Chapitre 20

Béryl et Azéline sont dans la chambre assises à la table de travail.

 

-Germaine s’est sentie libérée par la relation qu’elle a eue avec ce Parisien. Je n’aimais pas Jules, j’étais bien avec Germaine. J’étais très attirée par elle, nous avons couché ensemble.

 

-ça s’est passé le soir même ?

 

Béryl n’est pas surprise par la confidence de son amie, elle sait depuis le début ce qui s’est passé, elle a lu toutes les cartes postales, et a vu l’évolution des relations entre les deux femmes.

 

-Non ça s’est passé dans les jours qui ont suivi. Nous étions tellement contentes de nous retrouver. Il y avait cette peur de la guerre autour de nous, cette peur de mourir. Cela a peut-être précipité les choses. Quand nous rentrions à la maison, une douceur indicible nous envahissait, il n’y avait plus qu’elle et moi.

Je te choque Béryl ?

 

-Non, les choses ont beaucoup évolué au cours des années. L’homosexualité féminine a, de toute façon, toujours été mieux acceptée que l’homosexualité masculine.

 

-Oui probablement. Mais nous n’étions qu’à Rennes, pas à Paris, les mentalités étaient différentes. Nous cachions nos sentiments à notre entourage. Germaine n’était pas d’accord avec moi sur ce point, tu t’en doutes. Elle aimait provoquer les gens. Je n’étais pas dans la même dynamique. Je pensais à ma vie à Lannargan, là-bas notre amour était contre-nature.

 

-J’imagine !

 

-Le peu de temps que j’ai passé avec Germaine a été la période de ma vie la plus belle, la plus intense et la plus intéressante. Je ne l’ai jamais regretté. Même si ça ne m’a pas rendu la vie facile.

Béryl sait quel a été le calvaire d’Azéline. Elle trouve son amie très courageuse, elle n’a jamais renié ce qu’elle a vécu.

 

§§§§§

 

Chère Azéline,

Je t’écris chez toi, parce que je n’ai pas eu le plaisir de te voir dernièrement. Tu travailles beaucoup je crois. Moi aussi, mais j’espère que tu auras le temps de venir nous rejoindre à l’Enfer.

Je t’embrasse,

Jules

 

Azéline lit la carte postale. Elle est désolée pour Jules, il est tellement gentil.

 

-Germaine, Jules propose d’aller boire un verre à l’Enfer un de ces soirs, qu’en penses-tu ?

 

La jolie brune aux yeux verts sort de la chambre dans une superbe robe brodée. Elle enlace Azéline et l’embrasse dans le cou.

 

-Toi alors ! Tu veux me débaucher maintenant, tu me proposes d’aller boire !

 

-Il ne s’agit pas d’aller boire, mais nous ne sortons plus, les gens vont finir par jaser.

 

Germaine regarde son amie dans les yeux :

 

-Arrête d’avoir peur, deux jeunes filles qui ne sortent pas pour rester à travailler chez elles, c’est tout à fait normal. Avant tu craignais qu’on te prenne pour une femme de mauvaise vie parce qu’on allait au cabaret !

 

-Je sais, mais j’ai tellement peur ! Rappelle-toi quand on s’est fait renvoyées de l’internat, j’ai failli arrêter mes études. La vie n’est pas si simple pour moi.

 

-Je sais ma petite chérie, dit Germaine en caressant la joue de sa bienaimée. On va faire attention ! On y va ce soir voir ton amoureux transi, comme ça tu vas être rassurée.

 

A 7 heures du soir, les deux amies arrivent au cabaret l’Enfer, où elles retrouvent Henri et Jules. Henri interpelle Azéline et Germaine qui cherchent les deux garçons du regard.

 

-Bonsoir les filles !

 

 

-Où étiez-vous passées ? Vous êtes devenues des nonnes ma parole ! Travail, travail, travail !

 

Germaine dépose deux gros baisers sonores sur les joues du beau brun.

 

-Qu’est-ce que tu crois ? Depuis que j’habite avec Azéline, elle m’a fait un programme très strict : pas de sortie tant que le travail n’est pas fini. Et on a eu beaucoup de devoirs à rendre ces derniers temps.

 

Azéline ne peut pas s’empêcher d’être gênée, elle est persuadée que tout le monde se rend compte que sa relation avec Germaine a changé, même Jules la regarde bizarrement. C’est vrai qu’elle se sent tellement jolie, tellement aimée ! Son comportement s’en ressent, elle est plus à l’aise avec son corps, elle bouge avec plus d’aisance.

 

-Les bruits de guerre s’intensifient, il faut s’amuser tant qu’on le peut encore. Le travail passe après pour moi, nous ne serons peut-être plus là dans quelques temps.

 

Jules est toujours le plus inquiet, mais il a probablement raison. Il faut que les jeunes gens profitent de la vie tant que c’est encore possible. On parle d’une guerre éclair, mais on ne sait jamais.

 

-Jules, tu es toujours aussi pessimiste. Avec Azéline et toi, on passe notre temps à s’inquiéter, détendez-vous bon sang ! S’exclame Germaine.

 

-Tu viens danser Azéline ?

 

Le jeune homme s’est levé, il entraîne sa cavalière sur la piste. http://www.youtube.com/watch?v=1KjrD_B5X1M

Germaine entraîne Henri à son tour. Elle ne peut pas s’empêcher de prendre l’initiative. Le garçon se laisse faire, trop heureux de pouvoir valser avec la jolie brune.

 

-Alors Germaine, tu as un petit ami ? Tu es tellement belle, tu ne dois pas laisser les garçons indifférents.

 

La jeune femme plante son regard émeraude dans les yeux clairs d’Henri.

 

-Tu es bien curieux dis-moi !

 

-Avec cette guerre qui menace, je me dis qu’il faut oser, alors j’ose te dire que je te trouve très jolie et que tu me plais beaucoup.

 

Germaine dans un geste soudain embrasse Henri sur la bouche. Le jeune téméraire devient rouge comme une pivoine, il ne s’attendait pas du tout à cette réaction. Les autres danseurs regardent le couple mi-amusés, mi-choqués, la jeune femme est vraiment très audacieuse.

Azéline est atterrée. Qu’est-ce qui lui prend ? Le geste de Germaine ne l’étonne pas, elle sait qu’elle ose tout, mais elle ne peut pas s’empêcher d’être jalouse. Ressent-elle quelque chose pour Henri ? Elle est déjà tombée amoureuse d’un homme, elle préfère sûrement un être plus viril, Azéline n’est certainement qu’un amusement pour elle. De toute façon elle a raison, leur relation ne pourra pas durer, deux femmes ne peuvent pas vivre ensemble, quelle idiote ! Elle s’est laissé prendre !

La nausée l’envahit, sa tête se met à tourner, elle tombe lourdement sur la piste de danse.

 

Quand elle rouvre les yeux, elle voit des visages penchés sur elle.

 

-Elle ouvre les yeux, ça va mieux ?

-On va la relever et l’assoir sur une chaise.

 

Azéline entend les voix mais n’arrive pas à déterminer qui parle. Elle a très envie de dormir, ses paupières sont lourdes.

 

-Azéline, réveille-toi. Elle part à nouveau. Henri aide-moi, on va l’assoir. Germaine amène de l’eau.

La jeune femme reconnait la voix de Jules, il a pris la direction des opérations. Azéline sent un linge froid sur son front, et une violente odeur de menthe achève de la réveiller. Elle se sent soulevée et on l’installe sur un fauteuil.

 

-Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ?

 

Germaine est inquiète elle couve sa compagne du regard, elle lui prend la main. Azéline est rassurée, elle voit dans les yeux de son amie, qu’elle l’aime vraiment.

 

§§§§§§

 

Béryl ne comprend pas l’attitude de Germaine.

 

-Pourquoi a-t-elle embrassé Henri ? C’est n’importe quoi !

 

-En faisant cela elle agissait pour nous. En arrivant à la maison je lui ai demandé des explications. En embrassant Henri, elle nous achetait un peu de liberté, personne ne pouvait plus la soupçonner d’être homosexuelle.

 

-Le problème c’est qu’elle a dû être obligée de mentir à Henri, le pauvre garçon, elle s’est moquée de lui.

 

-Germaine n’avait pas toujours conscience de ce genre de choses. Henri était gentil, beau garçon, il pouvait lui servir, elle n’a pas vraiment pensé aux conséquences.

 

-Pardonne-moi Azéline, mais je la trouve très égoïste. Se servir des gens, ce n’est pas moral du tout !

 

-Peut-être bien. La morale et Germaine étaient deux choses différentes. Tout  ce qui pouvait nous permettre de nous aimer plus librement était permis. Elle ne pensait qu’à notre bien-être.

Il est tard, Béryl, je dois partir, on se reverra demain si tu veux bien.

 

-Bonsoir Azéline, à demain, j’ai hâte que tu me racontes la suite.

 FB arielleffe

 

 

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