Jean se réveilla en sursaut. Il se sentait lourd, hébété et il ne se souvenait même pas de s’être endormi la veille au soir. Il s’étira de tout son long. Il jeta un œil autour de lui, Roland, Lucie et Rafael dormait encore à poings fermés mais Mathilde et Reuel manquait à l’appel.
Il s’étira de tout son long en baillant. Il avait le plus grand mal à se réveiller alors que la lueur du jour perçait entre les planches du toit. Il s’assit avec la drôle d’impression qu’il était en train d’oublier quelque chose. Il se concentra sur la soirée de la veille, les yeux plissés.
Soudain, tout lui revint. Les démons, la lettre, le couronnement et l’heure à laquelle Rafael devait se rendre pour que la population de Bal soit épargnée. Il sauta sur ses pieds et secoua ses camarades avec force :
- Debout ! Allez debout ! Hurla-t-il.
- Que se passe-t-il, grogna Roland en se frottant les yeux.
- Le couronnement, vociféra Jean ! On va le rater. Et Reuel et Mathilde ne sont pas la.
A ces mots, Rafael sauta sur ses pieds. Bien qu’il avait l’air lui aussi d’avoir le plus grand mal à remettre ses idées en place, la concentration se lisait sur son visage.
- Cela fait longtemps qu’ils ne sont plus la ? Questionna-t-il visiblement angoissé.
- Je ne sais pas, répondit Jean sur un ton d’excuse, je viens à peine de me réveiller.
- Ils sont sûrement en bas en train de manger, proposa Lucie qui se levait avec peine en se frottant le bras droit toujours bandé.
- Je ne pense pas, affirma Rafael qui déjà rangeait leurs affaires à la vite. Dépéchez-vous et prenez vos armes !
- Hein ? Que se passe-t-il à la fin ? Interrogea Roland en faisant de gros effort pour se réveiller.
- Je crois que Reuel et Mathilde sont partis au couronnement sans nous, déclara Rafael en glissant son sac en cuir en bandoulière. Je ne sais pas ce qu’ils comptent faire mais on doit y aller ! Maintenant !
Ce fut comme un coup de massue. Jean, Roland et Lucie s’activèrent en quelques minutes, tous furent prés, capuchons sur la tête et armes aux côtés. Jean craignait le pire, mais il s’obligea à se concentrer sur l’instant présent et à suivre les autres qui déjà sortaient de l’auberge.
Ils se lancèrent au pas de course dans les rues désertes, essayant tant bien que mal de prendre le chemin le plus rapide vers la cathédrale de Bal.
Le ciel était gris, étouffant, et une légère bruine tombait paresseusement sur les rues trempées. A part le bruit fin de la pluie et du vent, la ville était était plongée dans un silence de mort. Jean entendait parfois des clameur provenant de la grande place et il espérait de tout son cœur qu’il n’était pas trop tard.
Alors qu’ils arrivèrent au abords de la grande place, ils tombèrent sur une foule immense débordant sur les rues adjacentes. Les habitants étaient partout, dans la rue, monté sur des caisses, des tonneaux, certains se poussaient aux fenêtres alors que d’autres encore était perchés sur les toits ou les chariots abandonnés sur la route.
Ils tentèrent tant bien que mal de se frayer un chemin au milieu de cette marée humaine compact en jouant des coudes et ils s’attirèrent plusieurs fois des grognements et des regards méprisants mais ils continuèrent d’avancer. De temps à autre, la foule acclamait et applaudissait mais même si ils avaient réussi à se faufiler sur la grande place, Jean ne voyait rien de ce qui se passait.
- Nous devrions essayer de monter sur le socle de la statue, déclara Rafael en se penchant vers eux. De la on aura une chance de voir quelque chose.
Tous acquiescèrent et se remirent en route au milieu de la foule en délire, complètement hypnotisée par ce qui semblait être le discours de la reine. Ils avançaient avec difficulté, faisant face à un véritable mur et pour ne rien arranger la pluie se mit à tomber dru et le grondement du tonner se fit de plus en plus menaçant.
Soudain le comportement des gens autour de Jean changea du tout au tout. Ce n’était plus des cris de joies que Jean entendait mais des huées et des insultes crachés avec force et mépris. Il échangea un regard avec Rafael et lut l’angoisse sur son visage. Ils forcèrent le pas, bousculant à moitié les gens autour d’eux, insensible à leur cris de rage et leur air menaçant.
Ils arrivèrent enfin à la statue sous un véritable déluge de noms d’oiseaux et de gouttes d’une taille impressionnante. Ils se firent tout les quatre la courte-échelle et grimpèrent sur le socle ou déjà de nombreux habitants s’étaient hissés.
- Quelqu’un voit quelque chose, demanda Lucie la main en visière pour se protéger de la pluie.
- Rien du tout, pourquoi est-ce qu’ils crient tous ? Interrogea Roland ses cheveux roux collés contre ses yeux.
- La bas ! Cria Rafael en pointant une direction du doigt.
Jean plissa les yeux et comprit la provenance des hués. Une dizaine de soldats en armure menaient un homme enchaînés au milieu de la foule.
- Qui c’est ? Hurla Roland pour se faire entendre.
- C’est Reuel, marmonna Jean plus pour lui même qu’autre chose.
Il ne voyait pas bien mais il en était sur et certain. Il ne savait pas comment c’était possible mais ses tripes le lui hurlaient. C’était bien Reuel !
- Mais qui c’est bon sang ? Vociféra Roland une nouvelle fois.
Un éclair blanc jaillit en plein milieu de la place qui obligea Jean à fermer les yeux. Presque instantanément un grondement à la force surhumaine se fit entendre et Jean se couvrit les oreilles en battant des paupières pour retrouver la vue. Il sentit tout son corps vibrer ainsi que la marbre de la statue sous sa main.
Quand il rouvrit les yeux, Reuel ne se trouvait plus au milieu des gardes. Le regard de Jean fut attiré par du mouvement sur l’estrade. Jean discerna plusieurs formes s’effondrer. Alors qu’il tentait de repérer Reuel au milieu de toute cette agitation, des hurlements terribles retentirent un peu partout autour de lui.
Jean tourna la tête et se rendit compte que de nombreux habitants tombaient à terre, secoués de tremblements. La pluie tombait avec une force inouïe couvrant les hurlements qui arrivaient de toute part à ses oreilles. Au pied du socle de la statue, une vielle femme prise de convulsion se mit soudain à enfler et sa peau devint grisâtre puis d’un noir d’encre.
- Ho mon dieu, ils se transforment ! Hurla Lucie en tirant son épée.
- Le cardinal a du mettre ses menaces à exécution, lança Jean avant de l’imiter. Il faut partir et vite !
Roland et Lucie acquiescèrent mais Rafael ne bougea pas.
- Rafael on doit y aller tout de….
La fin de la phrase de Lucie se perdit lorsqu’une bête noir se jeta sur elle et la projeta contre le socle de marbre de la statue.
- NON ! Cria Jean en se jetant en avant. Il abattit sa lame sur la gueule du monstre avec toute la violence dont il était capable. La bête chancela mais ne tomba pas. Jean tira sur son épée mais celle-ci resta coincé dans la chair noire de la créature. Il réussit finalement à l’en retirer et recula sous le nouvelle assaut. Roland déboula à ses côtés et d’un coup d’épaule magistral envoya la bête valdinguer au pied de la statue plusieurs mètres plus bas.
Jean se tourna vers Lucie, une douleur insoutenable dans la poitrine. Quand il s’approcha d’elle, elle se relevait déjà, haletante. Soulagé, Jean se précipita à son secours.
- Ça va tu n’as rien ? Demanda-t-il en l’aidant à se relever avec précaution.
- Non c’est bon, souffla Lucie. J’ai juste eu la respiration coupée.
Alors que Lucie reprenait son souffle, Roland les appela en désignant la place :
- C’est le chaos, on ne pourra jamais s’échapper !
La pluie s’était arrêtée mais la place était devenue un véritable champs de batailles. Des dizaines, des centaines de personnes s’étaient changées en monstres noirs, répandant leur bave jaunâtre et leur puanteurs autour d’eux. Des habitants couraient dans tout les sens, essayant de fuir cette marée noire et mortelle. Certains essayaient désespérément de grimper ou ils le pouvaient pour échapper aux créatures, d’autres encore renversaient des chariots pour tenter d’endiguer la progression des monstres.
Des vision d’horreurs se déroulaient sous les yeux abasourdis de Jean. Des vieillards incapable de marcher quelques minutes plus tôt se relevaient maintenant métamorphosés et attaquaient quinconce passaient trop prés d’eux avec leurs dents acérés. Des mères déformées dans leurs robes déchirées se jetaient sur leurs enfants complètement tétanisés et s’égosillant de leur voix suraigus.
Ils devaient faire quelque chose. Jean ne pouvait rester les bras croisés devant toute cette atrocité. Sans vraiment savoir pourquoi Jean eu le sentiment qu’il avait besoin de Rafael pour stopper ce carnage. Son instinct lui dictait de le sortir de sa torpeur. Rafael n’avait toujours pas bougé et semblait avoir perdu toute capacité à réfléchir. Seule ses yeux restaient braqués sur un point plus loin sur la place. Jean comprit en suivant son regard.
Prés de l’estrade, Reuel se battait comme un diable face à une véritable armée de monstres. Une énorme masse noire se mouvait à sa suite et ne le lâchait pas d’une semelle. Jean se rendit compte tout de suite que quelque chose n’allait pas. Il avait déjà vu Reuel se battre et la différence était frappante. De toute évidence, il était moins rapide que d’habitude et bougeait avec beaucoup moins d’aisance, tombant parfois et se relevant in-extremis avant qu’une gueule aux crocs acérés se referme sur lui. Même d’ici, Jean pouvait voir la quantité de sang impressionnante qui tachait ses vêtements mais malgré tout, il devait réussir à faire bouger Rafael.
Lucie et Roland aidaient les habitants à grimper sur le socle de la statue sans prendre une seconde de répit. C’était à lui de faire revenir Rafael à la raison.
Jean se planta devant Rafael, obstruant la vue sur son frère et le secoua par les épaules :
- RAFAEL ON A BESOIN DE TOI ! Lui hurla-t-il au visage.
Rafael ne sembla pas l’entendre et tenta vainement de se dégager de son étreinte.
- REGARDES ! Cria Jean en lui montrant l’autre côté de la place ou le carnage continuait. DES MILLIERS DE GENS SONT EN TRAIN DE MOURIR !
Rafael daigna enfin poser son regard sur la place en contrebas. Ses yeux balayèrent le pavé ou se déroulaient des atrocités insoutenables, ne semblant pas comprendre ce qu’ils voyaient.
- Rafael fais quelque chose, supplia Jean la vision brouillée par les larmes qui lui montaient. Rafael, sauves les, je t’en prie !
Soudain une étincelle s’alluma dans les yeux noisettes de Rafael. Puis ce fut un véritable feu qui brûla derrière ses pupilles. Pas de doute Rafael avait bien retrouvé la raison et Jean crut même lire sur son visage un sourire reconnaissant.
Sans dire un mot, Rafael poussa gentiment Jean sur le côté et se posta au bord du socle de la statue. Pendant plusieurs secondes il se contenta de regarder le massacre en contrebas et rien ne se passa. Soudain comme pris de rage, Rafael poussa un cri démentiel. Il se contorsionna en arrière, le visage déformé par la douleur, les yeux vides. Jean pensa d’abord qu’il s’était remis à pleuvoir mais il ne sentit aucune goutte sur sa tête. Il voyait d’innombrables filets de matières noires s’élever dans les airs au dessus de la place et se diriger lentement vers eux. Il scruta la place avec attention. Les bêtes noires s’étaient arrêtées. Toutes sans exception étaient tombés au sol, prises de tremblements.
Une matière noire à l’air visqueuse s’échappait de chacune d’entre elle en mince filets comme aspirée par une force invisible. Jean suivit leur trajectoire des yeux et il se rendit compte avec effroi que ces innombrables formes noires entraient directement dans le corps de Rafael.
- Il… Il est en train d’absorber toute la rage noire ? Demanda Roland l’air complètement paniqué.
- Je crois bien, répondit Jean en n’osant pas bouger d’un pouce.
- Je croyais qu’il ne pouvait pas absorber la rage noire une fois que la personne s’était transformée, bégaya Roland dont la peur se lisait sur le visage.
- Moi aussi, avoua Jean à demi-mot. Je ne comprends rien.
- Mais si il absorbe toute la Rage noire des gens sur la grande place, il va mourir, se lamenta Lucie la voix tremblante.
Jean jeta un regard autour de lui. Le ciel au dessus d‘eux était maintenant recouvert d’une multitude de filets noirs toujours plus nombreux pareil à une gigantesque toile d’araignée au dessus de leur tête avec Rafael pour centre.
- Il est en train d’absorber la Rage noire présente dans toute la ville, commenta Jean en désignant la matière visqueuse qui arrivait des rues adjacentes et de plus loin encore.
Lucie et Roland levèrent tout deux des yeux ébahis vers la masse noire qui se mouvait comme par magie dans les airs mais aucun d’eux ne parla. Sur la place, les monstres noirs se transformaient dans l’autre sens. Ils rapetissaient et reprenaient peu à peu forme humaine. Les habitants avaient arrêtés de fuir et au contraire revenaient maintenant en courant au chevet de ceux allongés au sol. En quelques minutes, la place fut rempli de vie et les habitants organisèrent la prise en charge des blessés les plus graves et rassemblèrent dans différents endroit tout ceux encore vivants.
Rafael debout et les bras en croix ne donnait pas signe de vie. De la matière noire arrivait en quantité toujours plus grande des quatre coins de Bal et entrait directement dans sa poitrine. Jean mortifié, ne voulait pas penser aux conséquences. Rafael ne pouvait pas survivre après avoir absorbé une telle quantité de Rage noire et il le savait. Comme Roland et Lucie, il se contentait d’observer le mouvement en contrebas et de jeter de temps à autres des regards désespérés vers Rafael.
Cela parut à Jean un temps interminable, mais au bout d’un petit moment, le ciel fut vidé de toute matière noire et la dernière goutte se posa sur le torse de Rafael. Jean se précipita à son secours quand celui-ci tomba à la renverse. Contre toute attente Rafael était conscient et il s’adressa à Jean dans un murmure à peine audible.
- Reuel… Emmenez moi à Reuel.
Rafael était d’une pâleur effrayante, Jean ne pouvait pas en être sur mais il avait l’air d’avoir perdu du poids. Jean appela Lucie et Roland à la rescousse et faire descendre Rafael du socle de la statue ne fut pas une mince affaire et celui-ci perdit connaissance.
- Il ne va pas tenir longtemps à ce rythme la, s’alarma Roland qui avait prit Rafael dans ses bras.
- Il risque sûrement de se transformer à tout moment, rappela Jean qui ne quittait pas Rafael des yeux à l’affût du moindre changement. Que va-t-on faire si il se transforme on ne pourras pas lutter.
- On verra le moment venu, coupa Lucie d’une voix déterminée. Il vient de sauver des milliers de personnes. Il veut voir Reuel, nous lui devons au moins ça.
Jean était bien d’accord avec Lucie et il culpabilisait de voir Rafael comme une menace, mais il en était bel et bien une. Si il se transformait après avoir absorbé autant de Rage noire, Jean ne donnait pas chère de leur peaux.
Ils traversèrent la place aux pavés trempés d’un mélange de pluie , de sang et de matière noirâtre, slalomant entre les habitants recroquevillés au sol et les corps sans vie. Des dizaines de personnes couraient dans tout les sens, armés de sceaux remplis d’eau, de linges et portaient secours aux rescapés. Personne ne fit attention à eux au milieu de toute cette animation et ils se dirigèrent vers l’estrade à l’autre bout de la grande place.
A la grande surprise de Jean, il n’y avait plus aucune trace de la reine ni des soldats, pas même un membre de l’ordre du feu. Tous avaient du fuir lâchement dés les premières transformations. Jean qui ouvrait la marche, dénombra un grand nombre de cadavres de monstres noirs. Reuel devait se trouver quelque part dans le coin, lui seul pouvait causer un tel carnage.
Après quelques minutes à déambuler au milieu des créatures, Jean se rendit compte que les autres ne le suivaient plus. Il se retourna et trouva Lucie à une dizaine de mètres, immobile et dos à lui. Jean la rejoignit, craignant de savoir pourquoi elle s’était arrêté, il courut presque.
Quand il fut à la hauteur de Lucie, il écarquilla les yeux et sentit son cœur faire un raté. Mathilde se trouvait la, à genoux, la tête de Reuel dans son giron. Elle pleurait à grosse gouttes sans pouvoir s’arrêter, sa main caressant avec tendresse le crane rasé de Reuel ou hier encore se trouvaient ses magnifiques boucles blondes. Celui-ci avait les yeux clos et l’air serein, Jean ne se souvenait pas d’avoir déjà vu le visage de Reuel aussi détendu. Son corps était couvert sang et Jean pouvait voir sur ses bras nus des dizaines de marques de morsure. Sa tunique était déchirée laissant apparaître un trou béant et sanguinolent entre ses côtes brisées. D’innombrables coupures lui parcouraient le corps et Jean sentit son cœur se serrer quand Mathilde s’adressa à lui d’un ton suppliant :
- Reuel, Reuel réveilles toi s’il te plaît !
A l’écoute de la voix de Mathilde, Reuel ouvrit les yeux très lentement et l’inquiétude passa sur son visage quand il aperçut son frère dans les bras de Roland.
- Il...Il va bien ? Questionna Reuel dans un murmure.
Pour toute réponse, Roland déposa Rafael aux côtés de son frère et se mit à pleurer à chaude larmes, accroupi prés de lui. Rafael probablement mu par la présence de son frère ou les hoquets bruyants de Roland se réveilla. Il posa ses yeux sur le visage de son frère qui rasé de la sorte ressemblait trait pour trait au sien. Jean n’arrivât pas à déchiffrer ce qui se passait dans la tête de Rafael à ce moment précis mais celui-ci se rua sur son frère et prit son visage entre ses mains :
- Reuel, tu es vivant ! S’exclama-t-il.
- Plus pour très longtemps je pense, répondit celui-ci dans un souffle. Mais mon plan a fonctionné, le cardinal Auguste est mort. Il ne vous reste plus qu’un démon à tuer.
- Peu importe ! s’emporta Rafael désespéré. On va t’emmener dans un endroit sur et on va te soigner.
Rafael tendit ses bras pour soulever son frère mais celui-ci arrêta son geste en lui attrapant la main :
- Rafael, c’est fini. Ne sois pas triste. J’ai beaucoup de sang sur les mains moi aussi, ma mort n’est que justice.
A ces mots Rafael se jeta sur le corps de son frère et le prit dans ses bras. Son corps était parcouru de violent tremblements et Jean pouvait entendre les sanglots étouffés de Rafael, la tête enfouie contre le torse de son frère. Reuel rendit avec peine l’étreinte à son frère et ferma les yeux. Un sourire se dessina lentement sur son visage et quelques instants plus tard, ses bras retombèrent sur le sol boueux, sans vie.
Jean mis plusieurs secondes à réaliser ce qu’il venait de se passer. Même si le corps de Reuel était la sous ses yeux, il ne pouvait concevoir ce qu’il voyait. Reuel ne pouvait pas être mort, il était trop fort, trop rapide, personne ne pouvait le vaincre. Il allait se réveiller d’ici quelques minutes et retrouver son impassibilité à toute épreuve.
Pourtant plusieurs secondes passèrent et Reuel ne rouvrit pas les yeux. Jean sentit la main de Lucie se saisir de la sienne et il la serra avec force. Autour de lui, tout le monde pleurait et Lucie sanglotait silencieusement, le front appuyé contre son épaule.
- Laissez moi seul avec lui.
Plus aucune larme ne coulait des grands yeux noisettes de Rafael et il leur lança à tous un regard patient mais décidé.
Mathilde se leva la première, elle déposa la tête de Reuel sur le sol avec délicatesse, posa la paume de sa main sur son front d’un geste affectueux puis s’éloigna, suivit de prés par Roland et Lucie. Jean resta planté la à fixer les deux frères avec tristesse. Il croisa le regard de Rafael qui hocha légèrement la tête.
Il n’ y avait rien à dire, rien à faire. Jean partit à la suite des autres qui s’étaient rassemblés un peu plus loin. Le groupe était dévasté et ils restèrent un moment assis sur le pavé en silence.
- Vous croyez que ça va aller ? Demanda Jean qui ne cessait de s’inquiéter que Rafael ne se transforme.
- Il faut lui faire confiance, préconisa Lucie d’une voix douce. On n’a pas d’autres choix.
Roland acquiesça vivement et Jean n’insista pas.
- J’ai quelque chose à vous montrer, annonça Mathilde, les yeux et le visage rougis d’avoir trop pleurer. Mais je vous préviens ça risque de ne pas être agréable.
Que pouvait il bien arriver d’autre ? Jean ne comprenait pas pourquoi Mathilde leur disait cela mais tout comme les autres, il suivit Mathilde avec une certaine appréhension. Ils grimpèrent sur l’estrade par un petit escalier sur le côté et se glissèrent sous le chapiteau ou s’était tenu la cérémonie un peu plus tôt.
Mathilde les guida à travers les nombreux corps et elle s’arrêta tout prés de grandes chaise incrustées de pierre précieuses. Elle désigna une forme tout prés d’un des sièges brodés d’or et Jean sursauta.
Jean reconnut le corps du cardinal Auguste étendu sur le sol. La tête était séparée du reste et gisait un peu plus loin. Ses grands yeux de glaces étaient ouvert et semblaient figés dans une expression de surprise qui n’allait pas du tout avec le reste de son visage dur et froid. Même si Jean savait que plus aucune lueur ne vivaient derrières ces deux immensités bleues, il fut gêné par quelque chose de malsain et détourna bien vite le regard.
Mathilde fit quelques pas sur le côté et leur fit un signe pour désigner autre chose. Cette fois-ci le choc fut bien plus terrible. Même si le corps était face contre terre, Jean reconnut tout de suite les longs cheveux blonds et la silhouette chétive qu’il connaissait si bien. Malgré tout ce qu’il avait fait, malgré qu’il les ait trahis, Jean ne pus s’empêcher de s’accroupir prés de Guigues.
Lentement et avec grandes précautions, Jean retourna son ami et l’étendit sur le sol. Il prit ses mains dans les siennes et contempla son visage d’une blancheur immaculé. De nombreuses images défilèrent dans son esprit. Il revit Guigues cinq ans auparavant la première fois qu’il l’avait croisé, il revit le village d’Oulmes, les cours de lecture qu’il lui donnait, les discussions jusqu’à tard dans la nuit.
Une larme coula sur la joue de Jean. Lucie s’accroupit prés de lui et posa ses mains sur les siennes et celles de Guigues. Elle aussi pleurait et Jean ne vit aucune trace d’animosité dans son regard quand elle le posa sur leur ami défunt. Comment pouvait elle faire ? Jean connaissait les souffrances que Guigues avaient fait subir à Lucie. Comment pouvait elle le pleurer comme si rien de tout cela ne s’était passé ? Comment pouvait elle encore pleurer pour lui ?Jean fut impressionné par la force dont Lucie faisait preuve. Si il avait été à sa place aurait-il était capable de la même chose ? Sûrement pas.
- Que s’est il passé ? Interrogea Roland d’une voix dure.
- C’est Reuel qui l’a tué, répondit simplement Mathilde d’une voix tremblante.
- Mais comment se fait-il que Reuel se soit retrouvé ici, a ce moment la ? Insista Roland visiblement irrité de ne pas comprendre.
- Je vais tout vous raconter depuis le début mais promettez moi de ne pas me juger trop durement, implora Mathilde en les regardant tour à tour dans les yeux.
Jean sentit tout de suite que ce qui allait suivre allait être difficile mais il dit rien et se contenta de retourner son regard vers Guigues.
- La veille de la cérémonie, je suis sorti de l’auberge car je ne supportait plus la pression de la situation, expliqua Mathilde visiblement mal à l’aise. J’avais beau retourner le problème dans tout les sens dans ma tête, je ne voyais pas comment éviter que Rafael ne se rende et cela me rendait folle. Un peu après, Reuel m’a rejoint et m’a demandé de l’aide. Il avait un plan pour éviter que Rafael ne se rende et je l’ai écouté.
Mathilde souffla un grand coup. Elle semblait sur le point de fondre en larme et elle prit quelques instants avant de reprendre :
- Reuel m’a demandé de préparer une potion et de vous la faire boire, lâcha Mathilde dans un murmure étouffé.
- QUOI ? S’exclamèrent en cœur, Lucie et Roland.
- Je suis désolé, ajouta précipitamment Mathilde en cachant son visage dans ses mains. Je ne voyais pas d’autre solutions et j’ai fait ce que Reuel m’a demandé.
- Tu nous a drogué, souffla Roland la voix pleine d’effroi. Tu te rends compte...
- Pourquoi ? Coupa Jean qui ne voulait pas se laisser avoir par la colère et qui cherchait une raison logique à tout ça. Pourquoi nous faire boire la potion ?
- C’était une simple potion de sommeil, se défendit Mathilde entre deux sanglots. Reuel m’a demandé d’en verser juste assez dans vos gourdes pour que vous ratiez la cérémonie.
- C’est pour ça que je me sentais toute bizarre ce matin, commenta Lucie pensive.
- Oui après avoir versé la potion, vous vous êtes tous endormis très vite, approuva Mathilde dont la culpabilité se lisait sur le visage. Reuel m’a demandé de lui raser le crane, j’ai comprit très vite qu’il voulait se faire passer pour Rafael. Une fois le matin arrivé, nous somme sortis tout les deux en vous laissant dans l’auberge. Je savais pertinemment qu’il courrait à une mort certaine mais il m’a supplié de l’aider. Il préférait mourir à la place de Rafael car il savait que son pouvoir était trop précieux pour être perdu. J’ai respecté son choix et vu comment les choses ont tournés je crois qu’il avait raison.
- Que s’est-il passé ensuite ? Pressa Roland avec irritation.
- Nous nous sommes rendus sur la place, poursuivit Mathilde avec amertume. Il m’a fait promettre de suivre Rafael jusqu’au bout et de le protéger puis il est parti au devant des soldats de l’ordre du feu et de la garde de la reine. Il s’est rendu en se faisant passer pour Rafael.
- Et ça à marché ? Interrogea Jean qui commençait à y voir plus clair.
- Comme sur des roulettes, affirma Mathilde. Tout le monde est tombé dans la panneau et les soldats l’ont escortés vers l’estrade après lui avoir passé les fers. Je l’ai suivi et je me suis glissé à travers la foule sous mon apparence de petite fille, j’ai même réussi à me faufiler tout prés de l’estrade. Il pleuvait à torrent et à un moment donné, en un instant Reuel s’est libéré de ses chaînes, à voler l’arme d’un soldat et s’est propulsé jusque sur l’estrade ou il décapité le cardinal Auguste. J’imagine qu’il voulait l’empêcher de se servir de son pouvoir. Je ne sais pas pourquoi cela n’ pas fonctionné, car j’ai très clairement vu le cardinal s’écrouler. Peut être qu’il a eu tout juste le temps d’user de son pouvoir avant de mourir.
- Heureusement que Rafael était la, souffla Lucie dans un frisson.
- Comment ça ? Questionna Mathilde avec surprise.
- C’est une longue histoire mais pour faire court c’est Rafael qui à absorbé la Rage noire de toute la ville de Bal, expliqua Jean avec impatience.
- Mais comment-est ce possible? Interrogea Mathilde apeurée. Il devrait être …
- On sait, coupa Lucie mais on ne peut rien faire. Que s’est il passé ensuite ?
- Désolé, balbutia Mathilde qui devint rouge comme une tomate. Juste après avoir tué le cardinal, Reuel s’est dirigé vers Guigues et lui a planté son épée dans le ventre. Après, c’est devenu le chaos. Je crois que Guigues a eu le temps de blesser Reuel car quand je l’ai enfin retrouvé, il saignait abondement et il avait du mal à tenir les monstres noires à distance. Il a combattu un long moment, il a tué des dizaines et des dizaines de monstres mais ils étaient trop nombreux. Quand enfin les bêtes noires ont commencées à retrouver forme humaine, Reuel s’est écroulé.
Mathilde finit sa phrase dans un sanglot qui plongea le groupe dans un silence pesant. Mathilde avait fait le choix d’aider Reuel. Pouvait on vraiment l’en blâmer ? Reuel avait élaboré ce plan lui même et Mathilde lui avait seulement permis de le mettre à exécution. Même si Jean ne savait pas quoi en penser, il décida de ne pas juger Mathilde. Elle avait fait ce qu’elle pensait être bon. Elle allait devoir vivre toute sa vie avec la culpabilité et le sentiment d’avoir peut être fait le mauvais choix, c’était déjà un fardeau bien trop lourd pour que Jean et les autres en rajoute.
- Comment va-t-on faire pour expliquer tout ça à Rafael ? Demanda Lucie visiblement inquiète.
- Je crois qu’on a un problème plus pressant, s’alarma Roland en leur faisant signe.
Jean tourna la tête vers l’endroit ou étaient Rafael et Reuel. Jean n’arrivait même plus à les voir, dissimulés par des dizaines et des dizaines de personnes massés autour d’eux.
Alors lecture de ce chapitre, je suis vraiment mitigée cette fois-ci.
Honnêtement, je ne l'aurais pas lu, je ne sais pas si ça m'aurait manqué. Je m'explique :
Le début m'a paru très long. Tu ne relates que le réveil des autres membres du groupe, puis les événements auxquels on vient d'assister au chapitre précédent.
Ensuite, on a un bref épisode où tout le monde se transforme, très vite rattrapé par Rafael :
En effet, Rafael ne pouvait intervenir QUE si la Rage Noire ne s'était pas encore déclarée. Pourquoi ce nouveau pouvoir subitement ? Et si ce n'est pas nouveau, pourquoi n'a-t-il pas sauvé les autres ? Par exemple dans le village où ils ont massacré tout le monde pour accéder au château ?
Puis finalement, on enchaîne sur les explications de Mathilde, qu'on pouvait aisément deviner. Dans le chapitre 18, tu indiquais comment Reuel allait la trouver (ça mettait un peu la puce à l'oreille). Le fait que Reuel ait pris la place de Rafael confirmait qu'il y avait bien eu un plan. Le fait de retrouver Mathilde sur place finissait de confirmer qu'elle était dans elle aussi dans le coup.
Du coup, je n'ai pas appris grand chose ici ! Les seules informations : oui, Mathilde a bien aidé Reuel, malgré la mort du cardinal une épidémie de Rage Noire s'est déclarée, la reine s'est enfuie, et Guigues est bien mort. Je crois qu'un paragraphe au début de ton chapitre suivant, reprenant le point de vue de Jean (ou de n'importe qui d'autre) aurait suffi pour présenter ces éléments et la mort de Reuel.
Chapitre à revoir selon moi, ce qui est dommage après la belle montée en pression du chapitre précédent :) Tu étais dans une suite d'actions intense, et je pense que tu aurais pu rester sur le même rythme.
À bientôt ! :)
Déjà merci de ton retour et de ton honnêteté. Je comprends bien ton point de vue et ce que tu me fais remonter. Malheureusement je me sens un peu obligé de revenir sur ce qu'il se passe du point de vue de Jean. J'entends par la que Jean et le groupe ne savent pas ce qu'il se passe, et e qu'il s'est passé. Pour que le récit soit cohérent, j'ai besoin de ces petits moments de pause ou certains personnages catch up les autres sinon ca ne va pas.
Je garde dans un coin de ma tête ta remarque sur le fait que l'action est coupée et que l'on revient au calme ce qui pourrait être améliorer. Personnellement, j'aime bien justement alterner les moments de tension et de calme, j'ai l'impression que le suspenses dure encore plus ( ce qui est peut être une erreur de ma part hein)
J'ai eu un retour différent par un membre de mon entourage qui au contraire me dit que ce retour au calme pour repartir de plus belle lui plait bien, Ducoup je ne sais pas vraiment quoi en penser . x)
Pour revenir sur Rafael et son pouvoir. J'ai effectivement bien précisé dans les chapitres précédents que Rafael peut "guérir" la Rage noire si et seulement si, les personnes contaminées ne se sont pas encore transformées. L'idée ici était que Rafael voyant son frère en train de mourir devant ses yeux, fasse exploser Rafael, du moins son pouvoir ( un peu à la manière d'un power up dans un manga, enfin c'est ce que j'ai en tête quand je pense à cette scène) Cette pression extrême et le traumatisme qu'il est en train de vivre lui ferait " débloquer" juste pour cette fois la capacité qui est décrite dans le chapitre tout en lui demandant une énorme contrepartie....
J'espère que les chapitres suivants seront plus à ton gout même si j'ai un peu peur pour la fin de l'histoire. =D
A bientôt.
Pas de soucis ! Je comprends que tu veuilles que tes personnages aient aussi le déroulé des événements MAIS je pense que ça pourrait être écourté pour ne pas casser le rythme !
En soit, il y a pas mal de moments plus calmes dans ton histoire, et ça ne m'a jamais dérangé, cependant, quand on approche du climax final, je suis partisane de laisser la tension monter graduellement ^^ Pour lancer ton chapitre, un petit mot laissé par Mathilde, s'excusant par exemple pour ce qu'ils ont fait, Reuel et elle, m'aurait suffit, plutôt qu'une longue scène de réveil + de longues explications aux retrouvailles. Parce que cette longueur du début m'a peut-être moins mise dans le vif du sujet quand justement arrivait l'action de Rafael, laquelle a ensuite été écourtée par les explications de Mathilde.
Pour Rafael et son pouvoir, je pense, avec ton explication, que tu devrais revoir la façon de le présenter pour qu'on ressente mieux le caractère exceptionnel de la chose. Lui a l'air de faire ça comme s'il l'avait fait toute sa vie... Tu peux décrire une sorte de transe etc, qu'on sente mieux que ça n'est pas juste "aller hop, je soigne tout le monde!". Insister sur son regard vers son frère, sur une expression inhabituelle, etc etc...
Je sais que les avis se contredisant ça n'est pas simple, j'ai le même problème. Ne te sens pas obligé du tout de suivre ce que je te dis, je te donne simplement mon ressenti, et tu peux piocher dedans si tu veux ! :)