Chapitre 20 : Incertitude

Son corps pesait lourd. Lorsque Lydia ouvrit les yeux, le monde autour d’elle était flou. Elle voulut bouger ses bras, toutefois ceux-ci restaient immobiles. Nouvelle tentative, nouvel échec. Des murmures étouffés s’élevèrent près d’elle et la jeune fille eut l’impression que le poids qui l’oppressait s’était alourdi. Sa bouche s’ouvrit pour émettre une plainte, mais seul un cri silencieux traversa ses lèvres. Sa gorge était si sèche. Elle cligna plusieurs fois des paupières. Peu à peu, le voile qui était déposé sur ses yeux se retira. L’endroit où elle se trouvait se vit enfin clairement. Néanmoins, ce qui la préoccupa dans un premier temps fut Léo et un de ses collègues qui la maintenaient clouée à un lit. Elle croisa le regard de son frère qui ne cessait de la dévisager. Plusieurs secondes s’écoulèrent avant qu’un sincère soulagement détendirent ses traits.

- Tu es réveillé, Lyd ? lui demanda-t-il.

Étant incapable de dire le moindre mot, sa sœur se contenta d’un hochement de tête, mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi ils l’emprisonnaient de cette manière. Cela devenait étouffant. L’attention de Léo se porta ensuite sur son collègue qui opina du chef. Prudemment, les deux gardes retirèrent leurs mains des bras de la jeune fille.

- Vous pouvez approcher, docteur, assura le soldat. Et apportez de l’eau, mademoiselle Lydia va en avoir besoin.

Le médecin du château apparu dans le champ de vision de l’héritière. Alors que celui-ci était toujours d’humeur joyeuse, un pli soucieux traversait son visage. L’homme lui tendit un gobelet et Lydia dut se retenir pour ne pas le lui arracher des mains. Goulument, elle vida le verre d’une traite. Elle déglutit à plusieurs reprises avant de parvenir à parler à nouveau.

- Qu’est-ce… Qu’est-ce qui s’est passé ? croassa-t-elle.

Elle revoyait Hogg en sang et la salle détruite, mais impossible de faire le lien. Ce fut Léo qui prit les devants :

- Tu veux commencer par la bonne ou mauvaise nouvelle ?

Une angoisse émergea au creux du ventre de la future Grande Sage et c’est avec crainte qu’elle déclara :

- La bonne.

- Ton pouvoir a gagné en intensité.

Il marqua une pause avant de poursuivre :

- Le problème, c’est que tu as perdu le contrôle.

Le palais de la jeune fille s’assécha à nouveau et une sueur froide glissa le long de son dos.

- Comment ? demanda-t-elle dans un murmure.

La question tournait en boucle dans sa tête, pourtant elle craignait la réponse. Ce fut au collègue de Léo de prendre la relève dans les explications :

- Le capitaine Hogg fut victime d’une poussée exponentielle de votre lévitation qui l’a envoyé s’encastrer dans le mur.

Dans un premier temps, Lydia ne réagit pas à cette annonce, tout simplement, car elle n’arrivait pas à y croire. C’était impossible. Sa lévitation ne s’appliquait qu’à elle. Elle ne pouvait pas avoir blessé Hogg de cette manière. Le garde sortit l’héritière de sa torpeur en poursuivant :

- De plus, lors de votre perte de connaissance, votre pouvoir a pris une forme inédite puisque de nombreuses fois, vous avez fait bouger les objets qui vous entouraient.

Lydia reporta son attention sur son frère qui n’avait plus pipé mot depuis son annonce.

- Est-ce vrai, Léo ?

- Pourquoi crois-tu que l’on te maitrisait à ton réveil ? se contenta-t-il de répondre.

Les doigts de la jeune fille s’enfoncèrent un peu plus profondément dans le moelleux tissu de sa couverture. Elle revit le vase qui avait explosé dans sa chambre quand elle avait hurlé, la douleur, cette sensation de déchirement dans la salle d’entrainement et maintenant ses crises pendant son sommeil. Pourquoi remettre en doute la parole de son frère ? Il n’aurait aucune raison de lui mentir de la sorte. De plus, il y avait eu plusieurs témoins. Lydia ne pouvait plus nier l’évidence, elle était un danger pour son entourage. Sa respiration devint pénible. Qu’est-ce qui avait causé ce changement si brutal en elle ? Les évènements des derniers jours se faufilèrent dans son esprit. Toutefois, elle n’eut pas le temps de s’interroger davantage qu’Hogg entra dans la pièce. En le voyant si euphorique, elle aurait dû mal à croire qu’il y a peu elle l’avait envoyé dans le décor. Seul un bandage autour de sa tête rappelait l’incident. Le capitaine se campa devant l’héritière. D’un geste brusque, il s’empara des mains de la jeune fille.

- J’ai toujours su que vous aviez un grand potentiel !

La surprise d’un compliment de la part du soldat atténua quelque peu l’inquiétude qui avait envahi Lydia depuis qu’elle avait découvert la nouvelle nature de son pouvoir.

- Mais je vous ai blessé, déclara-t-elle d’une voix vacillante.

- Ce sont les risques du métier, s’exclama-t-il d’un revers de main. Il faut juste que vous appreniez à le contrôler.

La crainte de Lydia refit surface et elle trembla légèrement. Elle doutait sincèrement d’être capable de maitriser cette puissance. Il avait suffi d’un instant pour que sa lévitation lui échappe et rien ne garantissait que si cela lui arrivait à nouveau qu’Hogg survive. Sa première réaction fut se s’opposer aux propos du capitaine. Le juron que poussa Léo la sortit du tourbillon de pensée dans lequel elle s’était engluée. Elle porta son regard sur l’endroit que Léo fixait et remarqua un livre qui flottait dans les airs. Le cri de la jeune fille sembla briser le charme et l’ouvrage retomba sur l’armoire dans un bruit mat. Désormais, elle ne pouvait plus fermer les yeux. Elle reporta son attention sur le chef de la garde, un sourire presque compatissant étirait ses lèvres. Il reprit d’une voix calme :

- Je comprends votre crainte, mademoiselle, mais il est impératif que vous appreniez à maitriser ce nouveau pouvoir. Vous savez aussi bien que moi que s’il reste brut il pourrait se révéler nocif pour votre entourage, mais avant tout pour vous.

Après avoir subi des heures d’entrainement éprouvantes, Lydia trouvait Hogg bien prévenant envers elle. À l’évidence, il avait fallu qu’elle fasse ses preuves pour qu’il l’estime enfin. Toutefois, un sentiment d’amertume ne la quittait pas. Elle ignorait d’où provenait cette soudaine puissance, mais il est clair que le capitaine allait s’en octroyer tous les mérites. Pourtant, la jeune fille restait persuadée qu’il y avait autre chose qui avait causé ce revirement. Hogg poursuit :

- Nous allons reprendre vos leçons le plus rapidement possible. Je vous fais grâce de cette journée, mais demain nous devons nous y remettre. Avec les délégations étrangères qui arrivent dans trois jours, nous n’avons plus le luxe de perdre du temps.

- Comment ça trois jours, s’étonna l’héritière. Le sommet n’a lieu que la semaine prochaine.

Léo s’avança et lui avoua d’une voix incertaine :

- Tu es restée inconsciente presque quatre jours, Lyd.

Devant l’air ahuri de sa sœur, il continua en se grattant l’arrière du crâne :

- Tu as eu de la fièvre et tu délirais complètement. Tu parlais de brume et de lumière verte.

- Quoi qu’il en soit, déclara Hogg en coupant son subordonné et ainsi en lui intimant le silence. Il vous faut vous reposer, mademoiselle Lydia. Profitez de cette journée pour récupérer et je vous retrouve demain pour notre leçon.

Il se tourna vers Léo et son collègue.

- Léo, Johan, vous venez avec moi. J’ai à vous parler.

Après un rapide salut, le capitaine quitta la pièce sans un regard en arrière, suivit de près par le dénommé Johan ainsi que du frère de Lydia qui d’un signe de main prit congé, laissant, la jeune fille plus incertaine que jamais.