Chapitre 21

Béryl essaie d’imaginer la vie d’Azéline et Germaine en 1913. Au 21 ème siècle c’est déjà très compliqué. Mais dans ces années-là comment les gens réagissaient-ils ? On entend parler de femmes célèbres, comme Colette, qui avaient des relations homosexuelles. Des actrices, dont Sarah Bernhardt, s’habillaient en homme dans certaines pièces. Georges Sand qui s’appelait Aurore fumait la pipe et avait pris un pseudonyme masculin.

Les petits garçons étaient habillés en fille jusqu’à l’âge de 10 ans. Quelles étaient les raisons de ce mélange des genres ?

Pour Sarah Bernhardt et Georges Sand, il semble que si elles voulaient exercer leur métier d’artiste comme elles le voulaient, il fallait se faire passer pour un homme. Tous les rôles intéressants étaient des rôles masculins, et Aurore Dupin n’aurait pas été prise au sérieux si elle avait gardé son vrai nom. On ne peut pas dire que les petits garçons du début des 19ème et 20ème siècles aient été massivement traumatisés par le fait de porter des robes et les cheveux longs.

Le cas de Colette est différent, elle a vécu de belles histoires d’amour avec des hommes aussi bien qu’avec des femmes.

http://www.ina.fr/video/CPC84055938

 

Azéline se tient derrière Béryl, sa voix la fait sursauter :

-       L’atmosphère juste avant la guerre était propice à toutes les expériences, il y avait tellement de choses nouvelles, c’était très stimulant pour des jeunes gens comme nous. Germaine connaissait Paris, elle était encore plus consciente que moi de toutes ces nouveautés. Le contraste était pourtant criant entre Lannargan et notre vie. Quand je repartais là-bas, j’avais l’impression de faire un bond dans le passé,  rien ne changeait jamais dans le village. De toute façon leur expression favorite était : « on a toujours fait comme ça. »

§§§

 

On est vendredi, il est 17 heures, Germaine est allongée sur le sofa, elle fume et regarde les volutes monter vers le plafond.

 

-       Tu devrais essayer ma petite chérie, les cigarettes soignent les rhumes, c’est très bon pour les bronches tu sais.

-       Oui j’ai vu les affiches de Stramonia, c’est une sorte de médicament, on peut même en donner aux bébés, ils tètent naturellement la cigarette.

-       En plus c’est très agréable, regarde je peux rejeter la fumée par le nez !

 

Azéline rit de voir son amoureuse jouer avec son fume-cigarette, c’est très élégant de fumer.

Germaine se lève tout à coup :

-       J’ai oublié de te montrer ce que m’a envoyé ma tante. Tu sais, c’est le paquet qui est arrivé hier ?

-       Oui c’est vrai, qu’est-ce que c’était ?

La jeune femme va chercher un minuscule objet qui ressemble à un poudrier. Elle l’ouvre, à l’intérieur il y a une matière noire qui ressemble à du cirage. Germaine sort une minuscule brosse du boîtier en métal.

 

-       Regarde ça ma puce, ça s’appelle du mascara, et ça vient tout droit de New York !

Azéline se met à rire :

 

-       Si tu veux cirer tes chaussures avec une aussi petite brosse ça va te prendre du temps !

Germaine approche la petite boîte de son visage, à l’intérieur il y a un minuscule miroir. Elle frotte la brosse dans la matière noire, se peint les cils, et les sourcils.

 

-       Mais qu’est-ce que tu fais ? A quoi est-ce que ça sert ?

La jeune femme a les yeux charbonneux, chacun de ses cils a doublé voire triplé de volume.

 

-       Ça te fait un regard bizarre ! ça t’agrandit les yeux.

Azéline se recule pour voir l’effet produit d’un peu plus loin.

 

-       Tu as l’air d’une actrice !

Germaine prend des poses à la Sarah Bernhardt, ses yeux verts semblent immenses au milieu de cette couleur noire.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Sarah_Bernhardt

Elle boîte et déclame d’une façon très théâtrale :

-       C’est du maquillage ma très chère Azie, ça sert à être plus jolie, plus séduisante, plus voluptueuse, même avec une jambe de bois !

Elle court en faisant semblant de traîner la patte après sa bonne amie et la renverse sur le sofa.

 

-       Alors tu me trouves belle ?

-       Tu es magnifique.

-       Toutes les actrices l’utilisent, c’est la nouvelle folie à Paris.

-       Par contre à Rennes ça va faire bizarre, on va croire que tu as du charbon sur les yeux.

-       Azie, il faut savoir lancer les modes, dans quelques années tout le monde en portera.

-       Mais nous ne sommes pas des actrices Germaine ! c’est du maquillage pour le théâtre !

-       Non c’est un chimiste américain qui l’a inventé parce que sa sœur n’avait plus de sourcils, ils avaient brûlés dans un incendie.

-       C’est affreux !

-       Oui, pour lui permettre de rester jolie, il a inventé cette pâte noire sublime.

Azéline est perplexe :

-       Tu n’as pas les sourcils brûlés et tu ne fais pas de théâtre.

-       En tous cas j’en mets dès notre prochaine sortie, tu es prévenue !

Elle se lève d’un bond.

 

-       Henri et Jules nous attendent au Café des glaces.

-       Mais tu ne m’avais rien dit ! Qu’est-ce que je vais mettre ?

Germaine attrape Azéline et la force à s’assoir.

 

-       Pour commencer, une bonne dose de mascara !

 

Quelques heures plus tard, les deux amies font une entrée remarquée dans le Café des Glaces. Elles portent des jupes colonnes qui les obligent à faire de tous petits pas, leurs yeux clairs mangent complètement leurs visages blanc porcelaine.

 

-       Ça va les trottinettes ?

Henri et Jules sont subjugués par les deux beautés qui viennent d’arriver.

Henri baise la main de Germaine, et l’aide à s’assoir.

Tous les regards sont tournés vers eux. Les clients du café dévisagent les deux femmes sans aucune politesse. Azéline qui trouvait cela amusant au départ, est terriblement gênée. Germaine est ravie, elle adore se faire remarquer et son coup a réussi.

 

Un homme non loin de nos amis dit à voix basse :

 

-       Ces deux-là, faut pas se demander ce qu’elles font comme métier, elles doivent habiter rue du Tire-Vit.

Des rires gras accompagnent ces propos.

Azéline a entendu, elle devient toute rouge, se lève et sort du café en courant. Elle ne s’arrête qu’arrivée devant son immeuble. Ses larmes ont fait couler le mascara. Quand elle se regarde dans le miroir du cabinet de toilette, deux rigoles noires maculent ses joues. Elle n’a jamais eu aussi honte de sa vie.

 FB arielleffe

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