CHAPITRE 20 - à bientôt alors

CHAPITRE 20
- à bientôt alors -

Marco ne comprenait pas. L’oeuf avait éclos et la tortue avait rejoint le lac. Que pouvait-il se passer de plus ?

La plage tremblotait toujours sous ses pieds mais rien ne semblait vouloir se produire. Alors Marco s’agenouilla et posa son oreille sur le sable. Très faibles et très lointains, il entendit de petits craquements et grattements. Un peu plus sur la gauche ? Il se déplaça, la tête toujours posée sur le sol pour tenter de déterminer la source du bruit. Un peu plus loin devant ? Non, sur la droite finalement ? Plus loin encore… Là. Là, sous son oreille, un léger bruissement ; quelque chose qui se débattait et grattait sous le sable.

Alors Marco se mit à creuser, à déblayer, à repousser les grains fins et les cailloux pour atteindre le bruit. Et il trouva. Il tomba sur une large forme ronde et blanche, lisse et parfaite. Un oeuf ; un deuxième oeuf, gros comme un ballon de football. Et à l’intérieur duquel une deuxième tortue s’agitait, tentant de casser sa coquille sans y parvenir. 

Marco attrapa un caillou un peu plus pointu que les autres et frappa délicatement l’oeuf. Petit à petit une fissure apparut dans laquelle il glissa ses doigts pour en émietter les bords. D’abord minuscules, les morceaux de coquilles vinrent finalement par plaques entières, laissant apparaître dans la cavité des écailles aux reflets bleus et or. La petite tortue put enfin se déplier. D’abord une première patte sortie de l’oeuf, puis une petite tête à l’oeil grand comme un calot et pétillant de paillettes d’argent. Un oeil qui se plongea dans ceux de Marco et qui le fit frissonner.  

Mais le contact fut bref. La tortue s’extirpa finalement de la coque blanche qui l’avait retenue si longtemps. 

Marco recula pour ne pas la gêner ni la toucher et l’observa rejoindre maladroitement le bord du lac.

— Elle est si belle, dit une voix auprès de lui.

Marco sursauta.

Lili l’avait rejoint sur la plage et s’était assise juste à côté de lui.

Marco se tourna sur lui-même. Entre les bungalows, les papillons voletaient tranquillement, se dispersant dans toutes les directions en une danse multicolore.

— Tu ne les retiens plus avec l’appeau ? demanda Marco
— Ils se sont calmés d’un coup. J’ai pensé que tu avais du réussir, alors je les ai libérés.
— Il y en avait deux, dit Marco en pointant du menton vers le lac. C’est la deuxième.
— Deux ? dit Lili émerveillée.
— Oui.

Et il restèrent assis côte à côte tandis que la frêle tortue géante s’immergeait doucement dans l’eau. Le soleil se reflétait sur sa carapace sertie d’or et une douce lumière l’accompagnait encore alors qu’elle plongeait dans les profondeurs pour rejoindre sa soeur.  

Et Marco fut heureux pour elles, car il lui semblait désormais que la vie était tout de même un peu mieux à deux.

*

Lili l’avait suivi lorsque Marco avait quitté la plage pour rejoindre sa chambre. Aussi discrètement qu’à l’aller, en longeant les bâtiments pour ne pas être vus des adultes, ils étaient retournés au bungalow de Marco, avaient escaladé la fenêtre de sa chambre, ni vus ni connus, et s’étaient installés sur le lit.

— T’aurais dû voir ! disait Marco. Et là je prends un caillou, et je casse la coquille !
— Et tu as réussi à la libérer ! le félicitait-elle.

Lili riait de se voir raconter l’histoire à nouveau et à nouveau. Elle était heureuse, car la Grande Tortue l’était aussi. 

— Au fait, c’est la fin de mes vacances ici, dit soudain Marco à Lili.
Le rire de Lili retomba.
— Je sais, répondit elle.
— Je m’en vais demain.
— Je sais.
— Mais on se reverra ! Je reviens ici tous les ans, dit Marco.
— Oui. 

Puis elle afficha ce sourire en coin que Marco aimait tant maintenant.

— On se reverra même bien avant, dit-elle en rigolant.

Marco hésita. Il n’avait qu’à moitié envie d’évoquer le sujet. Il avait même fuit ses parents pour ne pas avoir à en parler. Mais en même temps, quelque chose avait changé, quelque part, loin au fond de son cœur. Et cela ne le dérangeait plus tant que cela.

— Oui, je sais, dit-il finalement. Tu sais… au début, je ne voulais pas de toi.
— Et tu as changé d’avis ?
— Un peu, avoua-t-il.
— Tu prendras bien soin de moi ?
— Oui, promit Marco.
— J’ai hâte de te rencontrer à nouveau, dit Lili. 

Marco hésita, mais dut se rendre à l’évidence.

— Moi aussi, dit-il.
— À bientôt alors, dit Lili.

Elle sourit de nouveau, puis escalada le rebord de la fenêtre.

Et sans faire aucun bruit, voilà qu’elle était repartie.

Marco se leva. Il se dirigea vers la salle de bain pour se laver le visage. Il entendit dans le salon le bruit de la télévision allumée. Ses parents n’avaient rien remarqué de son absence. Ni de l’exploit qu’il avait accompli aujourd’hui. Il aurait tant aimer pouvoir leur raconter !

Il fit couler l’eau et y plongea les mains avant de se frotter les yeux avec un peu de savon, jusqu’à ce que toute la poudre magique soit partie et qu’il n’en reste plus rien.

Lorsque son visage fut libéré de toute trace de ses aventures, il porta la main à sa poche et en tira la petite boîte rouge qui lui avait permis de cacher son trésor. Il la rendit à sa propriétaire d’origine en le replaçant dans la trousse de toilette de sa maman.

Il se demanda alors quoi faire de la poudre magique du lac, qu’il avait encore en sa possession. La décision était difficile. Tiraillé, Marco décida finalement de la garder avec lui. Après tout, n’était-ce pas Lili qui la lui avait donné ?

*

Dans le salon du bungalow, ne se trouvait que sa mère. En voyant son fils approcher, elle posa sur le côté le petit pull bleu qu’elle était en train de tricoter et elle éteignit la télé.

— Ton père est parti lire dans notre chambre, dit-elle.

Marco hésita, puis se décida. Il vint s’asseoir sur le canapé, tout contre sa mère, se logeant sous son bras comme il le faisait autrefois. Il n’osait plus trop se rappeler pourquoi il avait ainsi arrêté de s’y lover. Cela lui avait tant manqué.

Sa mère lui sourit, lui baisa le front et lui caressa le bras.

— Dit maman, elle arrive quand ? demanda-t-il.
— Bientôt, dans un peu moins d’un mois.
— Je peux écouter ? demanda-t-il.
— Bien sûr.

Marco regarda le ventre de sa mère. Rond, comme un ballon. Puis il se pencha et posa son oreille tout contre le ventre, sur le t-shirt blanc tendu, comme il avait posé l’oreille sur le sable lorsqu’il était sur la plage. Il n’entendit rien d’autre que des gargouillis, mais alors qu’il allait se redresser, un peu déçu, il sentit un léger soulèvement sous sa joue.

— Elle a bougé ! s'exclama-t-il en se redressant d’un coup.

Sa mère rigola.

— Je compte sur toi pour bien l’accueillir, dit-elle.
— Oui, promit Marco.
— Je suis heureuse de voir que tu as changé d’avis sur sa venue. 
— Non, dit-il par égo. Enfin, c’est à dire... je crois que finalement, ce sera peut-être quand même un peu mieux à deux.

FIN