Chapitre 20 - Aqueduc (partie 2)

Notes de l’auteur : Bonjour chers lecteurs.

Merci de m'avoir suivi jusqu'au bout de ce tome 1.
J'ai conscience que c'est encore loin d'être vraiment bon et je vous remercie pour votre tolérance et vos retours tout au long de cette aventure.

C'est aussi un pincement au cœur parce que ce sera le dernier chapitre que je posterai sur PA. Je vais continuer à poster en ligne, mais sur d'autres plateformes, à partir de là.

Je continuerai à venir jusqu'en octobre lire mes commentaires et les histoires de ma PAL.

Concernant ce chapitre, j'espère qu'il finit de répondre à vos questions (mais je sais qu'il en ouvre un paquet d'autres, c'est parce que je suis méchante mouahahah).
Les fins sont toujours compliquées alors n'hésitez pas à me faire des retours et des propositions, je ne me vexerai pas (trop).

    Son épaule heurta lourdement le mur froid. Il avait beau appuyer, son sang continuait de pulser entre ses doigts tremblants. Martial avait besoin de lui. En bas de cet escalier.

    Un brouillard montait devant ses yeux. L’impact visqueux de chaque goutte de sang au sol résonnait à ses oreilles.

    Il secoua violemment la tête pour mieux voir. Les murs tanguèrent.

    Pourquoi y avait-il autant de marches ? Il se pencha pour chercher la porte qu’ils avaient passée en rentrant. 

    Sa main se crispa sur la pierre. Il avait contacté les autres. Appelé de l’aide. Ils apparaîtraient bientôt. Bientôt.

    À bout de souffle, il descendit un pied sur la marche suivante. Le portillon lutta, grinça, céda.

    Martial et la cible gisaient dans l’herbe. Moebius se laissa tomber au côté de Martial et le retourna.

     — Moebius !

    Il se redressa violemment.

    La fraicheur de la nuit chassa le brouillard, l’humidité du temple. Diane approcha sa veilleuse, un pli au travers du front. Elle faillit toucher son épaule, mais se ravisa.

    Moebius passa une main sous sa tunique. Pas de sang.

    — Éloigne-toi du bord, demanda-t-elle avec un regard incertain au précipice.

    Il s’exécuta mécaniquement ; se cogna le crâne contre une saillie de la falaise derrière lui. À nouveau, il vérifia sous son vêtement. Juste la longue cicatrice, légèrement plus épaisse que la peau.

    Diane se pencha vers leurs sacs, en retira l’outre, la lui tendit. Elle resta ensuite assise sur ses talons, et le fixa en se frottant les mains. Moebius secoua la tête.

 


-°-

 


    Une fois la surprise et l’admiration du début, le sentier manquait de variété. Même Diane avait cessé de trouver ces adjectifs dont il ne pouvait qu’imaginer le sens pour qualifier le paysage.

    La descente perdurait, régulière, la plupart du temps en plein soleil. Ils couvraient de la distance, mais chaque pan de montagne passé en révélait plusieurs autres.

    Ils firent une halte pour déjeuner près d’un filet d’eau qui ruisselait sur de la roche parsemée de mousses.

    Sa camarade de voyage ne disait rien, mais elle trainait des pieds. Avec le soleil, et malgré ses tentatives de se protéger, son visage avait pris une teinte plus proche de la viande séchée que de la peau de noble.

    Elle s’assit et se massa les chevilles avec acharnement.

    Il replia les jambes en tailleur, cherchant une position confortable. Ses propres joues pelaient. Il passa un doigt dans sa chaussure pour en ôter un petit caillou. Leurs provisions étaient bien entamées, et toujours aucun signe de maître Xavier.

    — Quand nous aurons mangé, pourras-tu regarder mon bleu ? J’ai l’impression que ça va mieux, mais parfois ça me transperce…

    Moebius opina. C’était le moins qu’il puisse faire. Il remplit leur gourde presque vide sous la fine cascade. Le soleil lécha son bras. L’astre montait, et le peu d’ombre qu’ils avaient trouvé disparaissait déjà.

    — Es-tu certain que je puisse apprendre la magie ? dit Diane entre deux bouchées, les yeux perdus dans le vague.

    — Il n’y a jamais de certitude, répondit-il en maintenant l’ouverture de l’outre droite, mais je pense que oui.

    — Comment est-ce ? Je m’exprime mal, que ressent-on ?

    Moebius tendit le cou pour la voir, par-dessus son bras. Elle avait simplement l’air curieuse.

    — C’est différent selon les gens. Certains disent que ça leur donne des sensations de chaleur qui parcourent le corps. D’autres des fourmillements ou des picotements.

    Diane s’adossa à la falaise en se massant les paumes. Moebius allait reposer la gourde puis décida de se désaltérer tout de suite, pour pouvoir la remplir à nouveau avant de repartir.

    — Combien de jours devrons-nous encore suivre ce chemin ? demanda-t-elle en changeant brusquement de sujet.

    Ses doigts se crispèrent un instant autour de l’outre et une goutte atterrit sur son nez.

    — Pas longtemps, répondit-il en s’essuyant.

    — Tu tergiverses, nota-t-elle d’un ton peiné. Mes mains piquent. Si nous sommes égarés, j’ai le droit de le savoir.

    — Je… Je ne sais pas vraiment, admit-il en refermant la gourde sans avoir bu. Quand maître Xavier est parti, il m’a juste dit que si je venais ici il me trouverait…

    Diane se pencha vers lui pour saisir l’outre. Il fixa ses doigts tendus.

    — C’est comme ça que tu sais quand on te ment ? demanda-t-il, incrédule. Tu arrives à sentir un changement dans les flux d’énergie des gens ?

    Elle tortilla une de ses mèches qui repoussaient, sembla s’en rendre compte et lui ôta la gourde des mains pour boire plusieurs gorgées.

    — Lorsque l’on me cache des choses, qu’il se passe quelque chose d’inhabituel ou de dangereux… et donc ? Sommes-nous perdus ? reprit-elle, pas décidée à se laisser distraire.

    — Non, mais je m’inquiète. Je n’ai vu aucune trace de vie humaine depuis qu’on est partis. Et on se rapproche déjà des plaines…

    Il secoua la tête.

    — … Maître Xavier est acariâtre, mais fiable. Il m’a dit qu’il me trouverait, il me trouvera.

    Elle sourit et ramassa une petite branche ornée d’une feuille séchée, qu’elle enleva machinalement.

    — S’agit-il de ton maître ? demanda-t-elle en utilisant le morceau de bois pour dessiner dans la poussière jaune.

    Occupé à regarder les motifs, Moebius ne comprit pas tout de suite la question. 

    — N- Non, expliqua-t-il en décroisant les jambes. Disons que c’est celui qui m’a le plus marqué. Je n’étais pas… bon élève. Il m’a beaucoup aidé.

    — Tu sembles heureux à l’idée de le retrouver, observa-t-elle.

    Il se leva et plissa les yeux. Le soleil lui tapait maintenant directement sur le visage. Il parvenait à voir les lacets suivants sur le sentier, et, au loin, les plaines désertiques de Basse-Mer qui s’étendaient jusqu’à l’océan et justifiaient ces installations hydrauliques qui alimentaient en eau villes et cultures.

    Il avait hâte de retrouver le vieux maître, il l’aiderait à mettre de l’ordre dans sa tête.

    — Moebius, l’interpella-t-elle, tu esquives encore le repas.

    Il se rassit, se servit.

 

-°-

 

    En fin d’après-midi le lendemain, la conduite sous leur pas s’engagea dans une étroite trouée creusée par l’homme sur plusieurs mètres pour éviter de contourner un pan de roche.

    Ils marchaient en silence depuis un moment, et seuls le faible ruissellement de l’eau dans la maçonnerie, et le crissement de leurs pieds, rompaient l’ennui. Même les oiseaux semblaient cesser de s’intéresser à leur arrivée, à croire qu’eux aussi se demandaient s’ils allaient trouver maître Xavier.

    À l’entrée du petit canyon, il sonda, sans grand espoir.

    — Y a-t-il beaucoup de renégats ?

    Ses mains se crispèrent sur les lanières de son sac. Devant lui, Diane avait ralenti et inspectait les parois du défilé avec curiosité.

    Moebius soupira et remonta son chargement sur ses épaules.

    — Le serment est irrévocable, récita-t-il, la mort punit les parjures. Seul Maître Xavier a survécu assez longtemps pour être qualifié d’autre chose que de « cible ».

    — Je te demande pardon, déclara-t-elle en baissant les yeux. Pour ce que j’ai dit, le soir où tu m’as permis de fuir. J’ai ignoré tout ce que cela pouvait signifier pour toi.

    Moebius haussa les épaules, et repartit. Il ne put aller loin. Diane n’avait pas bougé. Elle poussait doucement un gros insecte du bout de sa chaussure.

    — Il n’y a rien à pardonner.

    Elle reprit sa route, non sans jeter un œil à ses mains comme s’il elle vérifiait qu’il ne mentait pas.

    Au sortir du défilé, une forte bourrasque secoua leurs manteaux, et d’un commun accord ils décidèrent de faire demi-tour pour passer la nuit dans le canyon.

    Moebius s’assit en tailleur pour méditer, laissant Diane dormir la première.

    Il toucha le sol pour sonder, et finit par soupeser plusieurs pierres chauffées par le soleil, curieux de savoir si elles dégageaient une tiédeur équivalente. Même le vent qui agitait les petits buissons dehors semblait chaud à l’intérieur.

    Durant la journée, la présence de Diane, ses questions, et la nécessité de continuer à marcher l’avaient aidé à fonctionner. Mais la nuit tombée, il étouffait, livré à lui-même.

    Il tourna inconsciemment son bracelet, guetta dans la respiration de Diane la régularité du sommeil.

   Une fois certain qu’il ne serait pas observé, il se leva pour faire de l’exercice et se vider la tête. Une partie du mal être finissait toujours par quitter son corps avec l’entraînement, comme s’il s’agissait de transformer des pensées en mouvement, avec la transpiration comme témoin de la conversion.

    L’étroitesse du canyon l’en empêcha.

    Il se laissa tomber contre la falaise, et s’appuya les yeux sur les paumes pour en chasser le visage défiguré de Martial. De petits points dansèrent devant lui. Il ne se rappelait pas l’escalier, la porte qui avait refusé de s’ouvrir, deux fois ; ce bout de chair qui pendait sous l’œil de façon si grotesque.

    Un nœud se forma dans sa gorge.

    En tout cas, il ne s’en était pas souvenu jusqu’à cette nuit.

    Moebius se battit avec l’une des fermetures de son manteau et ne parvint pas à l’enlever pour avoir moins chaud. En forçant, une des boucles en os se brisa, et s’enfonça dans son pouce.

    Il jeta l’éclat au loin, et s’effondra en sanglots.

 

-°-

 

    Moebius s’étira. Diane l’avait réveillé pour qu’il prenne le relai et il avait passé un long moment à tenter de localiser maître Xavier, en vain. Il avait envie de faire signe, de se rendre visible dans les flux d’énergie, mais il n’osait pas risquer d’être repéré par la confrérie.

    Un bruit étouffé le fit se retourner.

    À demi assise contre la paroi, Diane s’était déplacée dans son sommeil. Sa veilleuse était tombée dans son sac. Moebius pinça les lèvres. Elle pouvait y mettre le feu.

    Il s’approcha, secoua doucement le pied de Diane. En désespoir de cause, il glissa la main dans le sac pour récupérer l’objet lui-même. Une fois la lampe éteinte, il la reposa au sol, près du carnet à dessin.

    Moebius grommela pour lui-même et tourna le dos pour méditer. 

    Diane inspira si brusquement qu’il sursauta. Maintenant bien réveillée, elle appuyait sur ses côtes qui avaient dû lancer. 

    — Ce n’est qu’une sorte de rêve récurrent, marmonna-t-elle la voix pâteuse. J’ai l’habitude.

    Même en ayant l’habitude, elle se retourna plusieurs fois. Il ne parvint pas à rester concentré. Finalement, Diane abandonna. Elle se rassit à côté de lui en s’aidant de ses bras et ralluma sa veilleuse.

    — Tu veux me poser une question ? Ce que tu veux, proposa Moebius sur un coup de tête.

    Diane le regarda un instant en clignant des yeux, décontenancée. Puis elle s’adossa à la pierre, les paupières à demi closes, et réfléchit un moment en tournant lentement la lampe entre ses doigts. Il commençait à croire qu’elle se rendormait quand elle se redressa et le fixa.

    — Que ressens-tu quand tu… quand tu ôtes la vie ?

    Moebius s’étouffa.

    Diane remonta ses genoux sous son menton. Elle tira la capuche sur son visage pour cacher ses larmes, mais ne put rien faire contre les reniflements. Ni contre les tremblements de la veilleuse entre ses doigts.

    Il lutta pour reprendre sa respiration, un vilain arrière-goût acide en bouche.

    — Est-ce que… est-ce qu’on oublie ? bégaya-t-elle.

    Il fit « non » de la tête.

    — Comment font les autres égys ?

    — Je ne l’ai jamais su, souffla-t-il.

     Elle resta silencieuse un long moment puis se redressa et se tapota les joues.

    — Merci.

    Moebius tenta de changer de position pour trouver un pan de roche sans arêtes.

    — En retour, je réponds également à l’une de tes interrogations me concernant, offrit-elle.

    Il chassa le carnet de sa tête et réfléchit sérieusement. Il en savait à la fois beaucoup et peu sur elle. Mais aucune des questions sur son passé qui lui vint ne l’intéressa vraiment. Ce qu’il voulait connaître, c’était où elle allait.

    — Que penses-tu faire quand tu auras appris la magie ?

    — Retrouver Augustin et lui rendre son trône, répondit-elle avec assurance.

    Moebius posa l’arrière de la tête sur la pierre. Elle ne prévoyait pas s’emparer de la couronne. Il aurait pu s’en douter.

    — Et si tu pouvais vivre uniquement pour toi ?

    Diane haussa un sourcil amusé.

    — Je t’ai accordé une question, pas deux !

    Moebius ne parvint pas à se décider à la relancer, mais elle finit par reprendre la parole.

    — Je reconstruirais les Cénotes pour y élever des faucons. Je nagerais toute la journée et n’en sortirais que pour dessiner le coucher du soleil.

 


-°-

 


    Coude après courbe, le sentier se déroulait comme l’un de ces interminables serpents aquatiques. Ils se situaient maintenant bien plus bas, et les plaines apparaissaient clairement entre deux pans de montagne.

    Le soleil fuit derrière un nuage très sombre et il eut un frisson. À ce rythme, ils atteindraient la ville sans avoir trouvé maître Xavier.

    Depuis leur dernière pause, Diane marchait devant. Son visage avait bruni comme une paysanne, et pelait par endroits. Elle ne ressemblait plus du tout à une princesse, mais cela n’avait pas l’air de la déranger. Au contraire, elle cheminait plus rapidement qu’avant, et elle lui avait fièrement montré ses nouveaux muscles.

    Il profita d’un passage moins étroit pour accélérer et se mettre à son côté.

    — Je m’ennuie ferme ! clama-t-elle en tentant de masquer sa prononciation trop propre.

    La fausse détresse sur son visage le fit sourire. 

    — Si nous devons tuer le temps en avançant, peut-être peux-tu commencer à m’apprendre des choses ? Sur la magie ?

    Moebius ralentit.

    L’idée l’inquiétait, mais d’un autre côté ils ne pouvaient plus se contenter d’espérer que maître Xavier vienne les trouver. Il avait attendu autant que possible, mais il devait se rendre à l’évidence : ça ne marchait pas.

    Montrer quelques bases à Diane semblait une façon comme un autre de tenter de se signaler… à condition de faire attention…

    — Qu’apprend-on en premier sur la magie ? demanda Diane, interrompant sa réflexion.

    — De la théorie. Sur l’origine des énergies, expliqua-t-il en accélérant pour la rattraper.

    — L’atome ?

    Moebius se figea.

    — Qui t’a parlé de ça.

    Elle marqua une pause, frappée par son ton cassant.

    — Je- personne ne comprend, hésita-t-elle en serrant les poings sur son manteau. J’ai cru que toi…

    Moebius se passa une main dans le cou.

    — Qui t’a parlé de l’atome, insista-t-il en s’efforçant de mieux maîtriser sa voix.

    — Personne ! s’exclama-t-elle en reculant d’un pas. Je t’ai dit que je fais des songes anormaux. Souvent, il y a une femme qui répète des choses au sujet de l’atome, de conversion d’énergie…

    Sur sa lancée, Diane continuait, sans le regarder.

    — Et il y a un enfant aussi, des sources et une histoire d’entropie…

    Il se frotta le visage et inspira pour se calmer. Une partie de sa tension sortit avec l’air expiré, le laissant épuisé. Machinalement, il enfouit ses mains dans ses poches, au milieu des artefacts familiers.

    Heureusement qu’il n’avait pas découvert tout ceci dès le début. 

    — On devrait avancer, dit-il en chassant un frisson.

    Pas étonnant qu’elle soit si sensible aux flux d’énergie autour d’elle si quelqu’un avait insidieusement fait son enseignement.

    Diane lui emboita le pas en silence, le souffle un peu court et les bras contre elle, comme si elle avait froid.

    Il connaissait bien ce petit reflet dans le regard des gens. C’était de la peur. Et ça retournait son estomac. Il serra les poings à s’en rentrer les ongles dans les paumes et s’arrêta.

    La colère qu’il avait exprimée ne venait pas de lui. C’était un conditionnement.

    Diane n’avait pas choisi d’avoir ces rêves ou de pouvoir faire de la magie. Elle n’avait pas mérité sa réaction. Elle avait besoin qu’on l’aide. Et peut-être que ça, c’était dans ses capacités, avec le soutien de maître Xavier.

    — Attends, supplia-t-il alors qu’elle allait le dépasser. Je suis désolé. Je.. On peut reprendre ?

    Elle cacha ses doutes en redressant le menton.

    — Tu n’es pas censée connaître ce genre de choses, enchaîna-t-il de peur de changer d’avis. C’est un savoir réservé à la confrérie. Ça m’a… pris de court. Je veux t’aider. Tu sais qui est cette femme ?

    — Non, affirma-t-elle, sur la défensive. J’ai fini par envisager qu’il s’agissait de la voix de ma mère… et l’enfant pourrait être moi.

    — L’enfant ?

    — La femme explique des choses à un enfant.

    Moebius secoua la tête fermement.

    — Où ta mère aurait-elle pu apprendre cela ? Peut-être est-ce une autre sorte de rêve omniscient, comme pour Iseult.

    Diane lâcha les lanières de son sac, et ses épaules s’affaissèrent un peu. Elle s’absorba un instant dans la contemplation de la trace de bronzage qui était apparue sur son poignet.

    — Tout ceci remet-il en cause mon initiation à la magie ?

    Il croisa cette fois un reflet de détermination dans ses pupilles. Il gratta doucement la barbe qui poussait sur ses joues irritées par le soleil. Une partie de ses inquiétudes demeuraient, mais, dans tous les cas, elle devrait apprendre, ne serait-ce que pour ne pas devenir un danger pour les autres.

    — Pour moi non, déclara-t-il.

    Un lézard grimpa sur un rocher pour profiter des dernières heures de jour.

    — J’aimerais encore avancer un peu, mais ce soir je peux te montrer quelque chose. Je pense même que ça pourrait aider maître Xavier à nous trouver.

 

-°-

 

    — J’ai besoin de ta veilleuse.

    Diane opina et fouilla avec enthousiasme dans son sac pour en sortir le lumignon. Avec une source aussi faible, les perturbations magiques resteraient limitées.

    Moebius poussa quelques cailloux pour s’assurer d’être confortablement assis et toussota pour s’éclaircir la voix.

    — On commence toujours par la lumière, indiqua-t-il en récupérant la lampe. C’est le plus simple à comprendre, et le moins dangereux pour les novices.

    Moebius se gratta la joue. Le soleil descendait derrière la montagne rendant aux yeux de Diane une couleur plus ordinaire. Il restait juste assez de jour pour se voir et discuter, sans noyer le halo de la veilleuse.

    — La source crée de la lumière, qui se propage et forme ce halo, indiqua-t-il en traçant le contour dans la paume de sa main. Tu es d’accord que cette lumière a l’air blanche.

    Elle opina. 

    — En réalité, elle ne l’est pas. Elle paraît seulement blanche. Parce qu’elle contient toutes les couleurs…

    Diane bascula la tête un peu sur la droite, puis la secoua. 

    — Quand je mélange trop de teintes sur mon carnet, j’obtiens du noir, pas du blanc.

    Moebius toussota et fit tourner la lampe entre ses mains, surpris par la pertinence de la question.

    — C’est parce que quand tu dessines, tes peintures absorbent certaines nuances et en réfléchissent d’autres. Si tu utilises du rouge, par exemple, les pigments vont tout absorber, sauf le rouge, qui est reflété vers toi. C’est ce qui fait que tu le vois rouge.

    — Donc mon mélange de teintes paraît noir parce qu’il ne reflète rien, déduit-elle en se frottant le nez doucement.

    Il ne put retenir un sourire. Plus grand-chose allait le surprendre, après ça.

    — C’est ça, confirma-t-il. Chaque couleur a ses propriétés énergétiques. Avec tes capacités magiques, tu peux ainsi agir indépendamment sur l’une ou sur plusieurs.

    — Comment ? demanda-t-elle en se penchant vers la veilleuse comme si elle espérait pouvoir voir les fréquences.

    — Trie ce que tu ressens. Cherche ce qui les caractérise, dans quelles directions elles se propagent…

    Elle se mordillait la lèvre. Il réfléchit à un exercice à lui proposer.

    — Place ta main à la lumière et ferme les yeux. Essaye de sentir les différences entre les zones dans l’ombre et celles qui sont éclairées. Prends ton temps. Ça peut ressembler à tes picotements.

    Diane inspira longuement, et avança ses poignets vers la veilleuse d’un mouvement hésitant. Elle promena ses paumes vaguement au-dessus de la petite flamme, les sourcils froncés. Moebius suivit des yeux les oscillations de ses doigts.

    — Sens-tu des régions où la peau est plus froide ? insista-t-il. Plus chaude ? As-tu l’impression de toucher quelque chose ?

    Elle secoua la tête, les paupières toujours fermées. 

    — Je ne sais quoi rechercher, soupira-t-elle. Rien ne picote.

    — Je vais t’indiquer le point où la lumière est la plus intense.

    Il attrapa l’un des poignets de Diane et appuya son index à l’endroit le plus éclairé.

    Le bras de Diane se crispa, mais elle resta concentrée. Un instant plus tard, elle secouait à nouveau la tête.

    — Je vais te montrer.

    Il installa son coude sur son genou, paume tendue face à la veilleuse, et ferma les yeux. Avec le pouce de l’autre main, il longea les zones de lumière et d’ombre en lui indiquant ce qu’il percevait en sondant.

    — Ah ! s’exclama-t-elle. Je sens le picotement !

    Moebius rouvrit les paupières. Diane avait singé sa position et suivait du doigt le halo que la flamme projetait. Excellent. Elle apprenait à sonder.

    — Prends le temps de te familiariser avec les diverses énergies que tu ressens.

    Toujours concentrée sur ses mains, Diane opina lentement. Moebius étira son dos, et s’appuya sur la pierre fraîche et observa en silence.

    — Et après ? demanda-t-elle à mi-voix sans relâcher ses efforts.

    — Ce que tu veux faire, c’est modifier la façon dont les énergies se propagent. C’est ce qui influe sur la couleur. Ne touche pas à l’intensité.

    Ses sourcils se froncèrent de plus belle. Il doutait qu’elle parvienne à quelque chose aussi facilement, cette fois. Il ne se passa rien.

    Moebius chercha l’outre d’eau et but pour patienter. Puis il sonda, curieux de voir comment elle s’y prenait.

    — Envisage le problème dans l’autre sens. Là, c’est comme si tu tentes de tirer une porte qui s’ouvre en poussant. Fais l’inverse.

    Diane se tortilla pour se détendre puis reprit sa position. Elle réessaya. Progressivement, l’angle de ses sourcils s’accentua.

    Elle soupira et secoua la tête.

    — Je n’y parviens pas ! s’énerva-t-elle en agitant les doigts comme pour en chasser de l’eau. Puis-je regarder comment tu fais ?

    Moebius s’exécuta volontiers. Il se concentra sur les variations de lumière au-dessus de sa peau. Aussi lentement qu’il le put, il poussa le violet, puis le bleu, couvrant les alentours de lueurs vertes.

    L’ombre de la main de Diane fit irruption dans les flux. Un deuxième tambourinement de cœur se propagea dans ses poignets ; ses épaules se raidirent. Moebius pressa son bracelet contre son genou et ignora l’intrusion.

    La perturbation traversa timidement les différentes couleurs, passa hors de la lumière, et revint en sens inverse.

    Moebius cessa sa démonstration et se leva. La brise de début de nuit chassa les dernières interférences. Il se rassit pour lui expliquer les bases du respect entre magiciens.

    — J’ai compris ! annonça-t-elle avec enthousiasme.

    Moebius en oublia son sermon. Elle posa la main ouverte, referma les yeux, et le halo prit des teintes vertes.

 


-°-

 

    Moebius s’adossa contre la roche, les pieds en travers du sentier. Il trouva un dernier épi de maïs pas trop sec, et le rongea grain par grain.

    Diane était tombée comme une masse, et respirait lentement à côté de lui. Au-dessus d’eux, une succession de fins nuages glissait devant les étoiles, s’étirait vers l’horizon.

    Il fit rouler un caillou du bout des orteils, vers la droite, puis vers la gauche, à plusieurs reprises.

    Restait à espérer que cette fois, maître Xavier allait se montrer. Seul, il n’aurait pas les épaules pour gérer la formation de Diane. Il y avait trop d’inconnues…

    Et il avait besoin de place pour lui, de temps pour réfléchir. Diane avait répondu d’instinct. Elle savait ce qu’elle désirait : retrouver Augustin et lui rendre son trône. Mais lui, que voulait-il ?

    Moebius avala sa bouchée de maïs un peu maladroitement. Il n’en avait aucune idée.

    Il n’avait jamais vu personne parvenir à manipuler la lumière aussi vite. Simplement en passant sa main près de la sienne pour sonder…

    Il se leva et se promena sans but le long du sentier, tapotant mécaniquement son bracelet sur sa cuisse. La plupart des nuages s’étaient éloignés vers l’est, mais la lueur de lune encore faible n’éclairait pas. À quelques pas devant lui, un oiseau nocturne s’envola dans un bruissement à peine audible.

    Par habitude, ses doigts effleurèrent la falaise, décrochant quelques pierres friables. Et si maître Xavier refusait de la former ?

    — MOEBIUS !

    Moebius fit demi-tour en courant. Il le sentait aussi. Maître Xavier.

    Collée contre la paroi, Diane se frottait les mains. Face à elle, maître Xavier l’observait, sur ses gardes.

    — Maître ! toussa-t-il. C’est moi.

    — Je sais que c’est toi, râla maître Xavier en lui jetant un de ses regards agacés.

    Le ton sec et abrupt, familier, lui fit l’effet d’une pommade sur ses coups de soleil. 

     — Mais elle, reprit le vieil homme, c’est qui ?

    Toujours contre la falaise, Diane chercha son approbation des yeux.

    Moebius opina. Rassurée, elle redressa le menton, obligeant maître Xavier à lever la tête.

    — Je suis Diane Nikte Ha, aînée du quinzième roi-jaguar, Première Lumière et Prêtresse des grottes sacrées par ma mère.

    Moebius pinça les lèvres et guetta la réaction de maître Xavier.

    — C’est bien ce que je craignais, lâcha-t-il.

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Plume de Poney
Posté le 13/08/2025
Salut!

Et voilà, la fin d'un livre c'est toujours un peu triste (sauf si c'est la fin de Thérèse Raquin que tu es obligé de lire pour l'école).
Après quand tu sais qu'il y a une suite, ça apaise, mais il y aura un temps d'attente à gérer.

Cette fin est très bien à mon goût. Pas si loin de ce que j'ai proposé pour l'épisode précédent, même si le Xavier se révèle plus bougon (et moins fort pour couler des terrasses à priori).
Ce qui est d'ailleurs très bien, ça intrigue sur le personnage, ça donne un côté léger et ça invite à lire la suite en finissant sur un bon petit cliffhanger des familles.
Qui dit cliffhanger, dit petite frustration mais rien de trop méchant je dirais, au contraire, ça marque bien la fin de cette première étape de l'aventure, la rencontre, l'élément déclencheur des problèmes, la fuite vers un espoir nouveau. Ce fameux espoir, un peu grognon, débarque, et hop on verra ça dans la suite! C'est bien joué.

Ce dernier épisode est filou car tu reboucle un peu sur Martial, sur les évènements qui ont pu se passer et le retour de bâton pour Moebius, le deuil qui prend sa place et qui va sûrement bien piquer vu qu'il devient secondaire maintenant que Xavier est là (ou du moins je ne doute pas qu'il puisse penser ça).

J'ai évidemment bien aimé la partie magie, avec la découverte du spectre lumineux, l'explication comparative avec la peinture, la diffraction... Pour faire un bilan global à ce sujet, j'aime vraiment bien ce système de magie. En tant que scientifique (de formation scientifique à tout le moins), j'aime bien que la magie repose un peu sur la logique scientifique et qu'elle soit explicable. Je suis donc bien servi, et je n'ai pas eu à redire sur l'aspect scientifique du truc ou sur la logique interne de la magie présentée!

Tu dis qu'il y a encore du boulot sur le texte en général. Alors on peut toujours essayer de s'améliorer, mais l'histoire est claire, cohérente et intéressante. On a suffisamment l'idée de vers où on va pour ne pas être perdu et de suspense pour garder la tension dramatique. Il n'y a pas d'exposition gratuite mais les infos sont distillées au fil de l'eau de manière naturelle.
Le style, pareil, on peut toujours tendre vers un idéal, mais il est clair, fluide, pas pompeux mais pas simpliste non plus. Je ne me suis jamais senti perdu, à part, peut être, parfois un doute sur qui faisait quoi, mais rapidement je m'y retrouve.

L'univers est cohérent et intéressant, original et pareil, il est décrit avec naturel. Le narrateur n'explique pas chaque détail même s'ils proviennent de la culture méso américaine qui n'est pas la plus connue par chez nous. Mais celui qui veut en savoir plus peut se renseigner à côté, et pas besoin de le faire pendant la lecture, on comprend quand même très bien ce qu'il se passe. Donc c'est bien géré et ça apporte de la culture!
Reste à modifier les noms. C'est vrai qu'actuellement ça sème le doute sur l'univers, au début tout du moins, car ça tranche entre les noms occidentaux et l'univers d'outre atlantique, on peut croire qu'on est dans un contexte de colonisation plutôt que du pré colombien, mais rien de dramatique.
Au sujet encore de l'univers, je n'ai pas l'impression que tu cache des éléments pour faire du suspense, et à la fois, à la fin de ce tome, on n'en sait pas tant que ça sur le monde, la politique, les utilisateurs de magie hors confrérie etc. Ça laisse de la place pour plein de choses pour les tomes suivants et ça c'est chouette !

Et je l'ai déjà dit, mais j'aime bien l'alternance des points de vue. C'est original et offre un vrai plus pour comprendre chacun des deux héros. D'ailleurs, je trouve que tu as un bon équilibre entre des éléments d'intrigue connus, comme les luttes de pouvoir au sein d'une monarchie, la magie, la confrérie d'assassins, un rapprochement entre deux personnes que tout semble opposer et des éléments originaux comme des persos loin des clichés, deux héros principaux (je te l'ai dit, je comprends assez bien la manière dont Moebius peut réagir, se considérer. En tant qu'anxieux, c'est bien realiste je trouve), un système de magie et de confrérie originaux...
On n'est donc pas perdu et à la fois on découvre de nouvelles choses.

Voilà donc pas trop de critiques à t'adresser. J'en suis bien navré. Mais c'est que le bilan est fort positif pour moi!
En espérant que ça puisse aider quand même et bien sûr je peux répondre à plein de questions que tu voudrais m'adresser.

See you Diane and Moebius!
Camille Octavie
Posté le 15/08/2025
Merci pour ta lecture et tous ces retours !
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