moi-même : Mais qu’ai-je donc amorcé ? Avait-ce été une erreur de lui dire non ? Aurais-je dû me céder au Dieu des Cauchemars sans rechigner ? Je ne savais plus quoi penser. Les jumelles avaient failli mourir, et c’était ma faute…
Marietta apparut devant moi. Je ne l’avais même pas entendue approcher.
— Adaline, Gemma va bien.
— Je sais…
— Alors que fais-tu ici toute seule ? demanda-t-elle avec douceur et s’asseyant sur l’accoudoir de mon fauteuil.
— Je… J’ai eu peur.
Ma sœur laissa le silence s’allonger, puis elle me serra dans ses bras.
— Nous avons tous eu peur, me dit-elle alors que je posai ma tête sur son épaule. Et, pour tout te dire, en entendant les cris de Georgia, j’ai bien cru que c’était toi que nous allions découvrir écrasée sous la sculpture.
J’aurais presque dû, songeai-je lugubrement. Ciaran s’en serait-il mordu les doigts si j’étais morte par sa faute ?
— Mais tu les as sauvés, Adaline, reprit-elle après un silence. Si elles vont bien, c’est grâce à toi. J’ignore ce qui a pu se passer ou comment tu as réagi si vite, mais je pense que le Maire n’autorisera plus de sculpture de glace aussi imposante. Deux accidents deux années de suite, ça commence à faire beaucoup.
Je fermai les yeux.
Moi, je savais, j’en savais même trop. Et ce que je savais ne faisait pas de moi l’héroïne que Marietta voyait. Je ne les avais pas sauvées, je les avais condamnées, elles et tout le reste de notre famille. Qui sait ce que Ciaran nous réservait encore ? Les dieux eux-mêmes ne devaient pas le savoir… J’osais à peine imaginer ce qu’il s’apprêtait à faire.
Finalement, je me détachai de ma sœur et me levai. Je m’excusai auprès d’elle, prétextant une grande fatigue qu’elle ne démentit pas. Et au fond, j’étais vraiment épuisée.
En retournant à ma chambre après m’être changée et débarbouillée, je croisai Gemma et Georgia main dans la main dans le couloir. Voir le front bandé de Gemma me broya l’estomac. Ta faute… répétait une petite voix fielleuse dans ma tête.
En me voyant, les jumelles se précipitèrent vers moi pour me serrer dans leurs bras. Elles tremblaient.
— Merci, dirent-elles en chœur.
Et je sentis mon cœur se briser. La culpabilité me donnait la nausée.
Mais je fis mine de rien et leur souris avant de leur souhaiter une bonne nuit. Je les regardai partir, Georgia soutenant sa jumelle comme si elle allait soudain s’écrouler. La terreur avait cerné ses yeux rieurs. Ils ne pétillaient plus comme avant.
Je croisai Rhen un peu plus loin, mais le regardai à peine avant de m’enfermer dans ma chambre. Je n’avais pas le courage de l’affronter ou d’affronter qui que ce soit d’autre. En l’évitant, toutefois, je remarquai le chagrin qui brillait dans ses yeux.
Tu souffriras près de moi, pensais-je dans ma chambre. Et je regrettai jusqu’à notre rencontre.
Ce soir-là, je partis me coucher tôt, si tôt en réalité que je ne descendis même pas dîner. Mais, même là, même alors que je le désirais plus que tout autre chose à cet instant, le sommeil ne vint pas. J’étais tellement désespérée à l’idée de dormir que fermer les yeux pour retrouver un cauchemar m’aurait suffi pourvu que le sommeil m’emporte.
Quand la lune fut bien haute dans le ciel, alors même que tout le monde dormait à poings fermés, quelqu’un toqua à ma porte. Je soupirai et me levai de mauvaise grâce. Je m’attendais à voir Rhen essayer de me parler, de me calmer. Je n’avais pas envie de le voir. Je voulais rester seule. Je voulais dormir.
Mais, quand j’ouvris la porte, ce ne fut pas Rhen que je découvris sur le seuil.
— Liam ? fis-je sincèrement surprise. Que se passe-t-il mon cœur ?
Mon petit frère se dandina d’un pied sur l’autre, mal à l’aise, avant de relever des yeux pleins d’inquiétude sur moi.
— Marietta dit que je ne dois pas venir t’embêter parce que tu es fatiguée, dit-il d’une toute petite voix. Mais… je peux dormir avec toi cette nuit ? Il y a plein d’ombres dans ma chambre, j’ai peur.
Je remarquai alors à quel point il serrait son doudou contre son cœur. Je me sentis soudain bête. Liam avait dû avoir très peur lui aussi. Et je l’avais laissé seul…
Je lui souris.
— Bien sûr, Liam. Viens.
Je le fis entrer et l’aidai à se hisser sur mon lit. En m’allongeant près de lui, je le sentis se blottir contre moi.
— Ça va mieux ? demandai-je alors qu’il regardait partout autour de lui.
— Oui, il n’y a pas d’ombre ici.
Je me demandai de quelles ombres il pouvait bien parler. Était-ce un simple cauchemar ? Une hallucination causée par la peur ? Ou Ciaran qui s’en prenait à un autre membre de ma famille ? Cette pensée me terrifia et je la chassai aussitôt.
À la place je me tournai vers lui, croisant son regard outremer et lui caressai les cheveux.
— Les ombres ne viendront pas ici, lui assurai-je doucement. Et tu sais pourquoi ?
Il secoua la tête, je souris.
— Parce que je suis une enfant de la pleine lune et que ma lumière fait fuir les ténèbres.
Liam sourit.
— Alors ne t’inquiète pas, petit ange, je suis là. Je serais toujours là.
— Toujours, toujours ?
— Toujours, toujours.
Je l’embrassai sur le front.
Quelques instants plus tard, il s’endormit. Je le regardai longuement avant de sombrer enfin dans un sommeil sans rêve.
Vu que tout le monde est en ville, et que tout le monde est en ville pour les festivités, ne serait-ce pas plus logique qu'un médecin émerge de la foule et pose un diagnostic sur la blessée plutôt que de l'amener au manoir où ensuite un médecin doit se rendre ?
Sinon, mis à p art que je trouve que la culpabilité d'Adaline est soulignée un peu trop lourdement à mon goût, j'ai appréécié ce chapitre. Je trouve intéressante la tension qui émerge entre : l'envie de dormir, la peur de faire des rêves, et la néceessité d'être là pour Liam y compris pendant qu'il dort.
Plein de bisous !
Consacrer un chapitre entier à la récupération mentale d'adeline est juste. Faire de Liam celui qui au final parvient à la réconforter après que tous les autres aient échoué sonne aussi très juste. En plus, Liam était absent depuis quelque temps maintenant, alors c'est du tout bon.
J'aurais un peu limité le nombre de fois où Adaline se sent coupable et le dit directement. Je pense que le dire d'une façon plus subtile (genre elle se rappelle les mots de Ciaran, "choisis") serait mieux.
Voili voilou.