Le lendemain, Marlène retrouva Lycronus au déjeuner. Rejetés du reste de l’école, ils mangeaient ensemble, dans un coin. Nul ne venait déranger les deux parias de l’établissement. Les ricanements étaient légions mais la mésaventure de Paul avait calmé les autres élèves, permettant aux deux amis de se nourrir dans un calme relatif.
- J’ai mon DM3, annonça le jeune homme. Ça y est, j’ai enfin réussi à maîtriser toute la magie intra.
Marlène en fut soufflée. Elle en était encore loin.
- Comment tu fais ?
- Je bosse, Marlène. Je bosse. Pour information, j’ai aussi mon DM4.
- Quoi ? s’exclama Marlène.
- Je n’ai pas tout à fait réalisé les choses dans l’ordre. De ce fait, j’avais déjà validé les compétences pour obtenir le DM4 avant de valider celle restante du DM3. Du coup, j’ai reçu les deux en même temps.
Marlène en fut verte de jalouse et très heureuse pour son ami.
- Tu vises le DM5, comprit-elle.
- Non, la contra-t-il.
- Pourquoi es-tu encore là alors ?
- Ma présence te déplaît à ce point ?
- Non ! Évidemment que non ! s’exclama Marlène.
Lycronus se replongea dans son déjeuner sans rien dire de plus et Marlène n’insista pas. Après tout, le jeune homme avait le droit de ne pas tout dire à son amie.
- L’énigme de monsieur Toupin ? demanda Lycronus.
- Je suis une tombe, répondit Marlène. Tu n’en sauras rien.
Marlène avait laissé le bonbon dans sa chambre car l’avoir dans sa poche risquait de faire réagir le jeune homme, hyper sensible. Lycronus la caressa des yeux puis sourit. Au cours suivant, Marlène dut admettre son ignorance.
- Je n’ai pas trouvé ce que sont les deux derniers éléments. Acceptez-vous de me donner la réponse et un autre objet magique à étudier ?
- Comme tu n’as pas trouvé, tu as eu la prudence de ne pas l’activer en le mangeant, répondit monsieur Toupin.
Marlène acquiesça.
- C’est un énorme pas. Je te le félicite. Les deux éléments forment un poison qui t’aurais rendue sacrément malade, annonça monsieur Toupin.
Marlène hocha la tête.
- J’enregistre ces signatures comme étant mauvaises, annonça Marlène.
Monsieur Toupin approuva d’un geste avant de lui tendre un pot de fleur. Marlène reconnut de l’argile. Elle sortit de classe pour aller demander à madame Rose les effets possibles de cette matière. La néomage préférait l’entendre que le lire et madame Rose ne refusait jamais une petite leçon particulière à un élève motivé.
- Lycro, dit Marlène au dîner.
- Hum ? dit-il en levant les yeux sur elle, un morceau de poulet accroché à sa fourchette.
- Tu me manques, dit-elle.
Le jeune homme sourit.
- Tu n’es plus dans la réserve, l’accusa-t-elle tendrement.
- Le professeur Pommier ne m’est plus d’aucune utilité. Je préfère travailler dans une salle vide.
- On peut étudier dans la même pièce ou ce que tu fais est tellement secret que je ne peux pas être là ?
Lycronus rit.
- Tu peux être à côté de moi. Tu ne me déranges pas.
- Cool ! s’exclama Marlène, ravie.
Le soir, Amanda lança :
- Tu passes tes journées avec monsieur Stoffer, hein !
La question flotta dans l’air, une pointe de malice dans la voix d’Amanda. Marlène se sentit d'abord piégée, puis son regard se durcit.
- Amanda ! On bosse, c’est tout ! s’exclama Marlène, exaspérée. Il est d’une concentration hors du commun. Il ne bavarde jamais, ne se détourne jamais. C’est un mur ce mec. Quand je bossais avec vous, ça ne durait jamais plus de dix minutes. Avec lui, les heures passent et je suis obligée de rester concentrée parce que de toute façon, il ne se détournera pas de son objectif, même pour moi.
Amanda éclata de rire.
- Si tu le dis…, répondit-elle.
Marlène soupira, mais quelque chose dans le ton d’Amanda la mit sur la défensive.
- Qu’est-ce que tu insinues ? demanda Marlène, son ton devenant un peu plus sec.
- Oh rien, c’était juste une supposition hasardeuse. Tu fais autre chose que bosser avec lui ?
- Que sous-entends-tu ? s’exclama Marlène qui n’aimait pas bien la remarque déplacée de son amie.
- Qu’une sortie au ski ou…
- Je ne sortirai pas de l’école avant de savoir me défendre, gronda Marlène.
Amanda comprit que le sujet était sensible.
- Du sport alors ? proposa-t-elle.
Marlène considéra la question. Pourquoi pas après tout ? Le lendemain, elle proposa un match amical de tennis à Lycronus qui accepta volontiers. Il était nul ce qui permit à ce moment d’être très agréable pour tout le monde. Ils renouvelèrent souvent l’expérience, passant ainsi presque tout le temps ensemble.
- Alors ce pot, Marlène ? demanda monsieur Toupin, l’air attentif, presque impatient.
- Il est lié à la terre, mais bon ça, c’est évident, indiqua Marlène, son regard concentré, tandis qu’elle parlait sous l’œil perçant de son professeur. Il est fait en argile, or l'argile a de nombreuses propriétés. Sous cette forme, il peut retenir l'eau pour la diffuser lentement ensuite, changer de forme en présence de chaleur, changer de couleur, rendre l'objet incassable ou fertiliser la terre présente à l'intérieur du pot. A priori, aucun de ces effets n'est dangereux, donc, déterminer le fonction exacte n'est pas utile.
Monsieur Toupin plissa les paupières, intrigué.
- J’ai quand même poussé un peu plus loin, indiqua Marlène, un soupçon de fierté dans la voix.
Les yeux de monsieur Toupin se mirent à briller à cette phrase.
- J'ai trouvé que l'action de l'objet dépend du type d'argile dont il est fait. Il existe plusieurs sortes d'argile : la kaolinite, l'halloysite déshydratée, l'halloysite hydratée, la montmorillonite, l'illite et les vermiculites.
Elle marqua une pause, prenant une inspiration. Marlène avait plongé dans son volcan de connaissances pour pouvoir énumérer ces mots avec précision. Monsieur Toupin la dévisageait, son regard perçant, comme s’il cherchait à voir au-delà de ses paroles.
- Ne connaissant pas les signatures de ces argiles – et n’en ayant pas trouvé à proximité - je me suis basée sur la formule chimique de ces différentes argiles pour déterminer lequel entrait dans la composition de ce pot et il s'agissait d'illite. Les propriétés magiques de l'illite sont de fertiliser les terres qu'elle touche. Donc, l'action de ce pot est de fertiliser la terre qu'il contient.
Monsieur Toupin passa sa main au dessus de l’objet.
- Ce pot n’a pas été activé, annonça-t-il, son ton empreint de gravité. Monsieur Stoffer t’a-t-il aidé ?
- Non, monsieur. Personne ne m’a aidée. J’ai tout fait toute seule.
Le professeur la regarda longuement, un sourire presque imperceptible se dessinant sur ses lèvres. Mais ses yeux, eux, brillaient d’une intense fierté. Marlène pouvait presque sentir cette chaleur, celle d’un mentor qui sait qu’il vient de voir une étincelle rare.
- Hé bien tu viens de gagner ton DM3, annonça monsieur Toupin, sa voix pleine de satisfaction.
- Je n’ai pas passé les épreuves écrites, le contra Marlène qui savait que désormais, pour obtenir son DM3, il fallait avoir la note maximale à un examen proposé par monsieur Toupin.
- Je fais ce que je veux, balaya monsieur Toupin.
Marlène se sentit submergée par un mélange de soulagement et de fierté.
- Je vous remercie, monsieur. Pourriez-vous me donner un autre objet, s’il vous plaît ?
Monsieur Toupin plissa les paupières, intrigué.
- Pourquoi ?
- Je veux m’assurer que je n’ai pas juste eu de la chance, monsieur, indiqua Marlène, d’un regard déterminé.
Après un instant de silence, le professeur acquiesça, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres, et lui tendit un autre objet. Ayant obtenu le DM3, elle ne se rendit plus au cours d’utilisations des objets magiques et ne se rendit auprès du professeur qu’une fois la fonction de l’objet découverte, désireuse que ce temps soit le plus court possible. Mais comment Lycronus faisait-il pour déterminer ça en quelques secondes ? Cela demandait tellement d’efforts à la néomage. Elle le jalousait et l’admirait en même temps.
Tandis que Marlène commençait à travailler sa magie inter, Lycronus faisait… quelque chose, mais quoi, dans la même salle qu’elle. Parfois, ils faisaient un tennis ou lisaient ensemble à la bibliothèque. Les deux jeunes gens ne se touchaient jamais. Ils restaient l’un près de l’autre, appréciant leur présence mutuelle.
Dimanche, Marlène réussit un petit exploit : convaincre Lycronus de l'accompagner à un match de PBM. Si le jeune homme avait du mal à suivre l’action sur le terrain, il admit finalement, en s’adossant contre le dossier de son siège, que l’ambiance dans les gradins avait quelque chose de plaisant.
- Je suis fière de toi ! s’exclama Didier qui venait de recevoir le DM3 de sa fille.
- Tu les obtiens drôlement vite. À ce rythme-là, tu auras terminé tes études magiques d'ici la fin de l'année, fit remarquer Henriette d’une voix surprise et inquiète.
Marlène haussa les épaules.
- Tout dépend en fait à quel niveau je veux m'arrêter. La plupart des élèves s'arrêtent au DM3 et l’obtiennent avant Noël. J’ai donc trois bons mois de retard. Le DM4 n’est accessible qu’à un petit nombre. J’en ai déjà validé la moitié.
- Déjà ? s’exclama Henriette.
- Tu travailles, ma fille. J’en suis très heureux.
Marlène devait admettre que la présence de Lycronus était une bénédiction. Elle avait appris à se concentrer à ses côtés. Il avait été son élément déclencheur, son catalyseur.
- Tu vises quel diplôme ? demanda Henriette.
- L’école ne monte que jusqu’au DM5, indiqua Marlène.
- Vu la vitesse à laquelle tu vas, tu auras terminé avant la fin de l’année, fit remarquer Didier.
- Non, papa car les diplômes de niveau 4 et 5 sont très difficiles à obtenir et plus ça va, plus c’est difficile.
- Je comprends, dit Didier.
Elle ne mentionna pas Lycronus. Elle ne se sentait pas à l’aise pour parler de ça avec eux. Auprès d’Amanda, elle put s’étendre plus largement et cela lui fit le plus grand bien.
- Je suis super contente pour toi, assura Amanda. Et je suis rassurée que tu saches reconnaître les objets magiques. Je m’inquiétais vraiment.
- T’inquiète, j’ai compris.
Marlène récupéra la nuit des réserves perdues en regardant le match de PBM.
Le lendemain matin, dans le silence feutré de la salle vide où ils travaillaient, Lycronus brisa le calme habituel :
- Marlène ?
Marlène sursauta. Lycronus ne parlait jamais pendant leurs séances d’étude. Son intervention, si rare, avait un air d’événement.
- Oui, Lycro ? répondit-elle, intriguée.
Il hésita un instant, les sourcils légèrement froncés.
- Ma question est très indiscrète alors n’y répond pas si ça te dérange.
Marlène hocha la tête, attentive.
- Le match de PBM d’hier, tu as puisé dans tes réserves personnelles pour le regarder. Tu n’as pas utilisé le grès fourni par l’école, n’est-ce pas ? demanda Lycronus.
Marlène acquiesça.
- Ça t’a pris beaucoup de tes réserves ?
Elle haussa les épaules, détachée.
- Non, répondit Marlène. C’est juste la gnosie. Maintenant, je maîtrise, pourquoi ?
Lycronus la dévisagea avec sérieux, son regard perçant.
- Parce que je ne te vois jamais méditer, indiqua Lycronus. Tu travailles la magie inter, qui est très gourmande en énergie, du matin au soir. Tu ne fais que ça. Je veux bien que tes réserves soient énormes mais pas illimitées non plus.
Marlène voyait régulièrement Lycronus méditer. Il le faisait plusieurs heures par jour avant de reprendre ses entraînements. Elle n’avait pas la moindre idée de la quantité d’énergie qu’il pouvait utiliser ne comprenant pas ce qu’il faisait. Ce qui était certain était qu’il travaillait toute la journée – en dehors des quelques heures de méditation – et qu’il ne semblait jamais arriver au bout de ses réserves. Marlène en avait conclu qu’il rentabilisait bien mieux qu’elle son usage de la magie. Encore une raison de le jalouser et de l’admirer.
- Je me régénère la nuit, Lycro, expliqua-t-elle.
- Et tu dors quand ? demanda-t-il, sceptique.
- Je me régénère en dormant, indiqua Marlène.
- Comme tout le monde, répliqua Lycronus. Sauf que la régénération non contrôlée ne…
- Je la contrôle, le coupa Marlène. Je dors tout en créant volontairement de la magie.
Lycronus cligna des yeux, stupéfait.
- Comment fais-tu ça ?
Marlène baissa les yeux, mal à l’aise. Le souvenir de l’origine de cette capacité la renvoyait à une période qu’elle préférait oublier.
- Tu n’es pas obligée de répondre, ajouta Lycronus d’une voix douce, percevant son trouble. C’est personnel, je comprends.
Elle prit une inspiration tremblante.
- Ce n’est pas…
Ses mains se crispèrent sur la table. Les mots lui échappaient, mais Lycronus attendait, patient. Lorsqu’elle releva enfin les yeux, ses joues étaient mouillées de larmes qu’elle n’avait pas senti venir.
- Marlène ? s’inquiéta-t-il en se penchant vers elle. Tu pleures ?
Avant qu’elle n’ait le temps de réagir, il posa une main légère sur son épaule et l’attira contre lui. Marlène se laissa faire, bercée par son parfum et la chaleur de son étreinte. Il s’écarta trop vite à son goût, mais son regard restait fixé sur elle, bienveillant.
- Les gens… qui m’ont enlevée… bafouilla Marlène. Ils me forçaient… à créer de la magie… en permanence… jour et nuit… sous peine de souffrance. Je… ne sais pas… comment j’ai fait. J’étais épuisée. J’avais mal. Ça s’est fait. Voilà.
Lycronus hocha la tête, le visage grave.
- Merci de ton partage, dit-il avant de lui déposer un doux baiser sur le front.
Le geste la fit sourire malgré elle, une chaleur douce envahissant son cœur.
- J’ai une autre question, précisa-t-il.
- Hum ?
- Tu vas en faire quoi, du pot de fleur que monsieur Toupin t’a donné ?
- Rien, dit Marlène. Le jeter, je suppose. Je n’en ai pas l’utilité et mes parents non plus. Pourquoi ?
- Ça t’embête de me le donner ?
Marlène haussa un sourcil amusé.
- T’en as pas assez ? Tu les as pas déjà tous raflés en début d’année ?
- Je fais collection, répondit-il avec un sourire en coin.
Le soir même, Marlène frappa à sa porte et lui tendit le pot. Lycronus l’accepta avec ce sourire éclatant qu’elle aimait tant. Chaque mercredi et chaque samedi, Marlène répéta le rituel, trouvant dans cet échange une étrange satisfaction. Son cœur s’illuminait à chaque sourire en retour.
La saison de PBM débuta dans une effervescence palpable, mais Lycronus refusa l’invitation de Marlène à assister à un match avec elle.
- Je préfère travailler, avait-il expliqué sans la moindre hésitation.
Elle n’insista pas. Le voir si concentré sur ses objectifs la motivait, mais ce soir-là, elle ressentait le besoin de se détendre un peu.
- Mais comme on va se voir moins, tiens, c’est pour toi, précisa-t-il en lui tendant une feuille de papier blanche pliée en quatre.
Marlène s’en saisit, sa gnosie lui révélant la nature magique de l’objet.
- C’est quoi ? demanda-t-elle.
Lycronus esquissa un sourire amusé, légèrement narquois.
- Ai-je vraiment besoin de te le dire ? N’es-tu pas capable de le savoir par toi-même ?
Le défi était lancé. Marlène détailla l’objet avec attention, mobilisant ses connaissances et sa perception. Papier, encre, grès… et un entrelacs délicat de cuivre. Le grès conférait son pouvoir magique à l’objet. Le cuivre, lui, signifiait transfert. Mais transfert de quoi ? Le papier, par nature, ne pouvait être déplacé ; seule l’encre y figurant était concernée. Marlène fronça les sourcils, son esprit déduisant rapidement l’usage probable de l’objet.
Sans attendre, elle activa la feuille, laissant une minuscule partie de son énergie s’y infiltrer. Puis, prenant un stylo dans son sac, elle écrivit en lettres rondes :
- Petit malin…
Lycronus, de l’autre côté, déplia la feuille jumelle qu’il gardait en main. Un sourire étira ses lèvres en lisant ses mots.
- Comme ça, on pourra échanger même si nous sommes loin l’un de l’autre, écrivit-il, ses mots apparaissant sur la feuille de Marlène.
- Je suis certaine que le personnel de l’école y a pensé avant toi. Il doit y avoir des protections contre ça, traça-t-elle.
Lycronus haussa un sourcil, une lueur malicieuse dans le regard.
- Il y en a mais ça passera inaperçu. Tu peux me faire confiance. Je suis sûr de moi, dit-il à l’oral.
Ce ton, à la fois confiant et légèrement provocateur, déstabilisa Marlène. Elle considérait Lycronus comme un modèle d’obéissance et de respect des règles. L’idée qu’il ait pu contourner un système aussi rigide la fit sourire.
- Dis, Lycro, j’ai une question.
- Et le boulot ?
- Justement, c’est à l’expert en objet magique que je m’adresse.
Lycronus plissa les paupières. Il n’aimait guère qu’on s’intéressât à ce côté-là de sa personnalité. Marlène espéra qu’il la connaissait assez pour savoir qu’elle l’aimait au-delà de ça et qu’il répondrait à sa question.
- Le cuivre, dans ce bout de papier, il est tressé. C’est super joli mais vu que c’est dans la feuille, quel intérêt de s’embêter à faire ça ?
- Ça le rend spécifique, indiqua Lycronus.
Marlène en pleura presque de joie. Il lui avait répondu ! Rester concentrée ! Objet spécifique. Marlène fouilla sa mémoire.
- L’objet se lie avec la personne qui l’active, se rappela-t-elle. Je serai la seule à pouvoir l’utiliser.
- Et moi le mien, confirma Lycronus en souriant.
Marlène dut reconnaître que c’était du grand art. Lycronus rangea sa feuille pour se remettre au travail. La néomage le dévora des yeux. Ses yeux tombèrent sur son exemplaire du papier de transfert. Le cadeau la touchait en plein cœur. Ses yeux s’embuèrent mais elle réfréna ses larmes. Prenant une profonde inspiration, elle reporta son attention sur les exercices de magie inter. Elle comptait bien se surpasser.
Lundi soir, Marlène se rendit dans une salle de visionnage pour suivre le match opposant les Lucioles aux Matador. Contrairement à l’atmosphère bruyante qu’elle s’était imaginée, la plupart des salles étaient presque désertes. Après quelques recherches, elle finit par tomber sur un groupe de trois garçons installés devant un écran, l’air décontracté.
La trêve tacite qui régnait pendant les matchs de PBM lui donna le courage de leur adresser la parole.
- Je suis surprise du peu de spectateurs, lança-t-elle en prenant place un peu en retrait.
Un des garçons, appuyé sur le dossier de sa chaise, se retourna.
- Les Lucioles perdent toujours contre les Matador. L'équipe espagnole est très puissante. Ils ont un néomage et notre équipe, comment dire… nos joueurs n'ont pas cette chance, quoi… expliqua-t-il avec un sourire en coin.
Un autre garçon, plus passionné, se tourna vers elle.
- Demain, Lucioles contre Knights. Tu verras, les salles seront pleines à craquer !
Marlène fronça les sourcils, intriguée.
- Les Lucioles vont gagner ? demanda Marlène qui avait des difficultés à croire qu'on pouvait aussi facilement déterminer à l'avance l'issue d'un match de PBM.
- On n'en sait rien, justement, expliqua le garçon. Les deux équipes ont des magiciens de même puissance. Donc, le match promet d'être très intéressant.
Marlène hocha la tête, assimilant ces informations. Encouragée par leur accueil, elle s’installa un peu plus près du groupe. Contre toute attente, ils ne lui adressèrent ni regards méprisants ni moqueries. Elle se sentait presque à l’aise. Comme prévu, les Matador dominèrent les Lucioles.
- Quand Miraël les aura rejoints, déclara Sam, les yeux rivés sur l’écran éteint.
- Carrément ! Miraël fera gagner les lucioles ! dit Melan.
C’est alors qu’Alain se tourna vers Marlène avec un sourire curieux.
- J'imagine que tu comptes rejoindre l'équipe de France ?
La question la prit au dépourvu. Marlène cligna des yeux, stupéfaite de voir qu’il s’adressait à elle. Elle croisa leurs regards : ils la dévisageaient avec un mélange d’admiration et d’espoir. En un éclair, elle comprit. Ils ne voyaient pas Marlène, la néomage stupide. Ils voyaient une future joueuse de PBM, une étoile montante potentielle. Marlène y vit la possibilité de faire remonter sa réputation au sein de l’établissement.
- Oh, tu sais, j'en suis encore très loin. Je débute à peine la magie inter, répondit-elle en feignant la modestie.
Puis, après une pause calculée :
- Je suppose que lorsque j'en serai là, je choisirai de jouer pour l'équipe de France, s'ils veulent bien de moi.
Alain s’exclama, visiblement ravi :
- Avec Nicolas Patriol, ça fera deux néomages dans la même équipe. Les américains n'auront qu'à bien se tenir !
Les garçons hochèrent la tête avant de se lever pour regagner leurs chambres. Marlène les salua avec un sourire satisfait. Ce petit échange avait réveillé en elle un mélange grisant de fierté et d’ambition. En rejoignant sa chambre, elle échangea avec Lycronus. Un simple « Bonne nuit » auquel il répondit de la même manière. Rien et tout à la fois.
Cette nuit-là, ses rêves furent peuplés d’arènes illuminées, de sorts flamboyants, de cris enthousiastes d’un public en délire mais aussi d’un garçon aux cheveux et aux yeux noirs.
Le lendemain, ses pensées s’attardaient encore sur le PBM, au point que Lycronus, toujours attentif, s’en aperçut.
- Tu es dans la lune.
- Tu as raison, admit Marlène en rougissant. Je vais me concentrer.
Grâce à lui, elle parvint à maintenir son niveau de travail malgré l’attraction magnétique que la saison de PBM exerçait sur elle.
- Au fait, merci, dit Lycronus.
- Pour ? demanda Marlène, surprise.
- Je me recharge la nuit maintenant, indiqua Lycronus.
- C’est vrai ? Mais c’est génial ! s’exclama Marlène, ravie.
- Je gagne un temps fou ! admit-il avec un éclat dans les yeux.
- J’en suis ravie pour toi, assura Marlène, un sourire adoucissant son visage.
Le lien entre eux, bien que discret, se renforçait chaque jour un peu plus.
Le lendemain, les salles de visionnage débordaient d’excitation, saturées par l’énergie électrique des spectateurs. L’ambiance était à son comble, chaque action sur le terrain suscitant des cris de joie, d’angoisse ou d’émerveillement. Lorsque le dernier joueur des Knights fut touché et contraint d’abandonner le terrain, une clameur éclata, secouant les murs. Les Lucioles venaient de remporter la victoire.
Le match avait été spectaculaire, un enchaînement de stratégies audacieuses et de gestes techniques impeccables. Plus que tout, il avait été long, tenant les spectateurs en haleine jusqu’à la dernière seconde. Ce n’est qu’après minuit que les élèves, encore pleins d’adrénaline, quittèrent les salles pour rejoindre leurs dortoirs.
Quelques jours plus tard, l’excitation monta encore d’un cran lorsque les Lucioles affrontèrent les Tuniques rouges, l’équipe de France. Malgré leurs efforts, les Italiens durent s’incliner face à la puissance des Français. La défaite fut amère, mais Marlène sentait que l’intérêt du public se portait déjà vers un autre affrontement.
Le samedi soir, l’établissement entier semblait vibrer d’impatience. En demi-finale, la Pobeda, équipe redoutable de Russie, affrontait les Black Star, les maîtres incontestés des États-Unis. Ces deux équipes, considérées comme les meilleures au monde, attiraient une attention encore plus grande que la finale elle-même, que beaucoup pressentaient déjà moins intense.
Le match fut un véritable chef-d’œuvre de stratégie et de bravoure. Les Black Star déployèrent leur puissance habituelle, implacables, mais la Pobeda leur opposa une résistance farouche. Chaque action, chaque sort lancé, témoignait d’un entraînement rigoureux et d’une volonté de fer. Marlène, comme la plupart des spectateurs, retenait son souffle à chaque mouvement décisif.
Finalement, les Black Star l’emportèrent, comme toujours, mais la Pobeda quitta le terrain avec les honneurs, ayant livré une bataille héroïque. La salle de visionnage explosa en applaudissements respectueux, saluant l’incroyable performance des Russes. Marlène, elle, se sentait à la fois émerveillée par la maîtrise de ces joueurs d’élite et brûlante d’envie d’un jour se mesurer à eux.