Les sous-sols de l’académie n’étaient pas situés dans l’école. En réalité, ils se trouvaient sous l’Arbre-monde et étaient accessibles en traversant une porte bien spécifique. Fantômette pouvait traverser n’importe quelle matière. Elle avait donc préféré attendre sous terre plutôt que de s’embêter à faire un trajet plus long en compagnie d’une bande d’adolescents. Quant à eux, ils n’avaient pas d’autre choix que d’arpenter de nouveau les couloirs de l’académie assombris par l’obscurité de la nuit. Après l’arrivée de Fantômette, Thalion avait expliqué à ses amis son projet de renseignement sur l’Enfant Sanglant. Nohan et Cally n’étaient pas emballés par l’idée qui, en plus d’être dangereux, impliquait d’enfreindre le règlement. Mais, bien évidemment, ils préféraient se mettre dans le pétrin avec lui plutôt que de l’observer tomber dedans seul. Toutefois, ils n’hésitaient pas à communiquer à Thalion leur manque d’enthousiasme.
— J’ai été naïf d’espérer que ce genre de sortie nocturne ne se reproduise plus… grommela Nohan.
— Si on se fait prendre, on est fichus… gémit Cally.
— Vous pouvez encore faire demi-tour si…
— Chut, le coupa Nohan. Laisse-nous nous plaindre.
Le maudit fusilla du regard l’emplacement vide à côté de lui où devait se trouver son ami. Pour éviter de se faire repérer par un surveillant, se rendre invisible était nécessaire. Contrairement aux fois précédentes, Thalion était désormais capable de maintenir un sort d’invisibilité sur lui sans devoir tenir la main de quelqu’un pour en bénéficier.
N’en étant pas à son premier essai, Thalion commençait à s’habituer à l’ambiance inquiétante qui s’emparait de l’académie dès que les étoiles brillaient dans le ciel. Les sombres craquements ne le faisaient plus sursauter et l’obscurité était moins terrifiante grâce au sort « vue-de-chat » qui rendait nyctalope. Leur entrée en deuxième année ne s’accompagnait pas uniquement d’un apprentissage aux enchantements sans incantation, mais également à l’exécution de plusieurs sorts simples en même temps. En ce moment, involio et Nyctoculo leur permettait de circuler sans se faire repérer. Ils auraient pu utiliser Brillonui mais ils perdraient en discrétion, surtout qu’ils n’avaient aucune idée de ce qui se tapissait dans l’ombre.
— Vous croyez qu’ils ont renforcé la surveillance à quel point ? s’inquiéta Cally.
Outre la tentative d’enlèvement, que des élèves parviennent à se balader seuls la nuit dans l’établissement en esquivant les surveillants n’avait pas plu à l’académie. Dès la rentrée, les professeurs avaient explicitement rappelé le couvre-feu et évoqué de nouvelles mesures dans le cas où des élèves désobéissants tenteraient de dépasser l’interdiction. Aucune précision n’avait été donnée et Thalion redoutait ce qu’il pourrait découvrir.
— Pour ne pas nous porter la poisse, je vais seulement supposer qu’ils ont augmenté le nombre de surveillant, répondit-il prudemment.
— Tu aurais dû demander des informations à ton tuteur, remarqua Nohan. Il a directement participé à l’organisation de la sécurité.
— Autant afficher une pancarte qui annonce que je m’apprête à enfreindre le règlement.
— J’oubliais que tu ne connaissais pas la subtilité… Tu aurais pu prétexter t’inquiéter pour ta sécurité.
— De un, Berry me connaît trop bien pour que ça fonctionne. De deux, pour quelqu’un d’aussi honnête que toi, ta suggestion est étonnante.
— C’est juste que, dans la mesure où…
— Taisez-vous ! ordonna subitement Cally.
Surpris par son ton impératif, les deux magériens se turent. Ils restèrent plantés au milieu du couloir sombre. Des rideaux opaques recouvraient les fenêtres, mais grâce à Nyctoculo, leur environnement leur apparaissait comme en pleine journée, avec des couleurs légèrement ternies.
Dans un silence oppressant entrecoupé de craquèlements, ils tendirent l’oreille. Puis Thalion le perçut. Ce son bref, sourd et ponctuel qui ressemblait à des tapotements. Il ne pouvait pas voir l’expression de ses amis, mais ils étaient sûrement aussi tétanisés que lui. Thalion sentait le rythme de son cœur s’accélérer à mesure que le bruit s’intensifiait. Un bruit qui n’était en aucun cas celui des pas d’un être humain. Son regard noisette était rivé sur le bout du couloir, craignant ce qui surgirait du néant.
Soudain, le chant menaçant s’arrêta, les plongeant dans un silence angoissant. Thalion finit par déglutir, veillant à contrôler sa respiration pour faire le moins de bruit possible.
— Je ne sais pas ce que c’était, mais on ferait mieux de se dépêcher.
Son murmure était à peine audible, mais avec les sens en alerte, ses amis n’eurent aucun mal à l’entendre. Ils chuchotèrent à l’affirmative, mais avant d’avoir pu faire un pas, le son d’une matière visqueux dégoulinantes retentit dans leur dos. Les trois magériens se transformèrent en statue de glace. Lentement, ils se retournèrent et se confrontèrent à une paire de yeux. Globuleux et jaune safran, dotés d’une pupille horizontale, ce regard inhumain les fixait sans sourciller.
Le nombre de surveillants n’avait pas augmenté. En revanche, les gardes avaient changé.
Complètement pétrifiés, ils observèrent bouche bée le monstre qui bouchait le couloir. Avec son corps rond et trapu ainsi que son museau arrondi et aplati, la créature avait la forme d’un crapaud. Un crapaud né de la magie. Comment le savaient-ils ? Les magériens n’avaient jamais vu d’amphibien doté d’une peau noire, lisse et miroitante avec des reflets argentés, et encore moins avec huit membres. En plus des deux pattes présentes habituellement à l’avant et à l’arrière, il en avait deux de plus de chaque côté. Ces membres ajoutés s’appuyaient contre les murs et le plafond et devaient lui accorder une vitesse de déplacement sans précédent. Mais ce que les magériens redoutaient le plus était la gueule ouverte dénuée de dents de la créature, de laquelle coulait une salive gluante. Une langue violette et convexe n’attendait qu’un signal pour se projeter sur une cible.
Thalion sentit une goutte de sueur glisser le long de sa colonne vertébrale. La bouche du monstre pouvait gober sans problème un adulte, et son corps était bien assez large pour contenir trois élèves dans son ventre jusqu’à l’aube. Avec sa langue prête à l’assaut, il n’était pas difficile de deviner le sort qui les attendait s’ils se faisaient attraper.
Grâce au sortilège d’invisibilité et à leur immobilité totale, les trois adolescents trompaient la vue du batracien qui percevait tout de même leur présence puisqu’il demeurait sur ses gardes. Thalion ne connaissait pas l’étendue des capacités de la créature. Si elle n’avait que sa vitesse et sa langue élastique, ils pourraient s’enfuir sans faire de bruit, en reculant lentement et…
— Mortel, c’est de la magie séléniale, intervint Apocryphos. Une magie ancienne qui utilise l’énergie de la lune. Tu n’en as sans doute jamais entendu parler car elle est tombée dans l’oubli. Elle est si subtile et longue à maîtriser que les humains meurent avant d’y parvenir. Je n’imaginais pas en voir une manifestation à cette époque…
— Tu sais que j’adore quand tu m’apprends des choses, mais là, ça ne m’est pas très utile, répliqua mentalement Thalion avec nervosité.
— Tu ne comprends pas, soupira le dieu, agacé par son manque de sagacité. La créature incarne la magie de la nuit. Non seulement elle peut la manipuler comme bon lui semble, mais en plus, la pénombre est son territoire, comme la toile l’est pour l’araignée. Elle sent tout ce qui y pénètre.
Justement, si elle sentait leur présence, il n’avait pas de temps à perdre pour partir discrètement. Tant qu’elle ne connaissait pas précisément leur emplacement, il avait une chance de…
Brusquement, Thalion eut l’impression d’être comprimé entre deux plaques. L’air était devenu si lourd qu’il en était presque rendu tangible, le compressant comme un étau. Les poumons compactés, respirer fut impossible pendant plusieurs secondes qui parurent interminables, jusqu’à ce que le sortilège d’invisibilité se brise, littéralement. L’habillage invisible qui les recouvrait vola en éclat comme du verre sous le poids de cette pénombre surnaturelle.
Nohan et Cally n’étaient plus à ses côtés. Ils avaient commencé à reculer pendant qu’Apocryphos parlaient, et dévisageaient Thalion, ébahis de le voir encore si proche du crapaud. Ce dernier croassa, et le maudit jura que ses yeux jaunes rivés sur lui reflétaient de la moquerie.
— En gros, je voulais te faire comprendre que tu devais courir le plus loin et rapidement possible pour échapper à son sort, acheva Apocryphos.
— Tu ne pouvais pas le dire clairement ?! s’emporta Thalion.
— Je n’aime pas te macher le travail…
Sans laisser le temps à Thalion de réagir, la créature magique projeta sa langue sur lui et l’enroula autour de sa taille tel un ruban visqueux. Le jeune homme gigota en tentant de se dégager, mais la chair collante accrochait ses vêtements et l’emprise ne desserrait pas, au contraire. Il n’était pas moins qu’une mouche prise au piège dans la salive de l’amphibien.
Puis la langue se rétracta. Les pieds de Thalion décollèrent du sol et son corps fut tiré vers la gueule dégoulinante de bave du crapaud. Durant ce court laps de temps où il fut emporté, Thalion chercha désespérément dans sa mémoire un sort capable de le sauver, mais l’urgence de la situation annihila ses capacités réflexives. Horreur et dégoût lui provoquèrent des remonter acides quand une odeur écœurante effleura ses narines au moment de se faire avaler. Si l’haleine nauséabonde du monstre était une idée de son créateur, ce dernier devait souhaiter la mort des élèves par attentat olfactif. Même en étant entraîné par le vomipupitre, Thalion ne tiendrait pas trois minutes dans l’estomac sans vomir.
Heureusement, on le sauva de ce funeste destin.
Un de ses deux amis avaient dû lancer Glasopki car une couche de glace arpenta le sol et fila jusqu’au crapaud pour l’emprisonner. Le corps de la créature se figea, prisonnier dans une carapace de glace, la transformant en statue de cristal. Sa langue n’avait pas échappé au sort, stoppant le plongeon de Thalion dans l’estomac du monstre. Le corps à moitié immergé dans la gueule, il n’eut pas l’occasion d’apprécier ce sauvetage car, coincé dans cette position, il était forcé de respirer les effluves pestilentiels à plein nez. Son estomac se souleva.
— Thalion ! Tout va bien ? cria Cally.
— … ‘Vais gerber… bredouilla-t-il avant de souffrir d’un nouveau haut-le-cœur.
— T’es trop haut pour qu’on t’atteigne, essaye de te détruire la langue pour te libérer ! lui conseilla Nohan.
Le crapaud faisant plus de deux mètres, ses amis pouvaient difficilement lui porter secours, mais ils en avaient déjà suffisamment fait. Ce n’était pas les nausées qui l’empêcheraient de lancer un sort.
— Deskrutos !
Ne pouvant viser précisément avec ses bras entravés, se fut l’entièreté du corps du crapaud qui explosa, volant en mille éclats de glace. Thalion s’écrasa par terre à plat ventre. Outre la douleur qui lui arracha un grognement, il fut soulagé d’être de nouveau libre de ses mouvements, et apprécia la fraîcheur de l’air qui apaisa son odorat violenté. Il prit de grandes inspirations pour effacer le souvenir de cette odeur cauchemardesque.
Tout en veillant à ne pas glisser sur le sol toujours givré, il rejoignit Nohan et Cally.
— Bon, au moins, on s’en est débarrassé…
— Tu-tu-tu… l’arrêta Apocryphos. Tu penses qu’une créature de la nuit est aussi facile à tuer ? Ta naïveté m’épate. Je vous conseille vivement de courir pour atteindre la porte.
Au même moment, les morceaux de glaces répandus par terre tremblèrent avant de se désagréger, comme si on les écrasait pour les réduire en miette. La matière noire composant le corps de la créature enfermée dans la glace se libéra et, tel un organisme vivant gélatineux, elle serpenta le sol pour se rassembler et reformer le crapaud. D’après la vitesse avec laquelle il se reconstituait, ce n’était qu’une question de minute avant qu’il ne se remette à les poursuivre.
Sans prononcer le moindre mot, les trois magériens se mirent à courir sans se soucier de leur discrétion, cherchant uniquement à mettre le plus de distance possible avec leur poursuivant.
— La porte est encore loin ? demanda Cally, à bout de souffle.
— Non, répondit Thalion, mais…
Il n’eut pas besoin de finir sa phrase car des bruits sourds retentissant derrière eux leur fit comprendre sa pensée. Vu la présumée vitesse de la bête, ils n’allaient pas y arriver à temps. Et avec le bruit qu’elle faisait, des renforts pouvaient surgir d’un moment à l’autre, que ce soit d’autres monstres ou des surveillants.
— Il faut qu’on se cache, souffla Nohan d’une voix rauque en suivant le même chemin de pensée. J’ai peut-être une idée, suivez-moi !
Faute de temps pour en apprendre plus, Thalion et Cally suivirent le jeune homme sans discuter. Le maudit jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et, grâce à Nyctoculo toujours actif, il aperçut au bout du couloir une masse noire foncer sur eux. Le crapaud gélatineux bondissait et se propulsait en agrippant sol et murs. Dans quelques sauts, il les rattraperait.
Avant que Nohan ne s’engouffre dans une des salles de classe qui sillonnaient le couloir, Thalion lança Fumor pour brouiller la vision du crapaud et le ralentir.
En pénétrant à son tour dans la classe, Thalion reconnut dans la pénombre atténuée par quelques rayons de lune la salle d’art. Si le centre de l’endroit était occupé par de simples tabourets face à une estrade, les murs étaient recouverts de tableaux, de peintures murales, d’étagères jonchées de poteries et de pièces d’orfèvrerie. Des lierres arpentaient le plafond, donnant l’impression d’être dans un lieu secret regorgeant de trésors. Contre le mur défilaient des statues de marbre à moitié achevées. Parfois, seule une partie du corps émergeait du bloc d’albâtre. D’autres avaient seulement besoin d’être retravaillées.
Les seules sculptures entièrement terminées étaient celles exposées sur l’estrade. Elles représentaient des femmes aux longs cheveux ondulés avec un délicat visage, et des courbes gracieuses enveloppées dans un drap de marbre d’une finesse remarquable. Le sculpteur avait merveilleusement retranscrit l’éclat onirique de ces nymphes. Mais Nohan ne prit pas le temps de les admirer car il fonça sur l’une d’elles, celle qui possédait le regard le plus envoûtant. Sans prononcer la moindre explication, il lança :
— Magipellès Lovelès !
Puis, comme si la statue de marbre était devenue aqueuse, Nohan la traversa pour pénétrer à l’intérieur, son passage créant une onde sur la sculpture.
Thalion comprit en même temps que Cally. Sans attendre, ils réitérèrent le sort avant que le crapaud ne débarque dans la classe, et s’invitèrent à l’intérieur de la statue, ou plutôt, dans le souvenir.
Pour créer leurs œuvres d’art, les mageartistes utilisaient les mêmes moyens que les amagériens. Que ce soit pour l’utilisation des outils ou le travail des matériaux, la magie n’intervenait à aucun moment dans le processus. Thalion avait souvent observé sa mère peindre dans son atelier pendant des heures, le pinceau dans une main et une palette en bois dans l’autre, jusqu’à ce qu’au fil des coups de pinceaux naissent sur la toile blanche un paysage renversant. Les magériens accordaient une grande importance au travail manuel et artistique. Chaque geste était une ode aux dieux, à cette inspiration qui possédait tout artiste digne de ce nom. Employer la magie était un affront à la puissance humaine qu’était la créativité et l’imagination, raison pour laquelle une œuvre d’art faite de magie valait moins qu’un dessin fait par un enfant.
Rien ne distinguait une production artisanale créée par un magérien et celle d’un amagérien, sauf la signature. Un artisan pouvait, s’il le désirait, lier sa création à un souvenir. Pour cela, au moment de signer, il usait d’un « sort-signature ». Souvent, c’était intimement lié à l’œuvre, mais parfois, un artiste s’amusait à signer avec un souvenir qui n’avait rien à voir, offrant un contraste saisissant. C’était, par exemple, le cas de la peintre Génélia qui peignait des paysages féériques, tous rattachés aux pires moments de son existence.
Connaître le sort-signature de l’artiste permettait de rentrer dans le souvenir de l’œuvre. Actuellement, les adolescents se trouvaient dans celui du sculpteur. Ce dernier était assis près d’un lac, ses cheveux bruns rattachés par un chignon, et ses yeux clairs ne quittant pas la belle nymphe qui chantait de sa voix mélodieuse devant lui. Il n’était pas difficile de comprendre qu’il était amoureux d’elle et que la créature était celle qu’il avait figé dans le marbre. Thalion s’approcha de l’homme pour passer sa main devant ses yeux. Evidemment, il ne réagit pas. Il n’avait pas de conscience ni d’existence propre, et cette scène onirique n’était qu’un morceau de mémoire qui tournait en boucle. Même s’il avait été possible d’interagir avec un souvenir, l’homme était trop ensorcelé par la beauté de la femme pour accorder de l’attention à quoi que ce soit d’autre.
Thalion aperçut ses amis, situés à un plus loin. Cally était appuyé contre un des arbres de la forêt qui les entouraient, reprenant son souffle, à l’image de Nohan, adossé contre un tronc. En quelques pas, il les rejoignit.
— Comment as-tu su pour le sort-signature ? demanda-t-il à son meilleur ami.
Certains artistes dévoilaient leur sort-signature de leur plein gré, anthume ou posthume, mais pour les connaître, soit on s’intéressait beaucoup à l’art, soit on suivait un cours d’art. À sa connaissance, Nohan ne remplissait aucune des conditions.
— En fin d’année, quand tu étais replié sur toi-même, Cally et moi avons profité de notre temps libre pour se renseigner sur les bagues que tu as volé au club des objets magiques, expliqua-t-il. Savoir d’où elles provenaient, leur fonctionnement… Comme on ne trouvait pas grand-chose dans les livres sur les objets magiques, on est passé aux ouvrages plus spécifiques sur l’orfèvrerie, puis sur l’artisanat… Au final, on a ratissé tous les manuels d’art sans obtenir la moindre information.
Nohan prit un air penaud, aussi déçu que Cally pour l’échec de leurs recherches. Thalion, lui, avait l’estomac noué par la culpabilité. Pendant qu’il se morfondait sur la trahison d’Eris et sa mort programmée, Nohan et Cally avaient fait l’effort d’avancer en entreprenant ces recherches. Lui avait complètement oublié cette histoire de bague télépathique. Sans elle, il n’aurait pas réussi à contacter Nohan alors qu’il était poursuivi par Eris. Il songea à ce bijoux volé enfermé dans le tiroir de sa table de nuit. Nohan la portait toujours. Thalion, moins, ayant perdu l’habitude de la mettre à cause des gants. Peut-être devrait-il la porter par-dessus, si jamais il en avait besoin en cas d’urgence. Se renseigner dessus était pertinent. Dans l’avenir, elle pourrait s’avérer utile. Et puis, il était toujours mieux de connaître son origine et ses capacités pour éviter les mauvaises surprises. Ce n'était pas rare avec les objets magiques, surtout quand on ne savait rien dessus.
— Au moins, ça nous a sauvé la mise pour cette fois. Si le crapaud m’avait recraché à l’aube au pied de son créateur, j’aurais été morte de honte, avoua Cally.
Nohan acquiesça, partageant son avis.
— J’ai entendu Aglaé parler avec Camille de leurs cours d’art, notamment du sculpteur Mithès qu’ils étaient en train d’étudier. Par chance, je me rappelais de son sort-signature.
— J’aime bien parler d’art avec Aglaé. On ne dirait pas mais elle est passionnée par ce domaine. Elle sait pleins de choses !
Thalion avait toujours pensé qu’elle avait choisi cette option par défaut. Apparemment, il avait tort. Après, il n’était pas aussi proche d’elle que l’était Cally, même si leur relation avait évolué depuis Samhain.
— Je serais ravie d’entendre tout ce que tu as appris d’elle, mais ne nous attardons pas ici, rappela Thalion. Restons quelques minutes le temps que le crapaud s’éloigne, puis retournons dans le monde réel. Si on se dépêche, on attendra la porte avant que…
Une silhouette surgit brusquement du néant, les faisant sursauter. Pendant un instant, Thalion crut que le monstre avait réussi à les rejoindre jusqu’ici d’une manière ou d’une autre, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il s’agissait d’une autre créature indésirable qu’il ne s’attendait pas à voir ici.
— Camille ? s’exclama-t-il.
Le magérien se laissa tomber sur les fesses, la respiration saccadée. Son front était perlé de sueur et quelques mèches de cheveux auburn lui collaient au visage. Il jeta un coup d’œil à Thalion, nullement surpris.
— Tiens, vous aussi vous êtes ici ? Moi qui pensais être plus malin que vous…
Il tourna la tête vers Mithès qui n’avait pas bougé.
— Alors c’est lui, le sculpteur amouraché qu’on étudie ? Vu comment il la dévore du regard, pas étonnant qu’il ait crée une aussi belle statue…
— Tu m’expliques ce que tu fiche ici ? s’énerva Thalion.
Camille roula des yeux face au regard noir du maudit, franchement exaspéré. Il se releva.
— Je suis là pour la même raison que vous.
— Tu ne sais rien de ce qu’on est en train de faire, répliqua-t-il.
— Précisément. Vous n’avez pas daigné me mettre au courant, visiblement. Comme on n’est pas les meilleurs amis du monde, je vous pardonne pour cette fois, mais si ça se reproduit, je vais me sentir exclu.
Thalion serra des poings avec la furieuse envie de les enfoncer dans le visage de cette canaille. Nohan se plaça entre eux pour faire office de barrage.
— Bon, déjà, ne nous énervons pas, ça ne sert à rien, déclara-t-il à l’adresse de Thalion avant de pivoter vers Camille : j’imagine que tu nous as entendu partir de la chambre ?
— Vous êtes au courant que mon sommeil n’est plus aussi profond qu’avant. Vous devriez être plus prudent, vous suivre n’est pas difficile.
— Tu nous suivais ? Pourtant, le crapaud n’a pas senti ta présence, et ton sort d’invisibilité ne s’est pas annulé, remarqua Cally. On t’aurait vu, sinon.
Camille fronça les sourcils en croisant les bras.
— Je ne sais pas de quel crapaud vous parlez, mais j’imagine que c’est le même genre de créature que l’araignée.
Devant leur confusion, Camille secoua la tête avec dédain.
— Si vous avez pu pénétrer dans l’académie, c’est grâce à moi. Je vous avais devancé pour pouvoir vous confronter là-bas et vous contraindre à m’emmener avec vous, mais en pénétrant dans le hall d’entrée, je suis tombée nez à nez sur une araignée noire géante avec des poils violets et des tas de yeux jaunes qui montait la garde.
D’un mouvement de main, il retira des filaments argentés accrochés à ses vêtements, un air grave sur le visage.
— Savez-vous ce que c’est de lutter contre une araignée qui s’acharne à vouloir vous enfermer dans un cocon ? D’être poursuivi par cette créature démoniaque et ses mandibules claquantes ? Avez-vous idée du traumatisme que j’ai subi à votre place ?
Nohan et Cally échangèrent un regard, soulagés de ne pas avoir affronté cette araignée à leur arrivée. Thalion, afficha la même expression sérieuse que Camille et tira sa chemise encore gluante de bave.
— Et toi, as-tu idée de ce que ça fait d’être gobé comme une mouche par un crapaud baveux avec une haleine puante ?
Les deux magériens se dévisagèrent avec un dédain teintée d'une compréhension mutuelle.
Cally soupira.
— N’empêche, cette année, l’académie est déterminée à donner une bonne leçon aux élèves qui enfreignent le couvre-feu.
Camille haussa les épaules.
— Ce qui s’est passé l’année dernière l’a traumatisée. Forcément, elle a renforcé la sécurité. Mais on est tenace. On parviendra à… aller où on doit aller sans se faire prendre.
Devant l’air entendu de Camille, Thalion le toisa.
— Pourquoi est-ce que tu nous accompagnerais ?
— Ce que vous faites a un lien avec Eris, non ?
Thalion plissa des yeux, sans pour autant confirmer, mais le malaise perceptible de Nohan et Cally le trahirent. Camille afficha un rictus satisfait.
— Bingo. De ce fait, je suis d’office impliqué. Ne t’ai-je pas dit en début d’année que je voulais me venger et que pour cela, il était nécessaire que je sois votre complice ?
— Je m’en souviens, grommela Thalion. Je n’ai jamais dit que j’étais d’accord.
— Il y a eu une compréhension réciproque entre nous !
— Ce n’est pas pour autant que j’ai accepté !
— Allez ! Moi, je ne crains pas les problèmes, et je suis plus débrouillard que toi, donc un élément essentiel à avoir !
Thalion n’était pas certain qu’avoir un magérien qui lui donnait des pulsions de meurtre dans son équipe était une bonne idée.
— Vraiment ? Je serais curieux de voir comment tu te débrouilles quand on te noie dans un lac…
Camille ricana, un éclat de défi dans ses prunelles. Cally observa la scène sur le côté, dépassée par leurs chamailleries, tandis que Nohan se racla la gorge pour ramener l’attention sur lui.
— Qu’on le veuille ou non, Camille est de la partie. Il ne nous lâchera pas alors autant le prendre avec nous.
Thalion grogna, contrarié à l’idée de devoir supporter cet énergumène et son sourire narquois. Toutefois, Nohan avait raison. Maintenant qu’il était là, ils allaient devoir composer avec lui. Les capacités de Camille pourraient s’avérer utile. Après tout, il avait semé une créature de la nuit à lui seul.
— Si tu nous ralentis d’une quelconque façon, on te livre à l’araignée, le menaça Thalion avec le plus grand des sérieux.
— Compris, répondit-il, presque amusé.
Nohan souffla, rassuré que la situation ne dégénère pas. Cally s’approcha d’eux.
— On va pouvoir y aller ? On sait que le crapaud n’est plus dans les parages puisque Camille ne l’a pas aperçu.
— C’est vrai, confirma Nohan. Mais la pénombre est son terrain, comme pour l’araignée. J’ai peur qu’eux ou une autre créature de la nuit nous intercepte avant qu’on atteigne les sous-sols…
Thalion comprenait sa crainte. Même dans le cas où les deux monstres seraient retournés dans leur zone respective, ils pourraient revenir, ou un autre pouvait débarquer. Se dépêcher n’était pas une mesure suffisante et honnêtement, le jeune homme ne pensait pas pouvoir échapper à une autre confrontation.
Après quelques minutes où chacun se perdit dans ses pensées, la voix de Cally les tira de leur réflexion.
— Et si on se métamorphosait en ombre ?
J’aurais un peu traîné pour lire ce chapitre. J’étais clouée au lit par la grippe. >.<’
Un chapitre sympathique. Je me demande juste s’il ne vaudrait pas mieux trouver un moyen pour caser l’explication sur les œuvres d’art magériennes plus tôt dans l’histoire ? Parce que là, ça cassait un peu l’action, j’ai trouvé ça dommage. :/
D’ailleurs, c’est déjà un point que j’avais soulevé dans le tome 1, mais y a pas mal de phrases/paragraphes qui gagneraient à aller plus droit au but. Par exemple, cette phrase :
« Sans prononcer le moindre mot, les trois magériens se mirent à courir sans se soucier de leur discrétion, cherchant uniquement à mettre le plus de distance possible avec leur poursuivant. »
ça fait beaucoup de mots juste pour dire qu’ils se mettent à courir. ^^ Au final, tu pourrais juste écrire « Les trois magériens se mirent à courir. » et on voit bien qu’ils le font sans se parler, et s’ils courent, on se doute qu’ils laissent tomber la discrétion et que le but, c’est de s’éloigner de leur poursuivant. Tout ça pour dire que toutes ces petites précisions, ça alourdit inutilement la phrase.
Je fais la remarque (encore) ici, parce que ce genre de phrases un peu lourdes qui tournent autour du pot, c’est particulièrement gênant dans les moments d’action, mais je vais pas t’embêter plus que ça. Ce genre de petit défaut, ça se corrige facilement avec une bonne relecture et un bon coup de ciseau !
Sinon, je suis contente de voir Camille se joindre à eux. Plus on est de fous, plus on rit !
Hâte de voir ce que va donner cette expédition !
Ah mince, j'espère que tu t'es remise !
J'avoue que pour les explications des œuvres d'art, je n'ai pas réussi à trouver un meilleur moment. Il faut dire que les chapitres sont déjà chargés en information, mais je vais réfléchir à un meilleur moment.
Je m'étais faite cette réflexion sur le fait que je m'étalais un peu trop dans les descriptions pour ce chapitre et j'ai essayé de raccourcir un peu mais j'avais peur de mal ajuster les corrections (il était tard aussi j'avoue mdr). Ton commentaire m'aide à mettre précisément le doigt sur ce qui ne va pas et à prendre du recul, je vais retravailler ce chapitre pour alléger le texte !
Disons que cette expédition leur réserve quelques surprises !
Merci pour ton commentaire !