Chapitre 20 : Le médaillon [2/2]

Notes de l’auteur : Bonne lecture ! ^^

[Chapitre relu]

Amélia se perdit dans la contemplation d’un bassin non loin et laissa son esprit divaguer.

Au bout de quelques minutes, elle finit par se tourner vers lui.

– Tu sais beaucoup de choses sur moi, dit-elle songeuse, mais je ne sais quasiment rien de toi. Raconte-moi un peu, tu as d’autres frères et sœurs ? Chez Mystia Aura tu as laissé entendre que tu avais plus d’une sœur.

Jagger hésita un instant avant de soupirer.

– Deux petites sœurs.

– Que font-elles ?

– La plus jeune, Lily, est encore à l’école. C’est elle qui t’a vu entrer dans la rue des Cauchemars, tu te souviens ? Et Lemony…

Ses yeux s’assombrirent brusquement.

– Ne nous juge pas, s’il te plait, finit-il par dire sombrement. Les temps sont durs pour la plupart des fées.

Amélia s’arrêta et attrapa la main de Jagger, le forçant à la regarder dans les yeux.

– Je n’avais pas l’intention de vous juger, Jagger. Je veux juste en apprendre plus sur toi pour mieux te comprendre. On ne pourra pas travailler ensemble sinon.

Jagger posa un regard orageux sur elle, essayant de déterminer si oui ou non il pouvait vraiment la croire. Las, il détourna les yeux, serrant les dents.

– Lemony travaille au Bijou de Braise avec Cléo.

Le silence qui suivit sembla peser aussi lourd que le plomb sur les épaules du jeune homme. Jagger retenait son souffle. Il n’osait pas regarder Amélia, craignant de découvrir le mépris dans son regard, le dégoût dans ses yeux. Elle ne l’avait toujours pas lâché, ceci dit. Sa poigne s’était même affermit sur sa main. Quand il eut enfin le courage de poser les yeux sur elle, ce qu’il vit le troubla. Nulle trace de dégoût ou de répulsion. Juste une profonde tristesse et une empathie douloureuse.

– J’imagine… commença-t-elle doucement, que ce n’est pas vraiment ce à quoi elle aspirait en grandissant.

– Loin de là, lâcha-t-il dans un profond soupir. Depuis qu’elle est en âge de marcher elle ne rêve que d’une chose : rentrer à l’Atelier des Artistes. Le plus triste, souffla Jagger avec mélancolie, c’est qu’elle a vraiment beaucoup de talent. Mais comme tu dois t’en douter, les frais de scolarité son chers et nous n’avons même pas les moyens de nous offrir des vêtements neufs. Alors financer des études, penses-tu…

– Mais il existe une bourse d’étude pour les fées, se rappela soudain Amélia. C’est Ginger Twinkles qui la finance !

Jagger la regarda sombrement, un pâle sourire aux lèvres.

– Même si nous avions les moyens, Amélia, tu crois que ma sœur pourrait avoir une scolarité normale au milieu de sorcières et autres créatures étroites d’esprit ? La discrimination qui règne à Riverfield aurait gâché ses études et je refuse qu’elle se face harceler pour ce que les gens pensent savoir d’elle.

– Quel âge a-t-elle ?

– Dix-huit ans.

Amélia eut un sourire amer. Quelle tristesse de voir tant de pauvreté et si peu d’aide…

La sorcière baissa les yeux. Elle se sentait tellement honteuse… tellement coupable. Elle qui avait tout, elle se heurtait avec tant de violence à un monde qui n’avait rien. Lentement, elle lâcha Jagger, sa main retombant mollement à son côté.

Mais au fond, que pouvait-elle bien y faire ? Oui, elle était princesse. Oui, elle était sorcière. Mais… quel pouvoir avait-elle face à une société aussi mesquine ? Quel poids pouvait bien avoir sa voix alors même que personne, pas même sa mère, ne à la prenait au sérieux ? Pour les gens de Riverfield elle n’était que la petite de Roman Moonfall, une enfant insouciante, naïve, qui passait son temps à jouer.

Amélia se rendit brusquement compte de toute l’étendue de son ignorance. Comment avait-elle pu vivre ainsi aussi longtemps ? Comment avait-elle pu ne rien voir alors que tout était là, juste sous son nez ?

– J’aurai aimé pouvoir faire quelque chose pour elle, avoua-t-elle dans un murmure.

Jagger l’observa, curieux. Elle semblait découragée, déboussolée, comme si le monde entier s’était brusquement écroulé sur ses épaules. La honte lui dévorait les traits et, pendant une longue seconde, Jagger eut de la peine pour elle.

C’était étrange… plus il la côtoyait, plus il la trouvait singulière, pas vraiment sorcière et, en même temps… intéressante. Elle lui faisait penser à un phare brillant au milieu d’une tempête, une lueur d’espoir dans les ténèbres. Il songea alors que, peut-être, avec une reine comme elle au pouvoir, les choses pourraient enfin évoluer.

Du moins, il l’espérait.

– Et toi, relança-t-il avec une pointe de malice – la voir aussi abattue lui serrait le cœur –, pourquoi tu n’es jamais allé à l’école ? Je croyais que toutes les sorcières du pays devaient aller à l’Université. Même les enfants Lerouge y vont.

Le fameux grand mystère de la famille Moonfall. Mais avait-il raison de la relancer sur un sujet aussi épineux ?

Amélia renifla et sembla essuyer rapidement ses yeux. Quand elle se tourna de nouveau vers lui, elle semblait un peu moins sombre. Elle haussa des épaules, son regard parcourant les décors colorés du parc.

– Je me pose la même question depuis que je suis en âge de pratiquer la magie, avoua-t-elle avec un sourire désabusé.

Elle se détourna et sauta sur un muret non loin, poursuivant son chemin, Jagger à son côté.

– Ma mère n’a jamais permis que nous y allions, Azriel et moi, poursuivit-elle. Et puis… quand le diagnostic sur la santé de mon frère est tombé, ça n’a rien arrangé.

Jagger pouvait voir des ombres danser dans ses beaux yeux noisette. Il avait beau essayer de se mettre à sa place, il n’y parvenait pas. Que ressentait-on en apprenant que son frère ne vieillirait jamais à nos côtés ?

– Nous avons tous les deux suivis des cours à la maison, poursuivit-elle. Notre second précepteur était d’ailleurs d’un ennui mortel. Du coup, pour égayer un peu ses cours, on s’amusait à lui faire des farces. Un jour, se souvint Amélia avec un sourire, les yeux brillants, ma tante Luvenia nous a surpris en train de remplir sa théière de shamallow Lévitouhaut. Nous étions restés pétrifiés une bonne minute avant qu’elle ne s’approche avec un grand sourire. Elle nous a alors expliqué qu’il valait mieux y verser directement de la potion Poids Plume, les effets seraient plus longs et ça serait beaucoup plus drôle. Et elle nous a montré comment faire. Quelques instants plus tard, s’amusa Amélia, le bougre flottait dans les airs la tête en bas. Nous avons bien ri ce jour-là. Quand ma mère l’a découvert en train de léviter près du lustre du grand salon, elle était hors d’elle. Azriel et moi avons dû rester cachés durant des heures avant qu’elle ne se calme enfin.

Jagger sourit. Il n’avait aucun mal à imaginer la scène et aurait adoré voir ça. Puis, soudain, le regard d’Amélia se voila. Elle s’arrêta subitement de marcher et baissa les yeux, fixant d’un œil morne ses souliers.

– Mais… même si on trouvait le moyen de rire un peu parfois, ça restait triste pour nous deux. J’aurai beaucoup aimé aller à l’école comme les autres. Ce doit être amusant de suivre des cours avec des jeunes de son âge… Mais bon, c’est comme ça.

Elle se tourna vers Jagger et afficha un sourire qui n’atteignit pas ses yeux avant de sauter du muret.

Jagger l’observa un moment. Il se sentait triste pour elle. Malgré ce qu’elle pouvait dire, il voyait bien que ça lui pesait énormément. La solitude… Que pouvait-on ressentir, enfermé dans une si grande maison, isolé du monde extérieur, avec un frère mourant pour seule compagnie ? Jagger ne pouvait pas le concevoir. Lui avait toujours passé sa vie dehors, constamment entouré, tant par sa famille que par ses voisins. Quel poids pouvait bien peser sur les épaules de cette jeune fille ?

– Tu n'es jamais sortie du manoir ?

– Si. Mais j’ai dû attendre d’avoir quinze ans avant de pouvoir me promener seule en ville, quand mes parents ont jugé que je maîtrisais assez bien mes pouvoirs pour ne pas faire d’esclandre en public.

– Tu as vécu une enfance bien solitaire, nota le garçon.

– Ce n’était pas si terrible. J’avais mon frère, et mon amie Faith venait nous voir de temps en temps pour jouer au manoir. Il y avait aussi Anita qui venait pour les soins d’Azriel… elle nous laissait souvent jouer avec son neveu, Prince. Et puis, il y a eu Emily…

À côté d’elle, Jagger se raidit. Elle ne le remarqua pas.

– On s’est tout de suite bien entendu, expliqua-t-elle en regardant le ciel, ses yeux brillant de nostalgie. Pour moi, elle était la sœur que je n’ai jamais eue.

Jagger la regarda tristement, puis se tourna vers les grilles du parc qu’il apercevait un peu plus loin devant eux.

Sur la Place d’Aurora, Amélia et Jagger furent tout de suite accueillit par un maëlstrom de musique entêtante. En découvrant les saltimbanques non loin, la jeune fille sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle adorait les écouter jouer.

Aujourd’hui, un sylphe se trouvait au pied de la fontaine d’Aurora et tournait la manivelle d’un splendide orgue de Barbarie. De là où ils se tenaient, Amélia reconnu les premières notes mécaniques. Il jouait une comptine douce qui mit du baume au cœur de la jeune fille.

– Il y avait longtemps que je ne l’avais pas entendu, avoua-t-elle.

Jagger et elle prirent place sur un banc à l’ombre d’un bâtiment en face du sylphe et profitèrent de sa musique.

– Tant que nous sommes là, commença Jagger, et si nous parlions de l’affaire ?

– Je suis d’accord, répondit Amélia, soudain très sérieuse en se tournant vers lui.

– Par quoi commence-t-on ?

Amélia réfléchit, puis releva les yeux vers lui.

– Parle-moi de la situation dans ton quartier. Tu m’as dit que les temps étaient durs.

– C’est vrai, soupira-t-il en s’adossant au mur derrière lui. Plus encore aujourd’hui. Les fées sont terrifiées. Je crois même que certains commencent à se soupçonner les uns les autres. Les étrangers de passage sont de plus en plus mal vu dans le quartier. Moi-même je m’inquiète de laisser mes sœurs trop longtemps. Je sais que Lemony est en sécurité tant qu’elle reste au Bijou, mais je n’aime pas savoir Lily livrée à elle-même.

Amélia médita ses paroles un moment. Si même les fées commençaient à se soupçonner… Elle commença à se ronger les ongles. Les contours d’une guerre civile toute proche se profilait dans son esprit.

– À quoi tu penses ? demanda subitement Jagger alors qu’Amélia fronçait de plus en plus les sourcils.

– Je me demande de quel peuple vient le tueur.

– Peuple ?

– Oui. Si nous parvenons à découvrir de quel enfant d’Aurora il s’agit, nous pourrons rétrécir le champ des possibles.

– C’est un bon plan… marmonna Jagger. Que penses-tu d’un loup-garou alors ? Leur quartier n’est pas bien loin et ils viennent souvent traîner dans nos rues.

– Hmm… non, je ne crois pas. Un loup aurait laissé bien plus de trace. Lors d’une attaque de loup-garou il y a quelques années, la police a retrouvé des traces de crocs et de griffes sur tout le corps de la victime, le coupable avait été pris d’une véritable frénésie meurtrière et avait quasiment déchiqueté le corps, réfléchit la sorcière tout haut. En plus je crois bien que c’était la pleine lune lors du dernier meurtre. Un loup-garou n’aurait pas résisté à son influence, la scène de crime aurait été un véritable carnage. Non, non… puis n’oublions pas que dans notre cas, le tueur poignarde ses victimes.

Il y eut un silence.

– Un vampire ? proposa Amélia. Ils sont assez malins et calculateurs, puis ce sont des chasseurs eux aussi.

– Oui mais les victimes n’étaient pas exsangues, lui rappela Jagger. Et puis pourquoi se servir d’une arme blanche avec leurs crocs ? En plus ce ne sont pas les boutiques qui vendent du sang de donneur qui manquent dans le Quartier des Vampires, ils n’ont même pas besoin de chasser. Des vampires traditionnalistes, on n’en trouve plus que dans les Montagnes de l’Est de nos jours, les règles de la capitale ne leur conviendraient pas. Un sylphe ? proposa-t-il à la place.

Amélia réfléchit.

– Non, un sylphe tueur ne se serait même pas donné la peine de toucher sa cible. Avec ses pouvoirs, il pourrait très bien vider purement et simplement les poumons de sa victime, elle serait morte par asphyxie sans qu’il ait laissé la moindre trace… Et pourquoi pas une ondine ? Certaines pratiquent des rituels avec des athamés de nacre et de corail.

– Hmm… non, je ne vois pas trop une ondine se salir les mains avec du sang, raisonna Jagger. Elles seraient plus du genre à verser du poison dans le verre de leur cible.

Amélia frissonna en pensant à Cassia Grimm. Finalement, ses éclats de colère orageux n’étaient pas si mal. Mieux valait ça que de l’imaginer versant du poison dans le vin de son mari !

– Un elfe ? proposa Jagger.

Même lui ne semblait pas convaincu par sa proposition.

– Impossible, répondit Amélia découragée en s’adossant au mur derrière elle. Ce sont des érudits pacifistes, ils n’aiment pas les affrontements. Les seuls elfes guerriers qui aient jamais existé vivent parmi les nomades du désert des Plaines du Sud.

Amélia repensa à ce que lui avait dit Jagger.

– Et si c’était une fée ? lança-t-elle en l’air.

Jagger se redressa brusquement et darda un regard mauvais sur elle.

– Non mais t’es dingue ? s’exclama-t-il. Pourquoi une fée tuerait-elle d’autres fée ? Ça n’a pas de sens !

Amélia haussa des épaules.

– Jalousie, cupidité, colère, rancune… énuméra-t-elle en comptant sur ses doigts.

– Les fées ne sont pas aussi vicieuses que les sorcières, grogna-t-il en se laissant retomber sur le mur.

Amélia soupira.

– Une pixie alors ? Faith m’as dit que celle qui m’a piégé s’en était prise à d’autres fées.

Jagger étudia cette possibilité un moment avant de se passer une main dans les cheveux.

– Non… je ne crois pas, finit-il par dire. Les pixies sont des hybrides, mi-fée mi-sorcière. Elles envoutent leurs cibles pour les attirer chez elles, jamais elles n’opéreraient au milieu de la rue. Et puis d’ailleurs, elles ne sont pas foncièrement mauvaises. Celle qui t’a piégé n’a fait que revêtir le rôle que la Sorciété lui a donné, à savoir celui d’un monstre. Après avoir passé des années à être traité comme tel, on finit par le devenir.

Amélia observa une minute de silence, analysant ce que venait de lui dire Jagger.

Dans le fond, il n’avait pas tort. Les pixies étaient les premiers hybrides à avoir été nommé, mais leur nature semblait si abject pour les deux peuples qui les avaient engendrés qu’elles avaient finies par être traité en paria, des créatures inhumaines, monstrueuses… contre-nature.

– Et si c’était une sorcière ? lança soudain Jagger.

Amélia ne réagit pas tout de suite. Une sorcière ? Elle fit la moue. Jagger lui jeta un regard.

– Tu ne sembles pas convaincue.

– Pas vraiment, avoua-t-elle sans quitter la fontaine des yeux. Je ne vois pas vraiment l’intérêt pour une sorcière de se servir d’un poignard.

– Donc tu envisages la possibilité que s’en soit une ? fit Jagger ébahi. Sérieusement ?

Elle haussa les épaules.

– C’est possible, mais je n’y crois pas trop. Si c’est vraiment une sorcière, pourquoi ne pas se servir de ses pouvoirs ? C’est plus facile, plus rapide et beaucoup plus discret. Bien utilisé un sort ne laisse aucune trace. Ça pourrait même passer pour une mort naturelle.

Jagger la regarda, horrifié.

– Tu te rends bien compte de ce que tu dis, rassure-moi ?

Amélia se redressa, agacée, et planta un regard maussade sur Jagger.

– Je ne fais qu’énoncer la vérité, lâcha-t-elle platement. La magie est aussi élémentaire pour une sorcière que le fait de voler pour une fée. Maniée correctement, elle peut faire des miracles comme des horreurs. Tout dépend de la manière de s’en servir.

Jagger pinça les lèvres alors qu’elle se détournait. Dans les faits, elle n’avait pas tort. Les sorcières détenaient un pouvoir considérable. Aucun enfant d’Aurora ne saurait égaler une sorcière en matière de puissance. Cette réalité lui donna froid dans le dos et, quand il posa de nouveau le regard sur Amélia, il sentit naître en lui une certaine appréhension. Si tuer sans laisser de trace était à la portée de n’importe quelle sorcière, alors qu’en était-il de la famille Moonfall ? Si Amélia décidait subitement d’annihiler une espèce entière, y parviendrait-elle d’un simple claquement de doigt ?

Cette perspective lui glaça le sang.

– Et si c’était un humain ? lança brusquement Amélia, ramenant Jagger à la réalité.

– Quoi ?

La jeune fille se tourna vers lui, les sourcils froncés.

– Réfléchit. En théorie, un humain est semblable à un sorcier.

– Sauf qu’il n’a pas de pouvoir, nota Jagger, perplexe.

– Exactement. Un humain est un sorcier qui n’a pas accès à son essence magique. Et qu’a-t-il fait pour palier à ce manque durant toute ces années ?

Comme pour illustrer ses dires, elle montra l’orgue de Barbarie du sylphe en face d’eux. Jagger comprit soudain.

– Il crée des outils… répondit-il dans un murmure.

Amélia hocha la tête, mais Jagger ne semblait toujours pas convaincu.

– Mais pourquoi un humain tuerait des fées ? Je veux bien admettre que le mode opératoire ressemble beaucoup à ce que font les humains, mais dans quel but ?

– Aucune idée, avoua Amélia en haussa des épaules. Par jalousie ?

– Mais jalousie de quoi ? explosa l’homme-fée en s’arrachant presque les cheveux, exaspéré. On vit dans la plus pure misère depuis des décennies, qu’y a-t-il donc à envier ?

Amélia le regarda s’ébouriffer un moment, le laissant radoter son incompréhension quand elle posa une main sur sa tête. Surprit, le jeune homme cessa aussitôt de bouger et lui jeta un regard interrogateur. L’adolescente se contenta de lui caresser les cheveux, comme pour calmer un enfant. Il finit par laisser retomber ses bras et soupira. Le voyant plus calme, Amélia retira sa main. Elle ne remarqua pas la légère teinte rouge qu’avaient pris les joues de son compagnon et se contenta de regarder l’eau de la fontaine couler doucement.

– Les gens ne vous envient pas votre situation, lui dit alors Amélia. Ils vous envie vous. Toutes les fées sont belles. Il émane de vous un charme naturel dont les autres sont dépourvu. Qu’importe votre métier ou vos vêtements, vous semblez toujours mille fois plus belles que les autres enfants d’Aurora.

Jagger la fixa, bouche bée. Quand elle se tourna vers lui, il lui découvrit un sourire triste.

– Ce n’est pas votre faute, ça vous vient de l’Aîné Lux. L’Ange d’Aurora vous a fait magnifiques, vous et les elfes. D’ailleurs, beaucoup les jalousent aussi. Mais il est plus facile de s’en prendre à vous qui n’avez plus rien que de faire payer un peuple aussi avancé dans les sciences et la philosophie que le leur.

Elle soupira.

– Barthélémy Lerouge a fait bien plus de dégât qu’on ne le pense. Il a détruit toute votre civilisation et, en vous forçant à partir, vous a privé de toute légitimité auprès de la Sorciété.

Amélia grimaça, écœuré au souvenir de tout le mal que l’ancien monarque avait fait au peuple des fées. Elles avaient tant perdu par sa faute… Tout un pan de leur histoire s’était volatilisé, détruit par l’arrogance d’un seul homme.

Jagger fut troublé par son expression. Elle semblait sincèrement dégoûtée par ce qu’avait fait l’ancien roi. Mais alors qu’il s’apprêtait à lui poser plus de questions, il la vit se redresser brusquement. Un immense sourire fleurit sur les lèvres de la sorcière alors qu’elle reconnut le couple qui s’avançait vers elle.

London et Lorène Wilkins, les parents vampires de Faith.

En les voyant arriver, les deux jeunes gens se levèrent.

– Je suis heureux de vous trouver ici, sourit London en s’approchant d’Amélia avec un grand sourire.

Le couple Wilkins était le couple le plus atypique qu’Amélia n’eut jamais rencontré. Alors que Mme Wilkins était grande et mince, M. Wilkins, lui, était petit et rond. La vampiresse devait presque se baisser pour tenir le bras de son époux, lui donnant une position frisant le ridicule mais qui ne semblait nullement la gêner.

Quand elle la regardait, Amélia ne pouvait s’empêcher de remarquer la ressemblance frappante entre la mère et la fille. Faith avait hérité des traits fins de sa mère ainsi que de sa peau pâle et ses longs cheveux corbeau. De son côté, M. Wilkins ne semblait avoir légué à sa fille que ses joues rougissantes et ses yeux bleus bienveillants. Car si Lorène Wilkins avait un regard chaleureux au premier abord, elle possédait également ce petit quelque chose de glacial dans le regard qui empêchait quiconque de se moquer de son couple quelque peu… extravagant.

On pourrait aisément croire à une farce à les voir ainsi tous les deux. Mais, en les regardant plus attentivement, on pouvait lire tout l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Chacun de leurs regards, de leurs sourires débordaient de tendresse et d’un amour inconditionnel.

Amélia les enviait.

– J’allais justement remettre votre invitation à un coursier, annonça joyeusement M. Wilkins en lissant son élégante moustache brune d’une main gantée.

– Invitation ? répéta Jagger sans comprendre.

Amélia l’ignora et se tourna vers le vampire qui lui tendait une enveloppe joliment décorée.

– Merci beaucoup, répondit-elle avec un sourire en prenant l’invitation. J’espère que vous n’avez pas eu à courir dans tous les sens pour la commande de ma mère. Je sais qu’elle peut avoir des goûts de luxe assez contraignant.

– Ne vous en faites pas, lui sourit Lorène en replaçant son ombrelle sur son épaule, c’est toujours un plaisir de travailler avec votre mère. Elle a toujours eu très bon goût.

Amélia retint une grimace en repensant à l’horreur que sa mère leur avait fait faire pour elle pour la soirée théâtre. Oui, très bon goût

– D’ailleurs, fit London en se redressant d’un bond, vos tenues pour la cérémonie seront prêtes sous peu. J’enverrai Faith vous les porter.

– Oh, je peux venir s’il le faut, ça ne me pose pas de problème.

– C’est adorable de votre part, lui répondit Lorène les yeux brillants, mais ça ira, je vous assure. Et puis, ce sera l’occasion pour Faith et vous de passer un peu de temps ensemble. Il me semble que cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas vues.

Jagger toussa dans son poing, essayant de camoufler un rire. Amélia lui écrasa le pieds en retour. Il se mordit le poing pour ne pas hurler tandis qu’elle persistait à garder l’air enjoué. Les pauvres… s’ils savaient que leur fille s’était retrouvée avec une Moonfall inconsciente dans un dispensaire de fée, vampire ou pas vampire, ils feraient une attaque !

– Oui, ce serait une bonne idée, finit-elle par répondre, merci.

– D’ailleurs, maintenant que j’y pense, il me semble que votre mère à fait modifier votre robe. C’était bien la sienne, non ? demanda M. Wilkins en se tournant vers son épouse.

– Oh, oui, approuva cette dernière en souriant, les yeux rêveurs. Et je dois bien admettre que c’étaient des idées brillantes ! Votre robe est sans nul doute l’une de nos plus belles créations, vous n’allez pas en revenir, je vous le garanti !

– Je n’en doute pas, sourit poliment Amélia. Vos créations sont toujours splendides.

À son compliment, M. et Mme Wilkins rosirent de plaisir. À les voir aussi démonstratif, on pourrait presque oublier qu’ils sont vampires. Amélia n’avait jamais rencontré d’enfant de la nuit aussi expressif.

– Bien, nous allons devoir nous retirer, dit soudain London après un rapide coup d’œil à sa montre. Nous devons encore trouver un coursier pour les invitations et livrer la robe de Mlle Vonner. Mademoiselle, monsieur, salua-t-il en inclinant son chapeau melon.

Jagger l’imita alors qu’Amélia et Lorène se firent la révérence. Puis le couple prit congé. Les deux adolescents les regardèrent disparaître dans la Grand-rue, comme avalés par la foule, puis Jagger se tourna vers Amélia. La jeune fille regardait le faire-part, soucieuse.

– Tu m’expliques ?

– Ma famille est invitée au mariage du comte Mars Monroe et de Jane Vonner, dit-elle d’une voix monocorde. La cérémonie aura lieu à leur manoir d’ici quelques jours. Ce sera une grande fête.

– Hmm… Je comprends mieux l’agitation de mes patronnes.

Amélia releva les yeux et lui jeta un regard interrogateur. Il haussa des épaules.

– Je travaille de temps en temps comme serveur pour les sœurs Klerona. Ce sont elles qui organisent le mariage.

Amélia sourit.

– Parfait. Dans ce cas, rendez-vous au mariage !

Puis elle s’en alla. Jagger resta planté là un moment, dubitatif avant de soupirer et de rebrousser chemin. Il avait encore du travail.

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