PRESENT : SOÖ
La lettre tomba juste sous ses yeux dans un bruit de papier froissé. Soö s’en empara et inspecta l’enveloppe. Pas d’expéditeur, rien. Seulement la couleur jaunâtre du papier. Il leva la tête vers Addal qui haussa les épaules.
- Un oiseau a apporté ça à la guilde ce matin. Je vous laisse le soin de la lire ou de la brûler.
- Qu’en est-il de Jio ?
- Je l’ai déposé près de Poralguar. Il doit certainement errer dans les rues de la capitale à l’heure qu’il est.
- Il faut le surveiller. Nous allons attendre un peu. Je lui donne dix jours pour montrer l’envie de revenir. Passé ce délai, je te demanderai d’aller le chercher par force. Il est précieux, je ne peux pas me permettre de le laisser filer. Tu peux partir Addal. Envoie des hommes à Poralguar, suivez le gamin.
- Bien.
Le mage de téléportation tourna les talons et sortit de la salle d’un pas cadencé. Lorsqu’il entendit la porte claquer, Soö baissa les yeux vers l’enveloppe qu’il tenait toujours dans la main. Il pensait savoir de qui elle provenait. S’il avait raison, ce n’était pas bon. Pas bon du tout. D’un geste maladroit, il ouvrit l’enveloppe et en sortit la lettre. Un papier blanc d’excellente qualité, épais et doux au toucher. Il déplia la missive. Dessus, une écriture propre, légèrement penchée vers la droite. Des lettres serrées. Il reconnaissait l’écriture.
Je t’ai trouvé.
Ne sois pas surpris, Soö, tu devais te douter que cela arriverait plus tôt que prévu. Ne suis-je pas un membre de l’assemblée après tout ? J’ai accès à des services que tu ne peux même pas imaginer. Je pourrais, moi aussi, t’interroger à propos de tes dernières activités mais je le sais déjà : Mon bâtard de fils a pris la tête de la guilde des mercenaires il y a quelques années déjà et est en train de rompre son contrat avec le gouvernement. Tu as fait du bon travail, je dois le reconnaître. Mais ce n’est pas encore suffisant pour sortir de mon emprise. Aussi longtemps que je vivrai, tu me resteras inférieur. Il est regrettable que tu aies choisi de suivre la voie de ton bon à rien de frère et de me désobéir. Mais où est-il, d’ailleurs ? Tu ne l’as pas encore retrouvé, je suppose ?
Mais dis-moi, Soö… Il ne te manque pas quelque chose dans ton fameux plan pour me renverser ? Si, il te manque quelque chose. Quelqu’un. Un de mes informateurs affirme avoir vu Jio en ville. Alors comme ça tu n’es pas fichu de garder ton principal atout ? Je me demande comment tu vas défaire le sceau que je t’ai apposé, maintenant. Trouver un autre mage d’ombre ne sera pas chose aisée. Tu n’es pas sans savoir qu’ils excellent dans l’art de se cacher. La preuve : Pendant tout le temps où Jio a été à mon service, je ne me suis jamais douté qu’il possédait une telle magie ! Voyons voir qui est-ce qui l’attrapera en premier…
Car, tu vois, moi aussi j’ai besoin de ce garçon. Tu veux l’utiliser pour me détruire ? Je vais faire la même chose. Je vais réduire à néant ton seul espoir de retrouver tes pleins pouvoirs. Mais cette tâche-là est bien futile par apport à mon objectif. Tu connais la légende de l’omniscient. Figure-toi que j’ai trouvé l’enfant de la lumière. Et devine qui est-ce que je soupçonne d’être l’enfant des ombres ?
Que comptes-tu faire de cette information ? Ce qui est sûr, c’est que ce gosse est très puissant. Je comprends mieux pourquoi tu l’avais capturé lors de la rafle du foyer de Seddom.
Sur ces mots, je vais te laisser cogiter, cher Soö. Je suis impatient de voir ce que tu comptes faire.
Erlein Nowise.
Soö abattit son poing sur l’accoudoir de son siège. Son géniteur se fichait de lui ! Il prenait un malin plaisir à le provoquer et à lui rappeler qu’il le tenait sous sa coupe. Ça avait toujours été comme ça et, Erlein Nowise l’avait écrit lui-même, ça ne changerait jamais. Tout du moins, pas tant qu’il serait en vie. Les évènements s’enchaînaient trop vite, il n’avait pas prévu que le Duc le retrouverait aussi vite, qu’il aurait fait ses recherches sur le passé de Jio, et surtout, il n’avait pas prévu que le gamin pouvait être l’enfant des ombres. Et même s’il se demandait d’où venait cette conclusion, il ne doutait pas que son père se soit appuyé sur des faits et qu’il comptât vérifier son hypothèse. Si Jio était bien l’enfant des ombres disparu selon la légende, tout allait changer. Il fallait changer d’approche. Il n’avait peut-être plus à faire à un mage puissant mais à l’enfant qui avait fondé toute la magie-pilier de l’ombre. Son père avait réussi à trouver les deux enfants ? Alors il détenait le pouvoir absolu. Il avait trouvé l’origine du monde. Et que comptait-il faire avec ? Certainement tuer l’enfant des ombres pour faire disparaître la magie noire qu’il abhorrait. Et après ? Exploiter l’enfant de la lumière ? L’omniscient allait-il laisser faire cela ?
Puis il pensa à autre chose. Une phrase qu’il avait lu dans la tête lui revint en mémoire. Mais où est-il, d’ailleurs ? Soö serra les dents. Le Duc jouait avec lui et s’amusait de son tourment. Ce tourment qu’il avait causé intentionnellement, afin de garder l’ascendant sur ses deux fils. Soö ne le lui pardonnerait jamais.
PASSE :
Soö ouvrit un œil endormi et jeta un regard par la fenêtre. Il faisait encore nuit. La lune projetait une lumière pâle et faible dans la chambre. Une succession de petits bruits se firent entendre. On aurait dit une conversation. C’était ça qui l’avait réveillé. L’adolescent se redressa, l’oreille tendue. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui se disait. Mais il reconnaissait la voix de son père et celle de son frère. Il fronça les sourcils, intrigué, et se dépêtra de ses draps. Il frissonna lorsque ses pieds touchèrent le sol de marbre mais ne renonça pas à parcourir les quelques mètres qui le séparaient de la porte de sa chambre. Le couloir était sombre et peu accueillant. Dans l’obscurité, il paraissait s’étendre à l’infini et cela impressionnait Soö qui n’était pourtant plus un enfant. Il prit les escaliers secondaires pour rester discret et les descendit, se laissant guider par le son des voix qui avaient baissé d’un ton. Puis il arriva au rez-de-chaussée. La pièce du fond était éclairée et deux silhouettes ne tardèrent pas à en sortir. Soö se cacha un peu plus dans le noir.
Devant l’immense porte d’entrée, son frère, Nilt, faisait face à leur père. Il était plus grand que le Duc et lui adressait une expression à la fois inquiète et haineuse. Ils semblaient être en train de continuer la discussion qu’ils avaient commencé dans la pièce.
- … content de toi, hein ? fit le père : Tu as réussi à retourner mon fils, Soö, contre moi. Finalement tu me ressembles peut-être plus que je ne le pense, manipulateur comme tu es…
- Je ne vous ressemble en aucun point. Je n’ai pas manipulé Soö, je n’ai fait que le protéger alors que vous profitiez de notre faiblesse pour nous maltraiter.
- Jamais mon fils ne se serait permis de me tenir tête, jamais il n’aurait usé de sa magie contre moi si le petit bâtard que tu es ne l’avait pas influencé !
- Votre fils ? Laissez-moi rire ! Vous l’avez battu, et fait s’entraîner jusqu’à ce qu’il s’évanouisse d’épuisement ! Vous n’avez toléré aucune erreur, aucun écart, vous essayez de faire de lui un monstre comme vous et vous l’avez privé d’amour depuis ces seize dernières années. Et vous osez l’appeler votre fils ?!
- On ne peut pas maintenir le prestige d’une lignée en étant une personne faible.
- La gentillesse n’est pas une faiblesse !
- C’est ce que disent les lâches.
Nilt serra les poings. Le rouge lui montait aux joues et il semblait ne se contenir qu’au prix d’un immense effort.
- Vous n’êtes qu’une pourriture. cracha-t-il.
Il reçut la gifle immédiatement après. La violence du coup était telle qu’elle fit sursauter Soö qui trébucha et fit du bruit en voulant se rattraper. Leur père tourna la tête et fixa l’ombre de la cachette du garçon d’un regard de rapace. L’adolescent cessa de respirer. Il ne bougea plus, ferma les yeux, et attendit. Il entendit le « tic-tac » de l’horloge en or massif de l’entrée, le son étouffé des pas de Matou, le chat noir de la maison, la respiration des deux hommes, mais rien d’autre. Il rouvrit les yeux. Le Duc avait tourné la tête et reprenait la parole d’une voix froide et ferme.
- Vas t’en. Dégage de cette ville. Je te donne jusqu’au matin pour prendre tes affaires et partir de Poralguar. Gare à toi si un de mes associés t’aperçoit en ville. Il est grand temps que je me débarrasse de toi une bonne fois pour toutes.
Nilt se dirigea vers l’escalier principal en bousculant Erlein Nowise. Mais avant de commencer à monter chercher ses maigres possessions, il se retourna.
- Vous n’êtes en aucun cas différent de ceux qui ont commis le génocide Psalien. Vous avez des envies de meurtre, d’extermination. Mais je ne vous laisserai pas détruire la magie pilier de l’ombre.
Sur ces mots, il grimpa les marches quatre à quatre. Il revint après quelques minutes, un sac à la main, avant de repasser devant leur père pour atteindre la porte d’entrée. Lorsqu’il l’ouvrit, Soö eut envie de bondir de sa cachette pour l’empêcher de partir. Mais que ce serait-il passé ensuite ? Sûrement que père aurait été furieux. La porte claqua, dernier signe de révolte laissé par Nilt. À ce moment, le Duc appela sa meilleure associée.
- Neya, prépare tes affaires et pars à la poursuite de Nilt. Je veux que tu l’aies tué avant qu’il ne quitte Poralguar. Il sait bien trop de choses sur mon compte.
La jeune femme hocha la tête et sortit immédiatement après. Soö ne devait plus jamais revoir son frère.
PRESENT :
Soö baissa les yeux, jetant un long regard à la lettre qu’il avait terminé de lire pour la troisième fois. Il ferma le poing, poussa un soupir. Il sentit son œil le picoter et passa la main dessus pour récupérer la larme qui menaçait de couler. Il l’observa en silence, puis releva la tête, l’offrant aux rayons du soleil.
- Si je ne peux retrouver mon frère, alors je me vengerai en son honneur.
Ses lèvres s’étirèrent en un sourire déformé de haine et ses yeux violet pâle luisirent d’un éclat diabolique. Il rit.
- Oui. C’est ça, c’est exactement ça : Je te vengerai, Nilt. Je détruirai celui qui t’a fait du mal, je ferai s’effondrer sa vie, ce qu’il aime, et je tuerai celui qui a pu bénéficier de ses grâces alors que nous, ses fils, n’avons rien eu d’autre que son mépris.
Son père voulait prendre possession de l’enfant de la lumière ? Eh bien il s’en emparerait avant. Et si Jio s’avérait être l’enfant des ombres, le détruire ferait de Soö un sauveur : le mage qui aurait vaincu les ténèbres de Sambremonde.
La lettre est aussi très bien tourné, à la hauteur de Erlein. Froide. Moqueuse. Sarcastique . Et remplie de souvenir d u frère. Celui qui est à mon avis un personnage qu'on à déjà vu... dans les libellules peut-être? Je suis pressé d'avoir le fin mot de l'histoire ;)
Je m'applique le plus possible sur les lettres afin de montrer cette rivalité et cette haine qui les sépare. Le personnage d'Erlein Nowise est un personnage que j'aime (j'aime tous mes personnages) parce que je le déteste.
En tout cas, merci pour ton retour appréciateur !
A la revoyure !