Guigues bailla à s’en décrocher la mâchoire avant de reprendre une grappe de raisin. L’automne s’installait et avec lui le vent froid et la pluie . Les domestiques avaient allumés un feu dans l’âtre qui ronronnait à ses côtés donnant à sa chambre une atmosphère chaude et douillette.
Sa vie avait bien changée depuis la mort du roi Boris et il avait appris bon nombre de choses. En plus du cardinal Auguste, il était maintenant en contact avec le deuxième démon qui n’était autre que la reine Alice elle même. Il avait participé à l’écriture de la lettre destinée à Rafael et aux autres et avait assisté à plusieurs rencontres entre les deux démons.
Au début, il avait pris cela pour de la confiance que lui accordait le cardinal Auguste pour avoir joué un rôle malgré lui dans la mort du roi. Mais il avait vite déchanté quand il s’était rendu compte que le cardinal le faisait surveiller en permanence. Il passait le plus claire de son temps avec Barbatos lui même et quand ses fonctions l’appelait ailleurs, Guigues était enfermé dans sa chambre avec la présence constante d’un domestique et de deux gardes devant la porte. Les deux démons avaient sans doute peur qu’il divulgue des informations sur eux et préféraient ne pas prendre de risque.
C’était ces moments la qu’ils détestaient le plus. Il ne supportait pas d’être enfermé dans sa chambre, véritable prison dorée depuis laquelle il n’avait aucun contact avec le monde extérieur. A l’inverse, il adorait les moments passés en compagnie des deux démons durant lesquels il découvrait le monde aristocratique de Bal et ses intrigues. Durant ces excursions en ville, il prenait un plaisir vorace et se voyait déjà faire parti de cette élite, menant une vie luxueuse et trépidante.
Un valet entra et après une courbette s’adressa à Guigues :
- Monsieur, le cardinal vous demande.
Guigues accueilli la nouvel avec joie, il allait enfin sortir de sa chambre. Il se dépêcha d’attraper sa dague, qu’il avait prit l’habitude de toujours avoir sur lui quand il sortait, et la coinça soigneusement sous sa ceinture. Il recouvrit la dague avec sa tunique de façon à ce qu’elle en soit pas visible et enfila des bottes. Le valet attendit patiemment sans le moindre commentaire et une fois que Guigues fut prêt, il lui fit signe de le suivre.
Quand Guigues passa le pas de la porte les deux soldats postés devant lui emboîtèrent le pas et c’est sous bonne escorte que Guigues parcourut les nombreux couloirs du palais pontifical. Il pouvait apercevoir le ciel gris à travers les arcades de marbre et chaque rafale de vent lui secouait les os.
Le valet l’amena dans un coin du palais qu’il ne connaissait pas. Guigues se demanda comment il faisait pour se diriger ainsi dans ce labyrinthe de marbre blanc et de tableaux. Guigues aurait pu passer des heures dans ces couloirs sans être capable de retrouver sa chambre ou la sortie du palais. Ils descendirent de nombreux escaliers et se retrouvèrent dans une grande cave ou était stockés de des tonneaux de vin ainsi que d’énormes meules de fromage. Des soldats étaient attablés la, jouant aux dés ou bavardant, une chope à la main.
Guigues suivit le valet à travers la pièce. Les gardes derrière lui saluèrent leurs camarades discrètement avant de fermer une petite porte de bois sur Guigues et le valet. Ils se retrouvèrent tout deux dans un minuscule couloir éclairé par des torches et l’homme lui fit signe de le suivre. Après encore de nombreuses bifurcations et caves à l’odeur écœurantes, ils arrivèrent enfin devant une grande porte de bois.
Le valet frappa plusieurs coups à la porte et l’ouvrit. Il fit signe à Guigues d’entrer et referma la porte derrière lui. Guigues se retrouva dans une salle austère, basse de plafond, éclairée par de grands cierges dans des chandelier de fer. Au milieu de la pièce se trouvait une grande table autour duquel le cardinal Auguste était assis. Comme à son habitude, il était d’une immobilité inquiétante mais Guigues savait qu’il ne dormait pas et que ses yeux bleues glace le fixaient avec intensité.
Instantanément Guigues se sentit mal à l’aise. En même temps il sentit monter l’excitation, quelque chose de grand allait se produire le lendemain et il était persuadé que c’était précisément la raison de leur rencontre. Il s’avança en faisant de son mieux pour cacher ses émotions. Le cardinal lui désigna une chaise des yeux et Guigues s’assit en face de lui.
Le démon ne bougea pas et n’ouvrit pas la bouche, il se contenta de fixer Guigues de ses yeux glacés. Guigues avait de plus en plus de mal à supporter le poids de ce regard et il fit de son mieux pour l’éviter. Le silence aussi le dérangeait, il se tortillait sur sa chaise, priant pour que quelque chose se passe le plus vite possible.
Comme pour exaucé sa prière, un porte à l’autre bout de la salle s’ouvrit à la volée laissant entré la reine Alice. Ses long cheveux châtains volaient derrière elle, donnant à son visage une beauté stupéfiante, presque irréelle. Mais Guigues avait vu son vrai visage le soir de la mort du roi . Il était encore hanté par la malveillance de son sourire et savait qu’il ne devait pas se laisser charmer par cette femme.
- Ho mon cher petit, s’exclama la reine en se précipitant vers Guigues avant de l’embrasser sur les deux joues. Quel plaisir de te revoir !
Guigues sentit son visage tout entier devenir écarlate et s’écarta vite de la reine et de son parfum enivrant.
- Nous n’avons pas le temps de jouer, déclara le cardinal en tirant une chaise pour sa sœur. Nous devons régler certaines choses pour demain.
- Et c’est pour ça que tu me fait venir jusqu’ici, dans ce trou à rat ? Interrogea la reine avec une pointe de reproche dans la voix.
- Naamah , je t’ai déjà expliqué pourquoi nous nous voyons ici, expliqua le cardinal sans hausser le ton. Je tiens à éviter au maximum de faire sortir notre cher ami. Il connaît tout nos secrets et tu sais à quel point je garde jalousement mes secrets.
Quand Guigues avait entendu le vrai nom de la reine, il avait tressailli avant de se reprendre le plus vite possible, mais cela n’avait pas échappé à la reine :
- Oui , Naamah est mon nom. Je suis la maladie incarnée. Je suis capable de choses que tu n’oserais même pas imaginer. Tu as un chance incroyable ne serait-ce que de m’approcher.
Suivant le geste à la parole, la reine avait avancé son visage tout prés de celui de Guigues. Il pouvait sentir son souffle contre son cou et ses yeux verts plongés dans les siens le perturbaient au plus haut point. Un sourire à peine visible se dessinait au bord de ses lèvres minces, si prés de celle de Guigues.
- Cesses donc ces bêtises ! Ordonna le cardinal Auguste dont le son de la voix était devenu si grave qu’il avait perdu toute humanité.
La reine recula laissant Guigues le cœur battant à tout rompre et le souffle court :
- Ho ça va, on ne peut plus rigoler, lâcha-t-elle avec mauvaise humeur. C’est à cause de lui que je dois me coltiner tout le chemin jusqu’ici, j’ai bien le droit de le taquiner un peu.
Elle s’assit à côté de son frère l’air mécontente mais resta tout de même silencieuse.
- Naamah, si je t’ai fait venir c’est pour peaufiner notre plan, déclara Barbatos. Nous devons être parés à toute éventualité.
- Mais que veux tu qu’ils fassent ? Questionna la reine visiblement agacée. Notre plan est parfait. Ils sont tout simplement coincés. N’es tu pas d’accord avec moi ? Ajouta-t-elle à l’adresse de Guigues.
Guigues se sentait écraser par le poids des regards que les deux démons posaient sur lui. Il avala difficilement sa salive, la bouche sèche et les mains moites :
- Je ne suis sur que d’une chose comme je vous l’ai déjà dit : Rafael se rendra. Son principal défaut est d’être trop altruiste. Il ne peut se résoudre à laisser quelqu’un mourir, alors une ville entière ? C’est impossible pour lui, je suis persuadé qu’il préfère mourir que de laisser la population de Bal se transformer.
- Tant mieux car c’est précisément ce qui va lui arriver, ricana la reine de manière inquiétante. Dés qu’il se sera rendu, nous lui ferons couper la tête dans la minute.
Guigues se voyait déjà au côté du cadavre de Rafael, triomphant, tenant enfin sa revanche. Le cardinal resta de marbre et attendit que sa sœur ai finit de rire avant de demander :
- Es-tu bien sur de toi ? Et les autres, que vont ils faire ? J’imagine qu’il ne vont pas le laisser se rendre les bras croisés, en particulier Reuel.
Guigues avait eu le temps de réfléchir au problème durant sa captivité dans sa chambre. Il avait eu beau tourné et retourné la question dans sa tête, il ne voyait pas comment Rafael et les autres pouvaient s’en sortir. Rafael devait se rendre, il n’avait pas le choix et il le ferait. Le problème était Reuel. Mais même lui, si fort soit-il ne pouvait rien faire dans cette situation. Il ne pouvait prendre le risque de voir des milliers de gens mourir par sa faute.
- Reuel est d’une force effrayante, mais que peut-il faire ? Commença Guigues tout en réfléchissant. La menace est trop grande, trop de vies sont en jeu, je ne vois pas d’autre solutions qu’ils se plient à notre volonté. Le seul danger avec Reuel est l’affrontement direct. Avec ce plan, nous évitons le combat et nous portons un coup moral à Reuel dont il ne se relèvera pas. Il vit littéralement pour son frère et si celui ci venait à disparaître je suis persuadé qu’il ne pourrait pas le supporter.
- Tu surestime beaucoup trop ce Reuel, ou alors aurais tu peur de lui ? Demanda la reine d’une voix doucereuse.
- Sans vouloir vous manquer de respect, je pense que c’est vous au contraire qui le sous-estimait, dit Guigues en prenant son courage à deux mains. Il est bien plus fort que vous ne le pensez, il a même réussi à vaincre Azazel tout seul, je l’ai vu de mes yeux. Quand à avoir peur de lui, sa force est si grande qu’il serait bien sot de ne pas le craindre.
L’espace de quelques secondes le visage de la reine se figea dans ce qui semblait être une colère noire. Sa peau blanchit à vu d’œil et Guigues se demanda si elle n’allait pas se transformer ou lui sauter à la gorge à tout instant mais finalement, un sourire à peine visible se dessina sur son visage :
- Tu as du cran pour un si petit avorton, commenta la reine en le dévisageant. Ça me plaît bien ! Néanmoins je ne vois pas ce que ce Reuel pourrait faire si Barbatos transforme la population de Bal en monstre. N’est tu pas d’accord avec moi ? Demanda-t-elle en s’adressant au cardinal.
- Je préfères envisager toutes les possibilités, on est jamais trop prudent, répondit celui-ci d’une voix calme. J’aimerais éviter de transformer la population de Bal, je n’utiliserais cet atout qu’en ultime recours. Il serait dommage de gâcher une telle puissance de frappe pour un seul homme. C’est pour cela que je veux être bien sur que nous avons choisis le meilleur plan et que de contraindre Rafael à se rendre est la meilleur solution, ajouta-t-il en lançant à Guigues un regard menaçant.
- Je suis sur de moi, protesta Guigues sur un ton de défi. Si Rafael ne se rends pas vous n’aurez qu’a me tuer sur le champs !
Un silence se fit pendant lequel les deux démons le fixèrent avec intensité mais Guigues ne baissa pas les yeux malgré la peur qui le tiraillait. Finalement ce fut la cardinal qui mit fin à l’entrevue :
- Très bien nous verrons qui de toi ou de Rafael perdra la vie.
La soirée était déjà bien avancée et Guigues faisait les cents pas dans sa chambre sous l’œil indifférent du valet pareil à une statue de marbre. Quoi qu’il se passe le lendemain sa vie allait radicalement changer ou peut être même se terminer. Savoir cela et être coincé entre quatre mur comme un lion en cage lui était insupportable mais que pouvait il faire d’autre ?
Tout l’après-midi durant, il avait essayé de penser à autre chose, de se divertir, de dormir, mais rien n’y faisait. Les paroles des deux démons revenaient sans cesse dans sa tête. Avaient ils raison de s’inquiéter ? Guigues ne pouvait être totalement sur de son plan, d’un autre côté il n’arrivait pas à prévoir la réaction de Reuel.
Reuel avait toujours était le problème, depuis leur première rencontre. Il était froid, imprévisible, dangereux, intelligent et surtout incroyablement fort. Guigues n’avait qu’un seul moyen de l’atteindre : Rafael. Beaucoup plus faible et beaucoup plus prévisible, Guigues était persuadé que s’en prendre à Rafael était la solution pour venir à bout de Reuel. Privé de Rafael, le groupe ne pourrait plus stopper la Rage noire. Privé de Reuel, Rafael et le groupe se retrouveraient sans protection et les démons se chargeraient d’eux rapidement.
Oui, son plan était infaillible, il avait passé des heures à le mettre au point dans cette chambre qu’il ne quittait plus depuis des jours. Alors pourquoi se mettait-il à douter si prés du but ? De quoi avait-il peur ? Il ne pouvait s’empêcher de penser que Reuel allait bien tenter quelque chose, mais quoi ? Ces pensées revenaient sans cesse à cette même question comme un serpent se mordant la queue et même si il n’arriverait pas à trouver le sommeil, il décida d’aller se coucher.
Il se débarbouilla dans un baquet d’eau en bois posé prés de la cheminé avant de se glisser dans sous les draps blancs du lit. Il s’était habitué à ce que le valet se tienne debout dans la pièce regardant droit devant lui, silencieux en toute circonstance mais ce soir sa présence le dérengeait, il avait besoin d’être seul.
- Hé toi, grogna Guigues de mauvaise humeur. Va donc voir ailleurs si j’y suis.
Le valet tourna vers lui un visage inexpressif et se contenta de répondre en le regardant droit dans les yeux :
- Veuillez m’excuser monsieur, mais le cardinal Auguste m’a donné des directives très claires. Je ne peux en aucun cas vous laisser seule.
Guigues sentit la colère gronder en lui, personne ne l’écoutait donc jamais, que fallait-il faire pour avoir un peu de liberté.
- Écoutes moi bien tu vas sortir et me laisser me reposer tranquillement, ordonna Guigues dont la voix tremblait. Je ne vais pas bouger d’ici ni même sortir de mon lit. J’ai juste besoin de ne pas voir ta sale tête un moment. Tu comprends ?
Le valet ne répondit rien et ne bougea pas, il toisait Guigues de son regard morne comme si tout ce qu’il disait n’arrivait même pas à ses oreilles. Guigues s’emporta, se saisit de la dague posé sur le meuble prés du lit et se campa face au valet.
Celui-ci changea alors d’expression comme si enfin il apercevait et entendait Guigues. Ses traits était chargés de surprise, de mépris mais aussi de peur. Lentement l’homme se tourna en direction de la porte puis sortit après avoir lâché :
- Je vous laisse une heure.
Enfin le silence retomba dans la pièce. Cela faisait des jours entiers que Guigues ne s’était pas retrouvé vraiment seule. Il avait souffert de le solitude toute sa vie et jamais il ne l’avait autant apprécié qu’a cet instant. Il souffla les bougies disséminées dans la pièce et se remit bien au chaud dans son lit. Il se retrouva dans un silence quasi-parfait seulement perturbé par le crépitement du feu dans l’âtre qui projetait une douce lueur réconfortante. Il posa sa tête sur son oreiller de plume et laissa ses pensées vagabonder.
Il s’imaginait dans des chambres luxueuses encore plus confortable que celle-ci, croulant sous les richesses avec des dizaines de domestiques exauçant la moindre de ses demandes. Il aurait du mal à se débarrasser des deux démons mais il y arriverait par la ruse ou bien des assassins s’en chargerait pour lui. Il pourrait peut être même devenir le maître de Bal craint et respecté par tous menant une vie fabuleuse.
Oui, cette idée lui plaisait beaucoup. Petit à petit il sentit son corps se détendre et au fil de ces rêveries il tomba finalement dans un sommeil fait d’images d’habits extravagants et de bijoux de toute sorte.
Quand il se réveilla en sursaut le lendemain matin, le valet avait retrouvé sa place, debout dans un coin de la pièce ce qui rendit tout de suite Guigues de mauvaise humeur. Pour ne rien arranger, il avait rêvé de ses anciens compagnons, il avait vu le visage de Reuel et celui de Lucie. C’est avec amertume qu’il sortit de son lit et s’habilla sous l’œil attentif du valet.
Quand il le suivit à travers les couloirs du palais, il se rendit compte que le jour était à peine levé. Il apercevait entre les arches la pluie dense qui tombait d’un ciel obscur. Il faisait beaucoup plus chaud que la vielle et Guigues entendait de temps à autre des grondements lointain.
Le palais était en pleine effervescence, ils croisaient dans les couloirs des hommes d’églises en tenue de cérémonie entourés de clerc, des domestiques à l’air pressés chargés de plats, de vêtements ou de sceau d’eau chaude mais aussi des soldats par dizaines tous en armure frappés du symbole de l’ordre du feu. Le couronnement de la reine Alice aurait lieu dans quelques heures et Guigues était bien placé pour savoir que la cérémonie promettait d’être exceptionnel.
Le valet continua sa route, indifférent, slalomant dans la cohue et Guigues avait le plus grand mal à le suivre sans jouer des coudes. Plusieurs fois il se cogna contre une armure et eu droit à un regard menaçant mais tant bien que mal il parvint à suivre le domestique en jouant des coudes. Ils mirent un bon bout de temps avant d’arriver à descendre le grand escalier de marbre menant dans le hall et une fois arrivés, ils se heurtèrent à une cohorte entière d’hommes en arme :
- Interdiction de passer ! Tonna l’un d’eux en brandissant une épée plus grande que Guigues.
- Je suis le valet personnel du cardinal Auguste et il ma missionné pour amener ce jeune homme auprès de lui dés l’aube.
- J’en ai que faire de qui tu es ! Beugla l’autre d’une voix menaçante. La reine se trouve ici et personne n’a le droit d’entrer, passes ton chemin ou il t’en coûtera !
- Attends ! S’interposa un autre soldat qui se porta jusqu’à eux. Je le reconnais c’est bien le valet du cardinal. Tu devrais le laisser passer.
- Je ne laisserais passer personne et encore moins ces deux avortons ! Grogna l’homme qui se montrait de plus en plus agressif.
Soudain alors que les deux soldats commençaient à parlementer, le valet s’avança vers le soldat qui faisait presque deux fois sa taille et se planta devant lui en se mettant sur la pointe des pieds :
- Écoutes moi bien, sale brute sans cervelle. Tu ne sembles pas comprendre dans quel pétrin tu es en train de te fourrer. Le cardinal Auguste n’est pas un homme patient et il n’a aucune pitié pour qui que ce soit, je suis bien placé pour le savoir. Même si tu n’es pas à son service tu n’es probablement pas sans savoir que c’est lui le véritable maître de l’ordre du feu et de l’église. Sa réputation n’est plus à faire tu dois savoir comment il règle les problèmes n’est ce pas ?
Le domestique avait parlé d’une voix calme, sans lever le ton, presque un murmure, mais Guigues sentit ses poils se hérisser sur son cou. Il savait lui de quoi le cardinal était capable, sûrement bien mieux que le valet. Un mélange de surprise, d’indignation et de peur se lisait sur le visage du soldat. Sa bouche, comme paralysée laissait entrevoir ses dents serrées mais il ne prononça pas un mot.
- Je te conseil vivement de te pousser, continua le valet en plantant ses yeux droit dans ceux de l’homme. A moins que tu ne préfères que le cardinal s’impatiente et envoie quelqu’un nous chercher.
L’homme se décomposa et sembla se liquéfier sur place mais ne bougea toujours pas. Son camarade le poussa précipitamment et fit signe au valet et à Guigues de passer. Celui-ci emboîta le pas de l’autre avec un regard satisfait pour le soldat qui visiblement était paralysé. Il avait hâte de faire le même effet aux gens, quel sentiment incroyable cela devait il être d’avoir autant de pouvoir.
Le valet ouvrit la porte et ils traversèrent un couloir bien plus étroit que les autres puis une nouvelle porte avant de se retrouver dans une immense pièce très somptueuse qui semblait être un salon de réception. Au milieu de chaises et de coussins la reine en personne se tenait debout, entourée par d’innombrables servantes, tournant autour d’elle en défaisant chaque pli de sa robe resplendissante, en vérifiant que chaque mèche de cheveux soit bien à sa place dans un balai effréné. La reine regardait tout ce petit monde avec bienveillance mais Guigues était presque sur de lire sur son visage un sourire triomphal.
Le cardinal était la lui aussi, habillé de sa robe rouge de cérémonie. Il était assis dans l’un des nombreux fauteuils et observait les va et vient des domestiques de ses yeux froids. Il semblait sur le qui-vive car avant même que le valet ne l’annonce, il se tourna vers Guigues et lui fit signe de se placer derrière lui.
Guigues s’exécuta pendant que le cardinal Auguste renvoyait le valet. Il se plaça debout derrière son fauteuil de façon à ce qu’il ne voit seulement son dos et l’arrière de son crane grisonnant mais malgré cela il avait l’impression dérangeante que les yeux de glace du cardinal pouvait le transpercer sans le voir.
- C’est aujourd’hui que tout se joue, déclara Barbatos tout bas pour que seul Guigues puisse l’entendre. J’espère pour toi que tu avais raison.
Guigues ne répondit pas mais sentit tout ses muscles se contracter sous la pression.
- Le couronnement commencera à dix heures, si a midi Rafael ne s’est pas rendu ce sera ton dernier jour ici bas, dit calmement le cardinal. D’ici la, tu me suis à la trace et pas un mot !
Guigues acquiesça doucement de la tête et même si le cardinal était de dos il fut persuadé qu’il l’avait vu.
Guigues attendit durant un moment qui lui sembla infini. Les servantes continuaient leur ajustements à une vitesse folle même si pour Guigues la reine Alice était déjà parfaite. Durant tout ce temps, le cardinal ne bougea pas d’un pouce et Guigues fit de son mieux pour l’imiter. Quand enfin, elle fut prête, elle renvoya toute les servantes et quand ils ne furent plus que tout les trois elle se dirigea vers la porte avec un sourire inquiétant.
- Allons-y lança-t-elle à son frère d’un ton décidé. Je ne peux plus attendre !
Tous trois sortirent de la pièce, traversèrent le couloir et furent immédiatement entourés par une vingtaines de soldats qui leur firent escorte. A leur vue, toutes les personnes se trouvant dans le hall, sans exception, nobles, serviteurs, soldats mirent un genou à terre au passage de la reine. Il régnait un silence surnaturelle et ils traversèrent le hall au milieu de centaines de personnes a la tête inclinées et immobiles.
Guigues sentit un frisson le parcourir, il était en train de vivre un moment historique. Tout ce à quoi il aspirait était en train de se produire sous ses yeux. Quand ils arrivèrent en haut des grandes marches de marbre une escouade de soldats supplémentaires prit la tête de la procession. Le ciel était gris et Guigues apercevait des éclairs tombant dans le lointain. Il jeta un œil vers la place en contrebas et resta sous le choc. Il ne reconnaissait même pas les rues de la ville, noires de monde. Guigues n’avait jamais vu un pareil spectacle même durant l’annonce après la mort du roi. Combien de personnes se trouvaient la, en bas à attendre leur nouvelle souveraine ? Des centaines ? Des milliers ? Il n’aurait su le dire mais se rendit compte que sur la place un nombre tout aussi impressionnant de soldats de l’ordre du feu faisaient face à la foule et coupaient la place en deux.
La descente des marches fut longue et laborieuse. Plusieurs servantes étaient sortis de nulle part et s’évertuaient à ce qu’aucun bout de la robe de la reine ne traîne par terre. Guigues ne se sentait pas très à l’aise pris au milieux de tout ces hommes en armes mais il se concentra sur la dos du cardinal et la foule en contrebas qui commençait à scander le nom de la reine Alice. Le bruit était assourdissant et Guigues sentait ses os , ses muscles et ses organes vibraient sous un tel vacarme. Il eu même l’impression que le sol lui même tremblait sous les hurlements et les applaudissements.
Ils arrivèrent sur la place ou une grande estrade de bois couverte d’un chapiteau aux couleurs de l’ordre du feu avait été monté. Guigues suivit la reine et le cardinal sur l’estrade et se plaça un peu en retrait, des soldats se postèrent tout autour et les autres rejoignirent leur camarade créant une véritable barrière avec la foule.
La cérémonie commença durant laquelle plusieurs hommes d’églises firent des discours sur la royauté et le droit divin de gouverner. Puis la couronne fut amené et posé sur la tête de la reine qui resplendissante, jura de servir du mieux qu’elle le pouvait la ville de Bal et le royaume. Elle jura fidélité au peuple et de lui donner sa protection quoi qu’il advienne. Guigues connaissant la vrai identité de la reine Alice et se demanda comment elle pouvait ainsi mentir devant une foule entière et ne rien laissait paraître.
Au fur et à mesure que la cérémonie se déroula Guigues commença à paniquer. Il sentait la tension dans chaque recoin de son corps et son cœur se mit à battre de plus en plus vite. L’heure tournait et Rafael ne se montrait toujours pas. A un certain moment le cardinal tourna vers lui ses yeux glacials dans un regard malfaisant qui le mit dans tout ces états. Avait il mal jugé Rafael ? Il préféra ne pas penser à ce qui arriverait si il ne se montrait pas et il se concentra sur la cérémonie.
Peu après le ciel fut déchiré par plusieurs éclairs. L’orage se rapprochait et avec lui les grondements qui couvraient les hourras de la foule. Une pluie dense et froide s’abattit sur la place ce qui ne perturba pas la reine qui se leva pour entamer son discours. Alors qu’elle parlait, une clameur se leva de l’arrière de la foule suivit de huées et de sifflements de plus en plus nombreux. La reine continua comme si de rien n’était pendant un moment mais bientôt la foule entière semblait se soulever et crier des insultes que Guigues tenta tant bien que mal de saisir :
- Assassin !
- Meurtrier ! Arriva-t-il à percevoir dans le tumulte grandissant.
La reine Alice finit par s’interrompre quand la foule s’ouvrit devant eux laissant passer plusieurs soldats qui semblaient guider un homme à travers la marée humaine.
- C’est lui, souffla Guigues de soulagement. C’est Rafael.
Quand il fut plus prés de l’estrade, Guigues reconnut le crane rasé couvert de duvet blond de Rafael. Il allait menotté, solidement encadré par une dizaine de soldats de l’ordre du feu.
- C’est bien lui, questionna le cardinal dans un murmure menaçant.
- Aucun doute, répondit Guigues dont la peur fut remplacé par de l’excitation.
Il avait réussi. Rafael s’était rendu. Il avait hâte de voir comment les choses allaient tourner maintenant. La pluie tombait avec encore plus de force et bientôt alors que Rafael traversait l’armée de l’ordre du feu, un véritable déluge s’abattit sur la place. Un éclair tomba tout prés et un grondement si puissant retentit que Guigues s’en boucha les oreilles.
Avide, il ne lâchait pas Rafael des yeux. Il savourait sa victoire et ne voulait rater aucune miette de sa vengeance. Le groupe se rapprochait peu à peu de l’estrade mais Guigues avait du mal à le suivre à cause de la pluie qui s’intensifia encore un peu plus.
Soudain un éclair zébra le ciel et foudroya le haut de la statue sur la place. Guigues dut fermer les yeux à cause du flash blanc qu’il provoqua. Quand il les ré ouvrit l’instant d’après, Rafael ne se trouvait plus au milieu des soldats et ses chaînes gisaient sur le sol. Guigues eu juste le temps de tourner la tête et de voir Rafael faire jaillir une épée et couper la tête du cardinal Auguste à quelques mètres de lui.
Guigues hébété, papillonna des yeux en essayant de se convaincre que ses yeux lui montraient était impossible. Avant même qu’il n’ait le temps de réfléchir, Rafael bougea si vite que Guigues eu l’impression qu’il se téléporta devant lui. Guigues ressentit une vive douleur dans l’abdomen puis il fut envahi par une grande vague de froid. Des tremblement lui parcourent le corps entier. Il se mit à grelotter, ses dents s’entrechoquèrent, muées par ce froid irrésistible qui gagnait chaque parcelle de son être. Ses mains se portèrent à son ventre, bientôt recouverte par un liquide rouge et épais.
Il baissa les yeux et vit la lame qui le transperçait, une main en tenait fermement le manche. Il leva la tête et trouva le visage de Rafael tout prés du sien.
- Maintenant justice est faite, je peux partir tranquille.
Guigues reconnaissait le visage de Rafael, son crâne rasé, ses yeux noisettes et pourtant quelque chose n’allait pas. C’est à ce moment qu’il remarqua la cicatrice qui parcourait la joue droite de son assaillant.
- Reuel, murmura Guigues alors que déjà le froid engourdissait ses mouvements et ses pensées. Son esprit embrumé n’arrivait plus à réfléchir. Sa main agi toute seule. Il se saisit de la dague sous sa tunique et la planta dans le flanc de son ennemi juré.
Guigues tomba à la renverse. Il aperçut avec satisfaction le manche de sa dague dégoulinant de sang entre les côtes de Reuel. Il ferma les yeux. Il avait perdu. Il avait perdu mais à toute la fin, il ne s’était pas montré lâche. A la toute fin, il avait vaincu sa peur.
Chapitre intéressant, avec une fin particulièrement bien amenée. Je te fais mon retour détaillé, avec plusieurs petites choses qui seraient à revoir selon moi, et je reviens plus longuement à cette fin de chapitre !
- vocabulaire : "atmosphère chaude et douillette." -> chaleureuse donc ?
- "Les deux démons avaient sans doute peur qu’il divulgue des informations sur eux et préféraient ne pas prendre de risque." -> si c'était le cas, et maintenant que Guigues leur a révélé déjà tout ce qu'il savait, ne serait-il pas plus simple pour eux de le tuer ? Que de s'embêter à le garder ? Je doute qu'ils le maintiennent en vie par bienveillance, et je n'ai pas le sentiment qu'il a encore beaucoup à leur apprendre. La balance pencherait tout naturellement vers le fait qu'ils se débarrassent de lui...
- "et caves à l’odeur écœurantes" -> quel type d'odeur ? Ça participerait à instaurer ton ambiance : des cadavres en décomposition, des égouts ?...
- "une grande table autour duquel le cardinal Auguste était assis" -> devant laquelle ? Une seule personne peut difficilement entourer une table.
- " Ses long cheveux châtains volaient derrière elle, donnant à son visage une beauté stupéfiante, presque irréelle." -> mettant en valeur ? Je peine à voir comment ses cheveux peuvent donner une beauté particulière à son visage.
- "Tu surestime beaucoup trop ce Reuel, ou alors aurais tu peur de lui ?" -> ça ne revient pas un peu au même ?
- "si Barbatos transforme la population de Bal en monstre" -> au final, quel est leur réel objectif, aux démons ? Prendre le contrôle ? Ou la finalité est-elle, de toute manière, de transformer tout le monde ?
- "Guigues ne pouvait être totalement sur de son plan, d’un autre côté il n’arrivait pas à prévoir la réaction de Reuel." -> cette phrase n'est pas très claire.
- "Enfin le silence retomba dans la pièce." -> il ne semblait pas très bruyant, ce valet, pourtant ! Cette phrase ne me paraît pas utile.
- "Il aurait du mal à se débarrasser des deux démons mais il y arriverait par la ruse ou bien des assassins s’en chargerait pour lui." -> Guigues veut se débarrasser du seul homme du pays, à priori, capable de tuer des démons, et il pense que des assassins lambdas pourront faire le taf ? Au-delà, c'est uniquement grâce à ces puissants protecteurs, qu'il pourrait avoir la belle vie. Qu'est-il, sans eux ?
- "Avait il mal jugé Rafael ?" -> m'est avis que, plutôt de s'inquiéter du fait qu'il se serait trompé sur le compte de Rafael, il aurait davantage dû s'inquiéter du fait qu'il soit retenu par les autres. Rien ne garantissait que Reuel le laisserait se sacrifier, en soi... Ils sont frères après tout.
Et j'arrive à cette fin de chapitre !
Elle est très bien pensée, dans le fait que Reuel prenne la place de Rafael. Idéal, en effet, pour atteindre le cardinal ! Par contre je suis chagrinée par un détail. De mémoire, Rafael était rasé et portait la barbe, et au contraire, Reuel n'avait pas de barbe et les cheveux longs... Non ? Alors c'était facile de se couper les cheveux, mais quid de la barbe ? Tu en as fait complètement abstraction.
Plus sur le fond, concernant cette fin, je trouve dommage, si Guigues meurt en effet (parce que sur une fin de chapitre on n'est jamais complètement sûr) qu'il n'ait pas eu à répondre de ses actes devant les autres. Un échange entre Jean et lui me manquera cruellement, si les choses se terminent ainsi.
Sur le fond encore : ils avaient compris que la reine était un démon. N'est-pas une mauvaise idée, de la part de Reuel, de se tourner d'abord vers Guigues, avant de profiter de cette ruse bien pensée pour attaquer la reine-démoniaque avant l'avorton pas très doué avec une arme ? Pure logique ici, le raisonnement m'échappe. Elle est juste à côté pourtant, non ?
En tout cas, cette fin de chapitre donne très envie de connaître la suite de l'histoire ! Le cliffhanger est excellent, et en tout franchise je n'avais pas pensée à cette ruse d'inverser les deux frères, et elle m'a positivement surprise :)
À bientôt !
Alors je te remercie pour ton retour qui m'a vraiment plaisir. J'ai depuis repensé longuement à ce chapitre et je vais essayer de répondre aux questions que tu poses.
Pour la petite histoire, à la base Rage noire était censé être un manga que je devais écrire avec un ami qui lui devais faire les dessins. L'histoire a pas mal changé depuis car l'univers du manga se voulait bien plus sombre. je me suis simplement inspiré de ce projet pour écrire Rage noire. Quand j'ai commencé la première page, je n'avais que deux idées:
- La Rage noire est une maladie qui transforme les gens
- Il y a deux frère jumeaux et à la fin l'un d'eux prendra la place de l'autre.
Ca faisait vraiment longtemps que j'avais cette scène dans la tête et je suis vraiment content qu'elle te plaise. =)
J'ai décidé que lors de la réécriture, le groupe ne saurait toujours pas que la reine est un démon à ce stade de l'histoire et qu'il ne l'apprendrait qu'a la toute fin. Ce qui est en corrélation avec les autres problèmes dont tu m'as déjà parlé dans l'histoire. ( Que l'on connait trop vite l'identité des démons, etc.) Cela expliquerait pourquoi Reuel se tourne vers Guigues et non vers la reine.
Pour ce qui est de la barbe, je peux te dire sans vérifier dans le texte, que je n'ai jamais parlé de barbe que ce soit pour Rafael ou Reuel. x) ( Je vais évidemment vérifier mais il me semble vraiment ne jamais l'avoir mentionner car justement cela me poserait un problème si l'un ou l'autre avait de la barbe).
Je voulais encore une fois te remercier grandement car c'est en partie grâce à tes retours que j'ai vraiment pris conscience du travail qu'il me restait à faire. Que mon histoire est en vraiment au stade de premier jet et que je dois la remanier en profondeur avant même d'envisager une véritable réécriture. Je pense que je n'avais pas encore vraiment réalisé jusqu'ici. Merci Infiniment !
J'espère que la suite te plaira.
A très vite !
Ce devait donc être un manga ! C'est marrant, parce que par moment je trouve des petites similitudes avec Berserk. En beaucoup moins sombre, hein, mais tout de même.
En tout cas oui, cette scène était très bien ! Et du coup si en effet le groupe ne connait pas encore l'identité de la reine, il sera plus logique qu'elle ne soit pas visée par Reuel.
Et je suis ravie d'avoir pu t'aider :) C'est pour ça que c'est bien d'avoir des avis en bêta-lecture ! Bien sûr, ce n'est qu'un avis, et d'autres ne te feraient peut-être pas remonter les mêmes choses, mais si ça a pu t'aider je suis contente ! Prends le temps avant d'attaquer la réécriture. Tu peux faire des fiches personnages avec leurs arcs respectifs, refaire un plan qui reprend les éléments importants de l'histoire pour les distiller différemment... Puis après en effet, tu pourras modifier le texte, et ensuite faire les finitions : ponctuations, orthographe etc.
À bientôt :)