Couchée par terre, je contemple le ciel sans bouger. Les nuages défilent au-dessus de nous, mais le soleil prédomine. Je peux sentir sa chaleur sur ma peau. Ce que cela m’avait tellement manqué pendant ma période à la base. Mes yeux se ferment et je profite de ce moment de paix. Il faut dire que depuis qu’Andy m’a proposé de s’entrainer avec lui, je n’ai pas arrêté. Nous avons enchaîné les combats jusqu’à midi. Le temps d’engloutir notre ration de nourriture, nous avons ensuite poursuivi une bonne partie de l’après-midi. Je sais que je devrais économiser mes forces, mais cela faisait une éternité que je ne m’étais pas sentie aussi bien. Je m’étire pour détendre mes muscles quelque peu ankylosés. Entre les moments de concentration et les fous rires suite à de nombreuses gamelles, je n’ai pas vu le temps passer. Cet entrainement n’avait rien avoir avec ceux que j’ai connu avec Elena et Anna et honnêtement je ne m’en plains pas. Mes paupières se rouvrent et je me redresse en position assise. Mon regard se porte sur la personne vautrée à côté de moi. Avec ses yeux clos et son immobilité, j’ai l’impression qu’Andy s’est endormi. J’ignore pourquoi, il me rappelle Liam. Lui aussi m’avait tout de suite mise à l’aise par sa présence. Je croise mes bras sur mes genoux et cale mon menton dessus. J’ai beau essayer de contenir ce sentiment, je ne peux que constater que mon ami me manque, mais surtout, je suis inquiète. Maintenant que je sais de quoi l’armée est capable, je crains à tout instant qu’il soit démasqué et il est aisé de deviner quel sort on lui réservera. Torture et puis la mort ou alors en tant qu’ancien cobaye, torture, section médicale et puis la mort. Rien que d’y penser, mon estomac se serre. Liam ne survivra pas dans un cas comme dans l’autre. J’expire lentement pour calmer les battements de mon cœur qui sont soudainement emballés à cette idée. Pourquoi est-ce que je panique ? Depuis sept ans que Liam est à la base, il n’a jamais été démasqué. Il n’y a aucune raison pour qu’il le soit maintenant. Je suis persuadée qu’il sera prudent. Je dois lui faire confiance. Je n’ai qu’une envie, le revoir. Peu importe le temps, je ferai tout pour que la promesse de nos retrouvailles se réalise. Alors, je t’en prie, Liam, tâche de rester en vie. Nous nous retrouvons.
Comme s’il sentait qu’il était observé, Andy ouvre les yeux et croise mon regard une fraction de seconde avant que je détourne la tête gênée d’avoir été prise sur le fait. Un sourire amusé apparait sur ses lèvres.
- Aucune raison de rougir, Isis, s’esclaffe-t-il. J’adore quand une aussi jolie fille que toi me fixe en cachette.
Mon poing lui donne une bourrade dans le bras.
- Ne va pas t’imaginer n’importe quoi, le repoussé-je. Tu n’es pas mon genre.
Ses lèvres font une moue boudeuse exagérée.
- Je suis vexé. Comment peux-tu être à ce point cruelle avec moi ?
Il se redresse à son tour.
- Et sinon, c’est quoi ton genre ? me demande-t-il avec sérieux.
Le visage de Liam m’apparait aussitôt. Je me dépêche de l’ignorer et réponds la première stupidité qui me vient à l’esprit pour passer à autre chose :
- Pourquoi, ça t’intéresse ?
Je regrette immédiatement mes propos. Son sourire charmeur s’élargit.
- Peut-être, murmure-t-il.
Je le contemple, incrédule, incapable de sortir quoi que ce soit de cohérent. Mon interlocuteur explose soudain dans un fou rire monumental.
- Si tu voyais ta tête, Isis ! s’exclame-t-il entre deux hoquets. Bien sûr que je rigole ! Ce n’est rien contre toi, mais les coups de foudre, très peu pour moi.
- Idiot ! m’écrié-je, furieuse de m’être fait avoir de la sorte.
- Je reconnais que c’était de mauvais goût, mais c’était trop tentant. Après, je n’y peux rien si tu es trop naïve, me dit-il pas le moins du monde désolé avant de rajouter en reprenant son souffle. Et si cela peut te rassurer, mon cœur appartient déjà à quelqu’un.
La curiosité est trop forte pour que je passe à côté d’un aveu pareil.
- Et c’est qui ?
- Mêle-toi de tes oignons, miss, me rabroue-t-il sans délicatesse, puis déclare catégorique en me voyant ouvrir la bouche. De toute façon, tu ne connais pas cette personne, alors inutile d’insister.
Je me tais face à ce dernier argument. Le rebelle retrouve sa position couchée. Nous restons là sans bouger pendant un moment à observer l’activité du camp. C’est finalement Andy qui reprend la parole.
- Dis-moi, Isis, est-ce que je peux te poser une question ?
- Si c’est encore pour me sortir n’importe quoi, passe ton chemin.
Il rit.
- T’inquiètes, je vais te laisser en paix avec ça. Non, cela concerne autre chose.
- Vas-y, l’invité-je, intriguée par sa requête.
Son expression se fait plus grave.
- Ne te sens pas obliger de répondre, commence-t-il hésitant. Mais j’aimerais savoir, c’était comment ta vie d’aide de camp parmi les militaires ?
Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’interroge sur ce sujet et pendant un instant, je me trouve dans l’incapacité de dire quoi que ce soit. C’est bien le premier rebelle qui aborde ça de front avec moi. J’ignore pourquoi, mais un certain soulagement me gagne. Depuis mon arrivée, je n’en ai discuté avec personne et je dois avouer que ce silence me pèse. Ce n’est pas que je ne veux pas en parler, mais il me suffit de voir comment les membres du camp rebelle se comportent avec moi pour m’en couper toute envie. On me juge, on m’estime chanceuse, mais au fond, on me jalouse. On jalouse le sort que le hasard m’a donné. Alors oui, il y a certaines exceptions comme Madeleine ou Anna, toutefois je peux sentir qu’il persiste tout de même une certaine distance entre nous. Je ne devrais pas, mais je leur en veux de me juger de la sorte et pourtant cette animosité de ma part est plus que mal placée, car moi-même je n’ai jamais décidé à franchir la barrière qui semblait nous séparer. Je remercie sincèrement Andy d’enfin briser la glace.
- Qu’est-ce que tu aimerais savoir ? m’enquiers-je.
- Ce que tu accepteras de me raconter. Quand j’étais dans la section, je me suis toujours demandé comment c’était de l’autre côté.
- Tu es resté longtemps là-bas ?
Son regard s’assombrit.
- J’ignore exactement combien de temps, mais cela n’a pas dépassé les trois mois. Comparé à d’autres comme Anna qui ont survécu près de deux ans dans cet enfer, on peut dire que j’ai été chanceux. Toutefois, ne va pas croire que j’ai été épargné.
Il tire légèrement sur le col de son t-shirt et j’y retrouve les blessures propres au cobaye. Les mots sortent tout seul.
- C’est la même que celle de Liam.
Les yeux d’Andy se mettent à briller à l’évocation du capitaine. Il se penche en avant et me fait signe de l’imiter.
- Par Liam, tu veux dire George ? murmure-t-il.
J’ai beau savoir que Liam n’est qu’un prénom d’emprunt, je n’arrive toujours pas à désigner mon ami par son vrai prénom.
- Oui, mais pourquoi on doit échanger de cette manière ? m’étonné-je.
- Peu de personnes sont au courant du rôle qu’il occupe au sein de la base. Tim craint les espions, donc je te conseille d’éviter de parler de lui à voix haute.
- Mais tu le connais toi ? relevé-je.
Un sourire triste se dessine sur sa bouche.
- C’est grâce à lui que j’ai pu survivre et m’évader de la section il y a environ neuf ans. Depuis, je le considère comme mon frère.
Je ne parviens pas à retenir la question qui me brule les lèvres. Je vais enfin peut-être en savoir plus sur les méthodes dont usent les rebelles.
- Comment avez-vous fait ?
- Raid classique, se contente-t-il de répondre, puis comprenant que j’ignore le procédé, précise. On entre par effraction avec l’aide d’un de nos membres infiltrés et on en sauve le plus possible. Pour ce qui est de mon évasion, je suis bien incapable de te relater les évènements exacts, juste ce que l’on m’a raconté. Ce jour-là, j’avais subi une expérience particulièrement pénible et j’étais inconscient. Malgré la fatigue et la douleur, George a refusé de m’abandonner et m’a porté sur son dos.
Je fronce les sourcils.
- Les rebelles ne pouvaient pas s’occuper de toi ?
- Ne leur en veut pas, mais parfois il faut faire des choix. Impossible de s’encombrer d’un poids mort et de se battre en même temps si jamais on est repéré. La plupart des personnes qui sortent de la base sont trop faibles. Marcher est déjà pénible, alors avec quelqu’un en plus, c’est infaisable. Quoi qu’il en soit, c’est à lui que je dois la vie.
J’éprouve un certain malaise en entendant ses propos. Enfin de compte, les rebelles restent des humains, ils ne sont pas parfaits. Pourtant, je leur suis infiniment reconnaissante de m’avoir accueillie dans leurs rangs. J’ignore ce que j’aurais fait sans eux. Probablement envoyé dans la section médicale à la suite de la trahison de mon ancienne supérieure. Andy me sort de ma torpeur en reprenant la parole :
- J’aimerais que tu me dises, Isis. Comment va-t-il ?
Son ton est presque suppliant. Je comprends directement qu’il parle de Liam, enfin de George. Je retiens un cri de frustration. Je ne sais plus où j’en suis avec toutes ces identités. Je porte mon attention sur mon interlocuteur qui est suspendu à mes lèvres, le regard rempli d’espoir. Je désirerais tant lui donner de bonnes nouvelles, mais ce serait lui mentir, ce que je ne souhaite pas.
- Ça peut aller, toutefois sa maladie le fait beaucoup souffrir.
L’inquiétude apparait dans les prunelles d’Andy.
- Quelle intensité ?
- Je l’ignore, soupiré-je. Il m’a simplement appris que la douleur est toujours présente. La crise qu’il a eue était plutôt violente.
Les sourcils du jeune homme se froncèrent subitement.
- Une crise ? Quelle crise ? s’étonne-t-il. Il ne nous a rien dit.
- Il y a une dizaine de jours, il s’est effondré devant moi, l’informé-je. C’est d’ailleurs à partir de là qu’il m’a avoué être un espion à votre service.
- Symptômes ? me demande mécaniquement le rebelle.
- Spasmes et maux à la poitrine. Il ne s’est calmé qu’après s’être injecté de la morphine.
- Pas d’évanouissement alors ?
- Pas cette fois-là en tout cas.
Mon interlocuteur a beau se détendre, je ressens tout de même en lui une certaine contrariété alors qu’il porte son pouce à sa bouche pour le mordiller.
- Idiot, marmonne-t-il, furieux. À quoi cela te sert-il de nous mentir ?
- Andy, l’appelé-je.
Il relève la tête et revient à moi.
- Désolé, j’étais dans mes pensées. Dis-moi, tu en as parlé à quelqu’un.
- Non, tu es le premier.
- On ira chez Tim ce soir, m’informe-t-il. Il a dû s’absenter cet après-midi et ne devrait pas tarder à rentrer.
- Pourquoi ?
- George ne nous a jamais mentionnés ses crises dans ses rapports et mieux vaut en référer au chef avant que la situation ne devienne tragique.
- Dans quel sens ?
Il me jette un regard surpris avant de grimacer.
- J’oubliais que tu n’en souffrais pas, s’excuse-t-il. Sans entrer dans les détails, disons que le Projet cause en nous des dégénérescences. Inutile de me demander des précisions, je sais simplement que cela varie d’une personne à une autre. Cependant, s’il y a bien une chose qui est commune, c’est que notre état ne cesse de s’aggraver, réduisant peu à peu notre autonomie. Pour certains, cela prend des années, pour d’autres seulement quelques mois. On avait justement choisi George pour cette mission, car il avait peu de symptômes visibles et qu’il était plutôt résistant à la maladie. Toutefois, en t’entendant, il ne serait pas étonnant qu’il arrive bientôt à un point où il ne pourra plus se cacher, mais borné comme il est, il refusera d’entendre raison.
L’angoisse que j’avais réussi à apaiser refait surface lorsque j’assimile les paroles de Andy. J’ai peut-être finalement tous les motifs du monde d’être préoccupé par la situation du capitaine. Je secoue la tête comme pour me remettre les idées en place. Il faut que je me reprenne. Si je ne lui fais pas confiance, qui le fera. Délicatement, je pose ma main sur le bras de mon interlocuteur.
- Je suis persuadée que Lia… George doit savoir ce qu’il fait. Il m’a montré à plusieurs reprises de quoi il était capable. Nous devons croire en lui. Il a besoin de notre soutien, déclaré-je d’une voix que j’espère forte.
Un sourire amer étire ses lèvres.
- Pour sûr que je lui fais confiance, toutefois je n’aime pas l’idée qu’il nous cache des informations pareilles.
Il tapote maladroitement mes doigts.
- Malgré ça, je te remercie pour ton aide, Isis. Je n’ai que très peu de nouvelles de lui et en avoir me fait très plaisir.
- Je suis désolée qu’elles ne soient pas bonnes.
- Tu n’as pas à t’excuser. C’est déjà beaucoup, me rassure-t-il.
Il a beau dire, je regrette tellement. Un silence s’installe entre nous, avant qu’Andy ne le brise à nouveau hésitant :
- Et donc, tu étais d’accord de me raconter ta vie dans la base ?
Il revient à notre sujet premier. Je suis plutôt contente qu’il insiste.
- Je n’y vois pas d’inconvénient, mais cela risque d’être long, avoué-je.
- Aucun problème, j’ai tout mon temps.
Je lui souris en l’entendant tandis que la gratitude m’envahit. Je m’accorde un instant pour structurer mes propos dans ma tête et après une courte inspiration, je me lance dans mon récit.
On sent Isis plus détendue, plus en confiance. C'est bien, on peux clairement noter la différence entre l'endroit où elle était contre son gré et là où elle est maintenant. J'apprécie aussi le fait que tu rendent les rebelles imparfaits et faillibles quant à leur mission qui consiste à sauver les cobayes.
En ce qui concerne les rebelles, je ne voulais pas en faire un groupe tout blanc, mais avec davantage de nuances. Quant à Isis, même si ce n'est pas la vie qu'elle souhaite, elle se sent clairement mieux chez les rebelles que dans la base.
J'espère que la suite te plaira. Le prochain chapitre est en cours de rédaction, mais j'ignore quand il sera publié. Je suis en train de corriger certains passages des chapitres précédents pour donner plus de profondeur aux pensées des personnages et une meilleure visibilité dans l'ambiance du camp rebelle. Je te tiens au courant. En tout cas, merci de continuer à lire cette histoire, cela me fait tellement plaisir ! :-)